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⌜ and my necklace is of rope ⌟
17 octobre 2020, émile
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17:32 le silence semblait ne jamais vouloir naître. Cela faisait plusieurs jours déjà que Runa avait légalement dépassé son vingt-sixième anniversaire, et pourtant les festivités n’avaient pas encore véritablement débutées. Il avait fallu attendre le weekend suivant (car l’on ne pouvait célébrer un anniversaire en avance, avait déclaré Keiko Uotani d’un ton ferme, cela porterait malheur) et rien ne devait jamais arriver à l’héritière Uotani – de mal comme de bien. Les invitations avaient été lancées des semaines auparavant, et des rencontres brusques et doucereuses menées avec les professionnels de l’évènementiel ; le champagne avait bien entendu été confié aux Mumm-Roederer, en dépit des récents développements qui avaient secoués la vie amoureuse de leur héritière Victoria – Runa avait insisté, et ses parents concédés. Ce n'était pas comme s’ils étaient dans une meilleure position que les Mumm-Roederer (au moins leur fille daignait-elle s’intéresser à quelqu’un).

Runa se retrouva donc drapée d’une cape ornée de plumes d’Abraxans, comme s’il était possible que quiconque oublie qui était censé être la reine de la soirée. Une maquilleuse déposa délicatement une poudre étincelante sur ses paupières avant d’y tracer un trait d’eyeliner un peu trop audacieux, mais qu’importe. Tous allaient la regarder, requérir son attention et ses réactions aux cadeaux offerts, quelle que soit la tenue qu’elle porterait.

(et puis, les rumeurs qui avaient secoué Mahoutokoro au sujet de sa petite sœur ne lui étaient pas inconnues ; elle doutait que quiconque ait l’audace ((le mauvais goût !)) de les évoquer lors d’un tel gala, lors d’une telle célébration – mais il était de son devoir d’attirer les regards pour que Sonoe puisse mieux se dissimuler.

Elles n’avaient pas évoqué le sujet, et elle ne savait pas quoi déduire de ce silence.)

21:37 les convives dévoraient son énergie à la façon de vampires au sourire étincelant, au regard amène et aux griffes peintes de couleurs chatoyantes. On murmurait dans son oreille des vœux de bonheur et des propositions de partenariat avec les Uotani, riait aux plaisanteries qui étaient échangées et analysait le moindre de ses mots, la moindre de ses syllabes – « il faut que je consulte le reste de la famille sur le sujet » offrait-elle toujours pour éviter de se laisser enfermer dans un quelconque engagement dont elle ne pourrait s’extirper que difficilement par la suite. Les visages défilaient autour d’elle jusqu’à se transformer en un étrange mélange de regards et de sourires qu’elle ne pourrait associer à quiconque, trop éthérés et désincarnés pour véritablement appartenir à des êtres humains.

Seul un visage continuait à transpercer sa vision, radieux dans sa netteté – Sonoe se tenait un peu à l’écart, drapée dans des soieries qui étaient assurée de ne pas faire pâlir celles de Runa si elles se retrouvaient côte à côte ; sa posture étrange, alors que leurs parents l’entouraient tels un couple de vautour contemplant patiemment un animal décharné au seuil de la mort ; fronçant les sourcils, Runa s’excusa poliment auprès de ses invités – un couple de joailliers venus de Corée, lui semblait-il – pour s’approcher de sa famille, claquant négligemment des doigts pour que trois coupes de champagne s’échappent du plateau argenté de l’un des serveurs pour et se dirigent vers les mains des membres de sa famille.

Les visages étaient fermés, marmoréens ; ciselés dans une expression heurtée. « Avez-vous eu l’occasion de goûter au champagne ? » Runa offrit sans s’embarrasser de laisser la conversation se dérouler. « Il est délicieux. »
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⌜ and my necklace is of rope ⌟
17 octobre 2020, émile
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] @"runa uotani"
15.10 ses poumons étaient remplis d'eau.

petit à petit, son château s'écroulait, grains de sable minuscules qui glissaient entre ses doigts sans qu'elle ne puisse les retenir. sonoe avait tant cherché à dissimuler ce qui ne pouvait l'être qu'elle avait fini par croire à son propre mensonge, s'installant dans une routine sûre, réfléchie, impénétrable. la vérité était qu'elle avait vraisemblablement baissé sa garde, non pas en laissant la rumeur de sa véritable nature se répandre à la façon d'un poison corrosif, mais en y accordant trop d'importance.

