sweet dreams are made of this ((kouta))

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Haruki regarde sa sœur, un sourire taquin sur les lèvres, tandis qu’elle ne cesse de parler. « Eh, je te jure, le collège, c’est pas si facile que ça ! Arrête de me regarder comme ça ! » Un éclat de rire se fait entendre de la part de l’aîné : « Arrête un peu, je sais très bien que le plus dur pour toi en ce moment, c’est sortir avec ton crush » À l’entente de ses mots, le visage de la jeune adolescente se referme aussitôt, sourcils froncés, touchée en plein dans le mile. « N’importe quoi » surenchérit-elle, dans un déni évident. « Tout le monde se soucie déjà de l’entrée au lycée, je te signale. Et il y a des cours absolument insupportables ! Potions par exemple ! » Elle hausse son ton, comme pour donner du poids à ses plaintes, essayer de les rendre sincères, mais son mensonge est écrit sur son visage ; Haru n’a même pas besoin d’utiliser son pouvoir pour le savoir. « Arrête de me regarder comme ça ! T’es mal placé pour te moquer ! Vu tout le temps que tu as mis pour te mettre en couple avec Natsuki ! » L’attaque est aussi soudaine qu’inattendue, mais ce n’est pas la première fois qu’elle lui fait la remarque. « Ça n’a rien avoir ! Natsuki, je la connaissais depuis que j’étais enfant, donc c’était plus difficile de sauter le pas. En plus, elle est plus âgée que moi ! C’est pas une inconnue de ma classe à qui j’ai jamais osé parler ! » Il fait semblant de rentrer dans le débat, d’être vraiment embêté par les propos de sa petite sœur, mais en réalité il ne fait que s’amuser d’elle. « C’est toujours différent quand il s’agit de toi ! Tu sais pas combien c’est difficile de parler à un mec populaire comme lui. » Pour le coup, elle a raison : il a toujours été le mec populaire en question.

Pour toute réponse, il se contente d’éclater de rire de nouveau. « Bref, tu veux boire quoi ? » demande-t-il en montrant la carte du vivaldi. « Moi, je prends un fleur de sakura. » Il relève les yeux vers sa sœur quand il entend un rire moqueur. « Tu prends toujours un fleur de sakura ! » s’exclame-t-elle en levant les yeux au plafond. « Moi, je vais prendre un pumpkin ! » D’abord, il acquiesce, puis ses sourcils se froncent. Quelque chose n’est pas cohérent, mais il ne comprend pas de suite. « Un pumpkin ? Ils ne servent pas ça au printemps » relève-t-il, et sa sœur le regarde comme s’il était devenu fou. « Qu’est-ce que tu racontes ? On est en automne. » Cette fois-ci, c’est à son tour de la regarder comme si elle était cinglée, avant de tourner la tête vers l’extérieur, comme si le temps extérieur allait lui souffler quelle saison il était. Il est cependant interrompu dans son mouvement quand il aperçoit un visage familier : celui de Kouta. Par réflexe, il s’apprête à lever la main pour le saluer, l’inviter à leur table, s’exclamer que c’est un immense hasard qu’ils se croisent ici. Il s’arrête pourtant avant de le faire et la réalisation le frappe d’un coup. Il a l’impression qu’on lui a mis un coup de pied dans l’estomac ; son souffle est coupé et la joie de son visage se dissipe aussi rapidement qu’un petit nuage de fumée au milieu d’une tempête. Son regard se pose de nouveau sur sa sœur et il reste silencieux.
Sa sœur.
Mais sa sœur est morte. « Quoi ? Tu fais cette tête parce que c’est pas la bonne saison pour commander un fleur de sakura ? T’en as bu tout le printemps, tu peux bien changer. » râle-t-elle, en glissant une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Dans son rêve, Kouta, il avait des pouvoirs. Il avait une baguette dans la main et il pouvait en faire sortir des choses : il faisait pousser des arbres, des plantes, et il riait, riait avec son père et sa mère. Il était devenu le grand sorcier dont ils voulaient, et ses camarades l’aimaient tous, admiraient ses talents de sorcier. L’uniforme de Mahoutokorou sur le corps, la baguette décorée pour lui être personnelle, il remontait ses lunettes sur le nez et étudiait jusqu’à pas d’heures, comme l’élève modèle qu’il aurait dû être.
Et puis, il avait compris.
Ce n’était qu’un rêve.
Son père et sa mère se brisèrent ; son père parti fonder une autre famille, sa mère partie aimer un autre homme. Ses camarades se transformèrent en ces visages à l’académie d’art, qui s’étaient moqués de lui, qui l’avaient dégoûté du dessin. Son uniforme glissa de son corps pour être remplacée par sa tenue d’homme de ménage, et la baguette éclata en morceaux dans sa main. Bien sûr. Il était un cracmol, dans la réalité.
Un crayon apparut dans la paume de sa main, et il eut un haut-le-cœur. Il s’enfuit de son rêve.

