lights out, follow the noise | Soojin

Il avait tout d’un mauvais garçon. Geonu qui le regard brillant affichait pourtant une mine toute aussi pensive que fermée. Ce soir, il n’était pas disponible : ce soir, il ne serait qu’à regarder de loin. Il attendait quelqu’un. Attendait oui en cette heurte tardive l’objet d’un dilemme irrésolu. Lorsqu’il repensait à cette proposition insolente, à ce défi aux airs d’invitation, il ne pouvait s’empêcher de sourire. Allaient-ils céder ? Lui qui s’était montré plus égoïste qu’avenant, la forçant à sortir de sa zone de confort. Ce soir il n’y aurait ni uniforme ni repas partagé. Ce soir, il n’y aurait aucune chaise sur laquelle s’assoir pour discuter.

Ils ne seraient que deux prédateurs dans la foule.

Aussi l’attendait-il non loin de l’entrée, au-dessous d’un néon bicolore jaune-violacé. Et malgré son air nonchalant, le capitaine des komodo dragons avait soigné son apparence. Rien n’avait été laissé au hasard. Du bracelet enchanté lui permettant de réguler la température autour de lui et de ne pas mourir de froid en ce début décembre, à la chemise qu’il n’avait tout à fait boutonnée. Attrapant son téléphone, il avait répondu aux textos de quelques amis, guettant l'arrivée de Soojin. Elle n'allait pas tarder.  

Savait qu’elle aussi n’aurait rien laissé au hasard.
Ce soir ou jamais.

La simplicité avec laquelle elle s’était préparée pour ce rendez-vous la surprit. Elle y pensa en accrochant ses boucles d’oreille, rondes et imposantes, et en estompant son far à joue. Les cheveux lâchés et faussement indisciplinés, Soojin songea qu’elle n’avait probablement jamais fait autant d’efforts, pour être désirable, pour être cette femme qui attirerait les regards pour une autre raison qu’une canne, qu’une mauvaise réputation. Parfois, sa beauté s’oubliait derrière son mauvais comportement. Le reflet du rouge pourpre à ses lèvres dans le miroir semblait appeler un autre désir. Elle le faisait pour Geonu. Elle le faisait pour elle-même. En se penchant sur sa bouche finement dessinée, c’était à celle de Geonu qu’elle pensait.

Elle n’arriva pas tout à fait à l’heure, ni tout à fait en retard. Plutôt dans un laps de temps acceptable quelque part entre le se faire désirer et le faire attendre. Sa silhouette émergea des ombres après une arrivée discrète transplanée, elle se glissa sous la lueur blafarde des néons. Sa peau dansait sous les couleurs obliques, lactée. Elle ne donna pas l’impression de le chercher. Soojin était simplement trop grande et trop visible pour attarder vraiment ses regards dans les recoins des rues, sur des visages qu’on ne l’imaginait pas rechercher.

Soojin ne souriait pas. Pourtant, dans sa tête, elle remarqua que Geonu avait su choisir le lieu pour lui permettre d’exposer son décolleté. Ce n’était que la deuxième fois qu’elle mettait les pieds dans ce genre d’endroit. Mais elle en connaissait étrangement tous les codes. Sa robe de velours rappelait la couleur du vin ; la jeune femme ne l’avait pas choisi courte. Le tissu tombait à peine au-dessus de ses genoux, mais la forme crayonnée épousait volontiers ses courbes longilignes.  Il n’était pas question d’avoir l’air de quelque chose qu’elle n’était pas sous prétexte de plaire. Et puis, elle n’avait pas besoin de ça. Toujours un peu guindée, ses yeux charbonneux finirent par croiser les siens, sans efforts. Trouvé.

Elle disparut après lui avoir laissé assez de temps pour apprécier l’effort.

Soojin avait à peu près une idée de séduction : et cela ne passait pas par un défilé boiteux. Elle réapparut donc devant lui. « Salut. » Les mots n’étaient qu’accessoires. L’attraction physique parlait d’elle-même.

Elle n’avait pas peur de danser. Parce qu’elle savait que la danse n’était qu’un prétexte aux corps assemblés. Dans le noir comme dans les bras son handicap serait invisible. Lorsqu’il ne s’agissait que d’un handicap et non d’un signe distinctif qui lui donnait une autre allure.

Ses yeux apprécièrent l’élégance du noir chez le denki, jusqu’au col ouvert de sa chemise. Elle sourit, de ce sourire audacieux qu’il lui inspirait tant. Savait-il seulement que la forme même de ce pantalon sur son corps lui aurait déjà fait perdre son sang-froid ? Si elle n’avait pas été daichi. Ce qui au lieu d’un coup de chaud lui valut une remarque, d’une froideur qu’il devait suffisamment connaître à présent pour deviner que ça n’en était pas. « Je crois que je sais maintenant pourquoi on nous impose des uniformes. » Pour cacher ce jolie petit cul. Son sourire carnassier et moqueur poursuivit. « J’aimerai bien voir ton déhanché. Si tu en as un bien sûr. » Aller dire merde aux scrupules. C’était une boite de nuit après tout. C’était maintenant ou jamais, après tout.

