jealousy (sunhee)

Yuyeon était nul en anglais, mais il y avait des phrases clés qu’il savait répéter. Par exemple, « Hello », « I’m fine », « Thank you » et bien entendu, « I don’t speak English ». Et puis, il y en avait d’autres qu’il entendait et comprenait, comme « Do you want to marry me ? ». Quand c’était dirigé vers lui, il rigolait et secouait de la tête, un peu embarrassé, et les fans rigolaient toujours derrière, Sunhee aussi. Sauf que quand c’était dirigé vers Sunhee, les fans rigolaient, mais Yuyeon rigolait beaucoup moins. Il avait posé sa main sur l’épaule de Sunhee et avait jeté un regard noir à l’homme qui avait osé dire ça à sa petite-amie, sous l’œil des caméras des téléphones. Bientôt, les fans se relayeraient la vidéo et s’amuseraient de la posture défensive de Yuyeon qui arrivait à chaque fois qu’un fan tentait de draguer Sunhee, et ils trouvaient ça mignon. Mignon parce qu’ils ignoraient la réalité, ignoraient qu’ils sortaient ensemble. Secret plus ou moins bien gardé, ils ne faisaient pas de leur relation une affaire publique, pour ne pas mélanger leur vie privée et leur vie professionnelle. Yuyeon comprenait et respectait ça, mais parfois, il rêverait que leur relation soit publique (comme ça il pourrait bien remettre à leur place les idiots qui osaient se rêver prétendants d’une femme aussi incroyable que Sunhee). Bien sûr, leur couple ne deviendrait publique que si Yuyeon demandait la main de Sunhee et il se promettait de le faire, quand ils seraient un peu plus âgés, aptes à faire une petite pause dans leurs carrières sportives. Pour l’instant, ils étaient encore jeunes, vigoureux et pleins d’énergie, alors il fallait en profiter et rafler tous les prix, tant qu’ils le pouvaient.

Rentrant dans le couloir pour aller se changer, Yuyeon n’avait toujours pas lâché Sunhee, leurs deux corps se touchant. « You liked that, didn’t you. » Il lui jeta un regard en biais avant de la lâcher pour qu’elle puisse aller se changer, et il roula des yeux, entrant dans sa propre cabine. Quelques minutes plus tard, ils étaient dehors, dans la voiture de leur entraîneur, qui ne les conduisait non pas jusqu’à chez eux, mais à leur restaurant favori ; comme d’habitude, après une performance ou une compétition. Leur entraîneur leur fit quelques commentaires, récapitulatif de leur performance d’aujourd’hui, les félicitant, leur disant quoi ajuster, avant de leur présenter le planning de demain : d’accord, d’accord et d’accord. Un petit silence passa. « Why do you look so mad, Yuyeon ? » Il ne prit pas la peine de répondre et l’entraîneur se gara, les saluant et leur souhaitant une bonne soirée. Descendant du véhicule, il claqua la porte derrière lui, les sourcils froncés. Ça devait déjà faire une demie-heure depuis que le fan avait fait sa déclaration à Sunhee, mais ça ne lui était toujours pas sorti de la tête. « But why couldn’t you just say no ? Why did you smile ? Was he that handsome ? I believe I’m more handsome than him, though. I don’t understand, » dit-il comme perdu dans ses pensées, marchant avec Sunhee pour entrer dans le restaurant.

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Quand la voix masculine a transcendé les acclamations de la foule pour une demande en mariage, Sunhee n’a pas été la seule à exploser de rire ; tout le public l’a suivi. Il aurait été futile de prendre la déclaration sérieusement ; de toute évidence, personne n’est assez fou pour vraiment vouloir épouser une quasi-inconnue, ni assez désillusionnel pour imaginer que la quasi-inconnue répondrait sérieusement et positivement. Il suffit de rire et de passer à autre chose, mais elle n’a pas besoin de regarder le visage de son partenaire pour savoir qu’il n’a pas l’ombre d’un sourire.

La main posée sur son épaule dit plus de chose que des milliers de mots, en tout cas aux yeux de la jeune femme ; c’est comme un réflexe animal de marquer son territoire, l’air de dire « c’est ma femme, pas la tienne ». Bien qu’en réalité, Sunhee n’est la femme de personne, la réaction de Yuyeon l’amuse : il n’est pas du genre à souvent dire je t’aime, mais il a toujours des réactions suffisamment évidentes pour que la question ne se pose pas. Même le public l’a remarqué — en fait, le public l’a remarqué avant même que Sunhee ne le voit. Les rumeurs sur un potentiel couple étaient déjà créées quand elle pensait que ses sentiments à elle étaient à sens unique. « Of course I did » rétorque-t-elle, ton taquin, juste pour le provoquer. Ce n’est pas non plus un mensonge, la remarque du jeune homme était marrante, et se savoir appréciée est toujours agréable.

