no one else makes sense

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La première fois qu’il a vu une séance de tai-chi, il s’est demandé s’il avait vraiment besoin de faire ça. Encore adolescent, les gestes de l’art martial lui rappelaient bien trop les caricatures de ninja dans les vieilles séries ; autant dire qu’il se sentait ridicule à chaque fois. Il lui a fallu du temps pour commencer à apprécier cet art et à en comprendre l’intérêt. Au début, il l’a surtout fait parce qu’il cherchait à maîtriser son godaï eau à la perfection, et que les deux vont de paire. Aujourd’hui encore, d’ailleurs, le tai-chi reste peut-être l’art lié à son don qu’il entraîne le moins.

Ce qui risque de changer, cependant ; l’intérêt pour l’art martial s’est agrandi à l’instant où il est rentré dans la salle et a aperçu un visage qu’il ne s’attendait pas à voir ici. Quand il voit son visage, sur le campus ou n’importe où ailleurs, son coeur s’emballe toujours, d’une façon un peu étrange. Comme lorsqu’on aperçoit un arc-en-ciel dans le ciel, ou un papillon particulièrement joli voler autour de nous ; c’est l’excitation de voir quelque chose qu’on aime à un moment où on ne s’y attend pas forcément. Une apparition souvent furtive mais qui reste en tête longtemps, qu’on a envie d’immortaliser dans notre mémoire à jamais.

Cette fois-ci n’a pas été différente des précédentes. Il a senti son coeur louper un battement, puis s’emballer, comme si le sang qui coulait dans ses veines avait été remplacé par de l’adrénaline pure et dure. Jamais il n’a eu autant le sourire lors d’une séance de tai-chi. Au fond de lui, il se met à remercier toute divinité qui puisse exister, bien qu’il ne croit en aucune. Combien de semaines a-t-il passé à espérer qu’une occasion se présente ? Junseo n’est pas vraiment timide pour faire les premiers pas dans de telles situations, mais comment faire le « premier pas » quand il a l’impression qu’ils ont déjà avancé côte à côté pendant des mois ? Le seul problème, c’est qu’elle n’est pas au courant. Alors pour elle, il s’agirait bel-et-bien d’un premier pas.

« Salut ! » lancé à l’attention de la jeune femme alors qu’il prend place pas loin d’elle, un sourire décontracté sur le visage. Son apparence est trompeuse, il est à l’opposé d’être décontracté. Tous ses sens sont en éveil, parce que c’est maintenant où jamais. Parce qu’elle est là, à côté d’elle, et qu’il peut vraiment saisir sa chance. Il s’agit de briller aujourd’hui ou de s’enterrer à jamais.

La séance se passe comme les précédentes dans les faits, bien que tout soit différent aux yeux du jeune homme. Comment se concentrer sur quoi que ce soit quand Naeun est là, juste à côté ? Comment se concentrer sur sa respiration quand son coeur bat comme un fou ? Comment se concentrer sur les gestes à exécuter quand ses yeux, comme un réflexe, passent son temps à se tourner vers Naeun au lieu de fixer le professeur ?

Il y parvient pourtant, approximativement. Ça n’a pas d’importance de toute façon, quand il sait déjà qu’il ne retiendra rien d’autre de la séance que le moment où il est venu en aide à Naeun pour un mouvement qu’elle ne parvenait pas à faire. Une attitude calme et détendue, comme s’il aidait une amie d’enfance, quand au fond de lui tous ses sens criaient comme une adolescente à un concert de k-pop.

Dès que la séance s’approche de la fin, ses pensées se mettent à fuser. Il ne peut pas laisser partir la jeune femme comme ça, en ayant échangé que quelques mots avec elle. Ce serait une insulte à l’opportunité immense offerte par les cieux (quelle était la probabilité ? Lui qui n’a que rarement le temps de venir aux séances de tai-chi).
Et au-delà de ça, il s’insulterait toute la nuit, une fois couché dans son lit, pour s’être une nouvelle fois enfui.

Il a beau se demander comment il pourrait l’approcher naturellement, aucune idée ne lui vient en tête. Comment font les gens, normalement, pour sympathiser avec les inconnus ? Il n’en a pas la moindre idée ; c’est bien pour ça que dès que la séance est terminée, il se dépêche de ranger ses affaires dans son sac et s’approche de la jeune femme, sourire sur les lèvres pour cacher son coeur qui s’accélère. Une fois qu’il sera face à elle, il ne pourra pas fuir. Il sera obligé de lui parler, obligé de faire le premier pas, obligé de proposer quelque chose. Quand leurs regards se croisent, la question traverse ses lèvres, avec un calme trompeur : « Si tu as du temps ce soir, accepterais-tu qu’on dîne ensemble ? »

Et la bombe est lancée.
Le compte à rebours sonne dans sa tête ;
La bombe va-t-elle exploser ou l’épargner ?

