Bed talks —

Elle est misérable, son île. Elle est misérable, sur son île. La main enchaînée à un téléphone qu’elle ne lâche plus, les sens éveillés en attente d’une vibration qui ne vient pas. Les genoux contre sa poitrine, elle a les pieds qui se perdent dans le sable et l’âme qui s’évade au-dessus de la mer. De l’autre côté de la rive, il y a tout un monde qui grouille, qui bouge, qui avance et qui danse. De l’autre côté, il y a ses amies qui profitent probablement de leur vendredi soir. Il y a Felix qui se démène probablement à l’oublier un peu plus, un jour à la fois. Coincée sur sa prison paradisiaque, l’amertume plein la bouche, elle observe le soleil se coucher sur un monde qui n’est plus le sien. Qui ne l’a jamais vraiment été non plus.
Et alors vient l’idée. Alors viennent les souvenirs. Le cœur a déjà connu la douleur auparavant, et il s’en est déjà remis. Les méthodes médicaments d’antan ont été enterrées, mais Sawako creuse la surface pour les retrouver. Depuis le temps, elle a oublié pourquoi elle les avait enfouies, à prime abord.

D'une oreille attentive, elle guette. Elle cherche les ronflements de sa mère, cherche le son qui confirmerait sa liberté. Puis, sous la musique délicieuse de voies respiratoires obstruées, elle replonge. Les vieilles tenues sont époussetées, le maquillage brille à nouveau, les bouteilles dénichées coulent. Elle se prépare, la vélane, en accentuant ce qu’elle sait qui plaira. Elle boit, l’éperdue, pour plus facilement convaincre son esprit. Et bientôt, les lumières de sa cuisine se remplacent par les néons, et les vrombissements de sa mère deviennent musique éclatante.
Dans l’assistance, Sawako cherche un‧e complice pour la soirée. Quelqu’un qui saura l’accompagner dans ses vices. Au loin, son œil s’accroche à une chevelure flamboyante ; il glisse jusqu’au visage, tombe sur les épaules, remonte jusqu’au regard. Il la regarde, lui aussi. Iels ne se sont pas dit un mot, la distance et les notes empêchant tout contact, mais Sawako sait. Elle reconnaît les non-dits, vibre sous les iris. L’âme embrumée traverse la foule pour rejoindre l’inconnu. La solitude porte ses pas. Elle s’appuie contre le bar, le dos courbé près de sa proie. Ses yeux viennent chercher ceux de l’autre, avant de tomber sur la boisson. « That looks good. » Lèvres qui s’entrouvrent en un sourire, avant que le regard curieux ne regrimpe sur le visage. « What is it ? »