as evening fades to grey (naeun)

L’amour, c’était lent. Il n’y avait pas de chute brutale, pas de douleur physique. L’amour, c’était une rivière tranquille qui ruisselait le long d’une montagne et qui, finalement, se jetait dans la mer, confortablement. On ne réalisait pas qu’elle coulait, presque ; on la savait juste belle, cette rivière. On s’y baignait, on buvait son eau, jusqu’à ce qu’on tombe sur l’endroit où elle tombait. En tout cas, c’était comme ça que Yuyeon l’avait vécu, son amour. Il avait baigné dans cette rivière, suivi son cours, main dans la main avec Sunhee, et ce fut lorsqu’il s’était rendu à son embouchure qu’il avait réalisé qu’il aimait ça. Il aimait se promener avec Sunhee, s’amuser à s’éclabousser tous les deux, à rire ensemble. Debout face à l’étendue de la mer, il avait réalisé qu’il voulait se lever tous les jours en regardant le lever du soleil avec elle, et s’endormir en observant le coucher du soleil, ensemble, tous les deux. C’était comme ça, tout simplement, qu’il avait réalisé qu’il était tombé amoureux d’elle. Rien d’extravagant, pas de cœur qui avait raté un bond, pas de confettis dans l’estomac. Il l’aimait, et puis, c’était tout.
Mais personne ne l’avait prévenu que ça se passait de la même manière, quand on n’aimait plus quelqu’un.
Comme si pendant six ans, il avait nagé dans l’eau de la mer, flotté dessus, appréciant sa douce compagnie : et que ce n’était qu’aujourd’hui qu’il comprenait que cette eau était salée.
Qu’il ne l’aimait pas, cette eau.
Qu’il ne l’aimait plus.
Parce qu’elle avait changé.
La nature de son amour avait changé.

Et il l’avait réalisé exactement de la même manière : simplement, un jour, en noyant sa tête dans l’eau, ouvrant sa bouche, goûtant l’eau, et comprenant. Comprenant que son amour n’avait plus rien de l’amour du départ, qu’il avait évolué en quelque chose qui ne lui correspondait plus. Pas de cœur qui avait raté un bond, pas de confettis dans l’estomac. Au contraire. Un sentiment de désarroi, qui l’avait rongé de l’intérieur, encore et encore. Peut-être qu’il se faisait des idées. Peut-être que ce n’était pas vrai. Peut-être qu’il était stupide. Peut-être que ce n’était pas ça. Peut-être qu’il l’aimait encore.
Peut-être.

Se raccrochant à ce seul espoir, il attendait alors dans un café, le gobelet de café déjà dans sa main, attendant que son amie le rejoigne. Leur amie, en fait. Bien sûr. Sunhee et Yuyeon avaient toujours tout partagé, du moment qu’ils s’étaient rencontrés. Ils s’étaient coupés du monde, leur univers ne dépendant plus que l’un de l’autre ; chaque personne entrant dans la vie de l’un devait automatiquement entrer dans la vie de l’autre. C’était ce qui s’était passé avec Naeun, en tout cas. Naeun avait beau être plus proche de Sunhee et graviter autour d’elle, ça ne l’empêchait pas d’exister dans le même univers que Yuyeon. Et c’était peut-être parce que c’était la seule qui existait autant dans leur univers, que c’était à elle qu’il avait pensé pour lui demander conseil.
Yuyeon, ce n'était pas le type de garçon qui aimait demander conseil, dépendre des autres. C’était celui qui restait dans son coin, éloignait le problème en agissant comme s’il n’existait pas, parce que les sentiments, on s’en fichait, ça ne faisait que nuire au résultat attendu. Mais s’il n’avait pas fait ça cette fois-ci, c’était parce que c’était Sunhee. Et Sunhee, ça avait toujours été différent. Même maintenant.

