everything comes in waves

everything comes in waves
06.02.2022[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image][Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Assis sur le sable, Haruka joue machinalement avec ses mains dans le sable, les grains passant à travers chacun des espaces entre ses doigts. Il ne sait pas pourquoi il a proposé de passer la journée à la mer alors qu’il a bien conscience du traumatisme de son meilleur ami avec l’eau. Il en connaît les raisons et la profondeur, pourtant quand il a proposé, Kouta n’a pas refusé, alors ils ont passé une après-midi assez insouciante, d’abord au restaurant, ensuite dans La Grotte, pour y prendre de belles photos. Les discussions sont restées assez simples, et maintenant, Haruka ne trouve plus rien à dire, alors le silence s’est installé, et il se remercie d’avoir proposé la plage. Au moins, le bruit des vagues, répétitif mais reposant, emplit le silence entre eux.

Il ne sait pas vraiment ce qu’il a fait de mal, mais il sent que Kouta lui cache quelque chose. Ce n’est pas quelque chose de rare — il a tendance à garder les choses pour lui depuis toujours. Cependant, il ressent dans la façon de parler de son ami d’enfance, dans sa façon de ne pas être entièrement honnête quand il lui dit que tout va bien, qu’il a fait quelque chose qui les empêche de s’amuser autant qu’ils l’auraient pu. Jusqu’à là, il a préféré fermer les yeux, espérant que le sujet finirait par être abordé, et les choses mises à plat. Ça n’a néanmoins pas été le cas, et puisque le silence est installée entre eux, il hésite à crever l’abcès.

 « C’était cool comme aprem quand même, non ? » Il force un sourire sur son visage sans pour autant tourner la tête vers Kouta, la mine faussement concentrée sur le sable qu’il fait passer d’une main à l’autre, comme un enfant. « J’avais besoin d’air frais, je suis désolé de t’avoir traîné ici » Il avait besoin de voir autre chose que les bâtiments, les rues et les gens, il avait besoin de regarder quelque chose d’aussi grand et profond que la mer pour se rendre compte que malgré l’ampleur de ses problèmes, ils seront toujours moins conséquents que la grandeur de l’océan. « Dis-moi Kouta, t’es sûr que tout va bien ? » Finalement il aborde le sujet, après deux phrases faites pour remplir les silences, réflexe habituel dès que Haruka se sent mal-à-l’aise — Kouta aura probablement compris que si Haruka voulait remplir les vides, c’est qu’il était préoccupé par quelque chose d’autre, comme toujours.

everything comes in waves
06.02.2022[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image][Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

La mer, Kouta ne l’aimait pas plus que ça. Elle lui faisait peur, elle lui donnait l’impression qu’elle pourrait l’engloutir à tout instant et que lui aussi, se mettrait à se noyer, à battre des bras, à s’étouffer, à produire des bulles à la surface jusqu’à ce qu’il n’ait plus aucune force et soit entraîné par les profondeurs de l’eau. Mais s’il avait accepté de venir ici, c’était parce qu’il voulait surmonter cette peur (de toute façon, ce n’était pas dans la mer qu’elle s’était noyée, mais dans une piscine). Alors le voilà, assis sur le sable avec Haruka, les mains en train de jouer distraitement avec le sable. Ses ongles en étaient remplis et ses pieds nus s’enfonçaient dans le sable, les chaussures et chaussettes posées à côté de lui. Il faisait froid en hiver, le vent qui soufflait sur eux était encore plus froid que celui qui soufflait en ville, alors Kouta rabattit sa tête dans son écharpe, l’enfonçant un peu plus à l’intérieur. Manteau fermé, les jambes assises en tailleur, il fixait du regard les vagues. Haruka avait arrêté de parler et laissait le vide s’installer entre eux, les discussions aujourd’hui n’ayant été que de surface. Ça arrangeait Kouta, il ne voulait pas parler de ça. Il ne voulait pas parler de ce qu’il avait découvert, ce qui le mettait autant mal à l’aise avec son meilleur ami. Pourtant, il ne pouvait pas éviter le sujet pendant l’éternité.