ce fut oliver qui lui montra sa provenance, lors du déjeuner, post instagram anonyme qui exposait une photo d'elle modifiée, avec des oreilles de loup ; mais là où elle aurait habituellement ri à gorge déployée, son sourire s'était terni et son visage s'était fermé. elle s'était enquise par la suite de l'heure du post, du lieu, des personnes y ayant répondu, de celles qui repostaient la photo trafiquée sur leurs profils, de façon à réunir tout un tas d'informations pouvant guider ((plus tard)) ses pas plein de rage.

sans s'en rendre compte, sa voix s'éleva.
sans s'en rendre compte, elle creusa sa propre tombe.

l'anniversaire de sa sœur arrivait à grand pas mais tout ce qui la préoccupait était de mettre la main sur le nom responsable de tous ses malheurs.

le soir même, le sujet fut habilement évité, que ce soit auprès de runa ou de ses propres parents, donc elle craignait assurément la réaction s'ils venaient à apprendre ce qui se disait sur leur fille. sonoe ne pourrait pas leur mentir ; elle n'avait jamais réussi.

21:37 Ils savaient. ce fut la première constatation qui anima sonoe, quand elle croisa le regard brûlant de son père au loin, celui qu'il lui offrait lorsqu'elle avait commis une erreur. elle était incroyablement belle ce soir, toute drapée de presque autant que sa sœur, qui l'avait aidée à choisir sa robe dans un silence inhabituel. tous savaient, tous patientaient ; charognards dans l'attente de sa chute. son sourire ne faiblissait pas, pourtant, et elle conserva une allure impeccable - parce qu'elle ne pouvait pas se livrer à un tel spectacle alors qu'elle n'était pas la reine de la soirée. et surtout, elle ne pouvait pas faire ça à runa, alors les règlements de compte devront attendre.

à l'approche de ses parents pourtant, son cœur s'emballa, peut-être parce que ce n'était pas dans ses habitudes de se retrouver coincée, prise au piège dans une situation à laquelle elle ne pouvait échapper ou qu'elle ne pouvait contrôler. « okaasan', otoosan'. » le sourire demeurait radieux quand elle les salua, mais les mots suintaient le désarroi - elle ne dupait probablement personne. « nos convives murmurent des choses, sonoe. » et sa respiration se bloqua. « ton père & moi aimerions avoir une explication à ce sujet. » assura sa mère, et noe ne percevait plus que des battement affolés contre sa poitrine, à présent.

ce fut runa qui lui offrit une bouffée d'air en s'annonçant ; juste de quoi récupérer la contenance qui s'évaporait à mesure que le cercle familial se refermait. « non, pas encore. » ses doigts fins s'accrochèrent à la coupe, qu'elle ne porta pas immédiatement à ses lèvres. un instant, ses yeux fixèrent la foule, comme pour se rappeler de l'endroit - de l'occasion - où elle se trouvait. « il n'y a rien à dire, okaasan', je n'accorde aucune importance aux rumeurs. surtout lorsqu'elles sont aussi grotesques. » affirma-t-elle, accompagné d'un petit ricanement.

elle voulait disparaître.
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17 octobre 2020, émile
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21:38 lorsqu’elle était enfant, Runa eut l’occasion d’observer un renard attaquer un lapin. L’évènement s’était produit lors d’un anniversaire ou d’une célébration quelconque (les détails étaient désormais flous dans son esprit, avalés par le temps et dissimulé par l’éclat de l’attaque en elle-même ; le contexte cédant sa place pour que l’action en elle-même puisse briller et transpercer la brume) organisé dans la campagne japonaise, à l’abri d’immenses érables et ginkgos. Runa s’était éloignée brièvement de la maison de campagne pour s’extirper d’une conversation oppressante – et le renard était apparu au détour d’un buisson. Le corps du canidé s’était tendu pendant quelques instants, son regard accroché à celui du lapin avec une volonté féroce, impossible à briser. Puis il s’était élancé et avait rompu la chair délicate du lapin de ses crocs, les plongeant dans sa chair ; le sang avait éclaboussé le pelage roux de l’animal et la terre du chemin.