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Naeun heureuse à quelques jours à peine du grand départ : bientôt elle partirait pour Goldenleaf aux côtés de sa chère Sunhee. C’était la première fois que son amie pouvait se libérer pour le tant attendu voyage de la golden week et elle avait si hâte. Si hâte de partager ce moment avec elle, de prendre une tonne de photos et de filmer l’intégralité du séjour. Elle pouvait déjà les entendre rire aux éclats, profiter du beau temps et participer aux activités de bon coeur. Avec un peu de chance, Sunhee parviendrait à oublier un instant le patin et toutes ces restrictions qu’elle s’imposait. Pour lui, pour eux.

Claquant la porte du vestiaire, elle avait regardé son reflet dans le miroir juste à côté, non sans se sourire. Good. Les cours de yoga étaient encore récents à Mahoutokoro, datant à peine d’un an : et si la jeune membre du conseil des élèves s’était laissée tenter dans un premier temps par deux de ses copines, elle avait continué à y aller malgré leur départ respectif. Ne restait plus qu’elle et son legging de sport bleu, aux couleurs de sa maison. Ne restait plus qu’elle dévouée à ce moment tout aussi précieux qu'intime où elle pouvait se recentrer sur elle.

Plus rien ne comptait, alors.

Aujourd’hui serait cependant un peu différent. Si elle arborait la même tenue que d’ordinaire, ses cheveux redressés dans une queue de cheval haute, sa serviette fluorescente et sa gourde sous le coude, elle s’apprêtait à découvrir les arts du tai-chi. Si les cours étaient réservés aux godai eau la plupart de l’année, ils permettaient aux autres étudiants de se joindre aux entrainements d'initiation une à deux fois par trimestre. Attendant devant la porte que le professeur leur ouvre, elle s’était faufilée dès qu’il était arrivé, se positionnant dans la salle comme à son habitude.

Avait presque sursauté à la voix chaleureuse à sa droite. Se retournant, elle avait d’abord vu une jeune fille se positionner entre elle et lui. Car c’était bien lui, qu’elle avait enfin perçu. Salut ! Répondu tout aussi chaudement alors qu’elle lui avait offert un sourire sincère. Elle n’avait aucune idée de qui il pouvait bien s’agir, mais n’était pas contre faire de nouvelles rencontres. Naeun qui n’avait pu s’empêcher de lui lancer quelques regards à la dérobée, cherchant à l’identifier. Était-il nouveau comme elle ? Était-il au contraire un habitué ? Il semblait avoir son âge, décontracté, presque serein. Elle ne l’était plus tout à fait, à présent qu’il était entré dans son monde. S’était-il assis juste à côté d’elle qu’elle aurait pu lui demander son nom, initier la conversation : assouvir sa curiosité (de ces curiosités innocentes et banales qui pourtant démangent. Pourquoi ? Quand ? Comment ?).

La voix du formateur n’avait tardé à résonner dans la salle et Naeun s’était directement reconcentrée. Si elle était confiante dans sa capacité à se tordre dans tous les sens, l’idée de sentir son chi en exécutant des mouvements au ralenti ne lui inspirait absolument rien. Challenge accepted. Naeun facile à vivre qui adorait découvrir de nouvelles activités, ne se laissant pas abattre par l’inconnu, bien au contraire. Elle aimait se sentir vivre à travers chaque moment présent et accumuler le plus d’expériences possible.

Avait pris très au sérieux chacun des mouvements, inspirant longuement pour harmoniser sa respiration aux gestes lents. Ce n’était pas simple. Elle qui d’ordinaire était habituée à certaines formes de méditation, avec notamment la pratique de son don godai et le yoga, n’arrivait pas à ressentir cette-soi disant cohésion commune. L’éveil de chi ne viendrait certainement pas aujourd’hui (elle avait manqué de rire à l’idée). N’arrivant à faire un mouvement rotatif sur une jambe, elle s’était déconcentrée, se perdant dans la contemplation de tous ces étudiants qui se prêtaient au jeu. Les voir tous ainsi en harmonie rendait la chorégraphie particulièrement belle, là où Naeun n’était pas certaine qu’elle soit aussi plaisante lorsque réalisée seule.

N’arrivant pas à se remettre dans le rythme, elle avait senti une présence pénétrer tout naturellement dans son cercle proche. Tournant la tête, elle avait redécouvert le garçon du début du cours. Il n’était donc pas débutant. Lui qui naturellement était venu l’aider à se repositionner et réaliser ledit mouvement sur un pied. Merci avait-elle murmuré avec gratitude, reconnaissante quoique ne souhaitant pas attirer l’attention sur eux.  

À partir de là, il n’avait pas été facile de rester concentrée. Si son corps suivait les mouvements du professeur, son regard lui cherchait la silhouette du garçon. Était-il mizu ? Il lui disait vaguement quelque chose. Avait-il été préfet ? Avec un tel calme et une telle aisance à aller vers l’autre, ce n’était pas improbable qu’il l’ait été. L’avait-elle croisé lorsqu’elle-même l’était ? Si elle était habituée à être entourée de nombreux amis et camarades, il était rare qu’on lui vienne en aide et l’accoste avec un tel naturel. La sensation était bizarre, quoique pas désagréable. Il était bon d’être l’extrémité réceptrice de temps à autre.