Quand Haruka lui demanda si ça allait alors qu’il lui avait déjà demandé plusieurs fois pendant leur rendez-vous, Kouta comprit que Haruka avait compris. Il avait compris que Kouta lui cachait quelque chose et il voulait qu’il lui dise. Kouta déglutit, relevant doucement sa main du sable, celui-ci coulant en filets entre ses doigts. « C’était cool, oui, » répondit-il aux premières remarques, comme s’il n’avait pas entendu la dernière question. « Ne t’en fais pas, ça m’a fait du bien aussi, de voir l’océan. » C’est un mensonge, mais Kouta était habitué à mentir. Il était cependant toujours mal à l’aise à l’idée de le faire, alors quand il ne voulait pas mentir, il ne répondait pas, mais le silence qui s’étendait entre eux le poussait à prendre la parole. Le sable entre ses doigts avait disparu, il ne restait plus rien. Le sablier s’était écoulé. Le temps de pause était fini. « Je vais bien, » dit-il, tout d’abord, pour préparer le terrain. « À une période, pas vraiment. » Il marqua une pause. « Quand je suis entré à l’académie d’art, je me suis toujours demandé pourquoi j’ai eu cette chance. Je n’avais pas ma place, là-bas. Et j’avais raison, j’ai été discriminé parce que j’étais un cracmol, pauvre ; différent. Encore aujourd’hui, je regrette d’avoir accepté l’offre. J’aurais mieux fait de rester à dessiner dans mon coin. Car maintenant, je culpabilise de ne pas avoir su profiter de ma chance, d’avoir déçu Maman et d’avoir dépensé l’argent de quelqu’un d’autre dans le vide. » Il pinça ses lèvres et tourna la tête vers Haruka, le regard teinté de détresse. « Pourquoi est-ce que tu m’as donné cette chance, Haruka ? » Pourquoi est-ce que tu m’as payé des études que je n’ai même pas su aimer, et pourquoi est-ce que tu me l’as caché ?

everything comes in waves
06.02.2022[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image][Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Le silence est rempli par le bruit des vagues, le bruit du vent, le bruit du sable qui coule entre les doigts de Kouta. Il n’a pas tourné la tête, toujours pas, quand ce dernier commence à lui répondre. Pourtant, sans même le regarder, il sait qu’il lui ment. Il sait que son ami n’a pas été soulagé, ni par la mer, ni par l’après-midi, et il sait que même s’il le relevait, Kouta ne l’admettrait pas. Il voulait lui faire plaisir, lui faire croire que ça l’avait aidé. Alors Haru ne relève pas.

Puis le silence retombe. Le bruit des vagues, le bruit du vent, le bruit du sable, encore. Il entend son coeur battre dans sa cage thoracique, aussi, il sent le vent frotter son visage, ses cheveux, il entend sa propre respiration. Il a l’impression que l’instant s’éternise, comme si le temps s’était arrêté, et quelque part il aurait aimé que ça soit le cas. Ici pour toujours, assis sur le sable, face à la mer, loin de tout.

Quand son meilleur ami prend la parole, son ton a changé. Il n’en faut pas plus pour que Haruka comprenne que ça y est : il va parler. Il ne se sent pas soulagé pour autant, pas comme il l’aurait espéré en tout cas. Le poids dans sa poitrine ne s’envole pas, peut-être parce qu’au final, ça ne fait que confirmer qu’il y a bel-et-bien eu quelque chose. Une part de lui aurait préféré qu’il se soit fait des idées, qu’il n’y ait aucun problème.

Très vite, il sent une boule de malaise s’installer dans sa gorge. Comme si le sol s’ouvrait sous ses pieds. Le sujet de l’académie ne peut signifier qu’une chose et Haruka a toujours redouté le moment où Kouta l’apprendrait. Les années étant passées, il avait fini par croire que ça n’arriverait pas et ça l’avait soulagé. Il ne regrette pas ce qu’il a fait à l’époque, pas une seule seconde — mais ça n’enlève pas pour autant la peur de la réaction du jeune homme lorsqu’il l’apprendrait. Lui en voudrait-il de lui avoir caché quelque chose d’aussi gros ?

Son malaise ne fait que s’agrandir au fur-et-à-mesure de la confidence de Kouta, pour finalement se transformer en culpabilité qui lui sert le coeur. Elle est dans sa gorge, la boule de nerf, celle qui est difficile à avaler, qui lui fait physiquement mal. C’est parce que Kouta culpabilise par sa faute que lui-même culpabilise. Ce sont les mots « encore aujourd’hui, je regrette d’avoir accepté l’offre » qui lui font sincèrement regretté d’avoir abordé le sujet. Finalement, il n’aurait pas dû demander à Kouta ce qu’il se passait.