Quand Naeun arriva et s’installa à côté de lui, il lui esquissa un rapide sourire. « Hey. » Yuyeon avait pris une place qui était face à une baie vitrée, assis sur des tabourets en hauteur, la table directement incrustée dans le mur. Ça empêchait Yuyeon de devoir parler à Naeun en face à face, comme ça. Ça lui permettait de raconter ce qu’il voulait dire, en regardant les gens, dehors. En regardant partout sauf lui et Naeun. Sauf lui et Sunhee.
« Il faut que je te parle de quelque chose. » Pas de « ça va ? », pas de « t’as passé une bonne journée ? », parce que c’était Yuyeon et qu’il allait toujours droit au but. Prenait toujours le taureau par les cornes, sauf quand c’était Sunhee. « C’est à propos de Sunhee. » Il baissa la tête, tripota nerveusement son gobelet de ses doigts. Il s’était imaginé dévoiler toute la vérité à Naeun, d’un coup, lui dire d’un ton monotone « je ne l’aime plus », mais maintenant qu’il devait effectivement le dire, il s’en retrouvait incapable. Comme si on avait coupé ses cordes vocales et qu’il ne restait plus rien dans sa gorge, malgré tout le café qu’il avait avalé. « Elle va bien ? » finit-il par dire. Ce n’était pas ça, le propos. C’était vrai que c’était une période difficile pour eux deux, comme Yuyeon s’était blessé et que Sunhee avait dû être en pause aussi, à cause de lui. Mais Yuyeon restait quand même suffisamment en contact avec Sunhee pour savoir comment elle allait, du moins, comment elle allait quand elle était face à lui. Peut-être que face à Naeun, c’était différent. Peut-être qu’elle lui avait admis qu’elle n’aimait plus Yuyeon, non plus. Mais c’était faux. Ça ne pouvait pas être possible.
Sunhee avait toujours le regard aussi brillant quand elle le regardait, et ça faisait si mal.
Ce n’est plus avec toi que je veux regarder les couchers de soleil, Sunhee.

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Il n’y avait pas de joie, sur le visage de Naeun.
Et comment aurait-il pu en avoir ? À neuf jours du drame. À neuf jour de tout perdre encore et encore, à ne pas supporter Noël et à tout détester chez elle. Neuf jour encore à se regarder le matin dans le miroir et ne voir que la mort. Le poids de la mort, si lourd et pourtant si creux. Si creux comme le vide en elle, béant, qui malgré les mois et les années n’était pas décidé à se combler.

Savait qu’elle ne pourrait jamais le faire. Car tout être était précieux et irremplaçable : tout être laissait une marque singulière, un souvenir unique. Car son frère ne reviendrait pas et que plus rien ne serait jamais pareil. Il lui arrivait encore parfois de rire et de s’attendre à l’entendre réciproquer cet éclat de voix qui leur allait si bien : car tout allait toujours bien aux côtés de Junseo. Car les démons vivaient dans l’ombre et qu'il était l’incarnation même du soleil, être chaleureux et aimant, flamboyant.

Car depuis qu’il n’était plus là il faisait si froid. Car depuis qu’il n’était plus là plus personne n’était là pour la prendre dans ses bras et lui dire qu’elle était la plus précieuse de toutes. Personne n’était là non pour prendre soin d’elle comme eux prenaient soin des autres. Naeun avait perdu sa moitié et se savait responsable, n’arrivait à étouffer cette culpabilité qui la rongeait jusqu’au sang, jusqu'aux larmes et cauchemars.

Il n’y avait plus de nuit paisible, dans la vie de Naeun.
Que des éclats de bois alors que le marché de noël avait implosé sous un violent bombarda.

L’amour n’était pas lent, non.
Il était puissant et résiliant. Il était à la fois eau et feu : capable de pénétrer n’importe quelle nappe phréatique et de tout incendier et faire exploser. Il était assez fort pour vouloir tout donner mais également tout reprendre. Il possédait et hantait, rendait fou et ne laissait qu’un vide atroce, impossible à vivre.