Il atterrit dans le rêve de quelqu’un d’autre, sans trop savoir comment. Après tout, il n’était pas supposé être capable de faire ça, puisque ça relevait de la magie, normalement. Est-ce qu’il rêvait encore et contrôlait simplement son propre rêve ? Ça devait être un rêve lucide, alors. Bien sûr.
Alors il comptait en profiter, flâner dans les rues, s’aérer l’esprit, quand il vit.
Il y avait Haruki, assis à une table du Vivaldi. Il semblait heureux, assis avec une fille. Kouta aurait pu penser que c’était Natsuki, puisqu’il n’y avait toujours eu qu’elle dans sa vie ; mais il avait tort, quand il pensait ça.
Il y avait eu Hikari, aussi.
Hikari.
Le monde de Kouta s’arrêta.
Elle avait les cheveux longs. Ses traits avaient mûri. Elle ressemblait beaucoup à sa mère, et à Haruki. Elle avait les mêmes yeux, et ce même sourire espiègle. Elle regardait Haruki normalement, comme si elle était en vie. Le cœur de Kouta se serra, serra si fort qu’il eut l’impression d’étouffer. Il avait mal, trop mal.
C’était à ça qu’elle aurait dû ressembler.
Mais il ne l’avait pas secourue.
Il revoyait l’eau de la piscine, ses bras, les bulles.
Il revoyait les bulles et les bras disparaître, le calme revenir dans la piscine.
Il revoyait son corps, puis l’homme qui avait annoncé qu’elle était morte avec une mine austère.
Et elle était là.
Vivante.

Tétanisé, il ne remarqua pas que Haruki l’avait vu. Il avait son regard rivé sur Hikari, la culpabilité rongeant son cœur, les larmes montant aux yeux. Sa gorge le brûlait, sa tête lui faisait mal, ses jambes tremblaient. Pourquoi est-ce qu’on devait lui faire subir ça ? Déjà il avait dû rêver qu’il avait des pouvoirs alors qu’il n’en aurait jamais et maintenant, Hikari ?
Kouta explosa en larmes.
Il était toujours à l’extérieur de la vitrine du Vivaldi ; incapable de pénétrer à l’intérieur, incapable de s’excuser, incapable de faire face à Hikari.
Celle qu’il avait tuée.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] La réalisation le frappe de plein fouet. Elle se fait d’un coup, sans transition. Tout lui revient avec la même violence qu’une rafale de vent à 300km/h, et il a à peine le temps de cligner des yeux qu’il est au sol. Son coeur bat à mille à l’heure et quelque chose se déchire à l’intérieur de lui ; pas juste son coeur, mais absolument tout en lui se déchire, comme si ses entrailles se séparaient en deux. Pendant un instant, il a envie de vomir, de pleurer, de hurler, mais la seconde d’après, ces émotions trop fortes se sont envolées pour ne laisser derrière elles qu’une immense peine mélancolique, un sentiment de vide sans fin. Une douleur froide, distante, parce qu’en fait, c’est une douleur qu’il traîne depuis si longtemps derrière lui qu’elle fait désormais parti de lui ; il la redécouvre ce soir, mais elle ne l’a jamais quittée.

Elle est si vivante, tellement pleine d’énergie. Il se demande si elle aurait vraiment été comme ça, ou si elle lui apparaît ainsi que parce que c’est comme ça qu’il l’imagine. Hikari a toujours été sa lumière, de telle sorte que Haruka n’a jamais pensé à elle autrement qu’une petite fille remplie de vie, enthousiaste, souriante, un rayon de lumière, comme son nom le laisse entendre. Peut-être qu’il a tout faux, cependant. Peut-être que si elle n’était pas décédée, elle serait devenue monotone, triste, effacée ; parce que peut-être que ses parents n’auraient pas changé d’idéologie et l’auraient enfermé dans leur amour des sang-purs, parce que peut-être qu’ils l’auraient épuisée avec leurs attentes, leurs espoirs. Oui, peut-être qu’en grandissant, elle aurait perdu de sa joie de vivre, peut-être qu’elle aurait souffert, qui sait ? Alors, peut-être que c’est mieux qu’elle soit morte, finalement. Peut-être que la vie est bien faite : comme ça, elle peut continuer à rester dans les mémoires de tous comme une enfant solaire.

