THE ONE ADVICE

— Can you do me a favor ?
Ryōta sourit. La cendre tombe de ses lèvres alors qu’il attrape la clope du bout des doigts.
— It depends, sempai. Will you ask me to be bait for some yakuza again?
La mention de l’anecdote suffit presque à étendre son sourire en rire. Les vieux jours de l’auror sont derrière lui à présent, mais se baigner dans ses souvenirs avec un confrère nostalgique apporte toujours une légèreté à son cœur.
— I have an asset. He’s very fragile. A young man. Mizu. He’s in your class, I think. Shirakawa Ujinori. He’s been a bit... off lately. Could you talk to him for me?
Il inspire, souffle la fumée et reprend une autre dose de son poison. Il ne se souvient pas encore de tous les noms et visages, ça s’installe doucement dans sa mémoire.
— I don’t know sempai. The school isn’t supposed to be within your reach. Let the kid be a kid.
— Please, do it for me. For the many times I didn’t let you die in Amsterdam. You remember?
Pris au piège, son visage se contorsionne. L’espièglerie de son ancien collègue l’a coincé dans un angle mort. On lui ressert un verre de saké et il sait qu’il ne pourra pas trouver d’excuse pour le délaisser. Ryōta déteste l’alcool. Il expire en signe de défaite, écrase sa cigarette dans le cendrier, et attrape le verre. L’ingurgite. Répond : “I’ll see what I can do.” Il disparaît.

Le voilà une semaine plus tard, réflexif. Le cours vient de se terminer et il est toujours incertain sur la façon dont il faut approcher le jeune hensoku. D’un côté il a tant à lui dire pour le prévenir de tout ce mal qui le guette et d’un autre, il ne veut pas le brusquer. Laissez-le être jeune et candide encore. Avant que la vie ne frappe et que la mort ne lui dérobe toutes ses joies. Une partie de lui hait son sempai pour lui avoir mis ça dans les mains alors qu’il ne doit plus rien au Bureau. Quelqu’un avait mal compris le sens du mot « démission ».

Toutefois, Ryōta avait pris le soin d’observer ce Shirakawa-kun. Un potentiel infini rencontre une personnalité effacée. Typique des gosses apprivoisés par le gouvernement, comme lui. Haussant les épaules, il fait signe à l’élève de le rejoindre alors que la salle se vide. “Shirakawa Ujinori, it’s you? The hensoku who freezes what he touches.” il ne s’enquiquine pas des présentations et des faux semblants. Conscient de le faire fuir s’il était trop violent. Le problème avec les mecs du gouvernement qui gérait ce genre de dossier ; c’est qu’ils ne comprenaient pas leur sujet. Ils récupéreraient —  achetaient parfois — des gosses isolés, déboussolés, orphelins, et les foutaient dans un camp de concentration pour anomalies, en pensant que Mahoutokoro allait les éduquer à la place de leurs parents décédés. Puis ils enchaînaient les enfants, tous pareils, les assujettissaient au système sans jamais comprendre leurs tourments. “Can we talk? I won’t take too much of your time, I promise.” Il lui lance un sourire qui se veut réconfortant. Veut le rassurer car il n’a rien à craindre de lui. De ce retraité qui ne cherche que son briquet dans sa poche. “You mind if I smoke?” demande-t-il doucement, mais la cigarette est déjà entre ses lèvres avant qu’une réponse soit entendue.

Formation au goût de prison. Pas sa décision. Seulement celle de ses bourreaux. La conclusion parfaite pour ses entraînements. Ceux visant à faire de lui une arme. Un molosse à la laisse bien courte. Lui si fragile, si faillible, qui passait tous les entretiens psychologiques haut à la main. Le petit prince savait exactement quoi dire, quoi faire, pour rester dans les grâces de ses maîtres. Son esprit, pourtant, n'était que tempête. De si nombreux doutes l'assaillaient. Pourquoi les servir ? Pourquoi les servir comme ça, surtout ? Baguette infligeant les pires maux aux ennemis du gouvernement. Les autres hensoku en premier. Oiseaux de malheur. Les cours n'étaient que la continuité des sévices qu'il avait subi toute sa vie. Peu intéressé, mais forcé de se donner corps et âme dans cette quête de la perfection. Devenir l'arme parfaite. Chaque leçon était gravé au fer rouge dans son esprit. Tatouage indélébile, pour que jamais il n'oublie comment détruire. Une journée comme les autres, pris au piège entre ces quatre murs. Presque comme les autres. Les visages des intervenants changeaient, au gré des lubies du directeur. Mais jamais un faciès n'avait été aussi intéressant. Yoshida-sama, si séduisant derrière les volutes d'éternelles fumées l'accompagnant. Lui au regard trop insistant. A l'intérêt bientôt dévoilé.