Car vivait-elle encore, depuis ce jour ? Naeun à l’agonie qui n’avait jamais été aussi durement punie. Il s’était agi d’un simple caprice, d’une moue gamine et de ses mains venant s’enrouler autour du bras de son frère adoré. Elle se souvenait encore l’avoir tiré de toutes ses forces dans l’espoir de le faire bouger, avait deviné sa moue attendrie et ce c’est bon, d’accord : on y va. Souhaiterait revenir en arrière et lui hurler non, n’y va pas ! N’y va pas Junseo car tu ne reviendras jamais. Tu ne reviendras jamais mais ne partiras pas tout à fait : hanteras ta soeur et tous ceux qui t’aimaient.

Et dieu, nombre étaient ceux qui t’aimaient.
Salut. Balancé de ces tons bien trop à l’aise alors que Naeun était venue poser son sac à main sur le tabouret à sa gauche, Yuyeon à sa droite. Elle avait l’impression de connaitre son sale grosse d’ami depuis toujours, l’aurait presque considéré comme un membre de sa famille tant elle le trouvait facile à vivre. Un crétin de garçon à ne jamais dire ce qu'il pensait, du moins jamais vraiment : à user les mots qui blessent, toujours, avant de penser à user ceux qui font du bien. Et elle avait tant eu mal de cette personnalité si différente de la sienne, Naeun. Se souvenait encore de ses chagrins adolescents où chacune de ses émotions transpirait sur les autres. Avait depuis appris à ne plus se trahir, même si elle ne doutait pas que Yuyeon méritait bien parfois de sentir la conséquence directe de ses actions (ce que ceux en face de lui ressentaient).

Et elle l’aimait.
L’aimait comme elle aimait ses amis, Naeun. L’aimait fort et entièrement, l’aimait assez pour le couvrir de ses bras même s’il détestait probablement ça. L’aimait si fort et si bien qu'il avait un dossier sur son téléphone, son prénom entouré d’emojis flashy et son dossier rempli de vidéos de lui sur la glace et de photos beaucoup plus bêtes (peu flatteuses). Il ne valait peut être pas le dossier de Sunhee, mais valait tout de même quelque chose.

Naeun n’avait jamais pesé et comparé son amour : elle aimait.
C'est tout. Tout simplement.  
Fort. Une ambiance pour me tuer. Marmonné alors qu’elle avait fini se s’installer sur la chaise haute, le dossier pas assez long pour être tout à fait confortable. Et elle avait eu envie de continuer à plaisanter, de lui demander s’il en avait marre d’admirer son visage pour ainsi la contraindre à la punition de la vitre. Mais elle pouvait sentir quelque chose de tendu et de sérieux qui l'avait faite se taire. Si Sunhee était l’incarnation du printemps et du vivant, Yuyeon était la nuit (étoilée) et l’hiver (enneigé). Il était de ces personnalités introverties qui pensaient plus qu'elles ne ressentaient : finissant par se briser telles les vagues face aux rochers. A trop rationaliser les émotions reprenaient toujours le dessus.

Et que pouvait-il bien ressentir, à cet instant ? Lui si crispé qu’elle aurait eu envie de lui demander s’il avait envie de chier. Ne l’avait pas fait car son coeur avait manqué de se briser lorsqu’il avait pris la parole. Qui des deux fuyait les plus ? Naeun derrière son masque si finement travaillé qui avait envie de plaisanter pour mieux oublier tout ce qui pleurait en elle, ou Yuyeon qui n’arrivait pas à dire ce qui le craquelait et manquait de le faire voler en éclats. Et elle savait, Naeun. Comment ne pas savoir alors qu'il se trahissait à prononcer un prénom qui d'ordinaire venait bien plus naturellement sur ses lèvres.

Peut-être que la punition de la vitre leur allait bien, au final.
Tous deux pouvaient s’autoriser à faire tomber le masque, relâcher les traits et arrêter de sourire. Tous deux oui pouvaient se laisser aller à leurs démons intérieures. Le soleil s’était couché. Bien. Répondu lentement, d’une voix neutre. Car Naeun mise au pied du mur ne pouvait plus fuir. Elle ne pouvait pas éviter cette discussion, ne pouvait pas non plaisanter et lui demander de reporter ça à dans trois mois. Quand décembre serait bien loin et que la mort ne lui collerait plus au corps. Alors elle avait menti, car Sunhee non n'allait pas bien. Sunhee dont l'angoisse ne faisait que monter depuis plusieurs mois déjà. Car quelque chose avait changé et même si elle ne voulait pas y croire tout était si différent.

