you broke me first - os

Elle l’aime tellement.
Naeun collée à son frère car c’était là où elle se sentait le plus en sécurité. Les festivités de Noël avaient pris fin et les enfants des Lee étaient enfin libres de retourner dans leur logement respectif. Chacun avait été couvert de cadeaux. L’immense sapin trônant dans le salon de la demeure familiale semblait à présent bien seul, tous les paquets à son pied ayant été délivrés à leur juste propriétaire en temps et en heure. Cette année et pour la première fois, la tablée de cinq avait rajouté un couvert pour accueillir en leur sein la petite amie de Yunho. It was such a good christmas. Ronronné contre Junseo alors qu'ils étaient affalés dans le large canapé d’angle de leurs parents. Il avait répondu un I know, right ? quelque peu ailleurs, trop occupé à envoyer à ses copains les photos du balai qu’elle lui avait offert. N’insistant pas, malgré l’envie de le charrier, Naeun s’était contentée de le regarder textoter en silence, sa tête sur son épaule.

Plus tard, Yunho les avait rejoints, s’asseyant -littéralement- sur eux de tout son poids. Le calme avait été brisé par des exclamations outrées, bientôt suivies de rires et de bruits de lutte. Go away ! You’re so damn heavy ! Naeun écrasée sous son frère qui faisait trois têtes de plus qu’elle, gémissant tout autant qu’elle riait, tachant désespérément de se hisser d’en dessous ses grosses fesses. I knew mom should never have served you this third piece of turkey. Grommelé alors qu’il n’avait pas manqué de sauter sur l’occasion pour lui dire que c’était elle, la dinde. Oh very funny, thank you for that. Did you eat a clown for breakfast ? Roulement d’yeux alors que lui semblait toujours très fier de son sens de la répartie. Comment sa copine faisait-elle pour le supporter ? Naeun qui le savait pourtant très bien, pas le moins du monde heurtée par les mots de ce Yunho qu’elle adorait malgré tout. Il était si rare de le voir décontracté, lui si travailleur et acharné. Il n’y avait que lorsqu’ils étaient tous les trois qu’il devenait ce grand frère insupportable n’en manquant pas une pour les persécuter charrier.

Elle se sentait si heureuse.
Noël et le nouvel an avaient toujours été ses périodes préférées de l'année.

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Do you want to go to the Christmas market ? We didn’t get a chance to go this year. Naeun agrippée au bras de Junseo alors qu’elle tentait d’enfiler ses cuissardes sans tomber, tous deux s’apprêtant à rentrer chez eux. Do you think it’s still there ? Yeah pretty sure. Should probably be the last day, tho. Moment d’arrêt avant qu’elle ne tourne lentement son visage vers lui, ses yeux se faisant les plus doux possible alors qu’elle s’était écrasée contre lui, s’enroulant à son bras : Come ooon, let’s go ! I’m sure it’s gonna be fun ! Et elle n’avait pas besoin de faire ça pour le convaincre mais ne pouvait pas s’en empêcher, Naeun gamine face à ce Junseo qui l’avait regardée un long moment avant de rire (lui aussi, l’aimait). Lui ébouriffant rigoureusement les cheveux il l’avait piégée dans un câlin si serré qu’elle avait couiné, incapable de respirer. What I am ever gonna do with you, hm ? Geez. Love you too, brother. Dit de cette voix de gamine se sachant la préférée, réciproquant l’étreinte (fort fort fort).

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Son rire avait rejoint le brouhaha du marché de Noël, indiquant que Junseo venait de faire une énième blague. À croire que c’était de famille : aucun des deux frères n’était capable de rester plus d'une demi-heure tranquille. Et si Yunho pouvait sembler austère, le cadet lui n’évoquait qu’un énorme golden retriever. Il était l’incarnation du soleil, quoique jamais brûlant. Aussi Naeun était-elle bienheureuse à ses côtés, son bras lié au sien. Parfois, il la bousculait sans prévenir d'un coup d’épaule et elle manquait de se rétamer : n’avait pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu’il l’avait déjà rattrapée. Apprends à doser, non ? Semblait dire ses yeux prêt à le fusiller alors qu’elle ne le pensait pas une seconde (i love you). Alright alright, I’m sorry. Articulé entre deux rires alors qu’il avait levé sa main libre comme pour se rendre. Come here, let me buy you so-

Le sort avait frappé Junseo à la tête.

