le vilain petit canard ((divna))

Chrysalide brisée, Divna changée. Une transformation tardive en papillon, d'autant plus saillante face à la fille de l'été. Des retrouvailles impromptues, telle un miroir de son identité passée, Natsuki renvoie les réminiscences qu’elle souhaiterait rejeter, laisser dans le néant, parce qu’elle déteste penser à la douleur Divna, caractéristique inchangée. Ce qu’elle était quelques années plus tôt, elle trouve ça pitoyablement tragique. Un mauvais rêve dont elle est sortie, mais Natsuki, elle y est encore piégée, dans les méandres d'un enchaînement incontrôlé. Malgré les mois de silence, le délaissement au profit de cette nouvelle liberté acquise, Divna la considère toujours son amie, une amie qu’elle souhaite aider, comme Nabi l'a aidé. Et, plus égoïstement, elle s’identifie simplement beaucoup trop à Natsuki pour pouvoir la laisser à son propre sort, se reconnaissant bien trop dans les chaînes qui l’empêchent de voler. Alors elle est revenue, elle tente de la libérer à sa manière, maladroite dans le fond, sans excuse parce que ce serait remémorer une période révolue à ses yeux, sans explications parce qu’il lui est impossible de fournir la vérité.


Une simple conversation légère comme Divna les aime tant, comme elles en ont tant eu par le passé. Les sujets fâcheux évités, rendant la communication aisée, facilité de courte durée. Le ton de la conversation change, altéré par les paroles de Natsuki. Elle pourrait prétendre ne pas avoir saisi le sujet, prétendre croire que son amie faisait allusion à sa récente célébrité, divaguer sur le mannequinat, forcer la conversation vers un sujet léger, loin des complexités de ses anciennes erreurs. Elle est restée peureuse Divna, malgré sa complaisance dans l’idée d’un changement entier. Et quand ses yeux croisent ceux de Natsuki, le moindre projet s'effondre. Parce qu’elle lui doit au moins ça, parce que son amie mérite de savoir pourquoi a-t-elle changer sans elle, qu’elle n’est pas à blâmer pour être restée statique. Mais le mensonge empoisonne chacune de ses paroles, incontrôlable sans plan préalable.


Elle a l’air de vouloir éviter le sujet, à la façon dont elle sirote lentement sa boisson, gagnant un semblant de temps pour savoir quelle partie fausser, quel mensonge inventer. Sa tasse reposée, un doux sourire nostalgique étire ses lèvres, le regard fuyant. J’ai rencontré quelqu’un.. quelqu’un que j’aime précieusement, il m'a donné des ailes en un sens. Je n’avais.. jamais réellement compris tu sais, ces histoires de coups de foudre, de grand amour, ou peut-être que c’est juste parce que je ne l'avais jamais ressenti avant de le rencontrer. Ça a l'air un peu simpliste dit comme ça mais… être amoureuse, j’ai associé ça à la liberté, comme c’était sans doute le cas pour toi aussi. Elle ment simplement sur la nature de cet amour, et pourtant, un mauvais pressentiment se loge dans sa poitrine, appréhendant la réaction de Natsuki. Une intuition qu’elle tente d’ignorer, continuant sur sa lancée, parce qu’il est trop tard pour revenir sur ses paroles. Quand tu as désobéi à tes parents en continuant à contacter Haru, les conséquences te semblaient futiles à l’idée de le perdre, non ? À ce moment, toi aussi tu avais des ailes. Dans le fond, on est pareilles, je ne suis pas plus forte que toi, les circonstances ont juste été plus… favorables pour moi. Son regard remonte finalement jusqu’à son amie, et ça la saisit soudain. Haru est un sujet sensible, séparation dans laquelle 9sa famille a joué un rôle. Le mentionner la blesserait forcement. Divna entrouvre les lèvres, puis les referme aussitôt. Elle ne peut pas prendre le risque. Ses doigts enserrent nerveusement sa tasse, le coin des yeux humide de frustration, prenant pleinement conscience des limitations imposées par sa malédiction à ce moment. Les discussions profondes et honnêtes ne lui plaisaient pas, du moins se l'était-elle dit, plus facile que de reconnaître un inconvénient dans ce qui l'a aidé à se sentir plus libre.