 « Eh, oh. Allô la lune ? Tu penses à quoi ? » s’exclame Hikari, en secouant sa main devant les yeux de son frère, mi-curieuse, mi-agacée. « Je pense à combien ma sœur est jolie. » La réaction de cette dernière ne se fait pas attendre, sourcils froncés, un air sur le visage qui veut clairement dire : il est complètement fou ou quoi ?. « Ce serait bien que mon crush pense pareil » murmure-t-elle à la place. Haru tourne la tête vers la vitrine, croise de nouveau le regard de Kouta, mais cette fois-ci, les yeux de ce dernier sont embués de larmes. Complètement immobile, coupé dans son élan. Ils sont loin de l’autre, trop pour qu’il puisse utiliser son pouvoir, pourtant il semble savoir avec précision ce à quoi il pense. « Hey, Hikari. Regarde qu’il y a là-bas » En disant ça, Haru montre du visage Kouta. Alors, sa petite sœur tourne la tête. « Tu te rappelles de qui c’est ? » Pour toute réponse, un immense sourire illumine le visage de la jeune lycéenne, et elle fait un grand signe de la main vers le nouveau venu, l’incitant à les rejoindre : « Kouta nii chan! » Et ces deux mots ramènent Haru des années en arrière, quand elle était encore si jeune (encore vivante).

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Ses jambes avaient lâché sous le poids de ses larmes et il tomba au sol, les genoux rencontrant brutalement le gravier, les gouttes d’eau salée s’écrasant par terre, se fondant à l’intérieur. Le cœur lui faisait mal, comprimé dans sa cage thoracique, s’asséchant parce qu’il n’avait pas d’autre choix que de flétrir, la force et la vitalité de ce dernier partant avec les larmes qui ne cessaient de couler, aspirant l’énergie de son cœur, qui se recroquevillait sur lui-même, de plus en plus. Et puis ses poumons le brûlaient, et sa gorge le brûlait, et son estomac le brûlait, et sa tête le brûlait : il avait l’impression d’être Jeanne d’Arc sur sa potence, huée par les autres, pointée du doigt (oui, tu dois mourir, puni pour être maléfique, tué pour avoir assassiné quelqu’un d’autre !). La culpabilité le rongea de nouveau, mordant sa peau, ses entrailles, son corps entier ; comme si tout l’air autour de lui était en train de se transformer en rongeurs qui s’amusaient à dévorer son cadavre petit à petit, prenant le temps de le faire souffrir, parce que c’était ce qu’il méritait, de souffrir.
Et puis.
« Kouta nii chan ! »
Il releva la tête. Il vit alors le visage de Hikari, un grand sourire sur les lèvres, les étoiles pétillant dans ses yeux. Oh, elle était si vivante.
« Kouta nii chan ? »
Elle semblait perdue, penchant légèrement sa tête sur le côté. Kouta dévia son regard sur Haruka, et il comprit que lui aussi, avait compris.
La réalisation s’enfonça en lui et il se sentit encore plus lourd que tout à l’heure. Il se trouvait devant la victime qu’il avait tuée, et celui à qui il avait arraché son plus grand trésor.
Les jambes tremblantes, Kouta se releva. Comme par habitude, il esquissa un sourire ; sourire qui finit plutôt en une grimace maladroite. C’était comme ça qu’il les saluait, avant, quand il venait chez eux et que Haruka l’accueillait d’un grand sourire, et que Hikari riait comme l’enfant qu’elle était. Aujourd’hui, elle ne riait plus.
Hikari sortit du café et attrapa le bras de Kouta, l’entraîna à l’intérieur pour qu’il les rejoigne dans ce café, comme si tout était normal. « Ah, Kouta nii chan, pourquoi tu pleures ? Une fille t’a brisé le cœur ? Dis-moi qui c’est, je vais lui donner une bonne leçon ! » Et Kouta se surprit à rire, rire parmi ses larmes qui coulaient sur ses joues, ses épaules tremblantes, sa mâchoire qui claquait. Il riait, parce qu’il se demandait si c’était ce genre de discussion qu’il aurait pu avoir avec Hikari, si elle était encore vivante. S’il aurait pu rejoindre les deux frère et sœur dans un café et rire avec eux, innocemment. « Pourquoi tu rigoles ? Tu penses que je n’en suis pas capable ? Nii chan, regarde comment Kouta nii chan est méchant avec moi ! » se plaignit-elle à son grand-frère, l’air boudeuse. Kouta passa ses mains sur son visage, les paumes se retrouvant remplis de larmes. Et il souriait encore, comme un imbécile ; sourire dont les bouts finirent par se tendre vers le bas. « Je suis désolé... » gémit-il.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Quand sa sœur sort du café pour aller chercher Kouta, Haruka reste à sa place. Il profite de l’absence temporaire de sa sœur pour prendre une grande inspiration et sans qu’il n’ait le contrôle dessus, les larmes se mettent à couler d’un coup, avec la même force qu’il a utilisée pour les retenir juste avant. Il ne s’autorise pas à se morfondre néanmoins, il porte les mains à son visage, essuie une larme après l’autre dès qu’elle a coulée. Une grande inspiration, une grande expiration. Il répète ça deux fois avant de réussir à retrouver son calme, à ne plus trembler. Quelques secondes après seulement, sa sœur est là, Kouta traîné avec elle, et elle se plaint qu’il se moque d’elle. Haruka parvient sans grande difficulté à retrouver une expression légère, mais les traces de ses larmes restent visibles dans le rouge prononcé de ses yeux. « Écoute, il s’excuse » répond-il seulement. Sa sœur hausse les épaules, peu convaincue, et s’assied là où elle était juste avant.