Puis l’explosion.
L’échoppe à leur droite volant en éclats sous le coup d’un bombarda.

Naeun soufflée comme un fétu de paille, projetée des mètres plus loin. Incapable de formuler la moindre pensée, elle n’avait pas senti son frère lui échapper : n’avait senti que la violence du choc, lui faisant momentanément perdre connaissance.

Ce n’était qu’au contact du sol chaud qu’elle avait semblé reprendre ses esprits. Tout autour d’elle tournait, des cris de terreur déchiraient l’air et pourtant ces derniers ne lui parvenaient pas, rendus sourds face au sifflement perçant dans ses oreilles (à lui en fendre le crâne).  Étalée et incapable de bouger elle avait gémi de douleur, des quintes de toux générées par la fumée accentuant la sensation atroce que son corps n'était plus qu'une plaie ouverte. Naeun incapable d'identifier d'où venait la douleur tant elle était là, partout.

Et cette sonnerie qui ne voulait pas cesser dans ses oreilles.
Cette terrible sonnerie à la rendre folle alors que tout était si flou.
L’odeur du brûlé lui avait mis les larmes aux yeux, incapable d’identifier celle plus musquée du sang coagulé.

Mais elle avait vu.
Avait vu oui lorsqu’elle avait semblé s’acclimater quoiqu’avec difficulté à la nouvelle luminosité cette masse inerte (d é s a r t i c u l é e).

Puis le noir.

Elle avait ouvert ses yeux sans réussir à s’acclimater à la luminosité extérieure. Naeun la tête ailleurs qui n’arrivait pas à comprendre où elle était, qui avait senti une main sur la sienne avant de deviner la silhouette de sa mère. Mo- quinte de toux alors qu’elle avait réalisé à quel point sa gorge lui faisait mal.

Puis ce sentiment de vide.
Ce quelque chose en elle qui essayait de revenir sans qu’elle ne comprenne tout à fait.

Juyeon avait aidé sa fille à se redresser, lui servant un verre d’eau, tâchant de ne pas trembler. Non loin d’elle son époux, Sungho, s’était rapproché pour venir lui presser l’épaule. Yunho, jusqu’alors assis dans un angle de la salle s’était levé et avait quitté la salle pour avertir le corps médical.

Naeun qui commençait à lentement à reprendre pleine possession de ses moyens, luttant contre les antibiotiques et anti-douleurs qui lui donnaient l’impression de ne pas être tout à fait là. Elle se sentait pâteuse, chacune de ses pensées demandant un effort considérable pour devenir intelligible.


Puis un flash.
Le bruit de l'explosion dans ses oreilles alors qu’elle avait sursauté, sa main se crispant sous celle de sa mère. What happe- coupé de court, alors que les souvenirs d'un coup lui revenaient, décousus et par vagues. Where is Junseo demandé d’un ton qui ne semblait pourtant pas poser de question, quelque chose se brisant dans sa voix.

Une urgence.
Le souvenir de son bras contre le sien, de leurs rires.
Le souvenir de sa chute alors qu’il l’avait rattrapée.
Le souvenir de son odeur, de son sourire, de sa présence.

Le regard de sa mère qui n’avait pas répondu.
Where is he, mom ? répété quoiqu’avec plus d’hésitation, car elle sentait quelque chose monter en elle qu’elle ne voulait accepter. Naeun agitée qui avait semblé enfin réaliser la présence de son père : Dad, where is he.

Non.
Non non non non non.

Tout sauf ça.
Tout sauf ça tout mais pas ça.

Ses yeux s’étaient embués face à ses parents si proches d’elle et pourtant si loin.
Un râle était sorti de ses lèvres puis de forts sanglots, déchirant le silence de la chambre.