La sonnerie retentissait, signalait enfin la fin du supplice. Pour tous les autres, oui, mais pas pour Ujinori. Simple litanie lui coupant le souffle, aussitôt entendue. Hensoku. Gêlé. Toute la vérité, sur ce qu'il était. Le monstre qu'il était. Regard paniqué évaluant immédiatement la situation. Découvrir qui seraient les témoins à occire. Personne. Personne d'autre que lui, et cet étranger qui en savait beaucoup trop. La panique le gagnait, incontrôlée. Il peinait grandement à ne pas laisser son malaise paraître : ses membres tremblaient, son souffle se faisait court. Rien n'allait. Le mizu voulait fuir. Fuir cette confrontation. Mais il n'en avait pas le droit. Se devait de comprendre. Et de tout faire disparaître, éventuellement. Saurait-il maîtriser son enseignant ? Impossible. Mais s'il s'avérait contre eux, Ujinori n'aurait qu'à mourir en essayant. - What the fuck is wrong with you ? La politesse envolée. La colère grondait, par dessus la peur. Comme un animal blessé, apeuré. Prêt à se débattre face à ce dangereux prédateur. - Do I even have a choice ? Why... Déglutissement bruyant. Juste le temps de retrouver sa salive. - Why would you say that, when anyone could have heard ? Are you insane ? Justifié dans sa colère. Indifférence quant au fait qu'il soit son professeur.

La distance qui les séparait, bientôt plus qu'un lointain souvenir. Besoin immédiat de fondre sur sa proie. L'atmosphère était... électrique. Ou plutôt glacé. L'air s'était fait humide, froid. Son hensoku et ses pouvoirs de godaï ne faisaient plus qu'un. Agissaient sans son consentement. Préparaient la scène, pour un éventuel bain de sang. - I don't care. That's completly irrelevant. Le regard se faisait inquisiteur. Étudiait son professeur dans les moindres détails. Cherchant une faille, un signe de faiblesse, n'importe quoi. - How do you know that ? Who are you, really ? Tant de possibilités. L'un des pions du gouvernement, ici pour le surveiller ? Peut-être. Ou alors un révolutionnaire. L'un de ces détraqués persuadés qu'à force de pleurnicher et s'énerver, le monde changerait. Mais le monde entier était perdu, pourri. Il n'y avait rien à sauver. Il fallait seulement survivre. Les poings serrés, Ujinori attendait patiemment que son interlocuteur daigne répondre. Sûrement après avoir allumé sa cigarette. Quel sens incroyable des priorités. Le petit prince était outré. Outré par tant de désinvolture, quand lui se sentait mourir de peur. Tout changerait, aux côtés de cet étranger. En bien ou en mal. Restait encore à savoir, si cet abruti d'homme des neiges serait en mesure d'entendre, et comprendre.

Maître du voile et des incantations silencieuses, Ryota s’était bien dispensé de révéler que la salle était protégée par une barrière de silence couplé à un sortilège d’impassibilité. N’est pas auror qui veut. L’ex-espion considérait la discrétion comme l’une de ses plus grandes qualités. Pourtant la salle était vide, loin des oreilles attentives et des col-blancs curieux. Il n’y avait que ce bon vieux Yoshida-sensei, au nom mystérieux et au visage chancelant. “No one heard.” lui assure-t-il. La cigarette coincée entre les lèvres, il l’allume doucement sans briquet ni baguette. La magie du sorcier est invisible. Mais le feu répandu entre les prunelles du jeune homme aurait pu étinceler son poison. Il le laisse répandre sa panique, inspirant profondément sa nicotine, car il a été maladroit sur son entrée. Avec le recul il réalise qu’il aurait dû se présenter, le mettre en confiance et lui expliquer la situation. Mais bon. Si Ryota était diplomate, ça se saurait. De nombreuses guerres auraient été réglées avec son sourire.

