The tracks we leave behind ((alistair))

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(( 20 mars 2021 ))

Le poing est secoué, douleur sourde qui remonte dans le poignet et résonne dans son épaule. Il a vraiment frappé fort merde. Même l’alcool ne lui fait pas oublier ce mal qui se fraie un chemin de ses os à ses muscles, de ses membres à son esprit, où tout se bouscule et se chevauche. Et les murmures s’élèvent toujours, l’attention n’est pas détournée. À quoi bon ? Il doit être un sacré spectacle ce soir. Et Charon n’écoute rien. Ne bouge pas. Statue face à lui, qui ose pourtant un mouvement et vient cacher son verre. « Tu en as quelque chose à faire maintenant ? » Le goût de ses mots est âpre sur sa langue. Il les regrette. Mais les voit s’envoler bien trop tard pour les retenir ; le poing n’est pas parti, reste encore les paroles pour blesser. Blesser l’autre autant qu’il a été blessé, dans son amour propre et son égocentrisme acquis de naissance.
Il vacille pourtant. Se raccroche au comptoir alors que les prunelles se perdent dans celles de l’autre. Autre qu’il ne reconnaît plus. « Ça ne me détruira pas. » Pas ça. Folle affirmation. Encore plus folle qu’il ne l’est lui. Bien sûr que ça va le tuer. Le manque est présent dès le réveil, les membres tremblent jusqu’à ce que la première goutte d’alcool ne vienne taquiner ses papilles. Alors, il peut entamer sa journée. Mais il ne le dit pas, préfère rattraper la situation, accrochant un sourire léger à ses lèvres. Charon a déjà trop vu de ses faiblesses, les a disséqué et l’a laissé là, seul et plaies béantes, ouvertes sur un monde de solitaire : « Je gère ».
Et puis il se retourne, fait face à son public, ceux qui se régalent de ce spectacle. « Quiconque partagera vidéo ou photo aura mes avocats sur le dos. » Il balaye la salle du regard, reconnaissant ça et là les étudiants habituels, ceux qui le connaissent dans son extrême insouciance et dont il perçoit dans le regard une lueur de surprise. « Allez, j’offre ma tournée ! Le spectacle est fini ! » Le voilà qui tape dans ses mains, clôturant l’assemblée comme un véritable maître de cérémonie. Le sourire est revenu, mais la grimace qui s’échappe quand les deux mains se rencontrent restent visible. J’ai mal merde.
« Suis-moi ». Et comme si c’était si simple, comme si Alistair menait encore la barque de cette vie et de cette amitié piétinées, il prend les devants. L’air frais lui fait du bien, apaise son poing rougi. S’adosse à la devanture du bar. Laisse la brise calmer ses pensées, lui redonner un souffle, une contenance. « Je te laisse 5 minutes pour m’expliquer » ou mon poing risque de ne pas dévier cette fois.

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(( 20 mars 2021 ))

S’enlise dans les silences pour conjurer le calme. Là où ne se ressent que la colère d’une déception amère. La main sur le verre se retire lentement et le froncement de sourcils suffit à lui seul pour faire marquer le désaccord. Un verre de trop arrive si vite. D’un esprit embrumé pour se perdre dans une mauvaise allée, un mauvais détour ou même s’enliser dans des pensées fusées. Fumées brouillard si épais que voir à travers est impossible, sans issue si ce n’est abandonner.
Le sourire de façade, ce que l’on appose dans des promesses de santé et de force, masquer les faiblesses derrière un masque, si semblables alors, les faux frères, dans leurs mécanismes tordus de protection. Se protéger enveloppés de rien, de buée.
L’écossais reste immobile, spectateur d’un ultime spectacle adressé à au public voyeur d’une tragédie qui ne les regarde pas. Le spectacle n’est jamais fini, Alistair doit le savoir. Et comme pour appuyer la certitude doute, c’est une invitation à suivre qui marque la fin du premier acte. Dans une hésitation marquant l’esprit, les doigts lâchent le comptoir. Un regard d’une seconde en direction de la salle que l’on abandonne et se laisser bouffer par l’air frais d’une nuit trop noire.

