she's the kind of magic that you marry (hana)

Le silence du quinze mai aura marqué les esprits. Des sorciers blessés, de la technomagie qui ne marchait plus, des services à l’hôpital qui ne marchaient plus. Quand Sasha avait appris l’absence de magie, il s’était directement précipité à l’hôpital pour prendre des nouvelles de son père, mais s’était fait bloquer à l’accueil. Les infirmiers étaient tous bien trop occupés par la nouvelle, les médecins couraient dans tous les sens. Il n’y eut qu’un moment où Sasha avait réussi à attraper l’attention de l’un d’entre eux, et il lui avait répondu que c’était une question de vie ou de mort pour certains patients, et était parti aussi vite qu’il n’était venu. Sasha était alors resté assis dans l’un des sièges du hall, dans un brouhaha de panique de la part de d’autres proches de patients, bloqués comme lui, à attendre dans l’incertitude. Chaque sorcier de l’île se sentait mal, la magie ne coulant plus dans leurs veines, et Sasha avait stressé. Incapable de lire dans l’esprit des gens, incapable de les rassurer en leur transmettant des émotions, incapable surtout de savoir si son père allait bien. Et si son père faisait partie de ces gens entre la vie et la mort ? Et s’il était mort déjà, mais qu’il n’était pas prévenu parce qu’il n’y avait même plus de téléphones ? Et s’il devait déjà dire au revoir à son père ? Non, il n’était pas prêt, il n’était pas encore prêt, son père ne pouvait pas partir maintenant !

Quand tout s’était remis à marcher, Sasha s’était précipité vers son père. Le médecin l’avait pris à part, et grimacé. « On ne sait pas trop ce qui s’est passé, mais ça a eu de graves conséquences sur les patients, et pour ton père… Sa condition s’est dégradée. » Il avait pris une lourde inspiration.
« Sasha… Je pense que tu dois te préparer au pire dans les semaines à venir. »
Sasha n’avait pas pleuré. Comme d’habitude, il avait serré son père dans ses bras. Senti qu’il était plus faible, que d’habitude. Il avait déposé un baiser sur son front, avant de partir. Senti qu’il était plus froid, que d’habitude.
Sa fin était proche, et Sasha n’était toujours pas prêt à l’accepter.

Marchant dans les rues, l’esprit totalement las, perdu, il avait fini par s’asseoir sur un banc, regardant à peine les personnes qui passaient devant lui. La fatigue accumulée de la journée d’hier s’abattait enfin sur lui et il se sentait désespéré. Dans ce genre de moments là, il avait besoin de rester seul, parce qu’il ne voulait pas qu’on s’inquiète pour lui. Sasha, c’était l’homme qui souriait toujours, il ne pouvait pas être vu en train de pleurer, sinon, comment apporterait-il de la joie dans la vie de ses proches ? Il fallait qu’il se reprenne en main. Il fallait qu’il profite au maximum des derniers instants de la vie de son père. Son père pouvait s’éteindre le lendemain, comme dans un mois, ou deux. Il fallait qu’il fasse quelque chose. Qu’il réalise le dernier souhait de son père.
Il y a longtemps, Sasha était assis sur ce tabouret dans cette même chambre d’hôpital, et il avait demandé, ce qu’était le vœu le plus cher de son père. Il avait répondu qu’il voulait simplement voir Sasha être heureux, et Sasha avait rigolé, répliqué que ça ne comptait pas, qu’il fallait qu’il réponde quelque chose de plus concret. « Then... Watching you get married ? Since I didn't get that chance... I hope that my son will. » Sasha avait encore plus ri, répété que ça ne comptait pas, qu’il fallait que son vœu le concerne lui, et pas quelqu’un d’autre. Son père avait souri, et il n’avait pas formulé d’autres vœux.
Sasha le réalisera, ce vœu.

