faufile ;; natsuki

Elle sait obéir, Reon. Lorsqu’on lui demande quelque chose, on n’a pas à le lui répéter deux fois. Excepté, bien sûr, si elle n’a aucune envie de s’exécuter ; là, alors il est plus complexe d’entrer quoi que ce soit dans son crâne. Mais ce soir, elle a envie de ce rendez-vous. Elle l’a offert avec un objectif derrière la tête, et c’est donc sans traîner des pieds qu’elle a quitté le campus pour aller chercher l’offrande du jour. La pizza. Léger prix à payer pour entraîner sa cadette dans les locaux enfin déserts du département. D’un transplanage à un autre, elle retrouve bientôt le lieu de rendez-vous avec quelques minutes d’avance. Elle a pensé à son coup, la p’tite dame. Hors de question de se pointer le bout du nez une demi-heure plus tôt ; la pâte serait raidie, le fromage,  caoutchouteux et les saveurs, ternies. Et puis, la ponctualité maladive, elle laissait ça aux autres.

Malgré tout, elle est la première à frôler le sol de la salle. Avec précaution, elle installe le repas dans un coin, près du mur miroir qui lui renvoie son reflet. Elle ne sait trop comment anticiper la soirée, si elle est sincère. Natsuki est du genre à l’écouter, mais elle est aussi rapide à sauter dans les bras de sa mentor qu’à dresser ses murs de protection… Mais les pas s’approchant chassent bien vite les ruminations. On verra. Elle fera de son mieux, Reon ; c’est ce qu’elle fait toujours. « Hiiii, Natsu-chan ! » Elle lâche son sac près de la pizza, pour préférer offrir ses bras à son amie. « Ça fait longtemps, j’suis contente ! » Sous le tissu, une affiche repose. On la sortira plus tard. Plus tard. Toujours plus tard.

Natsuki avait le cœur léger. Elle se surprenait même à fredonner une mélodie, qu’elle n’avait arrêté qu’une fois qu’elle était arrivée au local, prête à sauter dans les bras de son amie. Elle avait bien besoin de décompresser un peu, toujours chargée avec trop de pression sur les épaules ; passer du temps avec Reon lui fera le plus grand bien. Alors c’était sans se méfier de quoi que ce soit, sans se dire que cette entrevue pouvait cacher d’autres intentions qu’elle ouvrit la porte, un grand sourire illuminant son visage. « Rei ! » Elle prit son aînée dans ses bras, Natsuki avare des contacts physiques (ne sentant pas ce fichu bout de papier sous le haut de son amie). « Oui, je suis contente de te voir ! » Elle gloussa légèrement, puis déposa son sac à côté de celui de Reon, repérant la pizza. « Ça sent trop bon, t’as pris mes pizzas favorites, hein ? » Elle lança un regard complice à Reon, mais elle n’avait même pas besoin d’ouvrir les boîtes qu’elle le savait déjà. Ramenant les pizzas vers le centre de la pièce, elle s’assit ensuite en tailleur, toute souriante. « Je sais pas toi mais moi, j’ai un creux, et je serais pas contre une petite part, là. » Elle ouvrit la boîte, constata une pizza fromagée comme elle les aimait (elle entendait déjà la voix de sa grand-mère la gronder, mais elle décida de l’ignorer, pour ce soir) et en attrapa une part. « Alors dis-moi, quoi de nouveau ? Le salon se porte toujours bien ? » Elle prit une bouchée, et soupira d'aise.

C’est qu’elle porte foutrement bien son surnom, Natsu. Des mélodies portées par sa voix jusqu’aux rayons de ses sourires quand elle passe la porte, elle respire le bon temps. Solaire, c’est ce qu’elle est, quand la vie — ou ses parents — n’éteignent pas sa flamme. Même dans son costume sobre de bonne gamine, sa personnalité jaillit. Elle aime la regarder, Reon. C’est comme fixer dans une glace et voir le reflet de celle qu’elle était, à l’âge de la petite. Avant qu’à elle, on lui bouffe tout son feu pour n’en régurgiter que quelques cendres. « Eh, tu me prends pour qui ? Bien sûr que ce sont tes favorites ; ça doit faire un bail que tu t’en aies pas autorisé même une pointe, hein ? » Parce qu’elle ne s’autorise rien, Natsuki. Des choix de bouffe un peu moins sages aux rêves que chérit son inconscient, elle bloque tout. La raison avant le cœur, toujours. « Ah, meuf, je meurs de faim. C’était de la torture de pas tout manger en t’attendant ! » Elle se laisse tomber au sol, là près d’où s’est installée si gracieusement son amie. Après qu’elle se soit servie, elle penche le dos vers l’avant et approche ses doigts de la boîte en tâtant le sol à pleine paumes. Bras tendus, échine courbée, c’est finalement un petit élan qui lui permet d’attraper le carton et de le ramener à elle en un soupir satisfait. « Oh, les affaires vont bien ! C’était un peu le rush, là, avec la rentrée, mais ça s’est calmé depuis ! Ah, et Aoi-chan prend ses aises aussi, alors j’suis bien contente. » Aoi, elle, ne fait pas de compromis ; plutôt que de choisir entre les envies et les responsabilités, elle ne tranche pas et préfère les deux. « Et toi ? Comment vont les études ? » Elle demande, une teinte d’hypocrisie pourrissant ses intentions. Contre sa peau, l’offre n’attend que la bonne occasion d’être brandie.