Mais comment aurait-elle pu le culpabiliser ?
Comment aurait-elle pu lui répondre : c'est pas plutôt à toi de me le dire ? Tu penses qu'elle va comment, non, comment tu penses qu'elle va aller ?

Main posée sur son épaule alors qu’elle avait cherché son regard, Naeun. Et toi, surtout, tu vas bien ? Dans ses yeux pouvaient se lire une inquiétude sincère, qui pourtant se voulait toute sauf invasive. De ces inquiétudes respectueuses qui avec les années avaient appris à lire dans les silences et à accepter toute réponse. Naeun qui ne pouvait pas mettre plus de pression sur ce garçon, qui avait déjà trop mal lorsqu'elle pensait à lui car elle se doutait bien qu'il n'allait pas bien.

Naeun qui avait failli perdre Yuyeon.
Mais s'en était arrêté au failli.
Là où lui s'était perdu pour de bon.

Yuyeon qui s'était peut-être perdu plus qu'ils n'avaient failli le perdre.

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Pas d’humeur à plaisanter, Yuyeon garda la même expression, si ce n’était que tout son visage s’était assombri, pourtant éclairé par la lumière du soleil qui s’éteignait en face d’eux. En réalité, peut-être que Yuyeon était juste une personne rigide, jamais d’humeur à plaisanter. Il y avait juste des degrés différents, des plus ou moins tendance à accepter les plaisanteries ou non. Une échelle qui allait de 0 à 10, l’humeur habituelle de Yuyeon résidant vers le 4 pour son aptitude à plaisanter. Aujourd’hui, elle était à 0. Atmosphère tendue, complexe, Yuyeon n’avait pas envie d’étendre le supplice plus longtemps et attaqua directement le sujet.
Sunhee.
Elle allait comment, Sunhee ?
« Bien. »
Bien.
Elle allait bien.
Il ne sut identifier ce qu’il avait ressenti au moment où Naeun avait prononcé ce mot, d’une voix lente, neutre. Comme si elle aussi, se tenait loin de ça ; simple spectatrice, témoin de la catastrophe qui arrivait, sans pour autant pouvoir y faire quoi que ce soit, même pas crier. Elle ne pouvait qu’ouvrir la bouche, observer de ses yeux et écouter de ses oreilles qui se passait, mais ne pouvait pas parler ou bouger. Clouée au sol, à observer le désastre se profiler entre Yuyeon et Sunhee.
Et pourtant, c’était à elle que Yuyeon demandait la solution pour éviter ce désastre.
Cruelle décision, comme au final, évidente.
Demander conseil à quelqu’un qui ne pouvait pas te répondre, c’était pour qu’il te réconforte dans tes pensées.
Au fond de lui, Yuyeon savait déjà la réponse à ses questions.
Il ne voulait juste pas l’admettre.
Voulait que Naeun lui dise exactement ce qu’il avait envie d’entendre.
Ce qu’il devait entendre.

La main de Naeun se posa sur son épaule, délicatement, calmement, comme pour ne pas trop brusquer Yuyeon, pour ne pas déclencher le tremblement de terre trop tôt.
« Et toi, surtout, tu vas bien ? »
Yuyeon se sentit troublé. Troublé comme l’eau d’un verre plat le serait après qu’une goutte d’encre tomberait sur elle ; l’encre noire tachant l’eau, les taches difformes se formant en son sein, jusqu’à ce que le tout devienne un mélange homogène.
Yuyeon ne savait pas.
La question avait beau avoir entré son esprit, il avait beau avoir compris la question, l’avoir fait tourner dans tous les sens, il ne savait pas. Il ne se sentait pas bien, ça c’était une certitude : mais est-ce qu’il se sentait mal ? Qu’est-ce que c’était de se sentir mal, finalement ? S’il comparait ce qu’il ressentait à la douleur qui l’avait traversée quand il avait appris qu’il ne pouvait plus patiner pendant six mois, ce n’était rien. En fait, la douleur de cette fois-là et cette douleur-là n’avaient rien à voir. Si la douleur de son traumatisme était comme une flèche transperçant un cœur (la goutte d’eau tombant dans le vase), la douleur de sa relation avec Sunhee était un poison se diffusant lentement dans son sang (l’encre tachant lentement toute l’eau). Alors qu’est-ce qui était pire ? Qu’est-ce qui faisait le plus mal ? Au fond, dans les deux cas, on en mourait.
Yuyeon mourrait peut-être, s’il perdait le patinage et Sunhee.