Sa vision panoramique lui permet de voir que Kouta a tourné la tête vers lui, mais Haruka, lui, très volontairement, garde la tête baissé vers ses mains, plongées dans le sable. La question qu’il lui pose reste longtemps, très longtemps, sans réponse. Il se met à dessiner des choses dans le sable, nerveusement, il aimerait que Kouta abandonne, que la question reste sans réponse à jamais et que tout redevienne comme avant entre eux. Mais ça n’arrivera pas, alors il finit par répondre. « Pourquoi est-ce que je ne te l’aurais pas donnée ? » demande-t-il finalement, sa voix est un peu brisée. « Parce que c’est une chance que tu aurais pu avoir si ta mère n’avait pas été injustement virée par mes parents. Parce qu’elle aurait pu économiser et t’offrir ça. Parce que c’est quelque chose que ma famille te doit, parce qu’ils vous ont accusé de quelque chose qui était de leur faute uniquement. Parce que c’était la seule chose que je pouvais faire pour te soutenir de loin. » Finalement, il arrête tout mouvement, lève la tête et la tourne vers le jeune homme. « Parce que j’avais envie de te voir heureux et que je ne savais pas que tu le regretterais toute ta vie. » Il y a peut-être un peu de rancœur dans sa phrase, parce qu’il aurait aimé que Kouta ne dise pas. Il aurait aimé qu’il ne prononce pas ces mots précisément, qu’il ne lui donne pas l’impression d’avoir été égoïste et d’avoir voulu faire ça pour se sentir bien lui-même, et non pas pour que Kouta se sente bien, parce qu’à l’époque, Haruka l’avait vraiment fait pour Kouta. Pas pour se sentir bien à propos de lui-même.

everything comes in waves
06.02.2022[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image][Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Quand Kouta repensait à l’opportunité donnée pour intégrer une académie d’art, il y avait un goût amer dans sa bouche. Les mots « tu as de la chance ! » qui se répétaient en boucle, prenant d’abord la voix sincère de sa mère, puis les voix méprisantes de ses professeurs, pour finir sur les voix moqueuses de ses camarades. Tu n’aurais jamais dû être là, t’es qu’un privilégié, t’es un bon à rien, disaient-ils. Et Kouta pensait aussi, qu’il n’avait rien à faire là. Qu’il n’aurait jamais dû intégrer cette école. Mais quand il se disait ça, pensait le dire à sa mère, avouer qu’il ne voulait plus continuer, il faisait face aux étoiles dans ses yeux : mon fils va à l’école ! Mon fils va à l’école, se disait-elle. C’était vrai. Kouta n’avait jamais eu l’occasion d’aller à l’école, à Mahoutokorou. Parce qu’il était cracmol. Parce qu’ils étaient pauvres et n’avaient pas les moyens d’envoyer Kouta trop loin. Aller à l’école d’art, c’était une chance.
Mais il avait tout gâché.

