LEAVE A LIGHT ON

Tard. Il était tard. Si tard que la nuit ne ressemblait plus à rien. Les rues étaient désertes et il n’y avait qu’un vieil homme comme lui pour se sentir tant à l’aise sous la pénombre. A faire sa balade nocturne comme si les conventions du monde lui échappaient. Le sang dégouline de son coude et laisse des traces persistantes derrière lui. S’il était plus jeune et plus fougueux, il montrerait cette blessure comme une fière cicatrice de guerre. Or, le vétéran s’est assagi. A la place du danger, il veut la quiétude d’esprit. Voilà pourquoi les lueurs de la lune sont si reposantes pour l’ex-auror.
Au détour d’un champ de fleurs, il remarque une silhouette affalée sur un banc. Étrange vision. L’hiver est trop froid pour s’assoupir avec le vent. Une expression d’inquiétude passe sur son visage. Ryouta s’avance avec précaution vers la masse sombre, prêt à tout moment à dégainer sa baguette au cas où un sans-abri lui tombe dessus. Ce qu'il observe n’est qu’un sac de peau pâle recroquevillé sur lui-même, cris et gémissements plus fort que les sirènes de voiture. Il passe un moment à analyser et puis : il soupire. Ce n’est qu’un enfant au visage sombre. Est-il en train de faire un cauchemar ? Il n’en sait rien. Le vieil homme secoue l’étudiant qui se réveille d’un coup sec. “You’re okay, kiddo? It's pretty cold out there.” Il suit le regard paniqué jusqu’à sa chemise blanche peinte à l’écarlate. Situation tendue, comment expliquer à un gosse les pénibles activités qui le poursuivent ? Il esquisse un regard gêné alors qu’il tente de cacher les tâches rouges derrière son blouson. “Ah... Don’t mind those.” Au lieu de parler de lui, il préfère s’occuper du dormeur. Comment est-il arrivé ici et comment le ramener chez lui en sécurité ?

sauvagerie
à la fatalité.
tout est démesuré. contrôle qui se perd dans le silence, vagues à l'âme. tout se meurt. et les desseins deviennent flous, schémas qui s'estompent au fur et à mesure. rêves prétentieux, ô ils s'immolent dans les azalées, loin des contrées envoûtées ; this is the end. à en sentir respiration coupée, à en deviner silhouette vocifère, il est venu le chercher, le récupérer. pour le ramener à la maison, corps allongé sur cette table si froide, peau glacée sous les touchés discrets. panique qui s'étiole quand les émanations d'air se font feu interne, à ne plus pouvoir en stopper brasier incandescent.
you're a dead man
à siffler dans le crâne bloqué,
à en laisser vipères l'en emporter.
il ne peut plus bouger, combat perdu d'avance, quand il ne sait comment se débattre, quand les fonctions motrices ne répondent plus aux signaux du cerveau. il le sait, la fin est proche, l'enveloppe dans un cocon habile. il ne pourra plus jamais fuir. prisonnier de cette cage dorée, retournant embrasser ses chaines évaporées. karma ne sera plus qu'un souvenir enfoui, quand hyuk reprendra sa place, refaisant surface de dessous la glace.

fugue de l'esprit,
ô nuitée profonde,
l'âme n'a trouvé apaisement.
car les songes ont poursuivi l'esprit, tourmentes singulières qu'il a appris à côtoyer, chaque jour passant, en laissant amertume sur le bout de la langue. fatigue voyageuse à l'emporter dans des mondes calamités, lui ne pouvant s'en défaire quand le corps s'en retrouvait paralysé. victime de ses propres fièvres, angoisses latentes qui ne savaient comment égrainer. il s'égarait, là où les mystères se contemplaient, à en affaiblir battant fragmenté. c'est qu'il aurait aimé s'échapper, mais la fuite n'avait jamais été option possible.
quand le sommeil dominait,
à le faire s'effondrer qu'importe où.
banc trouvant grâce sous son regard avant d'en perdre conscience de la réalité. à ne pas savoir quand l'éveil provoqué, si les cauchemars se sont invités devant les onyx. à en observer l'homme se trouvant en face, cruor dégoulinant sur les habits de lumière. respiration coincée dans la gorge, à tenter d'en déglutir vainement. car c'est tout son être qui s'en retrouve ankylosé, de ces mouvements qu'il ne sait pouvoir maitriser. what can i do now si la disparition est impensable.
— i- voix flouée
il ne sait plus comment parler. à en laisser étau se resserrer, à en sentir palpitant accélérer ; peur dévorant les entrailles ravagées. lui reste-t-il encore un peu de force pour s'en relever, pour laisser les jambes courir, en chanter formule magique. mais rien ne vient. seul le silence domine. yeux rivés sur le rouge qui s'effiloche. et les souvenirs frappent fort, à en voir paternel agonisant.
who are you and what do you want
jamais épanché sur le creux des pulpeuses fermées.