Puis le cours avait continué, avant de se terminer. Passée à autre chose depuis, ayant eu le temps de replonger dans les exercices (s’était sentie bouleversée à la main de l’enseignant sur son épaule lorsqu’il était passé dans les rangs, les aidant à sentir leur chi), Naeun s’était assise. Elle avait réalisé quelques étirements avant de commencer à ramasser ses affaires pour aller se changer.

Puis une ombre dans son champs de vision.
Redressant la tête, elle lui avait fait face.
Encore.

N’avait pas eu le temps de lui sourire et de le remercier pour tout à l’heure, d’enfin lui demander tout naturellement son nom, son année voire ses études qu'il avait coupé court.

Quoi ?
Elle était restée un instant coite face à la question, n’arrivant à assimiler la demande.
Avait fini par exploser de rire, d’un rire sincère et surpris, aux ourlets chaleureux.

Comme ça ? Devant elle par terre en tenue de sport ? Sans lui demander son prénom ni même lui donner le sien ? In front of her salad ? Ne sachant trop comment réagir, car personne ne lui avait jamais fait ça, elle était restée encore un moment silencieuse, une lueur dans son regard trahissant cependant son amusement. Peut-être était-ce l’occasion d’enfin lui poser toutes ses questions. Quoique n’était-ce pas à lui de faire la conversation, après une telle entrée en matière ? Elle se contenterait de le regarder, n’ayant plus à le chercher du regard, par-delà la jeune fille qui s’était tenue entre eux pendant l’ensemble du cours. Pourquoi pas ? Répondu d’un sourire bizarre alors qu’elle lui avait tendu sa main pour qu’il l’aide à se relever.

N'avait pas su quoi lui dire d'autre.
Aurait bien eu envie de le charrier et de lui demander son prénom, mais ne s'était pas sentie de le faire.
Naeun peut-être un peu troublée (déstabilisée).  
Mais oui, et pourquoi pas. 

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Les secondes s’étirent comme des heures. Junseo a l’impression d’être de retour à l’époque où il attendait de savoir les résultats de ses ASPICs pour savoir s’il serait capable de réaliser son rêve. Il retrouve la même pression dans sa cage thoracique, la même sensation que toute sa vie va se jouer dans les quelques secondes qui suivent, bien que ça n’ait aucun sens. Il oublie même de respirer jusqu’à ce qu’elle lui réponde, et quand il entend la réponse, son long soupir de soulagement trahit qu’il n’était pas du tout aussi détendu qu’il en avait l’air.

Mais les traces de ses doutes et inquiétudes s’envolent aussitôt, parce que son sourire réapparaît, plus grand que tout à l’heure. Cette fois-ci, il se sent vraiment léger. Il a eu ce qu’il voulait, un moment avec elle, pour faire connaissance. À partir de maintenant, tout ce qu’il peut faire est d’être naturel ; si ça marche, alors c’était le destin. Si ça ne fonctionne pas, il devra accepter qu’ils ne sont tout simplement pas faits l’un pour l’autre, et qu’il a donc aimé pendant des années une femme qui n’a rien en commun avec lui.

Pour l’instant, il se contente de saisir la main qu’elle a tendu vers lui, pour l’aider à se relever. Il note silencieusement la douceur du toucher, reconnaît le parfum qu’il a déjà enlacé quand elle se redresse juste en face de lui. « Super. » s’exclame-t-il pour toute réponse, puis au bout de quelques secondes, il reprend la parole. « Tu peux m’appeler Jun, si tu veux. » Il devance la question, pour ne pas dévoiler  son prénom, du moins pas de suite. Pas dès le début, alors qu’ils n’ont pas encore commencé à discuter, à faire connaissance ; il a parfaitement conscience de ce qui peut se passer s’il dit dès maintenant qu’il s’appelle junseo. Et il devra y faire face à un moment, il le sait, mais pas maintenant. « Dis moi, qu’est-ce que tu veux manger ? » Il ne lui demande pas son prénom, oublie qu’elle n’est pas au courant qu’il l’observe depuis des années et qu’il connaît son prénom depuis leur première rencontre, à cette fameuse soirée.

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Il était bizarre. Naeun encore déstabilisée par l’invitation d’un garçon dont elle ne connaissait rien et qui pourtant semblait lui être familier. Il était si à l’aise. À l’aise et pourtant pas tant, comme si la tranquillité décontractée qu'il arborait ne pouvait coexister avec le reste. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, s’était laissée tirée à lui alors qu’il l’avait aidée à se redresser. Merci répondu doucement alors qu’elle était encore toute proche, n'ayant pas cherché à retirer sa main.

Puis l'exclamation.
Et elle avait compris.
N’avait pu s’empêcher de sourire alors qu’il avait repris la parole, confirmant ses soupçons. Vieux jeu. Il semblait avoir vécu sa vie sans se soucier de l’avis des autres, sans se soucier non du cadre sociétal : avait vécu la sienne, à son rythme et loin de tout. Si je veux ? Demandé alors qu’elle avait redressé la tête vers lui, cherchant à croiser son regard. Dans quoi s’embarquait-elle ? Car n’était-ce pas un peu étrange, de lui laisser le choix ?

