❀ ghost in a flower (himari & somi)

Elle a perdu Sawako, tout d'un coup. Happée par la foule de ce premier jour de festival sub-aquatique, foule à laquelle Himari s'ajuste encore, au monde, au bruit, à la fête, elle qui passe ordinairement plutôt ses soirées à lire à sa fenêtre après avoir arrosé ses plantes. Elle a beau s'accrocher au bras de son amie, le monde a vite fait de les envahir, un groupe encadré de membres de la sécurité passant non loin, déclenchant une clameur grondante, s'éloignant derrière elles alors que Himari les suit vaguement du regard. Et c'est là qu'elle les voit. Ces morceaux de papier tombés à terre, dépassant d'une pochette rose pastel, gisant sur le sol après le passage du groupe, délaissés au sol. Himari s'arrête un instant pour les ramasser, et marque une pause alors que son regard s'agrippe aux fines lignes sombres zébrant les pages, aux constellations de notes liées entre elles dans un langage qu'elle comprend probablement mieux que sa propre langue natale. De la musique. Un bref instant s'écoule alors que le dialogue entre les partitions et Himari ne se fait qu'entre eux, un peu rassurée de constater que contrairement à ce cauchemar raconté à Icarus il y a quelques jours, elle sait encore tout à fait lire le solfège.

Himari lève le nez pour revenir à la réalité, dans le brouhaha ambiant du festival, mais Sawako a disparu. Scannant les environs autour d'elle, coiffée de ses plumes, elle est totalement seule au milieu de la foule. Mais là, maintenant, tout de suite, la seule chose à laquelle elle pense, c'est ces partitions. L'inquiétude de leur propriétaire en s'apercevant qu'elles manquent. Himari feuillette les quelques pages, et dans un accès de chance, le nom de l'artiste est griffonné en kanas rondelets en bas de la dernière page. Dans un accès de chance, il s'agit même du seul nom qui lui est familier dans tout ce festival. Somi. Un nom familier pour tout le monde à Mahoutokoro alors que sa carrière d'artiste est bien connue de tous, surtout de l'administration pour accommoder son emploi du temps.

Son regard accroche alors la carte des lieux. Parce que Somi doit probablement se trouver en coulisses, ou dans une section réservée aux artistes, non ? Ou du moins, dans un endroit où un membre du staff pourrait simplement récupérer son bien et le lui remettre plus facilement. Elle fait volte-face pour revenir sur ses pas et suivre le chemin vers l'entrée des artistes, ses yeux papillonnant à droite et à gauche pour trouver son chemin. Parfois croisant l'aura indescriptible des partitions dans ses mains, qu'elle ne peut s'empêcher de lire. Et ça lui parle. Elle l'entend, cette chanson, écrite classiquement en 4/4, alors que les sonorités pop résonnent dans sa tête au fur et à mesure que son regard suit les deux portées sur chaque page. Elle se surprend à noter des choses dans sa tête, des petits détails qui ne semblent pas aussi fluides que le reste. Réflexe d'une éducation musicale classique moldue, à râbacher la lecture de Debussy ou de Liszt avant de savoir aligner deux sortilèges correctement. Une exigeance qui semble jurer quelque peu avec le style pop de ces compositions, alors qu'elle repère les légères faiblesses une par une comme on voit briller un objet métallique sous le soleil. Une blanche qui marquerait mieux un changement de rythme si elle se transformait en noire pointée. Une croche trop haute d'un demi-ton qui jure un peu trop avec son harmonie basse.

Elle manque presque l'entrée vers un dôme coloré marqué Réservé aux artistes, bifurquant au dernier moment pour venir se présenter timidement au staff présent derrière un comptoir pour vérifier les accès. « Ehm... hello... » commence Himari d'une voix hésitante, pour déposer la pochette rose sur le comptoir comme pour illustrer son propos. « I... found these outside, I think Hanaoka-san or someone from her team dropped them by accident, » elle explique avec un sourire poli malgré sa coiffe incongrue et ses épaules recouvertes de plumes blanches. La sorcière - arborant un maquillage aux écailles holographiques bigarré - semble savoir exactement quoi faire, mais elle a à peine le temps de faire passer le message que le regard de Himari croise celui d'une silhouette aux longs cheveux blond platine - la propriétaire des partitions en personne. « Ah, Hanaoka-san! These are yours, aren't they? » elle l'interpelle, avant de lui montrer la pochette de sa position lointaine, du côté public de la pièce, avec un léger sourire. En espérant qu'elle ne passe pas pour une folle furieuse ayant profité de la trouvaille pour approcher une artiste, ou quelque chose comme ça.