Il avait envie de danser. Avait envie oui de se perdre dans la foule, d’oublier tout autour de lui pour ne se concentrer que sur les sensations. Geonu qui se voyait déjà l’alcool dans le sang et l’esprit embrumé, un sourire diabolique sur les lèvres alors qu’il continuerait de croiser ce regard : le perdant de temps à autre pour mieux, toujours, le retrouver. Geonu qui aimait la séduction plus qu’il ne pouvait le laisser paraitre, qui emplit d’un désir soudain aimait sentir les corps sensiblement se rapprocher jusqu’au contact.

Il voulait se perdre.
Se perdait souvent, le soir en solitaire. Finissait toujours par trouver.

Aussi lorsque Soojin était apparue non loin de lui, il l’avait observée sans broncher. Geonu qui avait senti dans l’épaisseur de la nuit que ce soir ils joueraient tous deux un jeu plus dangereux que tout ce qu’ils avaient jusqu’alors entrepris. Il ne s’agirait pas de se dévisager tels deux chiens en faïence d’une chaise à l’autre, une table les séparant. Il ne s’agirait pas non de discuter sur un énième projet de groupe ou de flirter au détour d’un entrainement de quidditch. « Salut. » Soufflé d’une voix toute aussi basse que rauque lorsque Soojin était réapparue devant lui, un demi-sourire sur les lèvres. Elle avait tenu parole. « Toujours contre l’idée de continuer à nous en faire porter, ceci dit. » Qu’il l’avait défiée en retour du compliment qu’elle venait de lui offrir, dissimulé sous une moquerie railleuse. Lui ne cachait rien. Il avait l’impertinence dans le regard, gardait cependant maitrise de son ton et parlait suffisamment lentement pour rendre intelligente ses provocations. « Voir, seulement ? Je te pensais plus dans l’action. » Moquerie mordante alors qu’enfin il s’était extirpé de sa position statique, entrainant son rendez-vous aux portes de la boite de nuit. Une fois le portail magique passé, les empêchant de transplaner de l’extérieur vers l’intérieur du bâtiment, s’offrait à eux un long escalier métallique les menant jusqu’au sous-sol. En bas, c’était plusieurs pistes de danse séparées par des barres de pole dance, un bar assez long pour éviter trop de queue et une scène au centre des pistes. L’ambiance nocturne était tranchée par des néons dont les couleurs industrielles changeaient au fil des musiques. Et s’il était possible d’aller se réfugier au semi-étage en verre et acier, Geonu ne comptait pas pour l’instant faire ce plaisir à Soojin. Il ne voulait lui offrir le confort des sofas, ni même celui plus fort encore des salles privatisées à l’étage.

Ce soir, ils seraient la foule.
Ce soir, oui, ils se noieraient dans le bruit.

Il l’avait dévisagée une seconde, comme pour poser une question silencieuse. Puis, sans attendre, il l’avait saisie à la taille pour transplaner jusqu’en bas, jusqu’au bar. La puissance des basses l’avait étourdi un instant alors qu’il avait brisé le contact pour saisir une tablette libre non loin d’eux. « Tu prends quoi ? » Épaules se frôlant, proximité forcée pour se faire entendre alors qu’il avait glissé l’écran entre eux. Et il sentait non loin de lui le velours délicat de la robe près-du-corps de Soojin. Il sentait oui ce haut ouvert laissant visible clavicules et début de décolletée. Geonu non pas insensible à cette Soojin aux longs cheveux flottant sur ses épaules, aux boucles extravagantes et au rouge à lèvres provocateur. Aussi son regard était-il allé de la tablette leur permettant de matérialiser directement les boissons de leur choix à ses yeux à elle. Lui avait pris shōchū sorcier, renonçant temporairement à ses verres de supernova traditionnels. Il n’avait pas envie de siroter, n’avait pas envie d’une boisson introductive. Et la malice dans son regard laissait sous entendre une énième provocation, dont seuls eux semblaient avoir le secret.

Car c’était ça, ce soir, non ?
Eux, juste eux.  

Soojin avait éprouvé une sensation délicieuse. La nuit serait rouge et noire. Un frisson avait éclaté en une multitude de petits picotements à l’arrière de son cou alors qu’elle se régalait de son air canaille, de cette taquinerie qui lui allait si bien. Comme elle aimait cette résistance, comme elle aimait être remise à sa place de cette façon.