Comment t’appelles-tu vraiment, Jun. Tu vas pas chercher à me kidnapper, hein ? Dit d’un rire car elle n’y croyait pas elle-même, mais tout de même. Naeun qui ne pouvait s’empêcher de remarquer les petites incohérences, car elle était née femme et que toute femme était proie au danger. Jun dont elle avait du mal à croire au prénom, malgré le fait qu'il apparaissait gentil, malgré oui ses yeux chauds qui semblaient la voir vraiment.

Il semblait exister pour elle à cet instant et elle ne savait pas quoi en penser. Comment l’avait-il connue, remarquée ? S’était-il agi d’un hasard aujourd’hui, où avait-il vu leur rencontre comme une opportunité ? Lui qui aurait attendu, presque désespérément, que l’occasion se présente. C’est moi qui décide ? Naeun féline alors qu’elle avait décidé de se prêter au jeu.

Car pourquoi pas.
Car il lui avait permis de le remarquer et que depuis tout semblait le ramener à elle. Elle se souvenait de leur contact lorsqu’il était venue l’aider, se souvenait oui encore de sa main contre la sienne alors qu’il l’avait attirée à lui.

N’était peut-être pas insensible à son charme.
Peut-être.

Je pensais que tu avais déjà tout prévu. Avait-elle continué, taquine, se détachant pour finir de ranger ses affaires. Penchée en avant, elle était venue récupérer sa serviette, sa gourde déjà en main. Tu pensais que je dirais non ? Dit alors qu’elle s’était retournée, quelque chose d’un peu piquant dans le regard. Naeun joueuse qui n’hésitait pas à rentrer dans la provocation, peu compétitive mais qui pourtant ne lâchait rien, non.

Dans le jeu de la séduction.

Il fallait être courageux mais pas que. Confiant. Et moi c’est Naeun, d’ailleurs. Si tu veux. Conclut alors qu’elle avait passé sa serviette par dessus son épaule, le dévisageant un long moment. Mais ça, il le savait déjà, non ?

Dire qu’il lui avait donné la permission de l’appeler Jun. Lui avait dit tu peux avant de conclure si tu veux.
What an odd guy you are, Jun.
Are you ?

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C’est ce qui semblait être la meilleure idée : donner son surnom plutôt que son prénom, pour ne pas refroidir l’ambiance, qui semble être plutôt de son côté. Pourtant, quand elle lui demande — en rigolant, certes — s’il ne va pas la kidnapper, il réalise que son idée n’est peut-être pas aussi idéale que prévu. Viendra un moment où il devra lui dire son prénom, ou pire, où elle l’apprendra sans qu’il ne le contrôle (quelqu’un qui le connaît qui l’interpelle face à elle, par exemple) et la situation sera encore pire. Et puis au final, n’est-il pas en train de la manipuler, en lui cachant son prénom parce qu’il sait quel impact cela risque d’avoir ?

Il ne perd pas son sourire, semble incapable de le perdre, parce qu’elle est là, face à lui, qu’elle rigole et qu’ils discutent. « Comme tu veux, oui, » répète-t-il  « parce que mes amis m’appellent Jun, mais mon prénom est Junseo. » Il a fait tout son possible pour le dire d’un ton léger, naturel, et il sait qu’il a réussi ; mais au fond de lui, son coeur se serre rien qu’à l’anticipation de sa réaction. Son sourire devient très légèrement plus crispé tandis qu’il déglutit, ses yeux détaillent avec attention le visage de la jeune femme.

Mais il essaie de relancer la discussion, comme si ce n’était qu’un détail, son prénom. Comme s’il ne savait pas son importance. « Je ne pensais même pas que j’allais proposer, en réalité. » dit-il dans un rire léger. « Je peux choisir si tu préfères, Naeun. » rajoute-t-il en imitant le sourire taquin de la jeune femme, et le prénom de la jeune femme prend une sonorité différente dans sa bouche. Ce prénom qu’il n’utilise normalement que quand il parle d’elle à Geonu.

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Elle aurait pu lâcher sa serviette mais ne l’avait pas fait, était restée immobile face à ce garçon qui venait de lui offrir son nom. Junseo. Junseo comme la personne qu'elle aimait le plus au monde mais qu'elle ne reverrait jamais. Junseo comme le soleil et tout ce qui lui était cher, comme l’incarnation de la tendresse et la certitude que tout irait toujours à ses côtés. Naeun qui ne s'était jamais sentie seule car il avait toujours été là, présence réconfortante, part d’elle-même. Junseo son grand frère qui pourtant aurait pu être son jumeau, Junseo qui ne reviendrait pas et qui laissait en elle un vide impossible à combler.

Plus de deux ans, déjà. Bientôt trois.