Elle n’y croyait pas.
Naeun dont tout était devenu étranger, tant la douleur en elle était forte. Naeun qui avait repoussé les bras de sa mère, qui avait tout repoussé jusqu’à manquer de tomber. Juyeon s’était mordue les lèvres jusqu’au sang pour éviter de pleurer, devant s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir à enfermer sa fille contre elle.

Mais rien n’y faisait.
Elle avait beau serrer fort et écraser sa joue sur le crâne de Naeun, elle la sentait partir, lui échapper des mains et se briser par terre. Son coeur déjà endeuillé ne pouvait supporter plus de pleurs, chaque désolation ajoutant un poids qu’elle ne pouvait pas porter. He's gone, sweetheart. Et il ne reviendra pas.

L'hurlement presque animal de Naeun avait fini de faire pleurer sa mère, car elle non plus ne voulait pas y croire.

Et peut-être avait-ce été Junseo, le préféré.

Non non non non, comme un cercle infini dans son esprit alors que plus rien ne faisait sens.
Plus rien ne faisait sens si c'était cette douleur intense, ce gouffre immense.
Si ce n'était l'impression de mourir avec lui car elle ne se le pardonnerait jamais.
Car elle ne pouvait pas y croire.
Non non non, encore et encore.

Elle non plus, ne voulait plus vivre.
Pas sans lui, pas comme ça.
Pas alors qu'il était parti sans elle.
Il ne pouvait pas faire ça.
Pas comme ça.

Le médecin était arrivé d'un claquement de porte, les infirmières à ses côtés se pressant autour du lit.
Sungho avait éloigné puis pris sa femme dans ses bras, la serrant plus fort que tout, car même en l'ayant tout contre lui il avait l'impression de ne rien sentir.

Lui aussi, avait mal.

Elle était là mais ne l’était pas vraiment.
Dans la chambre funéraire avaient commencé les soixante-douze heures de deuil. La cérémonie n’en durerait en réalité que vingt-quatre, l’attentat du vingt-six décembre ayant rempli la morgue et rendu difficile le roulement ordinaire des salles dédiées de l’hôpital. La photo de son frère ne serait ainsi présente qu’aujourd’hui, au point culminent de l’autel, entourée d’un ruban noir. Demain la salle serait nettoyée et les fleurs remplacées, un autre visage prendrait sa place et une nouvelle famille endeuillée enfilerait leurs vêtements noirs et accessoires blancs. Les femmes porteraient un ruban dans leurs cheveux, les hommes une chemise : chacun tacherait de feindre un sourire face à ceux venus présenter leurs respects, réciproquant les salutations les unes après les autres.

Chacun tâcherait de faire comme si la vie ne s’était pas arrêtée quelques jours plus tôt.
Naeun elle n’y arrivait pas.

Assise dans cette étroite chambre qui pourtant accueillait un nombre infini de visiteurs, elle ne voyait personne si ce n’était son corps disloqué à quelques mètres d’elle. Junseo n’était pas en haut de l’autel : il était là, non loin, le corps brûlé et le visage déformé par le sort qui l’avait touché à la tête.

Jamais un caprice n’avait été si durement puni.

Parfois, une larme venait couler sur l'une de ses joues. Inerte, elle les sentait dévaler sa pommette, se perdre sur le coin de ses lèvres avant de glisser sur son menton. Lui aurait-on demandé ce qu’elle ressentait qu’elle n’aurait su répondre : elle ne sentait rien. Avait l’impression d’être restée coincée quelques instants avant la fin, était restée oui à ses côtés alors qu'il l’avait bousculée et manqué de la faire tomber. Elle était restée dans cette bulle de bonheur et n’arrivait à accepter que cette dernière puisse éclater.

Comment pouvait-elle accepter cette nouvelle réalité ?

Alors qu’elle avait si mal, qu’elle était si vide.
Alors que son chagrin infini se mêlait peu à peu à une colère sourde, puissante et impossible à endiguer. Elle la sentait enfler en elle, bouillonnante : en voulait au monde mais surtout à elle-même. Alors elle n’explosait pas, la culpabilité lui enserrant bien trop fort la gorge pour que quoique ce soit en jaillisse.