« Il n'y a rien à dire, okaasan', je n'accorde aucune importance aux rumeurs. Surtout lorsqu'elles sont aussi grotesques. » Leurs parents avaient le même regard que le renard sur leur visage ; celui d’un prédateur qui savait qu’il possédait toutes les cartes en main, que la proie ne pourrait pas s’échapper de leur emprise. Oh, elle l’avait observé de nombreuses fois sur leur visage – mais jamais il n’avait été employé à l’encontre d’une de leurs filles, alors l’aînée des Uotani ((l’héritière)) passa un bras protecteur autour des épaules de sa sœur. « Il est temps de rejoindre nos invités, ne pensez-vous pas ? Je ne voudrais pas leur donner l’impression qu’ils ne sont pas notre priorité. »

Toujours un compromis. Elle vivait sur le fil, Runa ; elle était une funambule qui s’avançait sur le fil d’un miroir, ses pieds lacérés par le verre qu’elle foulait pour que Sonoe n’ait jamais à le faire. Un scandale étant impensable, surtout en public – jamais ses parents n’oseraient continuer de creuser le sujet dans un tel cadre, sûrement ! « Il faut absolument que je te présente Okano-san, Sonoe ; elle a un point de vue tout à fait fascinant sur l’évolution de la technomagie à Kantô dans les prochaines années. »

Délicatement, elle manoeuvra les épaules de sa cadette entre ses doigts pour l’éloigner de leurs parents ; ses doigts s’y ancrèrent comme les serres d’un aigle sur sa proie, qui jamais ne cèderait à la fatigue lors du trajet vers le nid. Avant qu’elles ne puissent véritablement s’extirper du cercle que la famille Uotani avait formé, au milieu des bouquets de camélias et de carnations qui ne les dissimulaient partiellement du regard que les convives commençaient à laisser languir de leur côté, la voix de leur mère claqua.

((elle était mesurée, comme toujours ; douce et délicate, mais plus droite qu’une flèche, plus acérée que le fil d’une lame. Brièvement, Runa se remémora cette statue de Bernini qu’elle avait un jour eu l’occasion de contempler lors d’un des innombrables voyages d’affaires dans lesquels elle avait accompagné ses parents – elle revoyait encore la façon dont les mains de Daphné étaient déjà devenues laurier alors qu’elle tentait de s’échapper de l’emprise d’Apollo, si fragile face à lui qu’elle n’avait pas d’autres options que de se métamorphoser pour survivre.))

« Ne touche pas cette hybride, Runa. Son opprobre pourrait te contaminer. »

Et –
tout devint silencieux
au creux de ses côtes.
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17 octobre 2020, émile
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21:40 sonoe avait l’habitude des corsets ; d’exhiber des robes cintrées, des talons aiguilles aux couleurs mates, et des tissus irritant la peau jusqu’à ce qu’elle se recouvre de vermeille. elle avait aussi l’habitude d’être sans cesse relayée au second plan, d’apparaître comme une pièce de première ligne sur un plateau d’échecs - loin, très loin de la dame et de son roi - ou un détail sur un tableau qu’il est préférable de noyer au milieu d’autres détails tout aussi insignifiants. cette préférence avait toujours été sujet de discorde dissimulé, un secret enfoui sous un tapis épais, une couche de verre à ne pas observer avec trop d’insistance, au risque de finalement la voir éclater. sonoe n’était pas certaine de ce que signifierait son monde si elle n’était plus là, parce que runa s’était toujours assurée de la maintenir intacte, de diriger les regards de ses parents sur elle - rien qu’elle - pour éviter la moindre fissure.

elle n’avait jamais pris conscience de sa fragilité, jusqu’à maintenant.

le bras qui se glissa contre ses épaules possédait la douceur du velours et le mordant du feu. la voix de sa sœur, (toujours) teintée de soie, lui offrait un compromis - un énième échappatoire. sonoe n’attendit pas pour le saisir, membres amorphes de frayeur. « tu as raison, ce serait déplacé. » l’ombre qui pesait sur elle enserrait sa gorge plus qu’elle ne l’eut cru et ses mots sortirent rèches, étranglés. « oh, c’est incroyable ! allons-y alors, j’ai hâte de la rencontrer. » elle ne trompait personne. elle le savait et runa aussi, probablement. sous ses pieds, elle sentait son monde défaillir, les fondations d’une famille qu’elle pensait soudée se tasser. et il n’existait rien qu’elle puisse faire pour rattraper la situation.

« ne touche pas cette hybride, runa. son opprobre pourrait te contaminer. »

(une robe ne l’avait jamais autant étouffée.)

tout à coup elle sembla incroyablement plus sensible à tout ce qui l’entourait, comme si elle n’avait été qu’une simple spectatrice jusqu’ici. la broche qui relevait ses mèches tirait trop sur son crâne et elle voulut la retirer, la faire disparaître. les discussions des convives demeuraient incroyablement vives, et elle crut que ses tympans étaient sur le point d’imploser. elle n’osa pas croiser le regard de runa, quand son corps se retourna vers ses parents. leurs expressions voudront rester indéchiffrables à la manière de statues de marbre, dépeignant un mélange acide de colère, de peur, de honte. l’espoir de nier encore encore et encore s’estompa, et ses pas l’éloignèrent de runa.

elle ne tenait pas à ce qu’elle l’accompagne dans sa chute.