Les doigts tapotant son gobelet de café, les yeux étaient perdus sur le paysage désormais éteint (soleil couché, lumières artificielles immédiatement allumées, comme si la ville allait mourir si elle était plongée dans le noir). « Je sais pas, » se contenta-t-il de dire. Je sais pas. Réponse simple et courte. Elle ne disait rien sur lui. Ne disait rien sur ses sentiments. Ne le laissait pas se remettre en question. Il pourrait se contenter de ça, mais il se rappelait du visage souriant de Sunhee, et une douleur fulgurante le prenait au cœur.
Tu sais, Yuyeon.
Admets-le.
Il déglutit. Attendit quelques secondes. Prit une inspiration. Reprit la parole.
« Je n’aime plus Sunhee. »
Il tourna la tête vers Naeun. Pour une fois, sa carapace fière et confiante était brisée : il s’en fichait d’avoir l’air d’un garçon hésitant et apeuré. Il voulait juste obtenir une solution. Que Naeun l’aide, lui tende la main pour le tirer hors de ce trou sans fin, le ramène vers la lumière (fasse lever le soleil de nouveau sur son monde). « Qu’est-ce que je fais ? »
Qu’est-ce que je fais ?

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Naeun aurait aimé avoir un pouvoir de guérison absolu : aurait aimé pouvoir apporter un peu de chaleur, de réconfort. Aurait aimé oui pouvoir entourer Yuyeon de ses bras et lui faire oublier tous ses tracas, panser ses plaies et lui dire que tout irait. Naeun qui n’était pas prête à tout donner aux autres, mais qui pourtant leur souhaitait le meilleur. Naeun qui aurait aimé soigner tous les maux sur terre d’une main posée sur une épaule, d’un regard soucieux et d’un sourire sincère.

Mais la vie ne fonctionnait pas comme ça.
Et il était impossible de porter ce qui n’était pas sien.
Était impossible de sauver quiconque autre que soi-même.

Naeun qui s’était résolue des années plus tôt à ne jamais prendre la main de quiconque : qui attendrait plutôt qu’on prenne la sienne. Elle resterait cette main tendue, resterait oui dans l'attente d’une volonté d’aller vers elle. À quoi bon s’épuiser dans des amitiés à sens unique ? Elle qui n’était là pour sauver personne, si ce n’était sa propre vie.

Et pourtant.
Elle avait tant d’amour à donner : tant de choses en elle à partager. Naeun à l’énergie inépuisable qui souriait à chacun comme s’ils étaient le monde. Et peut-être l’étaient-ils, son monde. Naeun qui une fois sa main saisie ne lâcherait plus jamais, serait présente pour le meilleur et pour le pire. Surtout le pire, car le meilleur était si simple : si simple à vivre, oui. Elle serait cette constance dans la vie de ses amis, cette personne qui resterait au fil des ans, cette certitude lorsque tout semblerait si incertain. Elle permettrait de se projeter, permettrait d’apporter un peu de réconfort et d’insouciance. Car la vie était belle et qu’elle méritait d’être vécue, car personne ne méritait de souffrir et qu’elle souhaitait à chacun de vivre une vie grandiose avec le moins d’averses possibles.

