not good at goodbyes (shiloa)

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] / 29 OCTOBRE 2020 · la chambre était silencieuse, seulement bercée par le cliquetis des bijoux que l'on enfilait et des vagues, par la fenêtre ouverte. il faisait froid, et l'échine de shilo se parait de points invisibles à l'oeil nu. ce sont ses yeux, qu'il ferma, d'abord, en croisant le miroir. il avait l'impression d'être un autre, et à la fois, de ne jamais avoir autant été lui-même. sur le tissu de lin clair, les parures de coquillages aux nacres brillantes comme des trésors cliquetaient, et en dessous, c'était le coeur, qui battait encore plus fort -comme pour rythmer la panique grandissante. la porte claquée de sa chambre, minuscule, dans la maison familiale sans avoir besoin de plus. il entendait en bas les murmures et les chants de joie qui entouraient sa grande soeur -elle était prête. pas lui. ou si. il n'en savait rien, et à vrai dire, il pensait ne pas en être certain jusqu'au moment du départ. dans quelques minutes à peine, elle serait autre, incapable de parole, et disparue dans les flots. on lui avait dit qu'il suffirait de revenir vers la mer, pour sentir qu'elle veillait sur lui, et il s'efforçait d'y croire. alors pourquoi est-ce que son souffle avait peine à aller et venir ?
la tête tournait un peu, alors qu'il se réfugiait dans la chambre de gauche, sans même frapper. soa avait toujours su se préparer avant lui, et elle était sur son lit, l'air peu encline à descendre avec les autres, aussi. on les attendait. tout le monde, y compris kita. mais il s'assit sur le matelas mince et soupira longuement en laissant sa tête dériver vers le plafond. "i don't know if i can do this." les pertes et l'absence et le silence et les fantômes,
comment était-il censé avoir le coeur léger,
quand il s'apprêtait à perdre encore quelqu'un ?

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] / 29 OCTOBRE 2020 · Quand ses yeux se ferment, c’est le visage de ses frangins qu’elle contemple dans ses rêves. Plus jeunes et plus innocents, des étoiles dans le regard et des rêves plein la tête. Elle se revoit à leurs côtés, moins énergique mais le sourire accroché aux lèvres quand ils tentent de lui changer les idées après plusieurs jours cloués au lit. Aujourd’hui, encore, ses lèvres se parent d’une esquisse délicate, presque nostalgique de cette époque. Les souvenirs sont gravés dans sa mémoire, mais le seront-ils pour toujours ? Soaïa ouvre alors ses paupières, un souffle difficile s’échappant de ses lippes maquillées. Elle a le visage peint des traditions de son peuple et la tenue qu’elle porte est le reflet de son âme, un morceau d’elle aux couleurs de l’eau, le bruit des vagues dans chaque coquillage. Au loin résonne déjà les coutumes symphoniques, la mélodie qui se chante dans une joie semblant parfois incompréhensible. Après tout, n’a-t-elle pas le droit d’être triste ? Elle est désarmée et incapable de se résumer à ne ressentir qu’une seule et même émotion. Partagée entre la gaieté et les affres de l’oubli, l’enfant est heureuse pour Kitaharay mais égoïste envers elle-même. Paradoxe étouffé le temps d’un instant où les peines se répriment et s’échangent contre la tendresse d’un sourire et la beauté des aux revoirs — ce n’est pas un adieu, ils lui ont promis. Un doigt plongé dans l’eau remplace les accolades bienveillantes, souffle à l’âme les conseils qui lui manquent et montre la voie aux esprits embrumés : c’est ce qu’ils racontent depuis qu’ils sont enfants. Ce sont des légendes.

Le cours de ses pensées se tait, coupé lorsque son frère la rejoint sur le lit. Ses yeux s’éternisent longuement sur sa chevelure et se glissent petit à petit vers le bleu de sa tenue. Elle est de la même teinte que la sienne, et leurs regards sont les mêmes. Ils n’ont pas besoin de faire long discours pour le savoir, ils se ressemblent. Pourtant, Shilo se décide à murmurer quelques mots, le myocarde plus lourd encore que le sien peut-être.