« mon opprobre ? » elle ricana, pour retenir tout le reste qui menaçait de l’engloutir. « si nous devions poursuivre dans le ridicule, mon opprobre l’a probablement déjà contaminée dans ce cas. » sa stature demeurait impeccable. « ne rejette pas tes erreurs sur nous, sonoe. » elle sentit son sang bouillir. « mes erreurs ? c’était un accident, je n’ai pas choisi de devenir un l- » - « il suffit. » ce fut son père, cette fois - et le silence retomba. la salle semblait s’être éteinte, à présent qu’ils étaient tous suspendus à la scène qui se déroulait sous leurs yeux. ses mains étaient moites et ses paupières bouffies de larmes - elle ne voulait pas les voir sillonner ses joues. pourtant les issues se bloquaient les unes après les autres, et le rejet faisait plus mal qu’elle ne l’eut pensé. en vérité elle n’avait fait que retarder l’inévitable. « tu as 10 minutes pour rassembler tes affaires et partir. après cela, nous ne voulons plus jamais te revoir. » la sentence la poignarda. « otoosan, laisse-moi t’exp- » - « tu as 10 minutes, ne me force pas à te mettre dehors moi-même. »

elle chercha le regard de sa mère, et n’y trouva que du dégoût. malgré les cris de son esprit tout son corps demeurait figé, enraciné, comme si tout n’était qu’un rêve (elle voulait tant se réveiller). sans s’en rendre compte, sa respiration s’était bloquée, apnée prolongée dont la finalité la sortit de sa léthargie. elle voulut prendre sa sœur dans ses bras, lui dire à quel point elle était si foutrement navrée, mais sa présence avait provoqué assez de débâcle pour ce soir ; elle se contenta d’un regard prolongé, dont elle savait qu’elle capterait toute la sincérité. alors mécaniquement elle fit volte-face, pas réguliers au milieu des murmures qui ne laissaient rien transparaître - son visage en disait bien assez.

ce ne fut qu’une fois sortie de la salle de réception, dans l’alcôve d’un couloir baigné par une semi-obscurité, qu’elle accepta de s’effondrer.
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17 octobre 2020, émile
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21:40 Runa pouvait entendre la douleur enserrer la gorge de sa cadette, voiler ses mots d’une souffrance qui menaçait d’éclater à chaque mouvement un peu trop brusque, et cela ne faisait qu’accélérer le battement de son coeur ; que raviver les braises d’une émotion qu’elle n’arrivait pas tout à fait à identifier pour l’instant, dormante et pourtant lancinante à la façon d’une douleur chronique que l’on ne pouvait ni véritablement anesthésier, ni complètement oublier.

hybride
h y b r i d e
hybride HYBRIDE hybride.


Le mot claqua, le mot transperça la protection qu’elle avait tentée d’ériger pour dissimuler Sonoe au monde, pour continuer à parer toutes les attaques qui pourraient être tentées pour faire jaillir son sang, pour percer les chairs et atteindre les veines. Quel liquide précieux qui coulait dans leurs veines ; témoin d’une longue tradition d’alliances et d’arrangements, de partenariats et de savoir-faire jusqu’à ce que les Uotani en surgissent, leur talent étincelant et leur statut inébranlable.
Elles étaient deux : Runa, l’aînée, et Sonoe, la cadette. Deux soeurs, l’une avec le front incrusté d’une couronne de platine et de pierres précieuses, la tête si lourde ((douloureuse, même, là où le diadème était cloué à elle, transperçant les os de son crâne pour s’assurer que jamais la couronne ne tomberait)) et le sang rempli d’or et d’argent ; l’autre, une incroyable magie reposant entre ses doigts et le coeur rempli de flammes qui brûlaient haut et clair, éclairant son passage, créant son chemin en embrasant tous les obstacles qui pouvaient se trouver entre Sonoe et le destin. Le sien. Son destin.

Sonoe s’était éloignée d’elle sans même lui accorder un regard, et Runa savait pourquoi.

« … dix minutes pour rassembler tes affaires… »

Pendant un instant, Runa demeura muette – une incroyable statue de marbre et de dédain, la peau blanchie par la lueur des lampes et des projecteurs jusqu’à en devenir translucide, étrangement fantômatique. Elle était reine de palais oubliés, reine d’une dynastie de souverains qui se tenaient si éloignés de leur peuple que même le soleil ne pouvait véritablement les nimber sans que cela ne semble étrange. Sonoe était la cible de tous les regards, et, pour la première fois de sa vie, sa soeur aînée ne savait pas comment rattraper la situation ; comment récupérer l’attention de tous, comment dissimuler sa soeur dans son ombre protectrice pour que personne ne lui fasse subir ce qu’elle endurait.