Il s’appuie contre son bureau, les yeux droits dans ceux d’Ujinori, et les flocons qui froissent l’air lui fait ravaler son sourire. Bien que la température s’humidifie naturellement et que les pointes du professeur se mettent à friser, il ne se sent pas en danger. A aucun instant, aucune seconde, Ryota n’a pensé être vulnérable devant le hensoku. Pourtant, ce dernier pourrait le terminer en un seul toucher, lui dire adieu et envoyer des roses à ses funérailles, mais arriverait-il même à atteindre sensei ? Ou perdrait-il sa main au moment même où il lèvera son petit doigt ? “I suggest you to calm down, Shirakawa-kun.” Son ton s’était légèrement durci. Devait-il le menacer ? Ça le mettait mal à l’aise. Après tout, c’était qu’un enfant. Apeuré, solitaire, perdu. Son reflet d’il y a vingt ans. Non à tout ça. Ryota choisissait la douceur. “Emotions trigger your powers. If you don’t control yourself, you’ll get hurt.” Il ne précise pas comment. Il ne lui explique pas qu’il pourrait briser ses os de mille façons différentes et lui retourner le cerveau d’un seul regard. Il préfère le prévenir que le plus grand danger pour lui était lui-même.

Soudainement, Ryota comprend pourquoi son sempai lui a demandé cette faveur. Ce gamin était désaxé. Il tire une autre taffe dans un calme olympien et décide enfin de s’introduire. “Judging by your reaction I get you haven’t kept track of my class, or else you’d know I used to be an auror.” Il esquisse un sourire réconfortant, presque amusé. “Don’t worry, I don’t work for the government anymore. Your secret is safe with me. You think you can trust me?” La confiance n’est jamais aisée et encore moins facile à installer, mais il est patient. Attendre n’a jamais été un problème. Caresser cet animal sauvage, traiter ses blessures et lui promettre qu’il avait un beau futur loin des manigances du Ministère était sa mission. Ryota n’était plus espion, ni clébard du gouvernement, il était intervenant et aubergiste. “You know, if I wanted to kill you you’d be lying cold by now. (Léger rictus) Sorry, I didn’t intend the pun.” Au moins il n’avait pas perdu son légendaire humour, paroles malicieuses d’un daichi facétieux.

Malgré les paroles réconfortantes de son interlocuteur, Ujinori ne parvenait pas à calmer l'angoisse qui le prenait au plus profond de ses entrailles. Oui, plus personne n'était là, déjà. Aucune oreille indiscrète pour mettre en péril le secret du jeune homme. Et l'allusion évidente au sortilège d'impassibilité, qu'il n'avait pas pressenti. Une erreur de sa part. Une de plus. Tout cela ne le rassurait pas. Le sujet était trop sensible pour que ces maigres précautions le tranquillise. Le petit prince était habituellement maître de ses gestes. Le visage de marbre, ne laissant jamais apparaître la tempête qui sévissait dans son cœur. Rien n'était contrôlé, en cet instant. Ses doigts tremblaient, ses traits étaient figés dans une moue paniquée. Qui était cet étranger ? Son nouveau professeur, certes, mais dont il ne savait rien. Juste quelques maigres brides d'information. Des informations capitales, qui auraient du lui mettre la puce à l'oreille. Instinctivement, Ujinori était venu chercher une cigarette dans la poche de son blouson. Comme s'il voulait se faire miroir de l'ancien auror. Et quelque part, il était vraiment sa réflexion. Un lui plus vieux, plus sage. Comme une image de ce qu'il serait un jour, peut-être, s'il ne devenait pas fou avant. Pas l'audace de l'allumer. Pas encore. Signe évident de ce fossé, entre eux. L'un se maîtrisait. L'autre pas.