Et quelques minutes pour s’offrir un plaidoyer. S’expliquer. Le conteur aux mots perdus ne saurait même pas comment s’y prendre pour se sauver. Réparer ne serait-ce qu’un peu les morceaux d’une amitié envolée sans trop en dévoiler. Il ne peut pas dire qu’il était perdu, qu’il se noyait pour de vrai dans les vagues folles de sa vie. Qu’on l’a tué sous les flots pour le recracher sur un sable berceau en espérant qu’il renaîtrait rien qu’un peu. Il ne peut pas dire qu’il a écrit, aux ratures et appels à l’aide d’encre, mais que jamais il n’a eu le courage d’envoyer les courriers.
Il ne peut que reconnaître qu’il est coupable, le fautif de cette belle erreur qui les tient à présent si loin l’un de l’autre. « - Il n’y a rien à expliquer si ce n’est que j’ai commis une erreur. » Le timbre reste posé, inflexible dans ses intonations pour dissimuler les fêlures en-dessous. « - Maintes fois j’ai voulu t’écrire mais je n’en ai pas eu le courage. Après le silence, reprendre la parole me semblait incongru. » Dérisoire presque. « - Je me suis perdu dans le fil de ma vie, ici, j’ai sombré sans trouver un moyen de remonter à la surface. » Entendre et lire entre les lignes, se connaissent-ils toujours suffisamment pour que la mécanique comprenne et réussisse ? Il en doute.

« - Mais sache que j’ai regretté, amèrement, de n’avoir eu que ton silence aux lettres que je n’ai jamais envoyé. Par ma faute, c’est évident. » Accepte le blâme puisqu’il sait Charon, que des deux, il est celui qui détruit tout. Celui qui s’accroche mais que l’on abandonne. Alors peut-être que pour une fois, il a voulu être celui qui abandonne.
C’est faux.

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(( 20 mars 2021 ))

L'air moite du bar a laissé place à la fraîcheur de la rue et le poing d'Alistair se desserre alors que le vent léger apaise la quasi fêlure. Les doigts se tendent et se détendent un à un alors que le regard est plongé dans celui de Charon Winston. Il aimerait le croire, aimerait comprendre, faire l'effort tout du moins. Mais la mâchoire est toujours contractée, signe que la rancoeur est restée tapie, à l'affut d'un nouvel éclat. Et les veines sont imbibées de whisky, de bière et de tous les breuvages qu'il a ingurgités ce soir. Les pensées ne sont plus saines, ne l'ont jamais vraiment été. Comment auraient-elles pu ? « Le fil de ta vie... » Il reprend ses mots, les fait glisser sur sa langue, en goûte le sens mais les recrache au visage de l'autre. Lui aussi a sombré, dans d'autres liquides, de ceux qui attaquent et détruisent à petit feu. Et les sourcils se froncent ; tentative vaine de réfléchir, de s'accorder un moment de répit. Mais les mots tournent et n'ont de sens que pour Charon, car Alistair ne voit déjà plus clair. Les doigts tremblent contre ses jambes, tapotent les cuisses d'un automatisme d'accro déjà en manque. « Tu t'attendais à quoi ? Que je t'envoie des lettres où je te dis que tu me manques ? Pour que tu me laisses encore sans réponses ? » Et il soupire, l'haleine encore chaude d'un firewhisky familial. Quand il a fui sa famille, son père, ce n'était pas Charon qu'il fuyait. Et pourtant les deux sont partis, pour des raisons bien différentes. La déchirure est nette, fêlure dont les bords ne se ressouderont sans doute jamais. Et pourtant l'espoir perce dans la voix quand il continue « J'aurais voulu que ça se passe autre.. ment » Mais la voix se fait plus incertaine, et le corps plus léger et plus lourd à la fois. Il a besoin de sa dose, mais la flasque est sortie presque honteusement. Où est passée la fierté du cher Ogden. Et quand il avale une gorgée, salvatrice, bénéfique, il ne peut s'empêcher de jeter un regard en biais à son ancien double. « Ne dis rien. On traîne tous son fardeau. »

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(( 20 mars 2021 ))

Dans le regard là où devrait s’élever de la pitié ne s’éveille que les éclats dramatiques d’une peine abysse. De celle que l’on éprouve à l’égard d’âmes autrefois aimées et un jour égarées. Celle couvant dans les attentions d’un ami spectateur de la chute d’un être qu’il aime encore comme un frère. Même perdu.
Charon se morcèle devant l’évidente noyade de l’homme immobile devant lui sans être pourtant capable de trouver quoi faire pour alléger les drames pesant sur ces épaules. Ils sont là depuis si longtemps, déjà quand il n’y avait qu’eux, ils étaient là. En ombre rôdant près du Ogden, prête à planter ses griffes dans la chair au moindre faux pas. Elle l’a fait. Et lui n’était pas là pour l’aider. Il se veut sauveur de tous Charon mais échoue bien souvent à ramener les égarés sur la berge. Créer pour noyer et entraîner vers les profondeurs, pas l’inverse.