C’était pour ça qu’il se retrouvait au bureau des aurors. Hana devait encore être en train de travailler, mais tant pis. Il devait la voir maintenant. Ils n’avaient pas de temps à perdre.
Se rendant à son bureau, ayant réussi à manipuler chaque personne qu’il avait croisé sur le chemin qu’il avait une bonne raison d’être là, transmis des émotions positives pour qu’ils ne se méfient pas de lui, il la retrouva assise à son bureau, surprise de le voir ici. C’était normal, depuis que la magie était revenue, il n’avait pas retouché à son téléphone, trop occupé à l’hôpital, puis à broyer du noir. Elle avait dû s’inquiéter de son manque de réponse.
Il y avait d’autres aurors dans la pièce, et Sasha leur sourit. « Hana asked for me to pick her up, because she’s not feeling well. Right ? » Il influa les émotions du groupe du mieux qu’il le pouvait, créant de la compassion dans leurs cœurs, puis baissa son regard sur Hana, provoquant la fatigue dissimulée dans son esprit. Sasha se sentait presque comme un maître manipulateur et ce n’était pas très plaisant, de jouer autant avec les émotions des autres ; mais il n’avait pas le choix. Pour la première fois de sa vie, il allait être égoïste.

Il réussit miraculeusement à entraîner Hana hors du bâtiment, la prenant par la main comme s'ils étaient en couple, et il transplana avec elle pour se retrouver dans un parc, dans un coin discret de ce dernier. À ce moment-là, Sasha lâcha Hana, et lui sourit légèrement : on pouvait pourtant voir qu’il avait des cernes inhabituelles sous les yeux, et semblait particulièrement mal en point. « How are you ? » demanda-t-il en premier. « I’m glad you don’t seem hurt or anything. The hospital yesterday was in a hectic state. » Il lâcha un rire vide. « Anyway, sorry for taking you with me like that. I… I just had to see you. It’s urgent. » Il marqua une pause puis prit une grande inspiration. « I went to see my dad. He’s… He’s still alive, but… » Sasha se retrouva bloqué, dénué de voix, comme si la boule à la gorge l’empêchait de dire la vérité. Comme si son propre corps ne voulait pas lui dire ses mots, car ce serait admettre que c’était vrai : qu’il allait bientôt perdre son père. Alors à la place de sa bouche, ce fut son cœur qui parla, transmit ses propres émotions à Hana sans s’en rendre compte : le désespoir, la détresse, la tristesse, la peine. Tous ces sentiments dont Sasha ne savait que faire, l’oppressaient, le dérangeaient, le faisaient se sentir tellement impuissant.
Aide-moi, Hana.
Aide-moi.

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Après le chaos du quinze mai, le bureau est particulièrement occupé. Différents rapports, différents problèmes à régler, de tous les côtés — et ce n’est pas plus mal, Hana, au moins, peut se concentrer sur quelque chose. Pour éviter de se demander comment il est possible qu’une telle chose soit arrivée, parce que cette question la rend folle. Elle qui aime comprendre, toujours, et même contrôler, a du mal à concevoir que quelque chose d’aussi gros ait pu à ce point échapper à tout contrôle. Et tout secouer sur son chemin.

Ça fait des heures qu’elle a la tête dans les dossiers quand un ressenti qu’elle n’identifie pas la submerge d’un coup. Comme l’urgence de lever la tête après un coup de tonnerre, pour voir l’éclair. Sauf que l’éclair ne vient pas, et le tonnerre n’a pas été entendu mais ressenti ; ce qui, au fond, reste significatif. Hana est suffisamment habituée à son pouvoir d’ekisha, maintenant, pour écouter ses ressentis.

Un coup d’œil vers son téléphone lui permet de voir l’heure et de réaliser qu’elle n’a rien mangé depuis ce matin, et lorsqu’elle lève ses yeux, c’est le regard de Sasha qu’elle croise. Ce qui ne la surprend pas autant que ça le devrait, sans doute parce qu’elle avait pressenti sa présence sans le réaliser.

Elle reste néanmoins étonnée de le voir manipuler les autres aurors pour leur faire croire quelque chose de complètement faux. Sasha ne ment jamais, normalement. Il est même complètement incapable de mentir, et c’est pour ça qu’elle l’aime autant. Est-ce qu’elle déteste les mensonges ou est-ce qu’ils l’effraient ? Probablement un mélange des deux, mais quand c’est Sasha qui le fait, c’est plutôt la raison derrière le mensonge qui la fait paniquer. Elle sent l’inquiétude s’immiscer en elle comme un serpent et le regard de Sasha n’offre pas de réponse à ses questions.