Le trajet jusqu’au restaurant où ils vont après chaque performance n’est pas aussi agréable que les autres fois, mais Sunhee ne peut chasser un sourire de ses lèvres en entendant les réponses froides, quasi inexistantes, de son petit-ami. C’est elle qui remercie chaleureusement les conseils et félicitations de leur coach. « Don’t mind him, he’s acting like a child » répond-elle au coach quand il demande à Yuyeon pourquoi il est en colère. Les sourcils levés en l’air, ce dernier ne dit rien d’autre, les dépose et s’en va.

Presque aussitôt que la voiture du coach a disparu, elle entend la voix pleine de reproche de Yuyeon et le sourire de la jeune femme s’agrandit. Elle déteste les situations de conflit plus que tout, mais cette fois-ci c’est différent : elle le trouve mignon, quand il est aussi puéril. Et elle n’a pas souvent l’occasion de l’embêter : en général, c’est plutôt le contraire. « Come on ! » Elle lève les yeux en l’air dans un rire. « Why would I say no ? It’s the first time I ever got a wedding proposal ! It’s every girl’s dream ! » C’est bien entendu faux, mais ça n’a pas d’importance. « And he was handsome enough. He looked very caring and very soft, unlike someone else. » Elle rentre dans le restaurant en disant ça, se dirige vers une table.

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Sunhee avait aimé la remarque de l’autre spectateur là, et maintenant, elle disait à leur coach que Yuyeon agissait comme un enfant. Il n’agissait pas comme un enfant ! Et ça le faisait encore plus froncer des sourcils, les bras croisés, l’air expulsé par ses narines ; par ses oreilles s’ils avaient été dans un dessin animé. Aussi caricatural qu’un personnage de fiction, Yuyeon boudait et aurait presque gonflé une joue s’il était encore un enfant (mais non, il était un adulte, il n’était pas un enfant, alors il s’en tiendrait à sa mine renfrognée). Ouais ouais, c’était la première fois que Sunhee recevait une demande en mariage, mais celle-ci n’était même pas sérieuse, même pas belle. Yuyeon lui, s’il demandait Sunhee en mariage, il le ferait tellement mieux, tellement plus délicatement que ce vieux fan qui lui criait s’il voulait se marier avec lui, pff. Intérieurement, son côté compétitif se mettait en jeu et il se promettait que lorsqu’il demanderait la main de Sunhee, il le ferait de sorte à ce qu’elle oublie toutes les demandes d’avant, n’ait plus que de yeux pour lui (ah, si seulement il savait l’avenir qui les attendait ; la demande qui ne viendrait jamais).

« Handsome ? » s’étrangla-t-il. Il était tout sauf beau, il était même immonde ! Oui, Yuyeon exagérait, mais il était empoisonné par la jalousie et était convaincu que l’homme était laid alors qu’il ne l’avait même pas proprement vu. Fixant du regard Sunhee d’un air outré, il s’assit tout de même en face d’elle à la table choisie (les habitudes primaient sur le corps). « I can be very caring. And very soft, too. » Il regarda ailleurs, les bras croisés, se raclant la gorge. Il savait qu’il n’était pas le prince charmant du conte de fées dont Sunhee rêverait, loin d’être doux, mais d’une certaine façon, il était doux, aussi ! Il remettait les mèches de cheveux de Sunhee en place, il venait lui nouer son écharpe si elle était mal faite, il lui laissait toujours ses aliments favoris et la laissait tout manger… C’était juste que sa douceur était invisible ; ce n’était pas sa faute si Sunhee était aveugle. Le serveur vint et Yuyeon ne lui daigna même pas un seul regard, laissant Sunhee prendre leur commande habituelle, toujours en train de bouder comme un gosse.

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Sunhee ne perd pas son sourire quand elle le voit râler de plus belle. « Yes, handsome » rétorque-t-elle calmement. Elle le provoque volontairement, même si elle ne prévoit pas de faire durer la plaisanterie trop longtemps. Elle n’a pas pour objectif de vraiment l’énerver, elle le trouve juste attendrissant quand il agit de cette façon. « Oh yeah ? » Pointe d’ironie dans sa question, alors qu’elle sait pertinemment que c’est vrai. Elle connaît tous les côtés de Yuyeon, sans exception. Elle sait qu’il peut être attentionné et doux, tout comme il peut être râleur et brutal. Elle peut lister tous ses traits de caractère, mais serait incapable de les répartir entre les qualités et les défauts : pour elle, tout est une qualité. Oui, il peut être brutal, mais n’est-ce pas le résultat d’une honnêteté sans faille ? Oui, il peut être exigeant, mais n’est-ce pas parce qu’il est avant tout perfectionniste ?