Les épreuves ne rendaient pas plus fort.
Elles laissaient des marques indélébiles, changeaient et transformaient. Elles demandaient de la force mais ne rendaient pas plus fort, non. Elles fragilisaient, entaillaient, laissaient des cicatrices que la société aimait romantiser. Mais qu’y avait-il de romantique dans le fait de souffrir ? De devoir faire front face à l’adversité ? Je vois. Doucement répondu alors que Yuyeon avait semblé flancher, verbalisant enfin ce qu’ils redoutaient tous depuis des mois.

Et son coeur lui avait fait si mal, à Naeun : elle souffrait pour lui. Souffrait pour eux, ses deux amis déchirés par la volatilité des sentiments. Sa main droite avait lentement quitté son épaule pour venir trouver celle du champion olympique. Faisant pression dessus, elle avait fini par rajouter la gauche, maintenant un contact.

Que devait-elle dire ?
Naeun qui sentait ce qu'il attendait d’elle. Une réponse, une sentence. Il voulait inconsciemment la rendre coupable de ce qui allait suivre : leur séparation. Et peut-être était-il un peu cruel de la mettre dans cette position, de la rendre complice de quelque chose qui ne dépendait pourtant pas d’elle. Mais elle ne lui en voulait pas, ne serait jamais capable de lui en vouloir. Lui était tout précieux que Sunhee, et savait qu’il souffrirait tout autant qu’elle, quoiqu’un peu différemment. Qu’est-ce que tu veux faire ? Demandé calmement alors que tournée vers lui, elle avait cherché son regard.

Car il était trop simple de lui forcer la main et d’exiger d’elle qu’elle le dise en premier.
Car il fallait qu'il arrive à verbaliser par lui-même toutes ces choses qui le tuait avant qu’elles ne commencent à tuer son entourage. Quoiqu’il arrive, tu ne la perdras pas, Yuyeon. Rajouté alors qu’elle avait brièvement fermé les yeux, continuant de presser sa main dans les siennes. Avait rouvert enfin ses paupières dans un calme absolu mais déterminé : car elle y croyait dur comme fer, Naeun.

Croyait en eux plus qu’il ne semblait croire en lui à cet instant.
L’amour avait plusieurs formes, et celui qualifiant Sunhee et Yuyeon n’était pas unique.
Ils étaient amis, partenaires, amoureux : étaient le rêve l’un de l’autre, étaient tout ce qu’ils avaient. La perte d’une forme d’amour créerait des remous, les entaillerait et les ferait parfois se détester mais tout irait : car un amour plus fort encore restait. Un amour basé sur la confiance, basé sur des années de pratique, basé sur des rêves en commun : sur des rêves qui ne seraient rien sans l’autre. Car Sunhee et Yuyeon étaient à deux, et que même s'ils venaient à s'épanouir en dehors d’eux-deux, ils ne pourraient jamais détruire ce lien les unissant.

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Il était égoïste, Yuyeon. Il avait envie que quelqu’un d’autre porte la charge qui le pesait depuis des mois. Lui en enlève au moins un peu, du poids, pour l’alléger, le soulager. Prenne les décisions à sa place, comme si Yuyeon n’avait qu’à écouter et à suivre, parce que c’était à ça que Yuyeon était doué (fais du patinage Yuyeon, apprends le godai Yuyeon, patine en couple Yuyeon, participe à cette compétition Yuyeon, muscle tes bras Yuyeon, saute plus haut dans les airs Yuyeon, Yuyeon ci, Yuyeon ça). Dénué de libre-arbitre, comme une marionnette avec laquelle on jouait, ce fut lorsque les fils qui contrôlaient cette dernière se brisèrent que Yuyeon chuta au sol et constata que si on ne lui disait pas ce qu’il devait faire, il n’était rien (passait ses journées assis, regardait Sunhee patiner alors qu’il était sur un banc, simple spectateur, immobile, inerte). Pourtant, Yuyeon n’était pas une marionnette, il était humain, doué d’émotions et de choix, alors son corps les effectuait à sa place, inconsciemment. Avait pris le choix de regarder Sunhee avec un amour différent. Mais l’esprit n’avait pas compris. Ne comprenait pas. Refusait d’y croire. Et parce qu’il pensait toujours être une marionnette, il se fiait encore à quelqu’un d’autre pour choisir à sa place.