Les yeux de Kouta se baissèrent sur les formes floues que Haruka dessinait dans le sable. Il n’y avait pas de silhouette particulière, que des lignes qui se croisaient, s’effaçaient les unes par-dessus les autres. Et une fois que Haruka arrêterait de dessiner, les lignes s’en iraient, emportées par les vagues de la mer. Tant d’efforts pour rien.
« Parce que j’avais envie de te voir heureux et que je ne savais pas que tu le regretterais toute ta vie. »
Le souffle de Kouta se coupa. Le choc l’assourdit, ses oreilles sifflant, les yeux s’écarquillant ; son regard vint croiser celui de Haruka, et il vit. Toute la tristesse de Haruka, sa peine, ses regrets.
Haruka aurait voulu voir Kouta heureux, et Kouta n’avait pas réussi.
Les mains de Kouta s’enfoncèrent dans le sable, ses doigts attrapant le peu de matière qu’ils pouvaient attraper, le sable entrant dans ses ongles. C’était désagréable, mais pas autant que la boule qui se formait dans sa gorge. J’ai encore déçu quelqu’un. « Je suis désolé, » marmonna-t-il. « Je suis désolé que ça ne m’ait pas rendu heureux. J’aurais dû, pourtant. Maman m’avait dit ça aussi. Que c’était dommage, dommage que je ne sois pas resté à l’académie. Et toi aussi, tu penses que c’est dommage, que je n’ai pas pu profiter de l’occasion, et que je regrette à la place d’avoir aimé. » Kouta marqua une pause, humidifiant ses lèvres, le regard rivé sur le sable. « Tu ne me devais rien, Haru. Tu n’avais pas à me soutenir de loin, non plus. Tu sais à quel point je me suis senti misérable le jour où le harcèlement s’est arrêté, et que j’ai appris que c’était grâce à toi ? Moi, pendant deux ans, j’ai subi, j’ai voulu essayer de changer, et ça n’a jamais marché, ils revenaient toujours me voir, me voler mes affaires, casser mes crayons, détruire mes peintures, me dénoncer aux professeurs pour des choses que je n’avais pas faites, ils faisaient toujours ça : et toi, il t’a suffi de leur donner de l’argent pour qu’ils arrêtent ? » Kouta lâcha un maigre rire, et tourna sa tête vers Haruka ; le regard voilé de larmes. « Tu sais à quel point je me suis senti pitoyable, pour être pauvre ? » Il sourit légèrement. « C’est quelque chose que tu peux pas comprendre, toi. » Il détourna le regard. « Je suis désolé de ne pas avoir su être heureux. De ne pas arriver à être heureux comme vous voudriez que je le sois. »

everything comes in waves
06.02.2022[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image][Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Ce n’est pas la première fois que Haru a l’impression que ses bonnes intentions ont des mauvaises répercussions sur les autres. C’est même plutôt chose courante, dans sa vie. Il fait les choses pour les autres, pour les satisfaire, pour les aider, et au lieu d’avoir l’effet escompté, ces choses se retournent contre lui. On lui reproche, on lui donne l’impression qu’il n’a jamais pensé aux autres mais d’abord à lui-même, quand en réalité, Haru ne pourrait pas penser moins à lui-même. Qu’est-ce que ça lui a apporté d’inscrire Kouta dans cette école ? Il a dû débourser une somme assez importante en faisant bien attention que ses parents ne l’apprennent pas. Lui qui déteste mentir a préparé des dizaines de mensonges différents, au cas où ils l’apprennent.

Tout ça pour quoi ? Pour que Kouta lui dise qu’il s’est senti misérable à cause de lui ? Pour qu’il lui dise qu’il a subi ? Les mots de son meilleur ami sont comme des couteaux qui émincent son coeur. Ni le sable dans ses mains, ni la mer en face de lui ne le réconfortent. Il pensait qu’un beau paysage rendrait la conversation moins horrible ; il a eu tort. « D’accord. » Il déglutit, comme s’il devait digérer les paroles de Kouta. Sa voix est tranchante, même s’il n’est pas vraiment en colère. Bien sûr que Kouta a subi son harcèlement. Bien sûr que ce n’est pas de sa faute. Mais comment peut-il lui reprocher à lui ? « Eh bien, si je ne peux pas comprendre, pourquoi on en parle ? » Il tourne enfin la tête vers le jeune homme, croise son regard larmoyant et se demande ce que le sien traduit. Est-ce que ses yeux montrent à quel point il est blessé par le mur que Kouta vient d’ériger entre eux ? « Sache juste que j’ai jamais dit que j’ai fait ça pour que tu sois heureux. J’ai dit que je voulais te voir heureux, pas que tu le sois grâce à moi. J’ai jamais pensé que tu serais heureux si tu allais à une école d’art, même sans harcèlement. Je ne suis peut-être rien d’autre qu’un gosse de riche pourri gâté, mais j’avais conscience que même ça ne suffirait pas à combler tout ce que la vie ne t’a pas donné. J’ai voulu te soutenir, pas te rendre heureux. » Et il ne peut pas cacher le reproche dans sa voix, parce que comment a-t-il pu déformer à ce point ses intentions ? Il aurait pu lui dire qu’il a souffert à cette période, que sa tentative n’a pas marché, mais pourquoi aller aussi loin dans ce qu’il dit ? « Laisse tomber. J’ai pas envie que tu t’excuses encore. On dirait que c’est encore moi qui fais tout mal. Je t’explique pourquoi je l’ai fait et tu t’excuses comme si je t’avais reproché l’échec de ma tentative. Est-ce que tu sais à quel point ça me rend misérable, ça ? Comme si c’était ta faute d’avoir été harcelé ou d’être pauvre. Comme si c’était pas précisément de la faute de mes parents que tu es pauvre, et donc que tu as été harcelé. » Il parle plus pour lui-même que pour Kouta en disant ça, un sourire ironique apparaît sur son visage à l’évocation de ses parents. « Laisse tomber. On rentre ? » Il n’a pas envie d’en parler plus longtemps. Il n’a jamais eu envie d’en parler, à vrai dire, mais à quoi ça rimerait de continuer ? De toute façon, c’est quelque chose qu’il ne peut pas comprendre.

