— SILVER SOUL

appel au meurtre
la coïncidence n’existe pas
les anomalies ne meurent pas
les accidents n’arrivent pas
Haru est mort. Ils disent que c’est sa faute, ils disent qu’elle n’a pas respecté les règles, qu’elle a tenté de libérer les sujets afin de saboter l’expérience hensoku. Parmi ce fouillis de fables, elle est incapable de trier la vérité. Elle n’a pas le cœur de se rebeller.
« Ryujinchi-san, comment comptez-vous assumer la responsabilité de ce qu’il vient de se passer ? Le sujet A3410 était sous vos soins. » Son supérieur la scrutine mais il n’y a rien à trouver dans l’esprit de l’Occlumens. Son regard est vide, ses poumons sont si lents qu’elle oublie de respirer. Pourtant, Gin ne bouge pas. Immobile comme une poupée, elle boit les mots acharnés tombés dans ses oreilles. On lui jette un parchemin et de l’encre ainsi la réveillant de son hypnose puis on lui aboie dessus. Comme un chien, une moins que rien – pourquoi sont-ils si polis, elle veut disparaître. « Démissionnez. » Elle s’exécute. Sans réfléchir, Gin se penche sur la table et attrape une plume. Les mots flottent sur le papier avec hésitation.
Puis son poignet s’arrête brusquement. Comme si son propre corps refusait d’accomplir une action aussi simple. Alors qu’elle prie sa main pour poursuivre l’écriture, l’encre fraîche se teinte d’humidité. Sans le savoir, les gouttes tombent comme une pluie inattendue et les caractères disparaissent les uns après les autres derrière les larmes. « Je suis désolée. » murmure-t-elle en relâchant le stylo. A elle-même, à son rêve, à sa famille pour souiller l’honneur, à lui. « Je ne peux pas. » Sa voix se brise comme un miroir fragile. « Je suis persuadée...que...rien de tout ça n’était ma faute. Je n’ai rien fait de mal. » Maintenant plus ferme qu’elle ne l’était, elle trouve un courage instable dans ses reniflements. Son supérieur fronce les sourcils et elle sait qu’à cet instant, bien que la plume soit loin de ses doigts, elle a signé la mort de sa carrière. « Alors vous passerez en commission pour faute lourde. » Elle abaisse sa tête et accepte volontiers toute punition qui viendra s’abattre sur son dos.

Pourquoi es-tu ici ?
Je veux découvrir les secrets de l’univers.
Aimes-tu travailler ici ?
Oui.
Aimes-tu les hensoku ?
(Silence)
Ont-ils essayé de communiquer avec toi ?
(Silence)
Que vois-tu quand tu entres dans leur esprit ?
Rien, rien du tout.
As-tu aidé des hensoku à s’échapper du laboratoire ?
(Silence)
As-tu saboté les plans de tes supérieurs ?
(Silence)
Que s’est-il passé la nuit du 26 mars 2016 ?
(Silence)
As-tu tué le sujet A3410 ((haru)) ?
(Silence)
Pourquoi as-tu refusé de suivre les ordres ?
Parce qu’ils sont humains eux aussi.

Suffoquée par la confrontation, Gin n’a plus peur.
« Tu as joué un rôle dedans, n’est-ce pas ? » Son père est évasif, ses yeux ne veulent pas la rencontrer. La vérité s’échappe dans l’antre du silence. « Pour...quoi ? »
« Ce n’était pas une bonne fréquentation, il était dangereux —
« C’était mon job ! » La colère se met en route dans sa voix. Sa vision se voile de rouge et d’eau. « Tu n’avais rien à faire dedans ! »
Le discours du père se poursuit, les mots se perdent mais le message est reçu : Combien t’ont déjà brisé le cœur ? Entre les opportunistes, les bourreaux et les mauvais garçons, ta malchance en amour devient risible, ma fille.
Fille bête et naïve, sentimentale de la vie et pourtant élevée chez les tigres. Tu devrais savoir que tu ne trouveras aucun amour ici. Aucune dignité. Que de la brutalité et du sang ; ce sont les seules lettres qu’il connait. ((愛)) « Alors tu... tu l’as tué ? » ( HEARTBROKEN ) Myocarde invasive qui implose. Le souffle lui manque, la tête tourne et les voix se dispersent avec écho. La sienne brise son intimité, comme il le fait toujours. Il lui ordonne de se calmer mais cette intrusion la met en rage. Les larmes coulent sur ses joues alors qu’elle perd appui sur ses jambes. Sa main saisit le bois du bureau et elle ne sait plus respirer ; sa voix tranche, tremble, pleure. « N’entre pas dans ma tête. N’ose même pas. » ( PANIC ATTACK ) elle tombe au sol, sa tête cogne la moquette. Fille de yakuza, sang de dragon, fierté de son nom – une comptine de mensonges et fardeau.
Haru se vantait toujours de connaître le vrai visage de Ryūtora ; il clamait sans cesse qu’ils l’ont mis là. Vendu, trafiqué pour leurs intérêts. Elle l’a cru car elle connait les rouages de cette entreprise damnée. Elle connaît son père.

i create a new path no one has attempted before
all those condescending people will click their tongues
but the applause i receive after breaking that prejudice is thrilling

Pourquoi ne pas devenir médicomage ?
Je ne veux pas être responsable de la mort des autres.
Mais c’est ton job de les sauver.
Vu ma chance, j’en tuerai plus que je n’en sauverai.
On lui a souvent demandé pourquoi elle n’était pas devenue médicomage. Elle pourrait puisqu'elle a étudié cet art avec assiduité. Après tout, ça fonctionnerait si bien avec son caractère. Sauf qu'un doute constant planerait ; l'incertitude d'un diagnostique, la probabilité d'obscurcir les choses pleines d'espoir. Pourquoi se cantonner qu’à la guérison, prendre le risque de blesser, quand toutes les sciences s’offrent à elle ?