L'air se faisait de plus en plus froid. Venait confirmer ce que Ryota savait, de toute façon, déjà. La nature de ses pouvoirs. Cet iceberg à la place du cœur. Et la femme des neiges, trônant fièrement au milieu de tout cela. Le plus âgé des deux ne cillait pourtant pas. Ujinori ne questionnait pas son aplomb. Il était bien trop évident pour le remettre en question. Comment ? Comment pouvait-il être aussi assuré, face à un tel danger ? Ce qui hantait les nuits du petit prince, c'était cette potentialité de tout détruire. Ce danger qu'il représentait. Mais en n'esquissant rien de plus qu'un sourire, son professeur parvenait à tempérer sa peur. Un peu. Un premier pas, important. - To hell with you, and your suggestions. Le timbre se voulait tout aussi impérieux, dur, mais il ne parvenait pas à l'égaler. Comment aurait-il pu face à l'expérience, le grand âge, incarné ? Il lui était inférieur, à bien des égards. Le pressentait, et détestait ça. - How do you know that ? Why would you say that ? Tous les pouvoirs hensoku ne fonctionnaient pas pareil. S'il lui disait ça, c'est qu'il connaissait son cas, son dossier. Une information protégée. Était-il un énième chien du gouvernement, placé là pour le surveiller ? Possible, compte tenu de ses récents excès. De sa propension à s'écrouler.

Les palabres de ce presque inconnu continuaient à l'accabler. Et étaient, pour une fois, maladroites. Donnait une opportunité à Ujinori de se relever, un tant soit peu. Ils étaient deux, désormais, à ne pas tout saisir. - I said « who are you, really », not « who are you ». Le visage dégivré, reprenant un semblant de couleur – Being an auror doesn't change a damn thing. And I kept track of your class, you'll see when the time comes to grade us. You won't have much to say. Qu'il soit désintéressé ou pas, le petit prince donnait toujours le meilleur de lui-même. Excellait, dans ses études. Il n'avait pas d'autre choix, de toute façon. - Is that supposed to comfort me, that you're not working with them anymore ? On the contrary. It's way worse. Ses sourcils se fronçaient, délicieusement. Il ne comprenait pas. Pourquoi lui disait-il tout cela, se préoccupait de lui ? - So, again, who are you, really ? Why are you here ? Who sent you ? Ujinori restait aux aguets. Peu certain de la bienveillance de son interlocuteur. Et s'il était là pour le tester ? Ou le faire flancher ? Aucune erreur n'était permise. - I can't trust you if you're threatening me. I'm not amused, at all. Speak up. S'il pensait le convaincre en le laissant envisager une mort prochaine, il se trompait cruellement. Déjà car il se fichait pas mal de trépasser, et surtout car c'était la pire idée possible.

La mission s’annonçait plus compliquée que prévue. Ce qui partait d’une bonne intention avait fini par pourrir sur ses lèvres à cause de sa maladresse. Pris d’embarras, il cherchait les bons mots à employer mais aucun ne vint à lui. L’explication serait compliquée et l’étudiant s’empresserait de fuir dans l’autre sens. Les relations humaines n’avaient jamais été son forte. Si bien qu’il avait été aveugle aux émotions des autres la plupart de sa vie. C’était regrettable de constater que Ryota s’était tellement isolé qu’il avait oublié la chaleur humaine. Un autre point commun qu’ils partageait. Il relâche un soupir bruyant, défait par la panique d’Ujinori, et s’appuie contre une table. “Hm, how to explain...” rumine-t-il en balayant la salle du regard. Evidemment, il aurait dû commencer par se présenter au lieu de l’assommer de questions et d’éclater ses secrets. Il aurait réagi pareil à sa place, si ce n’est pire. “I’m sorry, I didn’t want to frighten you. It was just... a bad joke.” Un très mauvais jeu de mots qui plus est. “A sempai asked me to check on you because he was worried you were... self-destructing? Is that the correct word?” Le monstre s’efforce de plaquer un sourire rassurant. La gêne lui fait chercher son paquet de clopes, sans succès. Tant pis, il devra faire sans. Tout crispé, Ryota relâche en douceur : “Truth is, I went through the program as well. So I know a thing or two about how you must be feeling right now.” La confidence est sortie. Lui-même avait oublié ces histoires si ce n’était l’artefact à son poignet qui lui rappelait le monstre qu’il était. Les traumatismes ont été enfouies il y a bien longtemps. Ils sont rayés dans son fichier classé confidentiel. La suite de l’histoire est moins triste qu’elle ne parait. Loin d’un avenir radieux, il a tout de même réussi à se construire une situation et à surmonter ses peurs. C’est ce qu’il essaye de lui faire comprendre. Si seulement il pouvait arrêter d’avoir peur.