everything comes in waves
06.02.2022[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image][Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

La poitrine de Kouta l’oppressait. C’était comme s’ils avaient changé de planète, qu’ils n’étaient plus sur Terre mais sur Jupiter, sur une planète où la gravité était si importante qu’on mourrait immédiatement du choc si on s’y téléportait. Pourtant, il y avait quelque chose qui l’empêchait de mourir, alors il tenait sans savoir pourquoi, le cœur en miettes, les poumons en feu, la gorge brûlante. Il jouait avec le sable sous ses pieds, mais plus rien n’avait d’importance. Il y avait les aveux qu’il venait de faire, des aveux qui ne lui faisaient même pas plaisir à lâcher : parce que maintenant, quoi ? Il avait blessé Haruka et ne pouvait plus faire marche arrière. Il avait commis une grosse erreur (il aurait dû être heureux, il aurait dû être reconnaissant, il aurait dû se taire, il aurait dû tout réprimer, il aurait dû mieux apprendre à sourire).
« Eh bien, si je ne peux pas comprendre, pourquoi on en parle ? »
Kouta se tendit légèrement, le regard planté dans celui de Haruka. Il n’arrivait pas à lire ce qu’il ressentait, pour une fois. Haruka qui était comme un livre ouvert, les mots des pages semblaient pourtant être écrits en une langue étrangère aujourd'hui, caractères incompréhensibles, ou alors trop flous pour être lus, décryptés. Haruka parlait dans une autre langue et Kouta ne le comprenait plus. C’était vrai. S’ils ne se comprenait pas, pourquoi est-ce qu’ils parlaient ? Kouta l’avait toujours su, qu’ils n’auraient jamais dû en parler. C’était voué à mal se finir. Il aurait dû tout réprimer jusqu’au bout, nier jusqu’à la fin de la journée que tout allait bien, mais il en avait été incapable. Quel incapable. Un ami inutile. « Je sais pas, » répondit-il avec un petit sourire fuyant, haussant des épaules (brisé).

La culpabilité l’assommait, il se sentait encore plus mal avec le reproche dans le ton de Haruka qui n’était pas là, avant. Face à la mer, il revoyait Hikari qui se noyait dans la mer – un traumatisme supposé résolu depuis que Hikari lui était apparue et qu’elle lui avait dit que ce n’était pas de sa faute ; la mer lui faisant moins peur, désormais. Mais aujourd’hui, il s’en retrouvait terrorisé. Il voyait le corps inerte de Hikari, entendait la voix pleine de reproches de Haruka. C’était ça, qu’il aurait dû se recevoir en pleine figure. Des reproches de sa part. Mais maintenant qu’il les entendait, il était terrifié. Frigorifié. Comme si son corps entier avait trempé dans la mer froide et qu’il venait d’en ressortir, complètement trempé, frappé par le froid de l’hiver. Frappé par la fatigue dans la voix de Haruka.
Kouta avait envie de fondre en larmes. Il était stupide. Il n’aurait pas dû dire ça. Il rendait Haruka responsable de quelque chose qui n’était pas de sa faute.
Mais par peur d’empirer les choses, il ne dit rien.
Il resta silencieux.
Hocha la tête.
Il se leva du sable, et suivit Haruka loin de la plage, loin de la mer, loin de l’étendue d’eau.
Encore une fois, il était resté passif, Kouta.
Resté silencieux.
Et même s’il avait toujours su qu’il regretterait tous ces mots qu’il ne disait pas, il refit la même erreur.
Le « désolé » qui ne sortit pas.