« We can’t do otherwise. We don’t have the choice. »

Elle tente d’être forte pour lui, d’être forte pour eux. Il n’y aura plus qu’eux bientôt et ils le savent. Elle pose alors sa tête sur l’épaule du garçon, sa main fragile et froide s'empresse de mêler ses doigts aux siens dans une passion rare mais intense. Et si elle le perdait lui ? Jamais elle ne s’en relèverait. Alors elle est prête à prendre le poids qu’il porte sur son dos dans un silence stupide, prête à être forte pour deux. Quitte à se délaisser, elle.

« Let’s be strong Shilo. Let’s be strong. » elle murmure, basse.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] / 29 OCTOBRE 2020 · Le silence autour d'eux n'était jamais de bonne augure. Si Soa et Shilo se comprenaient sans un mot, ils avaient pourtant l'habitude de communiquer, même en haussant le ton. Cette fois, il n'y avait que la clameur qui transpirait par les fenêtres ouvertes et le bruit des vagues, pour envelopper la mélancolie de l'absence anticipée. Dans quelques heures, leur soeur serait loin d'eux, et si la tradition voulait qu'elle reste tout de même, il savait, sans se voiler la face, qu'il le vivrait comme un manque. La tête de Soa sur son épaule le réconforta un peu -elle avait presque toujours la peau froide, malgré sa nouvelle condition de loup.Il soupira. "You're right. It's- just. It's a lot."
Noya. Nao. Maman, et les fantômes, l'absence de plus, la mer à perte de vue. Le silence, alors qu'il se leva à moitié décidé, pour poser ses lèvres sur son front. Symbole protecteur, dont il la savait parfois agacée, mais ils en avaient tous les deux besoin. "You already are." Bien sûr qu'elle était forte, et qu'ils le seraient ensemble. Ils l'avaient toujours été. Soa sentait la cigarette, en demi-teinte, bien cachée par les odeurs sucrées et amères qui venaient avec les conques de la tenue traditionnelle, et il n'en dit rien.

La maison, le jardin, le chemin jusqu'à la plage étaient constellés de coquilles vides qui brillaient comme des perles sous le dernier soleil d'automne. Paysage presque enchanteur dont il avait l'habitude, le soir des contes ou les jours de fête. Il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir des souvenirs de funérailles, alors pourtant que tout le monde semblait heureux. Comment peut-on être heureux de voir partir ceux qu'on aime ? La vie lui en avait déjà arraché bien trop.

Et quand Kitaharay s'avanca vers eux pour les prendre dans ses bras, ce fut la première fois qu'il lâcha la main de Soa depuis qu'ils étaient descendu. Triade mouvante en étreinte presque désespérée -c'est la dernière fois qu'il la serrait contre lui, il le savait, il s'accrocha plus que de raison. Il avait la voix d'un enfant, presque. Espérant sans cesse après la dernière chance. "Tu promets de ne jamais partir trop loin ?"

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] / 29 OCTOBRE 2020 · À cet instant, le caractère tragique de la scène lui fait prendre conscience de la réalité. Ce n’est ni rêve ni spectre horrifiant. Il s’agit simplement d’une nouvelle étape. Shilo reste à ses côtés tandis qu’elle s’envole dans les eaux inexplorées de l’immense océan, et pour toujours une partie d’elle est accrochée dans la poitrine. Pourtant, Soaïa tremble. Elle est effrayée à l’idée que Kitaharay parte et ne revienne jamais, elle s’éloigne de leurs traditions et les échanges contre un sentiment de crainte : la naissance d’une envie égoïste quand elle sait la joie qui transporte la femme. Et lui, ne pense-t-il pas de la même façon ? Si ce n’est les mots exacts, l’idée se ressemble terriblement. C’est ce qu’elle essaie de croire lorsque les lèvres de son frère atteignent son front. Il la rassure à chacun de ses gestes et si parfois elle exprime son contraire, aujourd’hui elle en a besoin plus que tout au monde. Elle lui manque déjà.