Qu’est-ce que je dois faire, Naeun ?
« Qu’est-ce que tu veux faire ? »
Qu’est-ce que je veux faire ?
Perplexe, Yuyeon figea son regard dans celui de Naeun, les mains de cette dernière sur la sienne. Contact chaud, contact rassurant, lui soufflant que ça allait : qu’il pouvait quitter son enveloppe de marionnette, qu’il n’avait pas à avoir peur de devenir humain, à assumer ses émotions, à les accepter. Qu’est-ce qu’il voulait faire, Yuyeon ? Continuer comme ça ? Continuer comme ça dans un espoir mort qu’il tomberait de nouveau amoureux de Sunhee ou…. Il n’osa pas penser la suite, alors que c’était au bout de sa langue. C’était là, mais il y avait une boule au ventre qui l’en interdisait, le terrorisait au plus profond de son être, hérissait chacun de ses poils.
« Quoiqu’il arrive, tu ne la perdras pas, Yuyeon. »
Un rayon de soleil apparut. Le soleil s’était couché pourtant, mais ce fut comme si à ce moment-là, Yuyeon avait vu ce rayon de soleil apparaître. Comme si la nuit n’avait duré qu’une seule seconde et que c’était de nouveau le jour, qu’il y avait le lever du soleil, déjà, démarrant une nouvelle journée. Une fin était toujours le début d’autre chose.
Ce n’était plus avec Sunhee qu’il voulait regarder les levers de soleil.
Il se perdit dans le regard de Naeun, y voyant toute sa détermination, tout son espoir, ses croyances. Elle croyait en lui. Croyait en eux.
Yuyeon déglutit, serrant légèrement ses poings ; l’un sous les paumes de Naeun, l’autre froissant le gobelet de café. Il regarda de nouveau le paysage extérieur : vit que le ciel était bel et bien noir. Tout avait tourné dans des nuances de gris, plus aucune couleur dorée à l’horizon. La peur tapie dans les ténèbres, de nouveau. « J’ai envie d’y croire, » souffla-t-il. Il resta silencieux quelques instants, baissa sa tête. « Je ne veux pas la perdre. Je ne veux pas la blesser. Mais… on ne peut pas rester comme ça. Je ne peux pas lui faire ça. » Ce serait dégoûtant, de faire croire à Sunhee qu'il l'aimait encore. C’était comme s’il faisait croire à une aveugle qu’il faisait jour alors qu’il faisait nuit. Il ferma brièvement les yeux, et les rouvrit. Même flamme de détermination que dans le regard de Naeun ; pupilles se reflétant dans les siennes alors qu’il la regardait. « Je vais y mettre fin. » Il n’employa pas le mot « rompre ». Pas encore. Ça sonnait encore trop tôt, trop réel. Il avait encore besoin d’un peu de temps pour accepter que leur fin approchait et que c’était lui qui en avait sonné le glas. Et même si la nuit paraissait bien noire, paraîtrait encore plus noire dans les mois à venir où ils ne seraient plus un mais deux, il espérait que le soleil se lèverait bientôt. Qu’il éclairerait le chemin de Sunhee d’abord, avant d’éclairer le sien. Car Sunhee était le soleil lui-même, Sunny qui mourrait sans lumière. Yuyeon était capable de rester dans la nuit, de souffrir ; pas Sunhee. Pas Sunhee.
Qu’on prenne soin d’elle.
Que le prochain fasse mieux que moi.
Je t’en prie, Soleil.

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Et il était toujours douloureux de se retrouver seul dans quelque chose qu'on partageait autrefois à deux. Naeun qui s’était remémorée ses premiers amours, ses premières joies et ses premières déceptions. Naeun communicative qui plus jeune n’arrivait à réprimer les papillons dans son ventre, faisant malgré elle ressentir à son partenaire chaque fois que son coeur ratait un battement. Vraiment, pour ça ? Se souvenait oui de la voix d’un qu’elle avait peut-être aimé plus que les autres, qui toujours avait semblé s’amuser de vivre malgré lui les émotions de celle qu’il aimait. Et il en avait tant joué, jusqu’à faire chauffer ses joues si fort qu’elle aurait cru mourir d’embarras : jusqu’à le repousser en le traitant d’idiot avant de rire avec lui, lorsqu’ils ne finissaient pas par s’embrasser.