Lui est-il arrivé quelque chose hier ? Elle s’est assurée qu’il était toujours en vie dès que l’évènement s’est terminé. C’est la première chose qu’elle a fait. Et il lui a dit qu’il allait bien, mais sans plus de réponse, et elle s’était dit que ça suffisait.
Visiblement, non. Elle peut le sentir à la main moite qui sert la sienne. Sa main qui est normalement réconfortante pour Hana a aujourd’hui le même effet qu’un couteau planté en plein coeur.
Elle entend la voix du médecin qui annonce la mort imminente du père à son fils.
Puis elle voit le corps sans vie du père, sous ses yeux.
Elle entend les pleurs de Sasha, pas très loin.

Quand elle reprend vraiment conscience de l’instant présent, elle se trouve dans un parc et comprend qu’ils ont transplané. « You don’t have to say it. I know. » répond-elle avec la même voix posée qu’à son habitude. Elle ne laisse pas transparaître ce qu’elle a vu, habituée à cacher ses émotions, à prendre le dessus sur elles. La mort du père de Sasha l’attriste un peu, sans doute, mais pas autant que la tristesse du jeune homme. C’est ça, qui lui fait vraiment du mal. La tristesse du jeune homme qui la transperce comme si c’était la sienne. « How can I help you ? » Elle reprend la main de Sasha en disant ça, comme un soutien. La seule chose qu’elle peut faire.

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Le corps entier de Sasha tremblait. Il y avait un poids sur son cœur qui l’oppressait, devenait de plus en plus lourd avec chaque seconde qui passait, comprimant ses poumons, rendant impossible pour lui d’inspirer correctement l’oxygène de l’air. Il se sentait étouffer, ne voyait même plus Hana devant ses yeux : seulement le corps sans vie de son père sur le lit d’hôpital, le bip sonore en continu, le regard désolé des infirmières, la photo de son père souriant encadré de fleurs, le cercueil au milieu de la pièce, les gens habillés en noir— « You don’t have to say it. » Sasha releva le regard sur Hana. « I know. » D’un coup, ce fut comme si tout l’air venait de revenir dans son corps. Le poids s’envolait aussi facilement que des feuilles au vent, ses poumons se gonflaient de nouveau, son cœur s’alimentait d’oxygène. Sasha ne savait pas comment Hana savait, mais il savait qu’elle savait. Sur le moment, il en avait oublié qu’elle était ekisha et pouvait voir des visions du futur ; non, ce n’était pas qu’il avait oublié, c’était qu’il n’y avait pas pensé. La vérité perçue dans ses paroles avait été largement suffisante pour rassurer Sasha, et il n’avait pas eu besoin de comprendre. Elle savait. Il n’avait pas besoin de lui expliquer. De dire ces mots à voix haute.

La main de Hana vint reprendre la sienne, et il se sentit attiré, attiré comme n’importe quel corps serait attiré par le centre de la Terre. Il se sentait comme un astronaute perdu dans l’univers et qu’on avait pris sa main, l’avait tiré pour lui refaire poser les pieds sur Terre, reprendre son souffle. Au lieu de s’accélérer, le cœur de Sasha se calma. Battit un peu moins rapidement, suivit un rythme plus tranquille. Il aurait pu paniquer car Hana avait pris sa main, rougir parce que c’était rare que ça arrive : mais ce n’était pas d’un amour comme ça que Sasha l’aimait, Hana. C’était d’un amour si pur et entier que Hana ne le rendait pas embarrassé, mais apaisé. Hana était la seule qui pouvait calmer la pile électrique qu’il était ; le seul à pouvoir le rendre bouche bée. Alors, plus que jamais, il fut convaincu par la décision qu’il avait prise, plus tôt.