Parfois Soojin était simplement blasée par les hommes dont le caractère ne relevait jamais le défi que constituait le sien. Parfois oui, Soojin se sentait si grande et si écrasante que la séduction pouvait lui apparaitre à tort –il le lui prouvait ce soir- comme une chose fade, insipide. Mais elle aimait cette allure de démon. Cette allure qui lui allait bien. Dans les yeux de Geonu, Soojin se sentait désirée. Cela avait une saveur qu’elle ne rencontrait pas ailleurs. Elle savait que ce soir elle prenait ses grandes allures de mannequin, ses travers de femme fatale qu’elle n’assumait pas toujours. Elle aimait le fait d’être plus haute, quand bien même ses chaussures fines et élégantes demeuraient plates pour des raisons évidentes. Elle aimait comme elle pouvait descendre son regard sur lui, comme elle se trouvait belle à son bras, et lui beau au sien. Ils n’avaient pas cette image adorable, sinon affirmée. Il n’y en avait pas un pour dominer l’autre. Leur vision était harmonieuse d’une certaine façon, en cela qu’elle révélait leur indépendance. Ainsi elle n’avait pas l’air d’une potiche à ses côtés, tout comme il ne donnait pas l’air d’être un mignon. Ils étaient farouches.

A l’intérieur, Soojin avait répondu au regard insistant de Geonu par un silence approbateur. Elle apprécia alors la délicatesse qui voulut lui épargner la tâche fastidieuse de descendre le long escalier de métal. Elle apprécia cette attention, pourtant évidente, mais à laquelle personne ne songeait jamais ; peut-être parce qu’elle poussait les autres à ne pas s’en soucier. Et pourtant, il y avait quelque chose de plaisant à ce simple détail. La main sur sa taille, presque audacieuse –personne ne touchait Soojin avec autant de liberté- réveilla en elle une légère tension. Sa nuque légèrement penchée en arrière jetait quelque chose de fauve à son expression.

Elle se sentit vaguement étourdie. Peut-être à cause des néons, de toutes ces couleurs qui éblouissaient sa figure, faisaient vibrer celle de Geonu d’une nouvelle teinte, jusque dans sa chevelure qu’elle détaillait alors qu’ils étaient si prêts. Elle se pencha sur le menu. Il lui était difficile d’occulter la foule, le bruit. Cette pollution sonore autour d’eux dont elle n’avait pas coutume. Dire qu’elle se sentait parfaitement à l’aise aurait été mentir, mais elle en donnait l’air. De par cette assurance qui jamais ne faiblissait. Entre l’odeur typique des sous-sols un peu sales de tous ces corps pressés, la fragrance fraîche, boisée du parfum de Geonu. Il emplit soudain tous ses sens, tant ils étaient proches. Son regard dévia encore vers la chemise noire, sur le semblant de peau dévoilée, qui en suggérait bien plus qu’il n’en montrait. Elle héla à son tour le serveur, et son cri se perdit. Ce serait un suntory hibiki fumant. Un regard audacieux en réponse à la provocation silencieuse ; ce soir ils osaient.

Elle se tourna vers lui, un bras sur le comptoir, un simple pivotement léger, anodin sans l’être, et dont le rapprochement lui fit effleurer le tissu de sa chemise. Rien n’était laissé au hasard. C’était vibrant et provocant dans son regard. Il n’y avait pas de place pour la fausse innocence, pour la séduction bancale et maladroite. Ils n’étaient plus des adolescents. Aussi, lorsque les verres avaient lévité par magie jusqu’à eux, Soojin avait empoigné son shot d’une main ferme. « Cul sec. » Et son verre heurta le sien avant d’heurter ses seules lèvres. Un feu purificateur renversa sa bouche, sa gorge comme une traînée de poudre. Qui avait envie des canapés, des loges privatisées à cet instant ? Soojin n’avait jamais eu autant envie d’avoir mal. Elle danserait jusqu’au bout de la nuit et achèverait sa jambe pour le seul plaisir de faire perdre la tête à l’homme qui devait lui faire perdre la sienne.

Elle posa des doigts audacieux sur ce col ouvert, caressa furtivement du revers de la main l’épiderme. « Fais-moi danser. » Et alors elle recula, s’éloigna sans lui, lascive dans la foule, tandis que ses yeux lui jetaient un appel silencieux, se languissant déjà de la distance.