Elle fait un geste à Kouta pour qu’il s’assoit, lui aussi. « Tu veux prendre quoi à boire, toi ? Mon frère était en train de découvrir qu’il ne peut pas prendre la boisson qu’il veut. Tu aurais vu la tête qu’il a fait ! On aurait dit qu’il avait perdu quelqu’un de proche ! Toujours aussi dramatique, hein ? » Un moulin à paroles qui ne s’arrête plus, et cette pensée fait sourire Haruka. Est-ce qu’elle lui ressemble à ce point parce qu’ils sont dans son imagination à lui ? « Hey, Hika, tu veux bien être aimable et aller commander n’importe quelle boisson au comptoir pour nous deux ? Prends-nous la même chose que toi, si tu veux. » La lycéenne trouve la demande étrange et ne le cache pas. Il peut voir sur son visage les reproches pourquoi je dois y aller moi et pas toi ? Pourquoi je dois choisir pour vous ?! Il décide d’interrompre les plaintes avant qu’elles soient formulées. « Je t’achèterai ce que tu veux en échange. Ou je t’amènerai où tu veux. Okay ? » Une simple moue sur le visage de la plus jeune, et elle se lève sans rien répondre.

Alors, Haru et Kouta se retrouvent seuls. « Ecoute, Kouta, je suis pas certain de comprendre de quoi il s’agit, mais je veux en profiter pour qu’on mette les choses à plat. » Il ne le laisse pas parler : leur temps est limité et il veut le prévenir de son plan. « Peut-être qu’on peut utiliser ce… cette situation étrange pour savoir comment se sent ma sœur. Je veux dire, comment elle se sent vraiment. Pas comme tu penses qu’elle se sent envers toi. » Il n’a pas besoin d’être plus clair, il sait que Kouta a compris ce qu’il voulait dire.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Tout brûlait. Tout continuait de brûler et tout s’empirait, comme un incendie qui se propageait dans une forêt dense. Plus les minutes allaient et plus son état se dégradait, les larmes redoublant, la voix de Hikari ne résolvant rien. Alors c’était comme ça que sonnerait sa voix, si elle était encore vivante ? C’était de ce regard-là qu’elle le regarderait, les yeux plein de vie ? Un sourire comme ça qu’elle lui adresserait, un sourire si grand qu’il prenait la moitié de son visage ? Se retrouvant assis à côté de Haruka, n’osant pas se retrouver à côté de Hikari, il pleurait encore, les larmes bouffant la moitié de son visage, et remarqua à peine quand elle fut partie pour commander leurs boissons, comme si tout était normal, comme s’ils étaient dans la réalité et que Hikari était bel et bien capable de leur prendre des boissons.