Il serra la main de Hana en retour, et ancra son regard dans le sien. Il ne savait pas comment elle allait réagir, mais ce n’était pas grave. Car il ne le regretterait pas. « I want to make my dad’s last wish true. Before it’s too late. » Il marqua une pause. « His most precious wish is... to be able to see me get married. » Il observa attentivement Hana. Vit chaque changement d’expression sur son visage, vit la surprise peindre son visage, le coin de ses lèvres bouger légèrement, ses sourcils se hausser tout doucement, la lueur dans ses yeux qui avait changé. C’était une chose de prétendre être sa petite-amie le temps d’une heure, c’en était une autre de lui demander de se marier avec lui.
Et pourtant.
« I could just pick anyone to play the role. Pretend to get married for a day, just for my dad, and then call it off. But… I don’t want to do that. If I have to get married, even temporarily, I don’t want it to be with anyone else. I want it to be with the person I love the most. » Even if she’s not ready yet to love me back.
« So… »
Sasha mit un genou à terre, la main glissant doucement de celle de Hana pour ne tenir que le bout de ses doigts. Ses yeux se déposèrent dans les siennes, pupilles brillant de douceur, comme le reflet des étoiles sur un lac tranquille. « Will you marry me, Hana ? »
Et, même là, le cœur de Sasha battait lentement.
Comme persuadé qu’elle ne pouvait dire que oui, car il le sentait.
Lui aussi, était la personne qu’elle aimait le plus.

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La main de Sasha n’est pas aussi réconfortante que d’habitude, mais pour une fois, elle veut être celle qui le réconforte. Elle veut que ça soit sa main à elle, qui irradie la chaleur qu’il lui donne à chaque fois qu’il lui sourit, à chaque fois qu’il lui prend la main, à chaque fois qu’il la regarde.

Hana aimerait pouvoir changer le futur. Elle aimerait pouvoir utiliser ses visions pour le modifier, pour avoir un impact dessus. Ça ne lui arrive pas souvent de se laisser espérer quelque chose d’aussi futile qu’impossible, mais parfois, dans certaines situations, cette absence de pouvoir la rend folle. Le fait de ne pouvoir être d’aucune aide pour Sasha, de savoir que son père va mourir mais de ne pas pouvoir ni l’empêcher, ni le retarder, la rend folle. Elle a depuis longtemps laissé tomber l’espoir de pouvoir changer sa vie, mais elle aimerait au moins changer celle du jeune homme.

Ne pas pouvoir le faire la frustre mais elle ne montre rien. Sasha n’a certainement pas besoin de quelqu’un d’énervé face à lui. Alors elle garde une expression détendue, se contente de le regarder dans les yeux en serrant sa main, dans un silence qui transmet plus de chose que les mots ne le pourraient.

Jusqu’à ce qu’il reprenne la parole, et alors là, elle est incapable de rester impassible. Les signes de sa surprise sont discrets mais elle sait qu’ils sont présents, et elle sait aussi que Sasha est suffisamment habituée à elle pour lire ses expressions faciales. Ce qui la surprend au début, c’est de se dire qu’il va se marier. Elle n’envisage pas qu’il le fasse avec elle, n’y songe pas une seule seconde même, mais le simple fait de savoir qu’il va se marier créée un goût amer dans sa bouche, qu’elle ne saurait expliquer. Comme si on lui volait l’objet le plus précieux à ses yeux.

Puis il se met à genoux et la surprise n’est plus vraiment ce qu’elle ressent. Hana est troublée, perdue, ne comprend pas entièrement la scène qui se déroule. Pendant un court instant, elle a l’impression de regarder un film, d’en être la spectatrice et de se dire : c’est un peu soudain, non ?

Avant de réaliser qu’il s’agit bien d’elle, de sa vie, de son meilleur ami. Et elle ne parvient pas à identifier vraiment tout ce qui la traverse à l’instant où elle comprend, comme si c’était une évidence, que Sasha l’aime. Ce n’est pas le même effet que de trouver le criminel recherché depuis des années, mais plutôt le même effet que de remarquer un détail devant lequel elle est passée des dizaines et des dizaines de fois sans le remarquer. Le soulagement et l’évidence. Bien sûr que c’est ça !