Aujourd'hui est un grand jour. Mais seulement presque Le grand jour. L'attention est déjà rivée sur l'idole depuis qu'elle a pointé le nez hors de sa bulle. La nuit avait été agitée, par le stress du spectacle à venir et toutes les petites choses qui n'étaient pas totalement contrôlables - le facteur hasard avait beau être réduit au minimum, il restait encore trop présent au goût de Somi. Aussi par la drôle de vision à laquelle elle avait assisté en ce premier jour du festival. Lui. Avec une fille. La petite sorcière etait restée plusieurs secondes paralysée puis. Badum, badum. Son coeur avait silencieusement pleuré pour elle et les larmes qu'elle avait ravalé avaient été soigneusement cachées derrière tout un tas d'autres préoccupations. Les dernières répétitions chantonnées dans un coin des backstages, les interviews qui tournaient autour des mêmes questions - qu'est-ce que ça fait de monter sur la main stage d'un des plus gros festivals de musique ? stressée ? - que Somi accueillait avec un entrain feint, ce petit ventre ballonné qu'elle voulait absolument plat sur la scène - de l'eau et du citron, vite. Tout était prétexte à oublier la peine, à la maintenir enfermée dans un petit tiroir le temps de quelques jours.  

« Are you kidding me… » Lunettes de soleil sur le nez, elle relève les yeux pour détailler la silhouette face à elle. Un homme - ça commençait déjà mal. Le genre d'hommes dont elle avait appris à reconnaître l'aura malaisante par leurs regards trop appuyés, trop intéressés sur elle. Elle connaissait leurs expressions étranges qui laissaient transparaître les pensées lubriques qu'ils avaient sur leur idole. Et là où la limite était dépassée c'est lorsqu'ils avaient ce regard face à elle. Sourire crispé, la jeune femme écoute d'une oreille distraite ce qu'il lui raconte. Là, parmi la foule, quelques autres têtes se tournaient dans leur direction et réalisaient qu'un des artistes du festival était accessible pendant quelques minutes. « Thank you so much for your support but I have to go…  » Elle se prépare à prendre congé mais l'homme supplie. Une photo. Une simple photo pour immortaliser cet échange étrange. Elle acquiesce à contre-coeur. Le fanservice avant tout. Somi se penche vers le téléphone pour entrer dans le cadre de la photo, un bras s'enroule autour de sa taille puis la pression des doigts masculins sur sa côte la fait accélérer le processus. « Alright, it's fine ! Elle reprend naturellement ses distances, Thank you, bye ! » Et elle s'éloigne, retourne dans la partie réservée aux artistes pour s'abriter. Sans se rendre compte de la pochette abandonnée derrière elle. Quelle surprise alors lorsque, quelques heures plus tard, une voix l'interpelle et agite l'objet manquant. Oh ! Quel professionnalisme, se lamente l'idole. Comment avait-elle pu ne pas se rendre compte de cet oubli ? Somi s'avance vers le vigile et l'entrée. « Himari-chan !  » Le sorcier entre elles observe la scène et semble analyser lentement la situation. « She's my friend ! » explique alors l'artiste. Mais rien ne change. « Merlin, let her in…  » Elle insiste devant la réticence de l'employé. Somi croit l'entendre marmonner quelque chose en rapport avec DUT - la sécurité ne plaisantait particulièrement pas depuis que les sept garçons étaient arrivés sur les lieux. « She's not here for DUT, Somi décide de prendre les devants, she's here for me ! » Et peut-être s'avancait-elle un peu trop en fin de compte. L'air énervé de l'artiste semble finalement convaincre le sorcier qui tend sa baguette vers la brunette. Un sceau apparaît sur le dos de sa main et Somi s'empare aussitôt d'elle pour l'entraîner plus loin. Elle s'arrête soudainement, sent la musicienne heurter son dos. « You're not a fan of DUT, are you ? » Non pas que c'était interdit, mais Somi se rendait compte qu'elle avait peut-être parlé un peu vite à la place de Himari. Anyway ! Elle reprend la marche, passe entre des installations éphémères prêtes à être utilisées sur la scène et des Mobil home occupés par les artistes. Enfin elle bifurque à l'intérieur de l'un d'eux. Décoration sobre appuyée par quelques touches roses spécialement pensées pour l'idole. Elle invite Himari à s'asseoir, au choix le canapé ou l'une des chaises autour de la table. Mais d'abord elle tend la main, attendant de récupérer le précieux document. « Merlin I'm so lucky you found it, elle s'exclame vivement, there was a creepy fan and I guess… I got heedless. » Elle sourit d'un air contrit. Puis son regard tombe vers la table basse sur laquelle étaient posées d'innombrables douceurs sucrées offertes par des fans. « You're hungry ?  elle pointe du doigt l'une des boites de chocolats, it's safe you can eat it. » Les contrôles étaient de rigueur depuis qu'elle avait failli ingéré un filtre d'amour.