Utile ; elle veut se rendre utile. Elle est sûre que cela ne peut arriver qu’en révolutionnant le monde. Une arrogance qui lui sied bien et pourtant, qui est à l’opposé de son maquillage de blancheur.

Gin aime la magie plus qu’elle n’aime l’autre. Et maintenant, elle doit apprendre à aimer l’autre plus qu’elle n’aime la magie.

Je n'abandonne pas pour autant, promis.
Si le gouvernement ne peut subventionner son rêve, elle trouvera ses fonds ailleurs. Alors elle tire le manche au pachinko et parie sa fortune innée pour redécouvrir tout ce qui existe déjà. Une avidité vantarde qui la dépasse complètement. Si elle arrivait à faciliter la vie de l'autre, cela reviendrait à guérir les maux de tous, non ? N’est-ce pas là la plus grande preuve d’amour ?

Elle doit se recréer. Encore.
Professeure ? Ca ne lui va pas.
Sensei ? Un titre qui fait rougir ses joues.

Elle se contente d’alchimie ; une compétence qui se fait rare à l’ère actuel pourtant fondamental (un savant mélange de l'étude des potions et de la finesse de la métamorphose). Et de ce qu’elle appelle la « magie mécanique » (la construction d’objets ensorcelés ou bien la capacité d’insuffler de la magie à des objets moldus – connaître les rouages d’un sort, d’une formule ou d’une potion pour l’appliquer à un bien physique)
Et donc, elle accepte cette ultime faveur. Elle ne met rien d’elle dedans, rien qui ne puisse la réparer de sa perte.

Mais les jours passent, le soleil se lève.
On doit apprendre à respirer de nouveau.
Les larmes s'effacent et le sourire revient.

kids, kids.
kids are gonna do what they want

Une élève pleure dans les couloirs et Gin se tâte à ignorer les couinements. Elle passe devant elle, balançant ses cheveux, lassée – l’écho d’une jeunesse similaire miroite à sa vue. Alors elle se retourne, revient sur ses pas et console l’élève en pleurs.
— Je ne pense pas que je devrais écouter vos conseils. Ne le prenez pas mal, sensei, mais tout le monde dit que vous êtes nulle en amour.
Et là, c’est une flèche qui perce son cœur. Non celle de Cupidon mais une pointe d’acier innocente. Elle fait semblant de ne pas l’entendre mais Gin n’a jamais été une stoïcienne. Entre la moquerie et la contestation, elle ne sait où se placer.
— Ah ! Mais c’est...faux ? Qui dit ça ? Encore une rumeur stupide, je suis belle et intelligente. Regarde-moi, je les fais tous tomber ! (Un autre l'a encore ghostée vendredi soir)
— Et la rumeur qui dit que vous êtes vraiment riche mais que vous perdez votre argent au casino, c’est vrai aussi ? Apparemment vous jouez même avec les étudiants.
Gin se lève avec un sourire béat, prête à retourner dans le déni. Si elle ne voit pas ses défauts placardés sur les murs alors ils n’existent pas vraiment.
— Tiens, on a vraiment bien parlé. Surtout ne laisse pas les garçons te faire pleurer, d’accord ? N’oublie pas de me rendre ton devoir sur les différentes étapes de métamorphose des pierres précieuses avec l’eau pour la semaine prochaine.
— Est-ce que vous les corrigerez vraiment ?
— Evidemment.
— Mes senpai en 3e année disent que vous ne leur avez jamais rendu leur copie de l’année dernière.
— Ah...Ils ont eu leur note, non ? J’ai dû les corriger alors. Je crois ? Les notes sont-elles si importantes une fois qu'on a son année, hein? (Ou bien, par soucis de temps, elle a dû mettre des notes au hasard.) Elle se souvient stresser à chaque période d'examen et harceler les profs pour obtenir des points supplémentaires.
Elle tourne les talons et reprend son chemin. Elle soupire, elle soupire, elle soupire souvent cette Gin. Pour masquer ce frêle pincement créé par la malchance, elle s’amuse aux équations mystères dans sa tête (celle qui n’ont jamais de réponse). Puis ça ne la divertit plus.

YOU CAN’T SPELL ‘PACIFIST’ WITHOUT ‘FIST’
WHICH YOU NEED TO THROW A PUNCH
De retour dans son bureau, elle examine le bazar laissé derrière elle. Aux yeux ignorants, ce n’est que l’illustration d’une prof désordonnée mais pour les initiés, ce territoire est une mine de dangers. A cause de l’érudition, l’envie de singulier, elle cherche à ses heures perdues la recette magique pour la sérénité universelle. Si Flamel a découvert l’immortalité alors Ryujinchi imposera l’utopie. Si elle était un poil plus candide, elle apposerait l’étiquette AEGIS sur de nombreuses fioles et carnets. Cette croyance la motive à se surpasser (c'est tout ce qu'elle peut faire maintenant qu'elle a réparé son mièvre petit cœur) à faire fuser son cerveau pour faciliter le quotidien de tous. Gin s’affale sur sa chaise, regardant le tas de bric-à-brac abandonné. Que pensait-elle faire avec ces trouvailles – elle n’est qu’une langue-de-plomb échouée, une scientifique radiée.


Peut-être devrait-elle commencer par conforter ceux qu’elle peut atteindre avant de rêver de sauver le monde.
Car ses étudiants sont à sa portée.