Elle reste bouche bée pendant vraiment, vraiment longtemps. Sasha agenouillé devant elle, et leurs mains entrelacées d’une manière qu’elle n’aurait jamais osé imaginer avant. Elle sent son coeur qui s’accélère, sait que c’est parce qu’elle est heureuse. Vraiment heureuse. Heureuse de découvrir que non, Sasha ne va pas se marier avec quelqu’un d’autre. Heureuse de comprendre, aussi, qu’il n’a pas envisagé quelqu’un d’autre qu’elle. Et elle a l’impression de découvrir quelque chose qui a toujours été enfoui en elle, comme si la boîte de Pandore avait été ouverte et que des dizaines et des dizaines d’émotions et de sentiments refaisaient surface.

Ce n’est pas comme une vague qui la submerge. Ses émotions n’explosent pas, ses sentiments non plus. Ils ont toujours été là mais tellement ignoré qu’elle ne les a jamais questionnés — aujourd’hui, c’est comme si la lumière avait été mise dessus. Comme si un élément du décor, resté dans l’obscurité depuis le début du spectacle, venait d’apparaître aux yeux de tous les spectateurs. C’est à la fois comme si tout prenait sens, comme si l’élément du décor était l’explication de tout le spectacle, et à la fois complètement flou. Comme s’il fallait qu’elle regarde tout le spectacle depuis le début avec cet élément pris en compte pour vraiment comprendre l’intrigue.

Chose qu’elle ne peut pas faire, là. Elle ne peut pas répondre à Sasha attends une seconde, je dois repenser à tous les instants qu’on a passés ensemble depuis plus de dix ans. Elle n’a pas envie de répondre ça, d’ailleurs. Alors à la place, elle dit : « Yes. » D’un ton hésitant, clairement surpris, presque à bout de souffle. « Yes, alright. » répété pour confirmer. Confirmer à Sasha, mais avant tout confirmer à elle-même. Qu’est-ce qu’elle vient d’accepter, précisément ?

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Il sentait toutes les émotions de Hana, Sasha. Sa surprise. Sa confusion. Sa réalisation. Son silence.
Son bonheur.
Tout venait lentement, rien n’explosait, même chez Hana. Il semblait y avoir un déclic, mais Sasha ne parvenait pas à identifier quoi. Même avec son pouvoir, il ne pouvait pas lire dans ses pensées. Il savait simplement qu’elle était heureuse, et ça lui suffisait. Elle ne le rejetait pas. En même temps, ce n’était pas une surprise pour lui. Il l’avait toujours su.
Il l’avait toujours su, mais le « Yes. » qu’elle répondit fit quand même exploser des feux d’artifice dans sa poitrine, le bonheur s’étalant comme du miel sur une tranche de pain. Là, ce fut comme si Sasha se réveilla enfin de sa transe, se rendit compte de ce qu’il venait de lui dire, de la vraie situation. Le Sasha habituel réapparut, les étoiles dans les yeux redevenant celles du ciel, un sourire éclairant son visage comme le soleil éclairait à midi en pleine journée d’été. Il attrapa la main de Hana avec ses deux mains, la serrant entre elles. « Really ? » Elle lui avait déjà confirmé, déjà dit deux fois, mais ça ne l’empêchait pas de redemander (croyant presque que ce n’était qu’un rêve, qu’il allait se réveiller d’un moment à l’autre).
Hana lui avait dit oui.
Elle avait accepté sa demande en mariage.
Euphorique, il se releva subitement, et vint serrer Hana dans ses bras, doux sourire sur le visage, les yeux se fermant. Il repensa à son père, à la tristesse qui allait le submerger bientôt quand il ne serait plus capable de voir son père que dans ses souvenirs ; mais pour l’instant, ce n’était pas encore le cas. Pour l’instant, il allait pouvoir réaliser le vœu de son père, mais aussi son propre vœu (car au fond, n’était-ce pas le vœu le plus cher de Sasha, de finir sa vie avec Hana ?). « Thank you, » murmura-t-il. S’il n’avait pas lu dans ses émotions, il lui aurait sûrement dit « you have to make sure you’re really okay with your choice though, don’t say « yes » just for me, but for you, too », sauf qu’il savait qu’elle avait dit ce mot en étant parfaitement consciente de ce qu’elle voulait.
Pour la première fois, Hana avait été en raccord avec ses émotions enfouies.
Il rit un peu, d’un rire un peu bête, probablement enfantin, trop heureux de la situation. Et puis, il se recula, prit le visage de Hana entre ses mains, et sourit de nouveau, le sourire montant jusqu’à ses oreilles. Sasha mourait d’envie de l’embrasser, mais pas encore. Pas encore.
Son regard dévia sur ses propres mains, et il réalisa que la demande en mariage n’était pas tout à fait finie.
Il chercha du regard ce qui pourrait être facilement transformé, et finit par se rabattre sur les fleurs, autour d’eux. Il fit apparaître sa baguette et tordit la tige de sorte à former un cercle, décorant l’anneau d’une pétale de fleur bleue, qui se transformait elle-même en une fleur miniature. Sasha sourit d’un air un peu maladroit, la bague désormais entre ses doigts. « Sorry, I just thought of, marrying you, a few hours ago… » Marrying you. Les mots sonnaient presque étranges et pourtant, Sasha avait envie de les répéter en boucle. Marrying you. Marrying you. Marrying you. « So I didn’t have the time to buy a real ring… But we’ll go buy one ! I’ll buy you the most beautiful and expensive ring that ever exists. » Il sourit, et attrapa la main de Hana, pour lui glisser cette bague sur l’annuaire. Un peu ridicule, car elle était de couleur verte, mais ce n’était pas grave. Ça lui rappelait presque les bagues qu’il s’amusait à faire quand il était petit, s’imaginant la porter à son doigt pour se marier avec la fille qu’il aimait. Cette fille-là n’avait pas changé. « It looks a bit ridiculous, but oh well… I think it fits you. » After all, you’re so pretty that everything fits you. Il lui sourit.