Ryota observe l’inconnu sur le banc, un simple gosse en sueur poussé hors d’un cauchemar. It’s okay, I have them too. Ces sales rêves qui hantent les éveillés. Plus énormément maintenant, depuis que la belle blonde a quitté son esprit et que son cadavre gît fraichement sous la pierre tombale. Il fait ses nuits comme un nouveau-né, bercé par toutes les possibilités de demain. Il pose sa main sur son épaule, hésitant car ce n’est pas dans ses habitudes de toucher des inconnus. Mais il a l’air si froid, cadavérique même. L’hiver ne l’a pas épargné, et qui sait d’autre ce qui pourrait lui arriver dehors. I- balbutie-t-il à l'approche de l'ex-auror qui le retient de tomber. “It’s okay... You’re alright...” tente-t-il de lui imprégner. “I won’t hurt you.” Paroles difficiles à croire lorsque le vieil homme est lui-même tâché d’un carmin brillant sur le coton. Mais c’est vrai : Ryota ne ferait pas de mal à une mouche. Enfin. Tout dépend de la situation. Il passe sa main sous son blouson, chatouille Mausu, sa fidèle baguette, avant de réaliser que ce n’est peut-être pas la meilleure solution à leur problème. Va-t-il apeurer encore plus l’enfant ? Tant pis, il se doit d’essayer. Le bout de sa baguette s’illumine d’un lumos silencieux et la balance entre les deux yeux du gosse. Il l’invite à suivre la lumière en imitant une respiration profonde. “It’s okay, breathe. Follow the light.” Ça devrait apaiser ses terreurs, abreuver un somnifère à son angoisse quelle qu’elle soit, le calmer assez longtemps pour qu’il lui donne au moins son nom.

il maudit les divins karma,
à venir se moquer de lui ouvertement,
à lui en faire perdre haleine — tête massacrée.
c'est contre le bitume que tout cogne, quand dans le corps plus rien ne danse, tout est figé, pétrifié. il ne reste plus aucune aspérité, elles se sont envolées. loin, si loin qu'il ne peut plus les atteindre. alors il n'a plus réellement le choix, il doit les affronter. ces démons qui s'étiolent, rigolent de sa situation. ô il voudrait pouvoir être capable de tout détruire, de mettre à feu et à sang ce monde insolent. mais karma n'est que fragilité, poupon délesté sur le bas côté.
et le voilà aux tenailles des diables,
à laisser cruor flamber sous les iris éveillés.
il n'aime pas cette peur qui s'immisce au fond des entrailles, quand sa main vient s'échouer sur son épaule et que le mouvement de recul est intact. a-t-il bougé ? c'est à peine si son déplacement est perceptible. cela n'est qu'un cauchemar, il ne tardera pas à réouvrir les yeux sur la réalité fatale. à se faire bercer par sa voix, elle n'a rien de terrifiant, elle est plutôt apaisante. ô karma, cesse donc d'être dupe. ils jouent tous à ce jeu là, celui du bon samaritain avant d'enfoncer le poignard.

karma le sait,
karma le sent,
vivement sous la poitrine,
quand les onyx suivent sa main qui se glisse sous sa veste. maintenant c'est la fin. elle approche avec sa faucheuse, prêt à lui trancher la tête. sentira-t-il la douleur quand tout l'assaille vivement. à en voir lumière éclairait l'horizon ; am i dead quand il se questionne sur chaque intention. pourtant la voix revient le porter au gré du vent. et étrangement sa respiration se détend, souffle qui retrouve un rythme lent.
— is this heaven
sans comprendre que les paroles sont proclamées,
il croyait simplement penser — illusion non maitrisée.
à venir en relever le regard, le déposer sur son âme. les mains tremblent encore, les lèvres ne se sont jamais fermées. et la déglutition est douloureuse, le froid glacial vient le mordre violemment. à en laisser la tête se pencher, soupir tranchant sur les lippes.
— i'm not dreaming, right ?
il est bien là, se tenant au devant. vermeil dans son manteau blanc.