En interpellant Somi elle-même à l’accueil de la zone des artistes, Himari ne s’attendait clairement pas à ce genre de réception. La starlette s’illumine en apercevant son visage, prenant immédiatement la situation entre ses mains afin de la laisser passer. Himari affiche un air surpris aux mots employés par Somi. « Fri- » elle commence, avant que le vigile ne se mette à marmonner quelque chose d’incompréhensible. Friend ? Ça ne lui aurait probablement jamais traversé l’esprit d’employer ce genre de termes si leurs rôles avaient été inversés, n’ayant jamais vraiment abordé Hanaoka Somi en privé auparavant, même à Mahoutokoro - hormis pour gérer son emploi du temps adapté à sa carrière particulière, peut-être. Un an plus jeune, et tout ce que Himari aurait probablement été dans d’autres circonstances - épanouie dans son approche de la musique, extravertie, charismatique, entourée d’amis, à la manière de deux graines semblables ayant germé dans deux sens complètement différents, l’une profitant allègrement du soleil et l’autre essayant encore de se frayer un chemin sous terre. C’est intimidant, et le vigile finit par céder pour lui attraper la main et lui tracer un sceau d’accès brillant pour la laisser passer. « Sorry for the inconvenience... » glisse Himari avec une légère grimace, sans vraiment savoir à qui elle s’adresse, staff ou artiste. Somi est une tornade, qui ne s’arrête jamais et mène son monde avec une confiance désarmante, alors qu’elle attrape la main de Himari qui esquisse un léger mouvement de surprise au contact avant de se laisser emporter par les vents, hors de la bulle d’accueil jusque dans la tant convoitée zone des artistes. Avant que Somi ne s’arrête une nouvelle fois avec une question. « Ouch- Jiyuuwho? » lâche Himari en heurtant la jeune chanteuse, confuse. Jiyuuchi, c’est ce qu’elle a dit ? La notion de liberté semblerait coller à un nom d'artiste, mais pas suffisamment pour que Himari ne raccroche les wagons. Sa réaction semble suffire comme réponse, alors que Himari secoue la tête en silence en guise de confirmation, complètement larguée sur le sujet.