Elle était hantée, hantée par la sensation de ses bras contre celui qu’elle venait de perdre, hantée par leurs rires alors qu’elle était la seule responsable : avait été celle lui proposant de visiter le marché de noël. Ils auraient pu rentrer chez eux, auraient pu décider de se retrouver le lendemain, auraient pu oui faire mille et une choses. Junseo aurait pu tester son nouveau balai, donner rendez-vous à quelques copains. Évidemment, elle les aurait accompagnés, serait restée en retrait avec une ou deux copines pendant leur jeu improvisé avant de les retrouver autour d’un repas.

Tout aurait pu aller, la joie aurait pu continuer et le soleil ne jamais se coucher.
Mais elle les avait tous condamnés, les avait privés du jour et devrait à présent vivre dans un monde en noir et gris.

Elle était livide.
Ne se pardonnerait jamais d’avoir mis fin à tout ce qu’il y avait de plus précieux.
Ne savait pas comment pourrait venir demain alors que tout s’était éteint.

Mal mal mal
elle avait si mal

n’avait pas pu contenir la culpabilité les images et ce sentiment de perte immense
ne pouvait pas accepter qu’il ne reviendrait jamais
elle avait perdu la personne qu’elle aimait le plus au monde et en était en partie responsable
elle avait tué junseo
elle avait tué junseo et ne se le pardonnerait jamais
comment allait-elle bien pouvoir vivre sans lui
ce n’était pas vrai
ça ne pouvait pas être vrai
ça ne pouvait pas être vrai

chaque jour la tirait de sa léthargie et ramenait la vie en elle
chaque jour diminuait l’effet des médicaments, dissipait la brume de son esprit
chaque minute était plus vive et chaque seconde plus profonde
comme les ongles dans sa paume, ses doigts si serrés à l’en faire saigner

alors elle avait chancelé
le gris en elle avait basculé, noyé par une vague de noir
la réalité l’avait prise à la gorge alors qu’elle avançait dans le couloir de l’hôpital, se dirigeant lentement vers la chambre d’andrea

elle s’était agrippée au mur en dernier rempart, s’était lentement laissée glisser à terre, se recroquevillant sur ses genoux, talons à terre

comment vivrait-elle
comment vivrait-elle ?

sans junseo
comment pourrait-elle continuer à avancer alors qu’elle n’était plus sure d’être ce qu’elle avait toujours été
comment palier cette douleur, ce vide pourtant si lourd

lourd lourd lourd
elle avait si mal
était si triste

s’était laissée aller à un sanglot

une main sur son épaule
un contact qui avait manqué de la faire sursauter
chaleur diffuse pour la ramener au réel
naeun qui aurait voulu pleurer dans ses bras mais il n’était plus là
se sentait perdue, telle une enfant
avait perdu tous ses repères

here
une voix calme qui détonnait dans le vacarme de ses pensées
n’osant pas redresser la tête elle avait vu le mouchoir s’immiscer dans son champ de vision
n’avait pas reconnu la voix mais avait reconnu les chaussures en caoutchouc et la blouse : l’uniforme
un membre du corps médical

bien sûr
thank you

il ne faisait que son travail
avait voulu attraper son bras comme pour s’y tenir, comme s'il allait l'empêcher de se noyer
naeun n’avait plus de repère
elle avait perdu son pilier

i’m sorry
marmonné au travers des larmes, sa voix cassée
et il devait bien savoir de quoi elle parlait : de ces émotions qu’elle ne contrôlait qu'à moitié, de son don qui partageait malgré elle l’intimité de ses sentiments
ressentait-il cette douleur ? cette peur ?
la culpabilité, énorme
écrasante
l’incapacité de croire en un demain sans lui
elle avait si mal
elle se sentait mourir car une partie d’elle était morte : car junseo avait emporté avec lui tout ce qui avait toujours comblé naeun
car comment faire pour que la partie vivante ne suive pas celle qui n'était plus là ?