Sa bonté le perdra un jour. Ryota pourrait continuer sa route, nez levé dans les étoiles, humant cet air de janvier. Quels sentiments encore — ces embêtants sentiments — l’avaient encouragé à s’arrêter sur un gamin endormi sous des bourrasques. Ne ressentait-il donc pas cette fraîche et rude nuit d’hiver couler sur sa peau ?
— is this heaven
Il n’a pas de réponse à donner au gamin. La terre est rugueuse, la nuit est froide ; les matinées s’enchaînent et rien ne change. On dirait que la vie est cyclique et qu’au final, enfer ou paradis, rien n’a d’importance. Rien ne peut batailler cette existence vide. Il veut lui répondre que les kami sont plus cléments qu’ils en ont l’air, que les yokai jouent d’eux mais ne se moquent jamais. Ne narguent les pauvres mortels qu’ils sont. Il hésite Ryota ; sa voix s’assure et récupère cette force qui lui est propre. “I’m sorry, you’re very much alive.” Car il connait bien ce sentiment de vouloir mourir, d’attendre que les entrailles se déchirent pour ressentir quelque chose. Il se veut compatissant, compréhensif, aimant. Aide l’autre, même si l’autre te considère comme un monstre. Et il pourrait lui montrer ce qu’est l’enfer. Il lui suffirait de retirer ses reliques au poignet pour laisser le démon sortir, repeindre son corps d’écailles et de plumes – une chimère maléfique dénuée d’humanité. Aimerais-tu ça, petit ? Voudrais-tu vivre mon cauchemar ?
— i'm not dreaming, right ?
Il soupire. Le rêve a dû être tendre, comme les rêves sont supposés l’être : délicieux et bienveillants. Ses yeux traînent sur le somnambule, à demi-éveillé, entre rêve et réalité, enfer et paradis, une dichotomie cruelle. “No, sadly, you’re not.” répond-t-il en toute simplicité, voix rêche qu’il éclaire. Le froid atteint sa gorge et glace sa peau. L’inquiétude le saisit à nouveau. “It’s freezing cold.” lui fait-il remarquer. “It’s no place to take a nap.” Mausu, sa fidèle baguette, transforme le point de lumière en point de chaleur qu’il applique sur la peau du garçon, espérant lui apporter de son intarissable ardeur. L’aubergiste n’avait pas besoin d’une énième mort sur la conscience.

et il faudrait arrêter le temps,
rien qu'une unique seconde — ultime,
à en faire relever que ce monde est sa propre réalité.
quelque peu étourdie, sauvagement meurtrie. karma n'est pas dans un rêve, pourtant il ne sait plus en distinguer les pans des vérités. à toujours se questionner ; am i sleeping or my brain is just messing with me quand la seconde réponse est souvent la seule qui se déploie. karma ne dort plus, karma ne respire plus. il est égaré dans ces souterrains où la lumière ne se diffuse plus, où les démons s'amoncèlent pour s'accrocher à sa chair.
et il déteste ça.
au point d'en faire glisser soupir,
d'en bouger le corps comme si ça aiderait.
mais tout n'est que supplice additionnel. à faire comme si de rien n'était, à ne pas prétendre que les songes l'ont ramené dans leur berceau. ô karma, tu ne rêves pas.
— oh, i see
de sa voix si faible,
souffle porté par le vent.
à presque en esquisser déception sur le visage. surement qu'il aurait préféré assumer qu'il était finalement mort. à en avoir rejoint les cieux, là où plus rien ne pourrait l'atteindre. là où les divins ne lui imposerait plus ce poids sur les épaules.

quand les mots s'en délitaient,
que les évidences tombaient — à la volée.
lui en prenait peu à peu connaissance, à laisser sa conscience revenir. il avait trop vite réalisé que tout ceci n'était pas un cadre inventé. il s'était assoupi, dans le froid mordant, à se demander s'il viendrait en être réveillé. you could have let me here, dying quand au fond c'était un peu ce qu'il souhaitait. en rejoindre les anges, et leur étreinte délicate.
— ah probably it isn't... i guess i didn't pay attention to the cold when my body just gave up on me
car c'était l'habitude qu'il avait pris,
ne plus rien contrôler, il ne faisait qu'obéir,
à ces ressentis qui le traversait, le poussait à agir inconsciemment.
— i'm sorry about that
quand les mains s'amenaient près de la source de la chaleur, à en dérober la seconde quand il se rappelait que le métal était encore visible. à venir en laisser le corps se reveler fébrilement. il oscillait, jambes flageolantes qui le maintenaient avec peine.
— thank you for helping me
d'un sourire confus, quelque peu suggestif.
quand les onyx reportaient leur attention sur les trainées rougeâtres.
— are you hurt somewhere ? maybe i could help. i mean i'm quit bad at casting spells but, it's the least i can do
car si ce n'était pour lui,
karma aurait laissé la vie le quitter,
ultime souffle sous la lune de janvier.