how can i love the heartbreak ? (junseo)

Tout lui échappait. La vue se faisait floue, l’obscurité maître du salon, la fumée s’évaporant dans l’air, disparaissant petit à petit. Le crépitement des cendres qui partaient au bout de sa cigarette étaient la seule lueur de la pièce, avec peut-être la lumière de la lune, qui éclairait à travers les rideaux fermés. Parfois, des nuages passaient et la pièce était de nouveau plongée dans le noir, avant qu’il n’y ait un rayon de lumière qui revienne, comme ça. Changement constant, chaos de la pièce ; chaos dans l’esprit de Junki, aussi. Les bouteilles d’alcool posées sur la table basse, certains roulées au sol, le cendrier à côté d’elles, déjà rempli de quelques mégots. À côté, un paquet de cigarettes où il n’en restait plus qu’une, et un autre sachet avec des comprimés à l’intérieur. Junki n’osait pas l’ouvrir, car ce n’était pas ses drogues habituelles ; cette fois, il avait demandé pour de la dure, quelque chose qui lui ferait complètement perdre l’esprit, oublier pourquoi il avait mal, oublier où il était, oublier ce qu’il était, oublier qui il était. Oublier. Oublier. Oublier comme Rimu l’avait oublié.

Il tira une bouffée de sa cigarette, soupira, la vapeur colorant de gris l’air de la pièce. Ça sentait sûrement très mauvais. Junki devait avoir l’odeur de la cigarette collée à la peau et Rimu aurait fait une petite moue, lui aurait dit d’arrêter de fumer ; et Junki aurait répondu d’accord en rigolant, jetant sa cigarette et l’écrasant sous son pied, attrapant son paquet de chewing gum menthe pour compenser. Aujourd’hui, le paquet était oublié dans un coin de la pièce, jeté au sol (Junki qui l’avait balancé à travers la pièce, les larmes aux yeux, la douleur sanglante dans le cœur). À quoi ça servait qu’il ait fait tous ces efforts si c’était pour que Rimu l’oublie ? L’oublie alors qu’il ne savait même pas pourquoi ?

Il avait bu, bu encore et encore jusqu’à voir flou, à sentir ses joues rougir, sentir qu’ils étaient en août plutôt qu’en juin, la climatisation absente. Allongé sur le canapé, ses yeux finirent par dévier sur la table basse, sur ce petit sachet avec ces comprimés de drogue. Il les avait demandées spécifiquement pour les prendre quand ça n’allait pas, quand il n’en pourrait plus. Aujourd’hui, il se sentait tendu, au bord du gouffre. Il avait une folle envie de se jeter dans la crevasse, ne même plus s’amuser à la frôler, la mort : il voulait juste l’embrasser et sourire contre elle, puis disparaître, s’éteindre dans ses bras. Mais il ne devrait pas. Il ne devait pas.

Il lui avait suffi d’appeler Junseo sur un coup de tête pour que celui-ci lui dise d’attendre, qu’il arrivait. Junki se sentait honteux. Il avait dû faire appel à Junseo pour se contrôler, pour résister à l’envie. Mais plus le temps passait et plus Junki avait envie d’y toucher, à cette drogue. Voir que ça faisait, de ne plus savoir ce qu’il était. D’oublier. Était-ce aussi facile, d’oublier ? De ne même pas se sentir coupable d’avoir oublié deux ans de relation, comme ça, en un claquement de doigts ? Est-ce qu’il devrait tester, lui aussi ? Après tout, si Rimu avait oublié, pourquoi continuerait-il de se souvenir ?

Il tendit la main vers le sachet, quand il entendit la porte s’ouvrir. Bien sûr. Junseo connaissait le mot de passe. Il rétracta sa main, le bras ballant, l’autre tenant toujours la cigarette fumante. Ses yeux vitreux se levèrent lentement sur la silhouette de Junseo, le visage presque indiscernable à cause de l’obscurité de la pièce. « Hey. » La voix rauque, craquelée, brisée. « Tu veux que j’te raconte une blague ? » demanda Junki, un sourire aux lèvres. Il prit une bouffée de tabac, souffla doucement, la fumée droit vers Junseo. « Rimu m’a oublié. » Junki pencha sa tête, la tête glissant sur le canapé. « Drôle, non ? » Et il rigola tout seul, la lune passée derrière les nuages.

Il quitte à peine l’hôpital quand il reçoit l’appel de son frère. Il avait prévu de rentrer, d’arriver dans une maison où le plat sera sans doute prêt grâce à Geonu, et de passer sa nuit à dormir dans l’espoir de faire un peu disparaître les cernes sur son visage. Toutes ces images se sont effacées à l’instant où il a entendu le timbre de la voix de Junki, et son plan été remplacé par : se dépêcher d’aller chez lui pour découvrir ce qui se passe.

Son grand-frère n’a pas forcément besoin de raison pour finir dans des états pitoyables. Parfois, bien souvent même, c’est simplement pour le plaisir de l’adrénaline, de l’instant passé dans des états complètement secondaires. Or, dans ces instants-là, c’est assez rare qu’il se contente d’être chez lui ; et surtout il n’est pas en état de l’appeler. Ce sont les personnes avec lui qui le font. Aujourd’hui, il est dans une humeur différente ; il l’a probablement appelé pour se retenir d’aller plus loin.

Ce qui n’est pas très rassurant pour Junseo. S’il met trop de temps à arriver, il peut retrouver son grand-frère inconscient — et qui sait, peut-être mort ? Il aurait dû rester au bout du fil avec lui, mais c’est Junki qui a raccroché très vite. La seule chose qui permet au jeune homme de rester concentré, de ne pas laisser la panique l’envahir et lui faire perdre contenance, est son entraînement aux urgences. Encore qu’à l’hôpital, il s’agit souvent d’inconnus ; rester calme est plus simple.

Le trajet est court mais lui semble durer des heures, durant lesquelles il essaie de chercher ce qui a pu mettre son frère dans une détresse pareille. Ça fait des semaines, peut-être des mois, qu’il n’a pas eu besoin de courir à la rescousse d’un Junki complètement perdu. Depuis qu’il sort avec Rimu — son ex — il s’est nettement calmé, ce qui a plus rassuré Junseo qu’il n’oserait le dire.

Face à la porte, il sent son coeur se mettre à battre bruyamment. Il l’ouvre d’un geste rapide, n’enlève pas ses chaussures pour aller dans le salon. Il pousse un soupir de soulagement silencieux quand il croise le regard de Junki. D’accord, ses yeux sont vitreux, mais au moins il n’a pas perdu connaissance, et il arrive même à lui parler. « Dis toujours. » rétorque-t-il en enlevant ses chaussures. Il les pose à l’entrée, retourne en face de Junki, debout, quand il lui annonce quelque chose qui n’a aucun sens.

Le silence dure un long moment. Il attend des précisions, mais rien ne vient, si ce n’est un rire sarcastique de la part de son frère. « Okay. » Pour l’instant, il n’y croit pas. Il se dit simplement que son frère est complètement perdu, qu’il a probablement beaucoup bu avant de se mettre à fumer. Il marche vers les fenêtres, les ouvre une par une pour que l’air extérieur vienne chasser la fumée de l’appartement. « Qu’est-ce qu’elle a oublié ? Vous aviez un rendez-vous aujourd’hui et elle t’a posé un lapin ? » demande-t-il en ouvrant la dernière fenêtre, à la façon dont on demande à un enfant qui a perdu son doudou où est-ce qu’il l’a vu pour la dernière fois.