Les mots sont des coups durs qu’il encaisse avec bien plus de mal que la plus violente des luttes sur un ring improvisé. Les blessures physiques, elles se voient, se ressentent. Existent puis se soignent et se referment. Celles du cœur, elles saignent à l’infini et ne se referment jamais vraiment. Le visage de sel se froisse, crispé sous des maux que l’on susurre.
« - Je ne suis personne pour juger et quand bien même, jamais je ne me le permettrais. » S’il savait, Alistair combien l’enfant trop sage a changé. N’a plus rien en commun avec cet autre qu’il fut, pas même son nom. Winston balancé au vent amer d’une jeunesse empêtré dans les moqueries et les bousculades. D’une peau trop lourde à portée, l’ancien a été abandonné. Mais il ne voulait pas Charon, jamais, perdre un de ses repères. Son seul allié dans ses instants de tourmente. Ne le reconnait pas mais pourtant il en a encore besoin. Quand tout s’effondre et qu’il reste seul, debout au milieu des décombres.

« - Sans aller jusque dans les effusions de sentiments, des lettres, peut-être, m’auraient remis sur une route moins chaotique. » L’auraient aidé à exister autrement que dans sa propre ombre. Se sentir vivant et non mourant devant les malédictions et les pertes. Il aimerait tendre la main et se saisir de la flasque pour l’empêcher de détruire encore plus une âme déjà bien abimée. Frères sous les étoiles d’addictions néfastes.
Si tu savais.
« - Moi aussi Alistair et je le regrette… » Souffle-t-il avec révérence, baissant les yeux le temps d’une expiration murmure. Avance alors, de quelques pas en équilibre sur un fil et tend la main. Suspendue dans le vide entre eux, elle se veut trêve. Ou au moins première pierre d’un recommencent qu’il quémande presque dans le regard qu’il pose sur l’ami en déroute.

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(( 20 mars 2021 ))

L'alcool est avalé avec un soulagement honteux, et pourtant rien ne lui permet d'oublier ce qui vient de se dérouler. Ses coups de sang finiront par le trahir un jour, le sourire sur ses lèvres sera trop bancal pour être sincère, ses mots se feront flous, tordus. Tordu comme lui. Les sourcils sont haussés. Je ne suis personne pour juger. Et pourtant, s'il y en avait bien un qu'il laisserait faire, ce serait lui. Révélation mentale qui se fait claque. Alistair n'a pas oublié, à quel point il était attaché à Charon. Malheureuse absence qui l'a peut-être fait un peu plus sombrer. Mais l'heure n'est plus aux regrets. « Notre vie n'est rien sans un peu de chaos, tu le sais ». Taquinerie sourde. Alistair ne sait plus rien de ce Winston devenu Charon, et pourtant il devine, que le changement s'est sévèrement et durablement installé en lui. Qu'est-ce qu'on a fait.
« Écris-moi » Invitation jetée alors qu'il y a encore quelques minutes il aurait pu tout détruire. Mais les éclats dans le regard, les traits tendus de Charon font entrevoir à Alistair ce qu'ils auraient eu, ce qu'ils auraient pu avoir sans cet éloignement. Le vide est comblé. Mélange de sentiments et de colère, mais il ressent quelque chose l'Ecossais. Et il ne veut pas tourner la page de ce nouveau chapitre Alistair, ne veut pas encore en voir la fin, espère qu'ils n'en sont qu'au début. Un nouveau début. Imbécile. « Je loge à l'hôtel Nimazu. Je n'étais pas sûr de rester. » Pourquoi s'explique t-il ?
Leurs yeux disent tout mais les lèvres se scellent. Trop enivré pour parler, Alistair sait que les sentiments se feraient trop vifs, trop forts s'il ouvrait la bouche. Et qu'il le regretterait. Parce que le mur qu'il s'est évertué à construire commence déjà à se morceler. Foutue amitié. Foutues addictions. Et le regard est jeté sur la main tendue. Perdu, Alistair l'agrippe. Comme un foutu naufragé. Mais il n'a pas besoin d'être sauvé. Il est fort. Solitaire. Pourtant les doigts se serrent autour de ceux du frère. Pression salvatrice. Et tout se dit. En silence. « Je dois y retourner. Les clients n'attendent pas. » Et comme s'il émergeait d'un rêve, comme s'il était encore à moitié bloqué dans son songe aux multiples émotions, il se détache du mur et après un dernier regard lourd de sens rentre à nouveau dans son sanctuaire d'alcoolisme.