Les lèvres serrées, Divna ne parvint à dire le moindre mot, incapable de riposter, piégée par cette malédiction mensongère, elle ne peut parler, sans dégrader la situation, encore. Douée des relations légères, des moments superficiels et des conversations sans importances, papillon à la socialité gracieuse devenant soudain maladroit dans un contexte intime, les mots blessants sans qu’elle ne s’en rend compte, retour dans sa chrysalide, cocon inconscient du monde qui l’entoure. Tu as raison, je pensais que tu n’aurais plus besoin de moi… Parce que ce besoin n’était né que de leur misérabilité commune, comme avec Megumi, comme avec Jelka. Parce qu’elle n’avait toujours connu que ce type de besoin superficiel Divna, préférée des parents pour son rôle de princesse, sans creuser plus loin que ça, petite protégée de l’aînée, parce qu’elle suit diligemment le modèle de ses parents. Personne n’avait jamais eu besoin d’elle… pour elle. Avec Nabi, ce fût différent. Elle se sentait vue, entendue réellement, pour la première fois.


Divna regarde son amie aux yeux humides, capable pourtant de prononcer ce mensonge éhonté. Parce qu’elle a agit de manière égoïste dans le fond, n’a pensé qu’à elle, sans se demander ce que Natsuki ressentait. L’important pour Divna était qu’elle ne pouvait plus regarder son amie, qui lui rappelait bien trop une condition qu’elle cherchait à échapper. Une fuite lâche, parce qu’elle n’est pas courageuse dans ses relations, trouillarde qui préfère faire table rase que d’entacher son monde d’éléments négatifs. Elle n’est que joie après tout, trophée princesse utilisée pour le bonheur d’autrui, alors elle éliminerait de son monde toute négativité, peu importe de qui elle provient. Seule vengeance à laquelle elle avait droit. Mais malgré ça, malgré les fondations précaires de leur amitié, la douceur des souvenirs partagés ne voulait s’effacer. Telle une mélancolique accrochée au passé, incapable de le laisser s’en aller, Divna ne peut se résoudre à abandonner Natsuki à nouveau. Et pourtant, elle ne se sent pas qualifiée pour réparer leur amitié, pour répondre aux reproches de son amie. Le simple fait de ne pas fuir, de ne pas répondre impulsivement à ses paroles, lui demandait toute son énergie. Faible d’une éducation, d’une vie sans n’avoir jamais eu à perdre l’affection d’un.e proche, ses mains tremblent autour de sa tasse. Mais… je n’aurais pas dû t’abandonner comme ça, c’était égoïste. C’était lâche. Il y a tellement de choses pour lesquelles elle devrait prendre responsabilité, incertaine d’où commencer, le plus important en premier. Pour l’avoir laissé derrière, pour ne pas avoir eu le courage de continuer à la regarder dans les yeux. Je suis désolée. Je n’ai pas réfléchi en abordant Haru. Je suis juste… Je suis minable dès que c’est un sujet sérieux, je suis incapable de m’expliquer correctement. Plus aisé de plaisanter oisivement, cage devenue familière, devenue effrayée d’en sortir, Divna. Je suis désolée d’être revenue comme ça. De ne t’avoir rien dit sur mon absence. C’est faux. Elle referait la même chose, elle le sait. Elle est comme ça, lâche et peureuse. Elle ne peut en être sincèrement désolée. Mais je ne suis pas revenue pour te prendre en pitié, Natsuki. C’est juste que… tu es mon amie. Et je suis désolée que ça m’ait pris tout ce temps pour m’en rappeler. Je ne savais plus comment revenir, et même après l’avoir fait, je te blesse encore. Divna pose doucement sa main sur la sienne, dans un geste espéré rassurant, incertaine qu’il sera accepté. Seul pas vers son amie qu'elle puisse se permettre.