Jun pour lumineux et Seo pour heureux présage ? Avait-elle finalement demandé comme si de rien, coinçant sa gourde sous son bras pour dessiner entre eux 晙 puis 瑞. Naeun qui avait esquissé un sourire un peu bizarre alors qu'elle avait conclu : Quelle idée de t’appeler Jun alors que tu as un si beau prénom. Quelle idée oui de réduire un prénom déjà si court envers lequel ses parents avaient probablement mis tout leur amour et toutes leurs espérances. Les nouveaux nés naissaient la plupart du temps sans nom, un mois s’écoulait jusqu'à ce qu'enfin les parents se décident et enregistrent officiellement le prénom de leur enfant. Parfois, ils savaient déjà, parfois, c'était plus long. Lorsqu’ils faisaient partie d'une fratrie, il fallait souvent assortir les prénoms de sorte à ce que la première partie soit commune à tous : Minjae pour l’ainé, Minji pour la cadette et Minseo pour la benjamine. La famille des Lee était probablement l'exception qui confirmait la règle, les enfants n'ayant aucun lien entre eux si ce n'était la signification de leur prénom. Car c'était ce qu'avait voulu leur mère : leur souhaiter le meilleur, qu'ils soient de belles personnes, de belles âmes (h e u r e u x). Yunho était ainsi devenu le bon, responsable et tant attendu fils ainé; Junseo quant à lui avait été l’incarnation même de la lumière, quoique douce et annonciatrice d'heureux présages. Naeun, elle, avait été destinée à devenir quelqu’un d'élégant et gracieux, mais avant tout et surtout gentille, miséricordieuse.

C’est pas pour rien que malgré les années ton prénom reste dans le top dix national. Conclut d’une moue douce, alors qu’elle avait brièvement fermé les yeux. Naeun qui ne disait pas ça pour lui mais pour elle, cherchant désespérément à rationaliser ce coup du sort. Il n’était pas le premier et ne serait pas le dernier.

(alors pourquoi encore ce pincement au coeur)

Puis la page était tournée.
Car il fallait la tourner.
(pour l’instant)

Oh wow. Désabusé et joueur face à ce Junseo qui avait admis avoir agi sans réfléchir. Et moi qui pensais que tu avais déjà tout prévu. Car il fallait bien au moins ça, non ? Du coup j’imagine que tu comptes pas me kidnapper maintenant et que j’ai quand même le temps d’aller me changer ? la salle se désemplissait et elle avait semblé initier un mouvement, comme pour l’inviter à la suivre. Elle n’allait jamais le lâcher. N’allait jamais non renoncer à ce bâton qu'il avait tendu, bien trop taquine. Histoire de te laisser le temps de choisir. Conclut alors qu’à leur sortie de la salle, elle s’était engouffrée dans les vestiaires sur la droite, s’arrêtant instant à l’embrasure pour se retourner, lui offrant un sourire dangereux espiègle.

Une fois la porte refermée, il lui avait fallu un moment pour reprendre ses esprits. Rien de ce qu’elle vivait en cette fin d’après-midi ne faisait sens. Le pire était probablement le fait qu’elle n’était en rien venue habillée pour sortir au restaurant le soir-même. Ouvrant son casier, elle avait regardé d'un air dubitatif sa robe brune. On est pas sur le même style. Marmonné alors qu’elle avait tourné la tête pour observer son reflet, encore vêtue de son legging bleu ciel près du corps et de sa brassière blanche.

Puis la porte du casier avait claqué et elle avait commencé à se changer.

Était sortie une dizaine de minutes plus tard, le temps d’enfiler sa robe, ses quelques bijoux, sa montre et de recoiffer ses cheveux.
Et peut-être examiner de près son maquillage pour s’assurer que tout allait.
Mais ça, elle ne le dirait pas.

Alors ? Demandé légèrement, s’approchant de lui comme si c’était là la chose la plus naturelle à faire.

Quel était le verdict.
Où allait-il l’emmener ?

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Les secondes semblent durer des heures tandis qu’il attend sa sentence. A-t-il vraiment bien fait de divulguer son prénom, finalement ? Il regrette déjà, aurait peut-être dû s’en tenir à simplement dire son surnom, et laisser le prénom pour plus tard ?
Non, c’est lâche, se corrige-t-il intérieurement. S’il voulait agir en tant que lâche, il n’aurait pas dû l’aborder ; s’il a fait le premier pas, c’est pour continuer à affronter.

Mais le temps continue de passer et sa sentence ne vient pas. Il voit son sourire se tendre, peut-être s’évanouir un instant, et son intonation est un peu différente quand elle reprend la parole. Néanmoins, elle ne le rejette pas. Son regard n’a pas complètement changé, bien qu’il s’est voilé d’un petit nuage de tristesse discrète, et elle n’a pas changé d’avis ; elle ne refuse pas l’invitation.
Le soupir de soulagement qu’il pousse est presque imperceptible, peut être confondu pour un petit rire à la question de Naeun. Il secoue la tête avec un air amusé, mime dans les airs un 諝en parlant, comme elle l’a fait. « Jun pour lumineux, effectivement, mais Seo pour sage. » corrige-t-il.
Quelqu’un d’autre aurait probablement été intrigué par la situation, aurait demandé comment elle connaît les hanja d’un prénom qui n’est pas le sien. Junseo, qui connaît la réponse, s’abstient de poser la question. À la place, il demande : « Et Naeun, c’est quels signes ? C’est un prénom plutôt à la mode, aussi. ». Parce qu’il n’a pas envie d’aborder ce sujet de son prénom à lui, pas déjà, pas alors que leur premier repas ensemble n’a même pas commencé.