don’t be, i’m okay
dit doucement comme pour la rassurer
elle avait eu l’esquisse d’un rire, étranglé, proche de la toux
(i’m not though)
elle ne l’était pas
quite the intimacy, isn't it ?

i don’t mind it
et elle en aurait presque deviné un sourire dans son ton
aurait presque souri elle même
(souriait-elle)

i guess i won’t mind either, then
comme si elle avait rendu les armes, comme si elle acceptait de partager avec lui tout ce qu’elle continuerait de garder en elle
cette douleur
si forte
si mal

cette culpabilité partagée qui l’aurait presque soulagée, alors qu’elle avait cherché à se redresser.
n’avait pas croisé son regard, était restée dans cette bulle où il n’avait pas de visage
était restée avec cette présence anonyme dont pourtant elle reconnaitrait à présent la voix
(peut-être)
son confident d’une fois
son témoin
celui l’ayant surprise se trahir
n’avait pas ressenti de gêne
peut-être était-ce car il s’agissait là de son métier

avait vu son avant bras tendu, comme pour la rattraper
n’était pourtant pas si fragile que ça
était venue presser sa main sur son avant bras, lui transmettant à son tour un peu de chaleur
thank you
really, for you.

sourire alors qu’elle était partie
car il était plus rassurant de ne pas prolonger le moment
qu’il reste anonyme
qu’il reste sans visage
qu’il reste ce secret
son secret

--

elle était restée un long moment dans la chambre d'andrea
avait observé son visage endormi, pressant sa main de la sienne
avait parfois pleuré, cachant son visage dans les draps de son lit
l'entendait-il ?

--  

avait retrouvé, à son retour dans sa chambre, une canette sur sa table de chevet
à la pêche
qui était revenue deux jours plus tard
régulièrement sans aucune explication
ce n’était pas son frère pas ses amis
les infirmières n’avaient pas su répondre
et lors de son départ
alors qu'elle avait enfilé ses vêtements, s'était préparée à faire face au monde d'avant, quoiqu'à présent différent
la canette à la pêche
encore

alors elle avait su
(lui)

elle ne l’avait pas bue et l’avait mise en évidence chez elle
lui
lui seul savait
lui seul saurait
(un inconnu)

son inconnu
le junseo qu'elle n'avait plus

elle s’était sentie de briser
voler en mille éclats
son coeur s’était arrêté

le temps s’était arrêté
i-i need to go

jeté précipitamment et évasivement à un collègue du conseil alors qu’elle avait chancelé, s’éloignant tant bien que mal

elle n’arrivait plus à penser
n’arrivait plus à respirer
c’était comme si tout en elle avait fait court-circuit
sentait la force la quitter alors que trébuchant elle était tombée par terre

avait cherché à inspirer un grand coup, incapable pourtant d’aspirer la moindre bouffée d’air
toussant elle avait réprimé un haut le coeur, des larmes ne tardant à venir brouiller son champ de vision
s’était redressée et avait commencé à courir, chancelante, évitant la foule abasourdie par ce bombarda

ce bombarda
elle avait des images plein la tête et étrangement n’avait plus rien en tête
souffrait comme si elle avait été au coeur de l’explosion

avait manqué de tomber avant de se rattraper à un dossier de chaise, avait réussi à pousser une porte et s’isoler
avait vomi l’entièreté de son estomac, toujours incapable de respirer

ça n’allait pas
pas pas pas pas pas pas

incapable de comprendre ce qui lui arrivait, elle se sentait comme un animal à l’agonie
avait envie de pleurer mais n’arrivait pas à se contrôler, n’arrivait non à reprendre le contrôle sur sa respiration
erratique

n’avait pas d’air

hey-
naeun qui avait senti une présence quoiqu’incapable de comprendre ce que la voix quelque peu essoufflée venait de dire, qui entendait les sons mais n’en comprenait plus le sens
avait senti la main sans que rien ne la ramène
elle ne comprenait plus rien

ou-
-out
get out !!!