Ce ne fut que lorsque Haruka reprit la parole pour s’adresser à lui qu’il sentit l’incendie s’arrêter un peu, s’arrêter pour être remplacée par un tonnerre, des éclairs qui s’abattaient sur la terre, piquaient son cœur, le martelaient de culpabilité. « Non, elle… » Mais il n’arrivait pas à dire quoi que ce soit, sa gorge bien trop compressée pour ça, le moindre son lui coûtant dix fois plus en larmes. Alors il tenta de se calmer, essuyant ses yeux et son nez dans le tissu couvrant son bras, prenant de grandes respirations pour stopper ses sanglots. Il mit plusieurs minutes avant d’y arriver, et regarda Haruka, les yeux rouges (échoua à constater les mêmes yeux chez lui). « Elle m’en veut… Et puis ça ne compte pas, ce n’est pas vraiment Hikari, Hikari, elle, elle est morte… » Quelque chose se brisa par terre. Kouta tourna sa tête, et vit Hikari. Hikari qui avait laissé tomber le plateau qu’elle tenait qui contenait leurs trois boissons, désormais renversées au sol, les tasses en mille morceaux, les liquides brûlants tâchant le parquet. Kouta releva lentement son regard sur Hikari, effrayé de la façon dont elle allait le regarder ; mais plutôt que de la surprise, de la déception ou de la haine, Hikari semblait blasée. Comme si elle venait de réaliser quelque chose, mais que cette réalisation, c’était un souvenir qu’elle avait simplement oublié ; qui ne lui faisait même plus de mal. « C’est vrai. Je suis morte. » Et elle leur adressa un sourire.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] À l’instant où les mots sont prononcés par Kouta, le rêve se déchire comme une feuille de papier. Ils sont toujours là, au vivaldi, mais plus rien n’est réaliste ; les boissons au sol disparaissent juste après avoir percuté le sol ; les serveuses ne sont plus là, elles non plus ; et tous les autres clients ont aussi disparu. Ils sont seuls, dans un décor désert. Ils passent d’une ambiance légèrement bruyante à un silence lourd, simplement brisé par la déclaration de sa sœur : je suis morte.

Pendant un instant, Haruka ne sait pas quoi dire, alors il reste silencieux. Ça ne dure pas longtemps, simplement le temps de s’acclimater à ce changement d’ambiance brutal. « C’est pas grave pour les boissons, de toute façon, y’avait même pas ma boisson préférée » Il brise le silence avec un ton confiant, une voix imperturbable. Pourtant sa peine est aussi grande, peut-être encore plus, que celle de Kouta. C’est dans ces moments qu’il découvre à quel point il appris à la cacher, cette peine, à l’enfouir pour faire comme si cet événement malheureux n’était jamais arrivé. C’est ce qu’ils font depuis des années chez lui, après tout, ils vivent comme si Hikari n’avait jamais existé, et surtout, comme si elle n’était jamais morte. « Viens t’asseoir, Hika » propose-t-il en montrant la place où elle était tout à l’heure. « Maintenant que le rêve est suspendu, autant en profiter. » En profiter, voilà des mots qu’il dit sans les penser. Il se demande s’il n’aurait pas préféré utiliser ce rêve pour vivre un instant insouciant avec sa sœur. Mais ce vœu est égoïste.