Elle ne s’attendait vraiment pas à finir face à la caravane de Somi, Himari, en venant rendre les partitions perdues - au mieux, elle lui aurait remis en mains propres à l’accueil et se serait ensuite envolée, mais elle ne peut pas possiblement refuser l’invitation, emportée par la bourrasque blonde à qui il est difficile de tenir tête. Somi s’asseoit dans son salon de fortune, faisant signe à Himari de la rejoindre. Elle hésite un instant, avant de quitter ses sandales et grimper à son tour, avec un « お邪魔します » timidement glissé, plus pour elle-même que pour l’artiste qui semble avoir déjà adopté la présence de Himari dans son espace personnel. Fin heureuse pour les partitions égarées, alors que Himari ne doute jamais de l’importance de ces dernières pour Somi, à quelques heures de son propre set sur scène et de probables répétitions. Elle s'assoit poliment sur un des canapés, retirant sa coiffe à plumes en se peignant rapidement la frange du bout des doigts, alors que la jeune chanteuse semble se blâmer pour la perte de ces quelques feuilles, mots auxquels Himari secoue de nouveau la tête avec un sourire compatissant. « There were a lot of people out there… I hope it’s not damaged, » elle fait en penchant légèrement la tête. Elle est bien la première à paniquer dans la foule, après tout, et des accidents sont vite arrivés, surtout lorsqu’on est potentiellement entourée de fans ou pire - de détracteurs. Himari, elle n’a même pas besoin de ça pour s’égarer. Somi lui propose même de manger, ce à quoi Himari se redresse, les mains sur les genoux. « I-I don’t mean to hold you back or anything! You must be really busy... » elle balbutie par politesse. Ne sachant pas vraiment quelle attitude afficher en compagnie d’une personne qu’elle connaît finalement très peu, bien qu’invitée privilégiée dans sa petite bulle et son espace personnel. Mais Somi insiste, alors Himari saisit un chocolat, qu’elle croque avec précautions, avant la précision cruciale de la jeune chanteuse. « Safe? » Pardon ? Himari profite que Somi tourne le nez un instant pour discrètement laisser le morceau de chocolat restant dans l’emballage, un peu déboussolée par cette information. Un silence léger s’installe, que Himari brise avec de nouvelles politesses, histoire de bien s’assurer qu’elle ne passe pas pour une profiteuse intéressée en la suivant jusqu’ici. « Thank you... I’ve never been in the artist area of an event before... » Comme si ça allait justifier son embarras, excuser son hésitation et son silence nerveux. Il y a seulement une seule chose qui la taraude, alors que l’objet semble briller de mille feux posé sur la table en face d’elles, hypnotisant l’attention de Himari depuis le moment où elle a posé ses yeux sur les feuilles striées de noir un peu plus tôt. « Actually- » C’est plus fort qu’elle. Elle se sent obligée d’aborder le sujet, parce que les notes hurlent dans sa tête, la musique se déroule comme une boîte à musique qui va trop vite, et elle ne peut pas s’empêcher de le sortir de sa bouche comme pour exorciser le charme qui l’envoûte depuis des dizaines de minutes. « I’m sorry if this comes off as somewhat rude but I noticed a few things... » commence Himari timidement, avant de poser le bout de ses doigts sur la pochette rose sur la table. « May I? » elle ajoute, croisant le regard de Somi, tendant son autre main vers une plume posée non loin. A-t-elle sa permission pour emprunter cette plume, a-t-elle même la permission pour remettre en question le contenu de cette pochette ? Himari attrape la plume avec précautions, avant de sortir les feuillets pour les poser sur la table. « I couldn’t help but read and I had a few thoughts… this B here should sound a bit better as a B flat... » Son ton commençait avec une politesse hésitante, mais dès qu’elle parle musique, sa voix frêle laisse place à la détermination, comme de la confiance en demi-ton de quelqu’un qui a profondément confiance en son instinct et en ces mots prononcés à ce moment-même. « Maybe mezzo forte would be a bit smoother than forte here... » poursuit Himari en annotant les partitions d’encre effaçable, de ses petites pattes de mouche délicates, les yeux parcourant les notes avec fluidité alors que toute la symphonie résonne dans sa tête, qu’elle en perçoit les couleurs et les émotions, sans pouvoir les jouer elle-même. « These crescendo sixteenth should pop out a bit more in the harmony if you remove the legato there... » Avant de s’arrêter. Comme dans une prise de conscience de ce qu’elle était en train de faire à l’instant, brisant la connexion avec son subconscient de pianiste enterré sous des couches de deuils et d’abandon. Himari se redresse alors, croisant le regard de Somi, sa main libre sur sa bouche. « Oh god I’m so sorry this really does sound so rude! Don’t mind me, I’m sure it sounds great, I- » Qu’est-ce qu’elle en sait, de toutes façons ? Pourquoi se permet-elle de corriger une chanteuse professionnelle de la sorte, elle et son éducation classique, qui n’a pas aligné deux notes de piano sans fondre en larme depuis des années ? Himari se sent bien bête, tout d’un coup, et repose la plume immédiatement, le feu aux joues, venant triturer l’ourlet de sa jupe avec nervosité. Quelle honte.