avait-elle eu envie d’hurler, au travers des larmes et de cette gorge qui lui faisait si mal, de ses poumons en feu et de son corps qui ne répondait plus de rien (plaie ouverte)
elle n’avait plus le contrôle sur rien
naeun plongée dans l’enfer du marché de noël où elle était la seule responsable
naeun qui avait tué son frère et qui ne voulait plus faire de mal

mort mort mort mort
la mort n’avait jamais fait si mal
une mort qui lui rappelait le rouge des flammes la silhouette inerte de son frère
l’air qui lui manquait lui rappelait les sifflements de l’explosion, lui rappelait la douleur dans sa gorge
la fumée
la toux
le noir

(elle ne voulait pas mourir)

avait senti la pression sur elle s’intensifier, la main quittant son épaule pour venir l’entourer
naeun blottie, perdue, accrochée à un corps étranger
un de ses bras avait cherché à se dégager de l’emprise : poussant le flanc de la présence
l’autre, cependant, s’était accroché à elle comme si sa vie en dépendait

it’s okay, everything’s gonna be alright

son cerveau incapable d’intégrer ce qu’il lui disait, criait au manque d’oxygène
aussi n’avait-elle pas tout à fait entendu les tentatives répétitives de la calmer : les explications sur la crise de panique, le fait que tout allait aller, passer. parfois elle entendait des bribes, parfois non, n’arrivant à se décider entre un please get out et un i’m so sorry

i’m so sorry for killing you

lui junseo par transfert émotionnel, qui lui disait que tout le monde allait bien et qu’il n’y avait aucun blessé. mais naeun n’écoutait pas et lorsqu’il avait tenté de se séparer d’elle elle s’était sentie tuée

s’était agrippée pathétiquement à lui comme si cela allait le retenir
(il n’est plus là, naeun : il ne reviendra pas)

do-don’t-
don’t you dare leaving me again
please don’t leave
please don’t leave me alone
please don’t go junseo
please don’t die
i’m so sorry
so so sorry
(everything’s my fault)
(i’m so sorry)

naeun prise dans une spirale sans fin ou ses pensées ne faisaient plus aucun sens
elle était coincée dans un tourbillon fou, des courts-circuits fréquents coupant le flux de ses pensées et empêchant le moindre raisonnement logique
elle avait si mal, avait hoqueté en cherchant désespérément à inspirer de l’air puis, sous la perte imminente de ce corps se détachant d’elle, avait fini par hyper ventiler

puis une sensation étrange
une vague de calme naissant en elle sans qu’elle n’en comprenne la source
elle avait eu envie de pleurer
non pas pleurer de ces larmes mécaniques emplies d'incompréhension et de panique, mais pleurer car quelque chose en elle lui faisait mal
pleurer car ce changement en elle lui serrait la poitrine, lui donnait envie de laisser éclater ces sanglots qu’elle avait réprimés, enfouis tout au fond d’elle car elle n’avait plus personne avec qui pleurer
car les bras de junseo n’étaient plus là pour l’accueillir quand ça n’allait pas
naeun n’avait jamais su aller mal hormis avec lui

il lui manquait tellement
i’m so sorry prononcé dans un hoquet alors qu’elle semblait émerger, que les explications du garçon arrivaient enfin à être interprétées (ce n’était plus qu’un simple son)
i’m so sorry
en boucle dans sa tête et sur ses lèvres alors qu’elle essayait entre deux hoquets de reprendre le contrôle sur sa respiration
inspirer longement
expirer dans un sanglot

expirer jusqu’à que la panique parte et qu’il ne reste plus que la tristesse
l’immense tristesse, cette peine sans fond, ce mal purulent qui ne guérissait pas avec le temps
car même si elle savait qu’il ne pourrait jamais revenir
car même si elle savait qu'elle devait aller de l’avant
il
lui
manquait
tellement

naeun si fatiguée, exténuée contre la présence, le serrant si fort de ses bras alors qu’elle répétait pathétiquement des i’m so sorry la voix de plus en plus faible, les yeux clos

puis le noir
total

--

réveil dans le lit de l’infirmerie
une canette pêche à ses côtés, sur sa table de chevet
elle avait longtemps pleuré