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Hana se laisse enlacer par le jeune homme, un peu prise de court pas la situation. Elle est certaine qu’au moment où elle a dit yes, elle savait précisément pourquoi ; mais maintenant, la raison lui échappe comme un rêve après le réveil. Est-ce qu’elle vient vraiment d’accepter de marier son meilleur ami ? Est-ce qu’elle vient vraiment d’envisager de se marier avec quelqu’un ? Hana n’a jamais voulu construire de famille. Officiellement, parce qu’elle préfère se concentrer sur sa vie professionnelle. Officieusement, parce qu’elle ne s’en sent pas capable. Comment une enfant adoptée, puis rejetée, aux si nombreuses failles, peut-elle construire une famille saine ? C’est la peur de reproduire les erreurs qu’elle a subies qui l’a toujours empêché d’envisager la simple possibilité de se marier et d’avoir des enfants, un jour. Ou même d’aimer quelqu’un, n’importe qui.

Sous ses yeux, sa vie est en train de prendre un chemin qu’elle n’avait même pas remarqué. C’est comme si elle se voyait changer de destination sans en avoir le contrôle, simple spectatrice de ses propres actions. C’est bien elle qui décide, mais ce n’est pas elle qui contrôle — ce qui est parfaitement paradoxal pour elle. Hana, habituée à toujours contrôler les choses. À se contrôler elle-même, avant tout. Par quoi a-t-elle été guidée pour accepter une chose pareille ?

Cela a-t-il vraiment une importance ? Quand il la regarde avec ce regard brillant, lui sourit de son sourire si doux ? Les yeux plongés dans les siens quand il s’est reculé, elle se dit que ce n’est pas grave si elle ne comprend pas ce qu’elle fait. Du moment que ce qu’elle fait peut le faire sourire comme ça, c’est tout ce qui compte. Alors elle lui répond avec un sourire discret, l’air confiant même si elle ne l’est pas vraiment. Puis elle le regarde transformer une fleur en bague, reste silencieuse pendant tout le processus, jusqu’à ce qu’il lui passe la bague au doigt et qu’elle lui réponde, avec un air désabusé mais le ton de la plaisanterie : « I’m already regretting this. » Mais elle ne l’enlève pas, elle se contente de l’observer avec un nouveau sourire qui apparaît.

Qu’est-ce qui est en train de se passer, exactement.

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