Il se laisse prendre au jeu, ne peut s’empêcher de rire quand elle fait une nouvelle fois allusion au kidnapping. « Bien sûr. On est souvent stigmatisés, les kidnappeurs, mais en réalité, on est plutôt flexibles. » répondu avec un air taquin, tandis qu’ils sortent de la salle et qu’il va lui-même changer son haut avec la chemise blanche qu’il avait amenée. Puis il est sorti pour l’attendre, observant tout autour de lui dans l’attente impatiente qu’elle revienne vers lui.

Au alors ? demandé avec un sourire par la jeune femme, il a envie de répondre très jolie, comme si c’était sa tenue qu’il devait commenter, et non pas sa décision qu’il devait annoncer. « Si tu aimes les arbres et la nourriture japonaise, que penses-tu de Kinonaka, à Hinaï ? » propose-t-il à la place, en l’observant avec attention, sans perdre son sourire.

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Junseo mais pas son Junseo. Je vois. Dit doucement alors qu'elle avait regardé un moment dans le vide, là où il avait dessiné un hanja différent du sien. Tes parents doivent beaucoup t’aimer. Conclut alors qu'elle était revenue à lui, un petit quelque chose de tendre venant fleurir sur son visage.

Lumineux et sage.
Elle devinait que le prénom avait été choisi avec soin, quoiqu'il portait en lui des attentes pouvant paraitre écrasantes. Et elle connaissait bien le sujet, Naeun, souvent embarrassée à l'idée qu'on puisse lui poser la question. Si tu considères être dans le top 100 comme être à la mode ! Ri sans la moindre arrière pensée alors qu'il l’avait justement posée, la question. Moi aussi mes parents m'aiment très fort. Dit alors qu'elle était venue passer un doigt sous son oeil droit, comme pour essuyer une larme imaginaire. Elle avait alors dessiné 娜 puis 恩, expliquant en même temps leur signification, malgré la gêne : Na pour l’élégance et la grâce, Eun pour la gentillesse et la miséricorde Elle avait marqué une pause avant de conclure, penchée vers lui, aucun commentaire, d‘accord ?

Si elle se doutait qu’il n’oserait pas la charrier sur le sujet, elle préférait couper court à toute possibilité. Naeun qui appréciait son prénom et était reconnaissante envers ses parents. Mais le ressenti intime était différent de celui extérieur : si tout en elle cherchait à être à la hauteur des attentes de ses parents, elle ne pouvait pas crier haut et fort être l’incarnation de la grâce et de la bonté. C’était si gênant.

Donc tu admets vouloir me kidnapper. n’avait-elle pu s’empêcher de noter, taquine, alors qu’il s’était pris au jeu. C’est le moment où je suis censée envoyer un texto à une copine et lui dire que si elle a pas de nouvelles de moi d’ici deux heures, elle appelle la police ? Conclut d’un air faussement angélique avant qu’elle ne disparaisse dans les vestiaires, non pas peu fière de son sens de la répartie. Naeun qui aimait oui ce genre de jeu, ces discussions difficiles à catégoriser, à mi-chemin entre la séduction et elle ne savait trop quoi.

Il avait troqué son t-shirt pour une chemise et Naeun avait tâché de ne pas trop observer cette nouvelle tenue, et ces manches qui venaient cacher les avant bras qui l’avait soutenue et tirer vers lui un moment plus tôt. A croire que cette année allait être la mode du taupe : ce n’était plus que Sunhee qui enchainait les tenues crèmes, mais également eux. Ils étaient presque assortis.

Si j’aime les arbres. Répété lentement avant qu’un sourire un peu hilare vienne fendre son visage en deux. Il était si bizarre. Ne demandait-on pas d’ordinaire si une personne aimait les plantes ?

Les arbres.
Si elle aimait les arbres.
Elle n’allait jamais s’en remettre.

On peut dire ça j’imagine. Dit lentement, son regard dans le sien, alors qu’elle avait manqué de rire. C’était presque adorable. Qui n’aimait pas les arbres ? Ces memes arbres qui permettaient à tous de vivre, adoucissaient la vie de chacun et évitaient les pires canicules. Naeun qui préférait cependant l’air marin, la vue de l’océan. Très bon choix, ceci dit. Dit avec plus de calme alors qu’elle avait commencé à marcher, restant proche de lui. Kinonaka était un des restaurants les plus connus d’Hinaï : elle y était déjà allée avec sa famille, parfois avec ses amis et lors d’occasions plus spéciales. Donc tu as joué la carte d’un endroit que tu apprécies ? Demandé alors qu’elle avait lancé un regard vers lui. Et tu aimes les plantes. Enfin, non : les arbres, plus particulièrement.

Il n’en ratait pas une et elle non plus.
Naeun qui était assez proche pour donner l’impression qu’ils allaient s’effleurer, mais assez loin pour que ça n’arrive jamais tout à fait. Juste assez pour que la présence soit naturelle (rassurante). Naeun qui dans son regard, par delà ses taquineries semblaient dire : parle-moi.