Elle reporte son attention sur le serveur, que son petit-ami a visiblement décidé d’ignorer. Après avoir passé commande des deux plats — celui qu’elle veut et celui qu’elle sait qu’il va aimer — elle sourit au serveur, le remercie, puis tourne la tête vers Yuyeon. « Show me how daring and soft you can be. Then I’ll reconsider it » propose-t-elle avec un ton taquin. Elle aimerait vraiment voir un Yuyeon qui fait de son mieux pour être doux, quand ça n’est pas du tout dans sa nature.

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Yuyeon claqua la langue contre son palais comme seule réponse, le regard toujours rivé ailleurs, car l’adulte boudait fort. « Absolutely, » affirma-t-il, mais ne faisant toujours pas face à sa petite-amie. Il n’était pas sûr de pouvoir faire avec si Sunhee le regardait de ses yeux ronds et innocents, attendant qu’il prouve de lui-même qu’il pouvait être doux et attentionné — et Yuyeon serait bien trop embarrassé pour vraiment le montrer. Un défaut, certainement, mais pour le moment, ça ne posait pas problème pour leur relation, car Sunhee savait qu’il était doux, à sa manière, et Yuyeon savait qu’elle réceptionnait bien toutes ses attentions. Mais un jour, la douceur de Yuyeon allait changer, et Sunhee allait préférer un autre type de douceur ; une douceur qui n’était plus celle de Yuyeon, une douceur plus directe. Peut-être que c’était pour ça, que leur histoire prendrait fin. Parce que Sunhee était la princesse d’un château faite pour un prince charmant, mais que Yuyeon n’était qu’un pauvre villageois, personnage secondaire d’un conte de fées. Un villageois plus attaché à son travail qu’à l’amour.

Commande faite, Yuyeon continua de bouder, et évidemment, la sentence tomba. Montrer qu’il pouvait être audacieux et doux ? Comment ? Il n’allait pas se mettre à faire des gestes mignons pour lui plaire quand même… si ? Gêné, il se racla la gorge. Resta silencieux pendant de longues secondes, comme s’il ne comptait pas répondre à sa requête. Mais un homme amoureux était un homme faible, alors Yuyeon changea de posture, étendit son bras pour attraper la main de Sunhee, son pouce glissant sur ses doigts, les yeux observant sa main. « His proposal was really bad. When we get more stable and ready to leave competitions… I’ll ask for your hand, and you’ll be so amazed that you’ll forget all of the previous proposals made to you. » Il releva le regard dans celui de Sunhee, et se sentit soudainement plus embarrassé. Alors il entrelaça leurs doigts et plaça sa main sous son menton, la tête se tournant pour regarder ailleurs. « Just saying, » ajouta-t-il d'une voix moins confiante, pour avoir l’air moins sérieux, moins bête.

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Elle observe le visage de Yuyeon exprimer chacune de ses pensées. Elle peut deviner qu’il est gêné par la situation, qu’il n’est pas capable de faire ce qu’elle lui demande mais qu’il aimerait en être capable. Elle peut voir son embarras, et sourit quand elle sent la main du jeune homme se poser sur la sienne. Son coeur s’agite comme c’est souvent le cas quand ils se touchent, comme ça, aussi romantiquement ; les doigts de Yuyeon qui entrelacent les siens la chatouillent presque.

Ce qu’elle n’a pas anticipé, c’est les mots qu’il allait dire, et le sourire amusé se transforme en rictus embarrassé. Elle sent ses joues devenir excessivement chaudes, comme si le restaurant avait pris quarante cinq degrés en une seconde. Peut-être qu’il ne dit ça que parce qu’elle l’a mis au défi, peut-être que c’est une plaisanterie, mais pour elle c’est très sérieux ; les battements de son coeur deviennent forts et rapides ; son ventre s’agite comme si elle venait de s’envoler. Elle est incapable de répondre quoi que ce soit tant elle est prise au dépourvu par ce qui ressemble déjà à une demande en mariage. « Yeah. » rétorque-t-elle d’une petite voix tremblante, le regard plongé dans celui de Yuyeon. « Yeah, I can’t wait for it. » rajoute-t-elle quand elle a repris contenance.

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