les mots lui ont coûté.
elle a docilement donné les souvenirs qu’on lui demandait en guise de preuve. les filaments se sont accrochés au bout de sa baguette, ont lutté pour ne pas tomber dans cette eau magique et tourbillonnante qui a eut tôt fait de les noyer. ((elle ne voulait pas les donner, c’était à eux, c’était leur intimité, c’était à eux !)). elle a vu défiler sous ses yeux la nuit du woodstick, la première fois qu’il lui a joué du piano, puis qu’ils ont dansé un slow, la presque dispute dans la salle de bain et les brûlures sur son dos. quelques moments clés de leur histoire beaucoup trop belle qui se terminait maintenant.
on l’a laissée entrer : elle était à la dernière page.
ce n’est pas la première fois qu’elle voit un cadavre. mais c’est la première fois qu’elle en voit un sous cette lumière froide, assassine, dégueulasse. et c’est bien la première fois que la lumière ne lui rend pas justice. “vous le reconnaissez ?” elle est incapable de répondre, elle fait oui de la tête. oui, elle le reconnaît, mais sans le reconnaître. c’est lui sans être lui. il ne ressemble pas vraiment à l’homme qu’elle aime. il est trop livide, ses traits sont trop tirés, ils lui ont fermé les yeux qu’il a beaucoup trop bleus, et aucune magie n’est parvenue à totalement camoufler le trou qu’il a sur le côté droit du crâne. on lui explique que le choc a été rapide et violent, que par conséquent il n’a pas souffert, c’est un bien, oui, c’est une bonne chose, par contre la voiture est partie à la casse, il n’y a rien à faire, et des traces de charme acclamant ont été retrouvées à l’autopsie, c’est peut-être bien ce qui a causé l’accident, oui, très probablement, vous pouvez confirmer son identité selon le protocole, s’il vous plaît ?
la sorcière se plie à la demande : “oui, c’est raffaele san remo.”
le nom est enregistré, une plume l’écrit sur une étiquette qui ira sur la petite porte du grand tiroir où raffaele sera rangé. on lui dit qu’elle peut rester quelques minutes de plus avec le corps ou qu’elle peut partir maintenant, c’est comme elle veut. elle le reverra à l’enterrement, de toute façon.
elle essaye de sortir de la morgue mais elle n’y arrive pas. peut-être qu’elle tombe dans un escalier, ou bien qu’elle tombe en dépression. elle n’en sort pas. on en sort jamais vraiment.
((elle se réveille comme on sortirait la tête de l’eau après avoir dit bonjour à la noyade.))
old saying dans la communauté voyante : les rêves qui font le lien entre le jeudi et le vendredi sont prémonitoires. catastrophée, elle se jette sur son portable. sur l’écran elle lit : vendredi matin, 3h58. ((putain.)) elle s’effondre, elle ne peut plus respirer, elle suffoque, son portable tombe et fait un bruit sourd sur le parquet de l'hôtel, elle suffoque encore. à chaque inspiration, elle fait le vacarme d’une bouteille en plastique que l’on écrase avant de la jeter à la poubelle. elle entend que raffaele se réveille, embrumé, et dès qu’il la touche, elle se met à pleurer.