Parle-moi de toi, Jun.
Raconte-moi.

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Il ne peut pas le nier, Junseo a la chance d’être né dans une famille aimante. Trop bruyante pour lui, entre les parents qui racontent toujours leurs journées et les mêmes anecdotes en boucle, et ses frères qui se prennent tout le temps la tête. Pourtant, il aime sa famille, il y tient beaucoup ; se demande parfois si ses frères ne s’entre-tueraient pas s’il n’était pas là pour les calmer. Alors il se contente de hocher la tête avec un sourire qui s’agrandit quand elle lui confie le sens de son prénom, à elle.
Il ne fait pas de commentaire particulier, mais il ne peut pas cacher la lueur d’amusement dans son regard quand il voit l’embarras s’immiscer dans les traits du visage de Naeun et dans le timbre de sa voix. Il y a quelque chose d’adorable et d’attachant qui serre son coeur. « Aucun commentaire, d’accord. » commence-t-il avec une voix taquine, avant de rajouter, avec un ton plus sérieux : « Mais ton prénom te va bien. » Si elle ne se voit pas élégante et gracieuse, c’est qu’elle ne se voit pas telle qu’elle est ; aux yeux de Junseo, en tout cas, elle rassemble ces deux qualités, et bien plus encore.

Loin d’être insulté par les insinuations de la jeune femme, il prend plutôt goût au jeu qui se créée entre eux, ne peut s’empêcher de rentrer dans le jeu plutôt que de nier quelque chose d’évidemment faux. Il se contente de répondre « Exactement. » juste avant qu’elle ne disparaisse pour se changer.

Puis les minutes passent, elle revient et il se retient de faire un commentaire sur combien sa robe est gracieuse et élégante. Il se contente de proposer un endroit, reste un peu surpris quand elle répète sa phrase. Habitué à être lui-même, il ne saisit pas immédiatement ce qu’il y a d’étrange à formuler sa phrase ainsi ; mais au regard qu’elle lui lance et au rire qui s’échappe d’elle, il finit par percuter. Il sourit de toute façon, autant parce qu’il s’amuse de lui-même que parce qu’il aime le son de son rire et la façon dont son sourire éclaire son visage. « Content que ça te plaise. » rétorque-t-il alors qu’ils se mettent à marcher. Il s’efforce de garder son air décontracté, bien qu’une grande partie de ses pensées est tournée vers la présence de la jeune femme si proche de lui ; se demande si un jour il sera naturel pour eux qu’il la tienne par l’épaule ou qu’ils se serrent la main. « Effectivement. J’aime les deux : les arbres et les plantes. Les fleurs, aussi. » Il confie ça avec un sourire, sait pertinemment qu’elle va s’amuser de lui parce qu’il fait la distinction là où les autres n’en font pas ; tous ceux qui aiment les plantes aiment les fleurs, pourquoi préciser ? « Il y a quelque chose de rassurant et de relaxant dans les plantes. Ça donne toujours une sensation de fraîcheur dans les pièces, je trouve. » Bien qu’elle ne lui ait pas demandé, et qu’il doute qu’un monologue sur l’importance qu’il porte aux plantes soit vraiment intéressant. « Et les arbres ont une belle symbolique. Ils sont solides, ils représentent le soutien infaillible. » Et elle ne pourra peut-être pas comprendre pourquoi il lui dit ça, à elle particulièrement ; mais peut-être qu’un jour, quand ils se connaîtront mieux, quand elle l’aura identifié, ces paroles feront leur effet.

no one else makes sense
Elle était donc de sortie avec le grand méchant loup. Naeun probablement bien trop à l’aise aux côtés de son ravisseur, quoiqu’avec une retenue car chaque phrase était plus travaillée qu’elle ne le laissait transparaitre : rien n’était laissé au hasard. Mais Junseo était une variable inconnue déterminée à lui faire vivre tout ce qu'elle n'avait jamais vécu, à la surprendre encore et toujours de phrases sorties d'absolument nulle part. Il aimait les arbres.

Spécifiquement les arbres.
Et les plantes et les fleurs.
Mais les fleurs n’étaient-elles pas des plantes ?

Elle l'avait écouté parler sans rien dire, regardant devant elle en sentant sa présence proche de lui sans que pour autant ils ne viennent à se bousculer. Parfois, elle lançait un regard à la dérobée, cherchait à plonger ses yeux dans les siens. Junseo était un garçon bizarre et un peu vieux jeu, mais cela ne la dérangeait pas. Pour l'instant, elle aimait ces prémices, ce jeu qu'ils instauraient : aimait plaire car peut-être lui plaisait-il aussi, quoique différemment.

Je suis d’accord. Dit doucement après qu’il ait fini de parler. Un silence avait flotté entre eux, Naeun n'étant pas certaine de comment elle voulait orienter la conversation. Elle aurait pu rebondir sur le sujet, dire qu’effectivement la végétation était très utile pour de nombreuses raisons. Qu’à l’approche de la saison des pluies elle allait permettre de limiter les inondations et glissement de terrain, comme elle permettait de lutter contre les canicules et de réduire les températures avoisinantes.