Geonu n’était pas toujours un garçon raisonnable. Il lui arrivait parfois d’avoir besoin de sortir du cadre, de sa vie parfaitement ordonnée. Il n’était pourtant pas de ceux aimant qu’on aille à l’encontre de leur routine. Il aimait séparer les différents aspects de sa vie, vivait avec secret ses prouesses académiques et programmait son parcours professionnel à l’abri de tout regard indiscret. Et s’il arrivait à tolérer les questions mal-placées, il ne supportait qu’on vienne intervenir dans cet aspect de sa vie. En dehors de cette sphère, il était plus ouvert : laissait champs-libre à ses amis. Mais à quel prix ? Qui reconnaissait sous son ignorance feinte tous les sacrifices, sous ses rires simples la réalité de ce temps libre mesuré au millimètre ?  Escapades rendues possibles par des journées passées à la bibliothèque et à des nocturnes effectuées dans l'intimité de sa chambre à Fuji. Geonu qui avait un emploi du temps pour toute circonstance : qu’il s’agisse d’étudier ou de se détendre, de se laisser surprendre. Il n’y avait pas d’hasard, chez Geonu. Il travaillait avec rigueur et constance, soulevait des montagnes pour s’octroyer quelques après-midis où, enfin, il pourrait feindre l’insouciance. Il était de ces natures paisibles et inébranlables, de ces êtres sereins et confiants en l’avenir. Geonu s’aimait et aimait sa vie, tout en étant conscient de ce qui le rendait heureux. Il aimait ses amis et savait que sans eux, il ne pourrait être ce qu'il était. Il aimait oui ce train de vie répétitif sans l'être vraiment, ces rendez-vous hebdomadaires chez les uns puis chez les autres : les soirées passées au bar après les entrainements, les fêtes de dortoir ou les anniversaires à l’improviste.

Aimait avoir le contrôle.
Jusqu’à le perdre complètement.

Geonu aux masques multiples, aux sourires qui voulaient tout et rien dire. Et s'il ne fallait se fier à sa moue, la lueur dans regard elle ne trompait pas. Aussi avait-il parfois envie d’échapper à sa propre condition, à cette prison choisie. Parfois oui avait-il envie de se noyer dans une autre facette de sa personnalité, de laisser les cornes lui pousser et de revenir ce garçon mordant et impertinent. Il avait oui envie de se laisser aller à la surprise, de quitter son uniforme et d'embrasser ces pulsions égoïstes. Et peut-être contrôlait-il aussi cet aspect de sa vie, quoiqu’avec plus de plaisir et de malice que tous les autres.

« Si la reine le demande. » Sourire tout aussi coquin que provoquant alors qu’il avait réceptionné son propre verre de liqueur. N’avait pas compté faire autrement. Avait trinqué avec tout autant de joie partagée que de défiance avant d’engloutir sec une boisson qui avoisinait les 45 degrés. L’amertume s’était répandue dans sa gorge et lui avait tiré une grimace satisfaite.

S’était retenu d’agir, car la soirée ne faisait que commencer. Il pouvait bien laisser le chat courir un peu, savait qu’il finirait bien par le rattraper. Aimait ces provocations silencieuses et ne l’avait pas quittée des yeux alors qu’elle s’était enfoncée dans la foule, l’invitant à la joindre sur une des pistes de danse. C’était trop facile. Aussi avait-il commandé sur un écran tactile une deuxième boisson qui était arrivée sans tarder à ses côtés. Après un deuxième cul sec, enfin, il s’était mis en route, partant à la poursuite d’une Soojin aux longs cheveux bouclés et à la robe de velours. « Pourquoi, toujours aussi curieuse à l’idée de découvrir mon déhanché ? » Car il ne pouvait s’en empêcher. Ne pouvait renoncer à ce côté prédateur que tous deux avaient, à ces provocations qui n’en finiraient probablement jamais. Et alors qu’il s’était rapproché de son oreille pour lui délivrer ces quelques mots, son sourire s’était fait sentir, bien réel. Il avait pris un ton mi-rauque mi-lascif, le parfum acidulé de sa comparse détonant avec l’odeur sale des boites de nuit.

S'était dégagé, se séparant de ces cheveux rebelles qui étaient venus effleurer sa joue, brisant la proximité sans pourtant y renoncer. S'était mis à danser, s'enivrant de la musique et du moment, son corps ni trop loin ni trop près de celle qu'il ne quittait pas les yeux. Geonu défiant qui n'était pas certains de ses compétences en karaoké mais qui ne doutait pas de sa capacité à bouger, à onduler au gré des énormes basses. Et si elle désirait le voir se déhancher, alors il le ferait, se rapprochant suffisamment pour qu'is se bousculent dans cette atmosphère toute aussi festive que tendue. Ils étaient deux fauves et lui s'en délectait, sentait déjà le rire bruler ses lèvres, quoique noyé dans le brouhaha des cris et de la musique. Qu'elle vienne donc glisser ses bras sur ses épaules, lui saisirait ses hanches. Qu'elle vienne donc réciproquer son impertinence, lui n'hésiterait pas à le lui rendre.

Avec intérêts.
Et malice.