Hochant vivement de la tête, elle attrapa une part de pizza et la plaça juste devant sa bouche, les yeux rivés sur la nourriture. « Ah, vraiment, ça faisait trop longtemps... » Et sans avoir la patience d’attendre, elle croqua en plein dedans, l’explosion de saveurs remplissant sa bouche (à la place de ce stupide riz et de ces stupides légumes). Elle rit légèrement à la remarque de Reon ainsi qu’à ses mouvements pour attraper une pizza, puis écouta tranquillement son amie lui raconter ses nouvelles pendant qu’elle, elle avalait sa première bouchée, en reprenait une autre ; toujours aussi élégamment car au fond, elle avait beau savoir qu’elle n’était plus observée, les habitudes avaient du mal à s’en aller. « C’est super ça, je suis contente que ça aille de mieux en mieux, tu mérites d’avoir tout plein de clients… » Elle sourit doucement, sourire qui finit figé, figé comme les sourires qu’elle donnait aux inconnus à ces soirées de riche, qui lui demandaient si elle allait bien ((oui, je vais bien, j’aime ma famille, je suis heureuse, je suis passionnée par mes études, bien sûr)). « C’est un peu fatiguant, comme tu le sais, les études médicomagiques c’est pas simple… Mais on s’y fait ! On garde son sang-froid, et ça va. » Bien sûr, il suffisait de garder son sang-froid pour que tout aille bien. Dans le meilleur des mondes, sans doute. Rapidement, elle finit sa part, et frotta ses mains ensemble pour enlever les quelques miettes qui y restaient. « Je vais me contenter d’une part, je me réserve le reste pour une récompense après avoir dansé. J’ai envie de danser ! » Elle sourit, inconsciente de l’offre qui attendait sagement l’heure de sa venue.

La pâte et le fromage gagnent ses doigts pressés, alors qu’elle raconte comment se déroulent les affaires. Puis, elle fait rebondir la question, profitant de son moment de silence pour croquer dans la pizza encore chaude. Elle mâche tout en écoutant, laissant la chaleur de la nourriture lui réchauffer l'œsophage. Natsuki répond à ses interrogations, lâche un Comme tu le sais auquel Reon hoche la tête alors qu’elle n’en a aucune idée, raconte son parcours. « De ce que tu m’en dis, ça a pas l’air évident, c’est vrai. » Une nouvelle bouchée, qu’elle savoure avant de demander : « Mais t’aimes ça, quand même ? Genre… un peu ? Parce que c’est bien beau de réussir, mais si ça te fait chier, y a pas d’intérêt… » Reon termine sa part peu de temps après Natsuki, porte ses doigts à sa bouche pour en récupérer les dernières miettes, avant d’essuyer ses mains grasses sur ses jeans par réflexe. « Eh bah alors, danson, ma chère ! Dansons ! » Elle se remet sur pieds en sautillant presque comme une enfant, et branche son téléphone au système de son de la salle. « Je prend les demandes spéciales ! Qu’est-ce que t’as envie d’entendre ? J’te trouve ce que tu veux et t’inquiète ; mes mouvements sont versatiles. On fait ce que t’as envie de faire, miss. » Sourire mielleux qui dresse des mètres et des mètres de roses sur le terrain qu’elle n’arrive pas encore tout à fait à tâter. Ouverture naissant à la fois sous l’affection portée à la plus jeune, et à la fois sous les ambitions de la pousser plus loin, toujours plus loin que cette vie dans laquelle on l’a clouée sans qu’elle n’ait son mot à dire.

Mode automatique, Natsuki hocha sa tête avec un sourire qui atteignait faussement ses yeux. « Bien sûr, j’adore ça ! J’ai choisi ce cursus de mon plein gré, et je m’étais même battue avec ma famille pour l’avoir. » Et après ça, elle entendait le rire gras des invités, qui disaient alors « sacrée Natsuki, elle est prête à poursuivre ses rêves celle-là ! » et on abandonnait le sujet, finissant sur le sourire parfait de Natsuki. Dans un sens, elle ne mentait pas : elle avait choisi ce cursus et s’était battue avec sa famille pour le faire, mais uniquement en choix de secours pour éviter le droit. Une maigre façon à elle de se rebeller contre un avenir tout tracé, mais finalement, ça n’avait pas servi à grand-chose. Que représentait un coup de rame d’un radeau emporté par le courant d’un fleuve après tout ?

Un vrai sourire éclaira cette fois-ci le visage de Natsuki alors qu’elle se levait pour se préparer à danser, s’échauffant pour ne pas fragiliser ses articulations et muscles. « Je sais pas, mets moi n’importe quoi ! J’ai envie de me relâcher et de danser au gré du vent… mais ne me mets pas une musique de danse traditionnelle, j’en ai marre de répéter ça. » Elle sourit d’un air complice à Lili, se penchant régulièrement des deux côtés avec les bras collés à ses oreilles l’un après l’autre pour tirer sur ses hanches.