Runa était une reine. On lui avait toujours répété à quel point elle était destinée à de grandes, grandes choses ; à accomplir des actes incroyables, à propulser la famille Uotani plus loin encore que ses parents n’avaient réussi à le faire.

« laisse-moi t’exp- » « tu as dix minutes, ne me force pas à te mettre dehors moi-même. » Sonoe abandonna ; ses épaules se délièrent de leur tension, de leur courage, de leur passion. Elle se retourna et adressa un dernier regard à sa soeur avant de quitter la pièce, le bruit de ses talons parfaitement audibles dans le silence qui régnait désormais dans la salle.

Quelque chose se brisa en Runa. Pas son visage, pourtant.

Lentement, très délicatement, tournant sur elle-même à la façon d’une ballerine, elle contempla les convives, ceux qui étaient venus pour la célébrer elle, car son anniversaire était une telle occasion qu’ils ne pouvaient manquer. Elle n’y vit pas ce qu’elle recherchait, pourtant. La brèche devenait de plus en plus difficile à ignorer, maintenant que l’indifférence – ou, pire, l’amusement – devenait de plus en plus visible dans l’assemblée. Les sourires étiraient légèrement les lèvres, les chuchotements commençaient à être déversés dans les oreilles des voisins, les mains se portaient aux bouches pour dissimuler une satisfaction impossible à contenir tant la situation était dramatique et merveilleuse.

« Runa. »

L’aînée Uotani cilla ; ses paupières se fermèrent très brièvement, enfermant ses pupilles juste le temps d’une inspiration, juste assez pour que tout finisse par véritablement se briser.

Le feu gonfla dans sa poitrine, à son tour ; embrasa ses alvéoles ; empoisonna son sang ; et, pour la première fois depuis très longtemps, ses pensées n’étaient plus un enchevêtrement d’angoisses et de questionnements, de peurs et de doutes sur ce qu’elle devrait faire, ce qu’il lui fallait faire, ce qu’il était attendu d’elle. La magie crépita au bout de ses doigts comme pour la rassurer, comme pour lui souffler qu’elle était sur la bonne voie, enfin. Elle était submergée par les sensations de sa maison (kasaï, kasaï, bien sûr qu’il s’agissait de la maison kasaï – aucun autre choix n’aurait pu être le bon et elle était si reconnaissante envers le bakeneko de l’avoir fait pour elle), par cette émotion qui avait grondé tout au fond d’elle pendant si longtemps sans jamais véritablement se révéler, comme une tempête qui attendrait jusqu’au tout dernier moment avant de finalement imploser et frapper de ses éclairs.

Runa était une reine.

« Non. »

Le ton était calme et serein à la façon d’un lac dont la surface lisse dissimulerait des monstres. Non. Puis, elle rassembla les soieries de sa robe d’une main ferme, dégageant ses pieds ; de l’autre, elle claqua des doigts pour que les tables s’écartent de son chemin, pour que les immenses vases débordant de fleurs glissent hors de sa trajectoire, lui créant un passage entièrement dégagé vers la porte où personne n’osait s’interposer. Runa n’avait jamais été une sorcière très douée, mais de si simples enchantements étaient une seconde nature pour une telle faussaire.

« Bonne chance pour vous trouver une nouvelle héritière. »

Oh, elle était si en colère, et elle l’avait sans doute toujours été.
Runa s’avança vers la porte, le bruit de ses chaussures formant un écho à celles de Sonoe quelques instants plus tôt ; sourde aux exclamations venant de ses parents, aux pleurs qui provenaient sûrement de sa mère ; aux maléfices proférées et promesses infligées ; au poids des regards sur elle, dont elle s’était toujours jouée et amusée.

Car la colère faisait battre son coeur plus rapidement qu’il ne l’avait jamais fait, et son esprit n’avait qu’une seule pensée.
((Sonoe, Sonoe, Sonoe, Sonoe.))
Et, lorsqu'elle la retrouva enfin, elle l'enserra de ses bras ; l'aida à se redresser, à se remettre à marcher, à s'échapper de cet enfer dans lequel elles avaient toutes les deux été plongées.

« Tout ira bien » chuchota-t-elle avec la conviction de ceux trop en colère pour envisager que la situation pouvait faire autre chose que changer. « Je te le promets. »

Elles étaient des reines.

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