Savait qu’elle devrait prendre Sunhee dans ses bras lorsqu’elle ferait face à la nouvelle, lorsqu’elle n’aurait pas le choix que de se retrouver seule face à ses sentiments, seule face à un Yuyeon qui ne l’aimait plus comme ça. Qu’avait-elle fait de mal ? Comment pouvait-on expliquer que quelqu'un arrête d’aimer alors que rien n’avait changé ? Qu’avait-elle bien pu faire de mal, de différent ? Qu’avait-il pu se passer pour que ses émotions meurent du jour au lendemain ? N’était-elle donc pas assez bien ?

Elle qui n’y était pourtant pour rien.
Pas plus que lui : pas plus que quiconque.

Aussi avait-elle regardé Yuteon sans rien dire, Naeun, attendant patiemment qu'il arrive à extérioriser ce qui le rongeait. Elle ne doutait pas une seconde de sa capacité à prendre une décision, ne doutait pas non en son ami plus déterminé qu’incertain, hésitant. Pressant ses paumes contre son poing, serré, elle l’avait écouté sans ciller. Tu la blesseras, Yuyeon, car c’est impossible de ne pas faire de mal à quelqu'un qu'on aime. On ne peut vraiment blesser que ceux qu'on aime. Dit lentement alors que son regard s’était perdu ailleurs, dans le vide, dans cette nuit sombre où des lumières pourtant semblaient persister. Mais tu ne la perdras pas. Répété plus fermement (enfin de retour à lui, ses yeux plongés dans les siens), car elle y croyait : savait qu’ils étaient unis par quelque chose de bien plus fort que la passion seule. Car c’était des rêves qu’ils cultivaient depuis des années, des objectifs communs et une amitié plus forte que tout. Ils auraient peut-être l’impression de ne plus se connaitre comme avant, mais ce ne serait pas vrai. Car qui pourrait connaitre mieux qu’eux tout ce qu'ils avaient partagé pendant toutes ces années ? Toutes ces années passées à deux à ne vivre que pour ce sport ? Peut-être finiraient-ils étrangers de la sphère intime de l'autre, peut-être apprendraient-ils à s'épanouir en dehors du patin : mais ne pourraient renoncer non à cette chose qu’ils partageaient et partageraient à jamais.

Bien. Comme pour conclue cette conversation, car Naeun savait qu’avec Yuyeon ils n’auraient jamais de quoi épiloguer. Lui avait arraché son gobelet de café dans l’espoir de lui voler la fin : n’avait avec tout ça pas commandé la moindre chose à boire. S’était retenue un joyeux noël à vous, à nous sarcastique car cette année elle ne serait pas la seule à vivre un pur enfer. Car Yuyeon allait condamner Sunhee à vivre un Noël dans l’hésitation, allait lui briser le coeur et la faire se noyer dans ses propres larmes. Car pour les semaines et mois à venir elle aurait une petite mine, se forcerait à sourire. Naeun qui ferait tout pour être là, mais qui ne serait pas assez. Car rien ne pouvait être assez pour une âme en peine : les présences ne faisaient qu’alléger la douleur, ne faisaient oui que mettre en pause des moments qui ne revenaient que plus fort le soir.

Ce n'était pas un café qui lui fallait, à ce stade.
Une bouteille entière de saké.

Était bien déterminée à vivre chez Sunhee quand elle ne forcerait pas cette dernière à venir vivre chez elle. Ne la lâcherait pas comme elle n’oublierait pas Yuyeon, car un couple se vivait à deux et qu’il n’était en rien prêt face à ce qu'il attendait.

Car même s’il pensait ne plus l’aimer du tout, il l’aimait encore.
Très fort.

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