Il attend que sa sœur s’exécute, lance un coup d’œil vers Kouta, avant de reprendre la parole. « Est-ce que tu te rappelles de comment tu es morte ? » Autant rentrer dans le vif du sujet, pense-t-il. Sa sœur semble réfléchir un instant, les sourcils froncés, son sourire volatilisé, comme si elle devait faire un effort pour se rappeler de souvenirs aussi lointains. « Oui, je me rappelle ! »  Son exclamation est tellement soudaine, joyeuse, qu’elle sonne fausse. Personne ne pourrait avoir l’air aussi heureux de se rappeler de sa mort, ce n’est qu’un rappel pour montrer que ce rêve est avant toute chose un rêve. « Je courais juste autour de la piscine parce que j’ai vu quelque chose… qu’est-ce que j’avais vu ? Je pense que c’était un papillon ? Je ne sais plus… en tout cas, je sais que j’ai glissé et chuté dans la piscine. explique-t-elle, d’une voix si légère. Et ensuite ? Il a envie de poser la question mais les morts ne sortent pas. À la place, des souvenirs remontent à la surface, la police, l’ambulance, les sirènes. « Ensuite, » reprend-elle, comme si elle avait pu lire les pensées de Haruka, « c’est assez flou. Je me rappelle de l’eau, de la sensation d’étouffement. J’ai eu l’impression que c’était interminable. Je me rappelle voir une silhouette que je ne reconnais pas. Après, c’est le noir complet. » termine-t-elle. « Tu ne sais pas qui est la silhouette que tu as vue ? » Sa sœur le fixe quelques secondes, visiblement perturbée par toutes ces questions, avant de hausser les épaules. « Non, mais ça n’a pas d’importance, non ? Sur le moment, j’ai cru que c’était toi. Maintenant que j’y repense, je sais que c’était pas toi. Peut-être même que je l’ai rêvée ! Peut-être que c’était une hallucination. » Plus elle parle, plus son énergie disparaît, et le jeune homme a la désagréable sensation que chaque seconde qui s’écoule la fait disparaître, petit à petit. Il a tellement de chose qu'il voudrait lui dire, et il sait que le temps leur est compté, que le rêve va s'envoler, sa soeur avec.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Tout disparut. Le café, les tables, les bancs, les chaises, les gens ; tout disparut aussi facilement que Hikari avait perdu la vie. La mascarade était finie, la comédie avait pris fin, place à la tragédie, à la réalité. Hikari n’était plus avec eux et c’était la faute de Kouta si c’était arrivé. Si seulement il avait eu des pouvoirs magiques, si seulement il avait su nager, si seulement il avait su appeler à l’aide ! À la place, il était resté immobile, à l’observer se noyer, comme si elle était le personnage principal d’une peinture immobile qu’on admirait, devant lequel on complimentait le coup de pinceau de l’artiste alors que le pauvre personnage était en train de se noyer.

Kouta tremblait légèrement. Les mains moites, la respiration saccadée, le regard hagard. Incapable de regarder Hikari maintenant que le rêve s’était brisé, il l’entendit simplement s’asseoir là où elle était. « Est-ce que tu te rappelles de comment tu es morte ? » Les souvenirs revinrent en pleine face. Kouta qui était descendu pour se servir de l’eau, un livre quelconque dans la main, et qui avait entendu du bruit vers la piscine. Curieux, il s’était approché, et, et, et— Kouta ne voulait pas y penser. Cassette cassée, elle était bloquée, refusait de jouer la suite ; Hikari le fit à sa place.
« Je sais que j’ai glissé, » glissé, « chuté dans la piscine, » chuté dans la piscine, « je me rappelle de l’eau, » l’eau, « la sensation d’étouffement, » étouffement, « c’était interminable » interminable, « Je me rappelle avoir vu une silhouette, » Kouta.
« Après, c’est le noir complet. »
La mort.

Le cœur dans la poitrine de Kouta semblait peser une tonne tellement qu’il se faisait lourd et oppressant. Ses yeux étaient désormais fixés sur le sol, la cassette cassée désormais devenue folle, jouant la scène sans arrêt, la rejouant, rejouant, rejouant, encore et encore (les bulles, les bras, les vagues, le silence ; les bulles, les bras, les vagues, le silence ; les bulle—).
« Tu ne sais pas qui est la silhouette que tu as vue ? »
Kouta retint sa respiration.
« Non. »
C’est moi ! C’est moi, la personne qui t’a regardée mourir sans rien faire ! Le coupable de ta mort—
« Mais ça n’a pas d’importance, non ? »
Si ça avait été le rêve de Kouta, le ciel au-dessus d’eux leur serait tombé dessus et le sol se serait mis à trembler. Mais c’était celui de Haruka, alors il n’y eut que Kouta qui ressentit ça, le monde en chaos autour de lui. Un chaos pourtant positif, puisque tout semblait se mouvoir pour enfin refermer la cicatrice sur son cœur, un traumatisme dont il ne s’était jamais débarrassé, et dont le seul nom de « Hikari » suffisait pour le faire trembler.
« C’était moi, » avoua Kouta. « C’était moi, Hikari. Je t’ai vue mourir. » Il avait les yeux noyés dans ceux de Hikari, qui le regardait d’un air trop solennel pour appartenir à la petite fille de trois ans qui s’était noyée ce jour-là. « Tu t’en veux ? » Kouta hocha fébrilement sa tête. Hikari sourit. « C’est moi qui n’aurais pas dû m’approcher de la piscine, pas toi qui aurais dû me sauver. » « Mais tu étais trop jeune pour— » « Tu étais aussi trop jeune pour savoir quoi faire, Kouta nii-chan. Tu ne pouvais pas savoir. » Le monde autour de Kouta s’immobilisa. Se calma. « Pardonne-toi. Parce que moi, je ne t’en ai jamais voulu. »
Kouta fondit en larmes.
Sur le moment, il ne pensa pas au fait que ce n’était qu’un rêve, qu’une hallucination, et pas une Hikari créée de toutes pièces par l’imaginaire de Haruka. Il se laissa emporter par ses émotions, par la vague qui venait subtilement refermer la cicatrice, et la clôturer, pour de bon.
Il n’était pas le responsable de la mort de Hikari.