Mais avait-elle envie de parler de tels sujets avec lui ?
Peut-être, mais pas ce soir.
Pas maintenant.
Pas alors qu'il était le seul coupable de leur nouvelle dynamique, étant venu vers elle avant de l'inviter à diner sans même se présenter.

J’aime aussi les plantes - pause alors que dans son regard était apparu l'ombre de la tempête : et les fleurs, spécifiquement.

Elle ne s'en lassait pas.
Ne s'en lassait pas et comment aurait-elle pu ? Alors qu'ils venaient à peine de commencer. Et c'était peut-être un des moments qu'elle préférait, ces débuts de tout où tout était si précieux et où chaque mot comptait. Naeun qui ne laissait pas le moindre mot au hasard, qui appréciait oui ces joutes et de le voir réciproquer, ne pas s’offenser. Je déduis que tu as beaucoup de plantes chez toi ? Là où elle n'en avait que très peu, à l'exception d'un gros arbre à caoutchouc et deux-trois petites plantes en pot qu'on lui avait offertes. Naeun n’avait pas la main verte et n'avait jamais cherché à l'avoir : elle était plus de celles faisant vivre les fleuristes, achetant d'énormes bouquets à la moindre occasion, pour elle comme chacune de ses copines. Quelque chose me dit que tu n'habites pas pour autant à Hinaï. Car maintenant la question se posait et qu'il aurait été trop gros que cet amoureux de la nature (des arbres des plantes et des fleurs) se situe au quartier le plus fleuri de l’île. Allait-il la surprendre ? Elle ne le voyait pourtant pas pour autant à Nagao, bien trop bétonné, ni forcément à Nawa, peut-être trop minimaliste.

Ne cherchait pas à parler d'elle tant qu'il ne lui demandait pas.
Aurait pu dire qu'elle n'avait jamais réfléchi aussi loin sur son amour des plantes, que si c'était ce qui semblait le calmer et l'apaiser, elle appréciait l'odeur salée et iodée de la mer, le vent qui frappait son visage et le bruit des vagues. Elle aimait oui rester de longs moments à observer les vagues se briser sur elles-mêmes, parfois contre les rochers : aimait la plage en été autant qu'en automne ou en hiver. Elle aimait les sensations fortes, la voile et tout particulièrement le catamaran. Elle s'était mise au catamaran de sport à foil et s'était enivrée des montées d'adrénaline, redécouvrant la peur malgré sa connaissance approfondie des sports à voile.

Dire qu'il n'y avait pas de club de voile à Mahoutokoro.
Un scandale, vraiment.

Pas plus scandaleux qu'elle ne connaissait même pas le nom de famille de Junseo, ni ce qu'il faisait.
Ils faisaient tout à l'envers et elle ne savait même plus quelles questions poser.
Voulait juste répéter encore et encore : parle-moi de toi.
Car c'était probablement ce qui l'intéressait le plus, à ce moment-là.

no one else makes sense
Comment ne pas entendre le ton taquin, presque moqueur, de la jeune femme ? Pourtant, Junseo ne fait pas la distinction entre les plantes et les fleurs pour rien. Presque tout le monde aime les fleurs, leurs formes et leurs couleurs, mais beaucoup moins se préoccupent des plantes vertes ; comme si les plantes n’avaient d’intérêt que si une fleur finissait par pousser dessus. « Je vois. » répond-il sobrement, sourire amusé sur les lèvres tandis qu’il la regarde avec insistance s’amuser de lui et de sa façon de parler.

Il n’a pas le temps de poser une question qu’elle lui en pose une autre et il est rassuré de remarquer qu’elle semble à l’aise en sa présence. En tout cas, suffisamment à son aise pour être elle-même ; Naeun et ses phrases imprévisibles, qui constituent ce qui l’a fait succomber dès leur première rencontre. « Oui, j’en ai plein. Certaines ont même un surnom. » rétorque-t-il, presque sur le ton de la confidence, parce qu’il sait qu’il est peu commun de donner un surnom à des plantes. Geonu lui a suffisamment répété pour qu’il en ait conscience, ses frères aussi d’ailleurs ; mais ses plantes ont la même importance pour lui que les animaux de compagnie pour d’autre. « J’habite à Fuji. » confirme-t-il avec un ton amusé — il se demande si ce n’est pas un peu tôt pour poser cette question, mais se retient de le souligner, se contente de la regarder avec un air taquin.

Le silence retombe durant un court instant ; Junseo qui maîtrise le silence mieux que personne, mais bien conscient aussi que celui-ci peut mettre mal à l’aise lors d’une première rencontre. « Si tu aimes les fleurs, tu as sans doute une fleur préférée ? » demande-t-il en tournant de nouveau le regard vers elle, cette fois-ci avec un air curieux. Il y a plein de détails d’elle qu’il connaît ;  sa boisson préférée, son snack préféré, sa démarche, son expression quand elle est concentrée et son expression quand elle est détendue, son habitude de prendre les choses à coeur et de s’engager sérieusement dans tout ce qu’elle fait — pour en citer quelques-uns. Mais sa fleur préférée, ça c’est une information qu’il n’a pas.