« Only because you're with me. Don't leave me please. »

Quand ils descendent enfin, c’est une ambiance différente qu’ils découvrent. Elle n’est pas surprise et il ne semble pas l’être non plus, cependant sa main serre machinalement un peu plus la sienne, comme pour prendre une force supplémentaire, un courage grand et puissant. À ses pieds y est décoré tout un chemin brillant de coquillages rejoignant l’habitat jusqu’à la mère. Soaïa a une boule au ventre qu’elle réprime encore et encore, elle fait abstraction de ses sentiments négatifs quand son regard croise celui de l’aîné. Elle est magnifique. Souriante et majestueuse. Kitaharay a sans doute toujours été la plus courageuse des trois, plus mature et altruiste : un exemple.

« J’espère qu’on écrira des légendes de tes aventures. »

Une dernière fois. Une toute dernière fois. C’est la dernière fois qu’ils forment ensemble cette étreinte rare et particulière. Soaïa regrette presque qu’ils ne s’en soient pas fait plus souvent tant il fait bon vivre. Elle cache ses yeux humides dans la manche de la femme et tente d’être forte. Pourtant elle semble être la plus faible, et si les mots qu’elles venaient de prononcer expriment une certaine hâte, ses pensées formulent l’insoutenable inverse.

« Prend soins de toi, we'll take care of ourselves. »

Et sa voix craque un peu plus, la poésie transmise plus à elle-même qu’envers la future Ayakashi, c’est un « je t’aime » qu’elle lui murmure silencieusement avant qu'ils ne se relâchent.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] / 29 OCTOBRE 2020 · Il savait qu’ils n’avaient besoin, tous les deux, d’aucune tristesse supplémentaire, alors Shilo s’efforça de faire ce qu’il faisait le mieux : mettre un masque qui épousait à la perfection ses traits. La tristesse se changea en mélancolie complice, et il lui adressa un clin d’œil : le petit doigt scellé au sien une seconde à peine avant de rejoindre la mer, promesse silencieuse. Il ne la laisserait jamais, il était présent plus qu’elle ne le savait, même, et d’ailleurs, Kita ne les laissait pas vraiment. Pas vrai ? Pas vrai ?
« Je m’en chargerai, s’il le faut. » Et ça réchauffe son cœur, de penser que sa sœur vivra encore à travers les contes, scandés au travers des yeux brillants des enfants et des souvenirs des vieillards. Elle ne disparaîtrait pas, tant qu’ils seront là. Hors même de l’étreinte de la fratrie, il sentait les yeux de son père, armés d’un calme que seuls les mémoires acérées pouvaient produire. Ils n’étaient tous faits que de souvenirs et de traditions qu’il leur faudrait perpétuer. Le poids était, cependant, un peu plus lourd aujourd’hui que l’aînée en faisait les frais. « Ne pensez pas que je ne veillerai pas sur vous, mh ? Pas de bêtises en mon absence. » Et Kita parlait comme si elle partait en voyage –seulement, elle ne reviendrait pas. L’impression de poids dans le cœur qui pesaient lourd comme l’ancre d’amarrage. Il la regarda, en silence –elle était déjà différente, l’Ayakashi qui gagnait du terrain. Ses dents changées en crocs, les écailles sur sa peau autrefois diaphanes, et la partie inférieure dragon d’eau –qui l’obligeait à rester immergée même en journée. Depuis des semaines déjà, les enfants n’avaient plus la même relation, et il réalisa, qu’il était de toute façon trop tard. Elle n’était pas un monstre, elle était devenue gardienne, ou trésor. Mais les trésors sont toujours trop inaccessibles. Il soupira. Posa un baiser sur sa joue humide, mais tâcha de sourire. Un murmure. « Je viendrai t’écouter chanter. »
Et il chantera avec elle. Une promesse silencieuse –une énième, celles dont il avait besoin.

Bientôt, ils durent s’émerger de l’eau où leur sœur semblait déjà prête à prendre le large. Les chants montèrent, et s’il joignit le chœur, d’une voix entre grondement d’orage et rivière, il tenait toujours fermement la main de Soa dans la sienne. Prêt pour l’au-revoir, lorsque la sœur devenue dragon disparut finalement sous la surface (et il ne se rendit pas compte de l’eau salée qui avait trempé ses joues à lui).