« Je crois que mon temps m’est compté… C’est dommage, j’aurais voulu passer plus de temps avec vous. » Hikari rit légèrement, et Kouta ne sut pas si son corps paraissait plus transparent parce qu’il pleurait trop, ou si c’était vraiment le cas. « Onii-chan, un dernier mot à me dire avant que je m’en aille ? »

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] L’interrogatoire terminé, Haruka observe successivement Kouta, puis sa sœur, sans dire un mot. Il a fait son travail, pense-t-il, il a mis des mots sur ce qui a toujours été enfoui. Il a toujours voulu que Kouta lui parle, lui explique combien il culpabilise de ne pas l’avoir sauvée, et il a aussi toujours voulu lui faire comprendre à quel point il ne devrait pas ; mais les récits de Kouta ont toujours été très brefs, et les réponses de Haruka n’ont jamais eu l’impact voulu sur le plus jeune. Il sait que, même s’il a réussi depuis longtemps maintenant à renouer les liens avec lui, ça ne signifie pas pour autant que Kouta se sent moins coupable du malheur qui l’a frappé dans son enfance. Avec le temps, le sujet n’a plus été abordé, et les souffrances enfouies sont devenues de vieilles colocataires au fond de leur coeur.

Les larmes qui sont apparues depuis un moment — quand, exactement ? — au coin de ses yeux finissent par couler définitivement lorsqu’il aperçoit son meilleur ami fondre en larmes. Son coeur se serre si fort qu’il étouffe, mais il essaie de contenir sa tristesse. Il aura tout le loisir de pleurer, quand il sera de retour dans sa chambre, quand il réalisera que tout ça n’était qu’un rêve. Il en a déjà conscience, mais il est incapable de l’accepter. Et le rire de sa sœur sonne si faux au milieu de cette tristesse étouffante, et son regard brillant est si déplacé dans cet environnement. Il met de longues secondes à réussir à lui répondre, parce qu’il sait que s’il ouvre la bouche, s’il parle, sa voix va se briser et les sanglots qu’il retient tant bien que mal vont exploser — alors, d’abord, il prend une grande inspiration, puis une deuxième, mais pendant ce temps, la silhouette de sa sœur se fait de plus en plus translucide. Et il ne sait pas quoi dire, Haruka, avant qu’elle ne parte ; il est certain qu’il y a des milliers de choses qu’il voudrait lui dire, mais aucune ne semble avoir d’importance maintenant. Ainsi, les seuls mots qui traversent ses lèvres, dans un murmure rauque et brisé, sont : « Ne pars pas ».

La demande d’un grand-frère qui ne veut pas avoir à lui dire des « derniers mots » avec qu’elle ne parte. La demande désespérée d’un grand-frère qui voudrait avoir tout le temps pour lui dire tout ce qu’il veut, parce qu’elle ne partirait pas et ne partirait jamais. La demande vaine d’un grand-frère accueillie par un simple sourire de la part de sa petite sœur, avant qu’elle ne disparaisse pour de bon — alors, tout disparaît autour de lui. Hikari n’est plus, Kouta n’est plus, et il sait qu’il est de retour dans son lit, mais il refuse d’ouvrir les yeux. Il les garde résolument fermés, son avant-bras amené sur ses paupières, et les larmes coulent, ne s’arrêtent plus. Plus tard, il regrettera de ne pas avoir dit quelque chose d’autre, de plus percutant, de moins égoïste, comme À bientôt ou Je t’aime ; il regrettera que ses derniers mots à Hikari aient été une demande irréalisable.