Un insidieux sentiment entrelace sa cage thoracique, se faufile entre chaque espace, en observant Natsuki. Attitude retenue, tout comme sa danse, cantonnée au traditionnel, à la grâce tant appréciée par la blonde, goût aux antipodes des deux amies. Et la même sensation d’inconfort entourait la gorge de Divna, serpent aux crocs acérés. Elle la voyait, la cage dans laquelle Natsuki était enfermée, saillante en cet instant, reflet jumeau qu’elle désirait fuir à tout prix, autant que le détruire, raison primaire de son retour. Sa main tremble par-dessus celle de Natsuki, les mots lui manquent, incapable de les trouver pour exprimer son ressenti sans blesser son amie, pour tenter de la sortir de sa cage sans la brusquer. Peu douée pour rassurer, consoler, isolée de ces situations depuis toujours, et l’intime conviction qu’elle ne fera qu’empirer l’état de son amie en parlant, trop maladroite, trop limitée par sa malédiction. Les larmes finissent par apparaître sur le visage de son amie, qui coupe court au contact, une barrière semblant réapparaître entre elles, plus puissante que jamais. Divna se mord la lèvre, n’osant ni se rapprocher de son amie ni reprendre la parole, figée sur son siège, statue de glace frigorifiée, désirant pourtant faire quelque chose, ne pas restée passive sous le joug de sa peur d’échouer, comme elle l’a si longtemps été.


Le souffle court, Divna fouille dans son sac, en sort une feuille et de quoi écrire, et rapidement, le crayon vole sur le papier, libre du mensonge rosé de ses lèvres. Ses lettres en calligraphie peignent la blancheur du papier, la nervosité faisant trembler les mains de la belle, mots impulsifs déposés sans pouvoir en connaître les conséquences. Mais son amie vaut ce risque, Natsuki vaut qu’elle sorte de sa zone de confort, ne serait-ce qu’un peu. Point final apporté, Divna tourne finalement la feuille vers son amie, son palpitant menaçant de sortir de sa poitrine, ses battements intenses. Arrête, s’il te plait. Tu peux être en colère contre moi, tu peux pleurer si tu en as envie. Ne te retiens pas. J’ai été une mauvaise amie, tu n’as pas besoin d’essayer de me rassurer, tu peux m’en vouloir. Son regard bleuté obstinément fixé sur la table, incapable d’observer la réaction de son amie, la sorcière prend peur d’être ridicule à lui écrire plutôt que de lui parler, son amie ne pouvant pas savoir qu’il s’agit là de son seul moyen d’être sincère. La voir ainsi, ses chaînes l’empêchant de s’exprimer librement, liberté chérie par Divna, cela lui brisait le cœur, elle voulait voir son amie exprimer ses émotions, sans se sentir oppressée par la politesse, ou la culpabilité.

Entrelacées sur ses cuisses, le tissu de sa jupe enroulé entre ses doigts, les mains tremblantes, Divna n’ose pas lever les yeux vers son amie, effrayée de ce qu’elle pourrait lire sur son expression. Parce qu’elle l’a abandonnée, peu importe ses raisons, parce que malgré ses mots imbibés sur le papier, au fond, elle ne veut pas subir son courroux, son rejet. Pensées égoïstes qu’elle ne peut retenir, et pourtant, la vision de Natsuki qui se refuse toute réaction négative est bien pire, parce qu’elle s’y reconnait beaucoup trop, se revoit dans les chaînes qui immobilisent la brune sur sa chaise. Silencieuse, elle perçoit vaguement les gestes de son amie du coin de l’œil, attend anxieusement qu’elle dise le moindre mot, mais ce sont des sanglots qui échappent sa gorge, qui attirent brutalement son regard bleuté. Dans un instant de latence, Divna l’observe, sans bouger, sans oser esquisser un mouvement vers elle, les lèvres résolument fermées, mais, une pointe de soulagement la saisit, parce qu’elle n’a jamais vu Natsuki pleurer comme ça, qu’elle n’a sûrement pas pleuré comme ça depuis des années.


