GLASS WALLS

L’amour. Ah, quel sujet compliqué. Le sorcier enfile les costumes, incertain de la marche à suivre pour la soirée. Il n’a jamais été doué pour se faire remarquer, sa spécialité demeurait dans le concept inverse. Bianca disait souvent qu’un costard noir ne ratait jamais, peu importe l’occasion. Alors il suit le conseil de sa défunte amante, sachant qu’elle s'éclaterait la poire de le voir aussi ridicule. Il tient son carton d’invitation avec incertitude – avait-il réellement sa place ici ? Il n’était intervenant que depuis quelques mois et parfois, il se sentait intrus dans la foule. Trop timide pour inviter une jolie fille au gala, il avait accepté de jouer les chaperons puisque ses jours de Casanova s’étaient terminés sur une belle perte. Persuadé qu’il ne pourrait plus jamais aimer, il allait s’assurer que la prochaine génération soit capable de rire à plein poumons, pleurer à s’en dessécher la carcasse et mûrir à travers les échecs et les peines de cœur. Ryouta se rend enfin au lieu désiré, seul et nerveux à l’idée de célébrer l’amour sans elle.

Dans l’entrée, il se perd. Ou plutôt, n’ose pas entrer au milieu de cette foule d’amoureux. Il s’accoude à une colonne, scrute les passants, décidé à ne laisser aucune menace passer le corridor. La fille qui le dépasse a une silhouette trop familière. Sans attente, presque euphorique, ses doigts chaleureux tapotent son épaule. “God, I’ve missed you. Hey, Bi—” Elle se retourne et lui s’arrête, cœur lourd, sourire qui disparait. La jeune femme a beau être blonde, elle n’est pas elle. “Sorry, I mistook you for someone else.” Sa gêne se traduit dans ses joues rosies, le petit hochement de tête vers le bas alors qu’il balaye le sol furtivement. Son cœur se serre : elle lui manque terriblement. Nerveusement, il cherche ses poches pour une cigarette, conscient qu’il a oublié son briquet (et il est trop chamboulé pour se souvenir qu’il n’en a pas besoin car il a découvert le sort parfait pour allumer son poison) “Do you have a lighter?” demande-t-il doucement, yeux dans les siens. Prunelles vertes, étoilées, tout aussi magnifique n’est-ce pas ?

Même depuis les escaliers, elle parvenait à percevoir les notes de musique. Les étoffes bruissaient tout autour d’elle, les rires s’entremêlaient jusqu’à ne former qu’un écho étrange, impossible à véritablement isoler des battements de son cœur et du chant lancinant des archets qui s’abattaient sur les cordes de crin de licorne, au loin. L’entrée fut plus longue à atteindre qu’elle ne l’aurait pensé ; brièvement, elle regretta de ne pas avoir écouté l’une de ses camarades de classe qui avait annoncé vouloir y aller en balai plutôt qu’à pieds. La méthode lui avait parue être si indélicate, presque indécente, mais elle en voyait désormais les mérites.

Quand enfin le seuil du gala fut franchi, elle s’attendait à pouvoir se diriger vers le bar sans problème avant de tenter de rejoindre ses amies, probablement déjà englouties par la foule et l’euphorie ambiante. Célébrer l’amour n’avait jamais fait partie de son plan pour cette soirée, et Persephone était une personne qui aimait suivre minutieusement les checklists élaborées à l’avance. Alors quand des doigts effleurèrent son épaule pour attirer son attention, elle ne put retenir un mouvement de surprise, un léger tressautement – quelque chose tentait de se mettre au travers du plan. Ou plutôt quelqu’un, dont les iris semblaient se voiler légèrement lorsqu’ils rencontrèrent les siens. « Sorry, I mistook you for someone else » souffla-t-il, ses joues s’embrasant subitement, maintenant que la méprise était comprise, maintenant que Persephone savait qu’elle n’était pas véritablement perçue. « That’s okay » répondit-elle, la voix douce et posée en dépit de la brisure qui s’était opérée au creux de sa poitrine ((you knew it would happen)). « It happens. » Et la nervosité du sorcier menaçait de la contaminer elle aussi, comme une écume mousseuse qui s’infiltrerait dans les grains de sable une fois la vague disparue. « I don’t smoke, sorry. » Quelque part, elle ne parvenait pas à forcer leurs regards à se détacher, à rompre le lien ténu qui s’était formé entre eux en plein milieu de cette entrée ; les élèves passaient autour d’eux deux, les bousculant légèrement au passage, mais, pour une fois, Persephone ne parvenait pas à s’en inquiéter. « I’m Persephone. What’s your name? » Elle n’était même plus certaine de parler assez fort pour couvrir l’euphorie du gala, le bruit des verres qui s’entrechoquaient et des rires qui s’élevaient, rendus hilares par l’alcool – pour qu’il l’entende véritablement. Mais il y avait quelque chose dans sa façon de la regarder qui l’empêchait de renoncer à cette attention, complète et délicate, qu’il lui donnait. Et ce même si elle n'était pas véritablement pour elle.