Etrangement, malgré la tristesse derrière les larmes de son amie, Divna a l’impression de la voir enfin respirer, joie légère qui l’entraîne en mouvement, la pousse à passer ses bras autour des épaules de Natsuki, sans un mot, juste soutien dans ses pleurs. Mais plus important encore, c’est la fierté qui l’éprend en veillant sur son amie, devant le poids sur ses épaules qu’elle laisse finalement s’exprimer et qui semble un premier pas dans la bonne direction, une satisfaction temporaire apaisante tout de moins. Divna attend patiemment que les sanglots de son amie s’atténuent, que son dos se mouve à un rythme plus calme, avant de reprendre la parole, énième approche verbale. Laissons nos émotions s’exprimer de temps en temps, okay… ? On sera plus fortes, et beaucoup, beaucoup plus libres, ensemble. Pleurer une fois par semaine m'est bizarrement libérateur tu sais, ha. Un nébuleux sourire orne ses lèvres, presqu’intimidé, une main tendue pour restaurer la paix, tandis qu’elle laisse son amie retrouver son espace personnel.

N'étaient-elles pas encore des enfants après tout, l'une encore prisonnière du joug familial, l'autre s'évadant naïvement de toute responsabilité, assumée par ses parents ? C'était une tragique révélation pour Divna, que de se savoir être libre uniquement par ses parents, comme une douce ironie lui rappelant qu'elle était indissociable d'eux, que comme Jovan, son élan de rébellion serait toujours rattrapé par son désir de confort et de sécurité. La voilà peut-être la raison pour laquelle il lui est si difficile de faire face à la souffrance de Natsuki, elle aussi fruit forgé par ses parents, incapable de quitter son arbre. Parce qu'elles ont été conditionnées ainsi toutes les deux, conditionnées à avoir peur, malgré leur curiosité, malgré leur souffrance d'être dans leur cage, devenue ironiquement leur maison aux impressions faussement sécuritaires.


Divna dissimule ses yeux embués dans la chevelure d'ébène de son amie, touchée comme il en est rare, de la brusque réalité, qui perturbe la sienne, liberté insouciante obtenue par le déni, par une réalité reconstruite pour échapper à sa cage. Une honnêteté revenue à l'état pure, à la place des légères, désintéressées, vérités qui quittaient habituellement ses lèvres, cette fois-ci Divna est présente, ramenée sur la terre ferme, et une résolution est prononcée, tant pour Natsuki qu'elle-même, que toutes les deux cessent de fuir leur tristesse, leur colère. La réponse de la brune engendre une compréhension tacite de sa part, léger hochement de tête en acquiescement, presque triste, parce qu'elle réprime également Divna, sans rien en dire à son amie, mélange d'une malédiction et d'un désir égoïste de conserver cette image d'oiseau envolé du nid. Effrayée par la déception qu'elle pourrait lire sur le visage de Natsuki si cette dernière découvrait la réalité derrière cette farce, que malgré tous ses changements, elle est aussi terrifiée de sa cage qu'aux premiers jours, qu'elle ne l'a peut-être simplement quitté pour une plus grande. Ne serait-ce pas bien trop cruel de tuer son espoir dans l'œuf ?


Emotions déjà réprimées, les intentions claires, ses lèvres s'étirent d'un doux sourire, l'auriculaire levé dans sa direction, telle une précieuse promesse, geste enfantin malgré les effluves solennelles qui s'en échappent. Prête à finir leur conversation sur une note optimiste, plutôt que par la réalisation qui l'avait frappé, Divna le savait déjà après tout : elles sont les différentes faces d'une même pièce. Je serai toujours là pour t'aider à sortir de tes gonds ou pleurer. Exprimer mes émotions est mon domaine d'expertise depuis deux ans après tout, alors même si ça doit rester dans ton jardin secret, je suis certaine que tu en seras capable aussi. Etrange promesse au creux du vent, brise chantante sous laquelle ses cheveux virevoltent autour de son visage un instant, tel un lever de rideaux au théâtre, parce qu'elle est créatrice d'histoires, toujours, et qu'elle a d'ores et déjà reconstitué celle-ci, le mensonge mielleux pour aider son amie laissée derrière, même si elle doit se positionner en un symbole qu'elle n'est pas, pour aider Natsuki, le silence de ses propres émotions alors valable, briseuse de sa propre promesse. Et elle ignore cette envie profonde de se confier sur ses incertitudes, sa malédiction, tout le reste. Car son amie n'a pas besoin de ça, car Divna est une froussarde.