Elle prend place avec une habitude peu surprenante. Le petit habitacle avait été son principal repère depuis qu'elle avait posé les pieds dans ce festival. Ça lui avait semblé bizarre au début. De savoir ses amis de l'autre côté de la barrière qui les séparait, sans pouvoir les rejoindre. Alors le matin-même la jeune sorcière avait envoyé des messages par-ci par-là pour convier les gens à se rassembler une fois le spectacle bouclé - une fois la pression passée. Seulement en attendant le début de son show, l'angoisse se creusait un chemin de plus en plus net dans ses pensées. Et si l'idole avait tout de même demandé à son staff quelques heures de solitude, la compagnie de Himari lui semblait tombait à point. Quelque chose chez la petite japonaise était indéniablement réconfortant pour Somi - peut-être était-ce parce qu'elle n'avait pas la moindre idées des enjeux qui se tramaient derrière le showcase du lendemain ? Aucune attente n'émanait de la daichi, contrairement aux membres de son équipe qui surveillaient l'artiste du coin de l'oeil, attendaient toujours un geste ou un mot de sa part. Himari avait quelque chose de reposant, quelque chose que la chanteuse ne pouvait se résoudre à laisser filer aussi rapidement. Alors, elle sait, qu'elle a un peu forcé la main à la secrétaire pour la traîner jusqu'à son antre. Mais impossible de regretter son geste, qu'elle tente de rattraper en proposant des douceurs sucrées à sa compagnie. Et un large sourire se dessine sur ses lèvres lorsqu'elle la voit croquer dans un chocolat. « It's really boring here actually, répond l'idole après un coup d'oeil à son téléphone, there isn't much to do, everything fun is outside those walls. » C'est ce qui l'avait fait pointer le bout de son nez dans la partie publique du festival le matin-même. Là où les stands de nourriture, de merchandising et animations en tout genre rythmaient les journées des visiteurs. La partie artiste était, à l'opposé du brouhaha des foules, un endroit calme où, finalement, les stars se côtoyaient peu - ou bien était-ce juste elle qui avait du mal à croiser les autres gros noms du festival.

La porte de la caravane s'entrouvre doucement et Somi se lève pour discuter avec un homme d'abord surpris de la voir en compagnie de quelqu'un. « It's alright, rassure l'idole pour inciter son interlocuteur à annoncer ce qu'il avait à lui dire, is it about the last soundcheck ? » Il acquiesce. Les deux discutent alors des derniers détails puis la kasai referme la porte après avoir promis plusieurs fois de venir vérifier une dernière fois le déroulement du spectacle avec l'équipe technique. Lorsque la musicienne s'apprête à revenir sur sa chaise, Somi ne voit que du vide là où se trouvait Himari quelques minutes plus tôt. Elle suit du regard la petite sorcière se diriger vers la pochette qu'elle lui avait rapportée et, sous l'oeil étonné de Somi, elle en sort les partitions. Au bout de quelques instants, la préfète la rejoint à la table et observe la plume bouger. « Hm… » Elle hésite en écoutant les premières propositions d'Himari sur des musiques qu'elle a déjà jouées cent fois. La concentration de la daichi l'incite toutefois à s'ouvrir, alors à son tour, la blonde se penche sur les annotations et fredonne les notes. Puis ses doigts s'en mêlent et miment sur la table le clavier d'un piano et le déclic arrive. « Yeah… son regard s'illumine soudainement, yeah ! It's cleaner, smoother… approuve la chanteuse en relisant une nouvelle fois les corrections, I like it. » Elle tape dans ses mains pour stopper Himari dans ses excuses. « It's not rude at all, proteste-t-elle, you were so into it and  it was amazing to watch, elle lui sourit avec assurance, you really have been gifted by music. » Elle hoche la tête, persuadée de ses mots. Himari avait la rigueur de ses musiciens de talent qu'elle-même avait tendance à délaisser au profit de l'instinct. « You should teach music to juniors in the music club you know. » Pourquoi n'y avait-elle pas pensé avant ? « We always lack of mentors. » Elle-même avait rarement du temps à accorder aux membres du club en dehors des séances communes.  « …. Can I use this ? demande Somi en agitant les feuilles annotées par la daichi, I'll play your way. » Sur les quelques parties du spectacle où elle était derrière un piano avec juste un micro et son amour de la musique.

Elle ne sait pas trop quoi faire de son corps, de sa tête et de ses mots, Himari. Somi, elle l’a toujours connue de loin, de nom, de visage, sa réputation et son cercle d’amis, sa carrière et sa notoriété, mais jamais elle n’aurait osé la qualifier d’amie. C’est une surprise à laquelle Himari ne sait pas trop quoi faire ni penser. Elle a le charisme, la présence, l’idole. Le succès et l’aura qui vont avec, l’ayant toujours classée parmi ces caractères intouchables des gens talentueux et populaires que Himari n’a jamais et n’aurait jamais vraiment pensé côtoyer.
Comme une table rase de leurs histoires, alors que la sagesse et les années aplanissent les rugosités de l’âge ingrat pour les ramener au même niveau : assise dans la caravane de Somi dans la zone des artistes, comme une VIP ou une journaliste, simplement parce qu’elle est un visage familier ayant fait une bonne action pourtant évidente. Nerveuse à l’idée de paraître impolie ou de se permettre des familiarités alors qu’elles n’en sont pas là, Somi semble pourtant étrangement à l’aise, presque soulagée de l’avoir auprès d’elle pour un instant. Confirmant presque ses soupçons quand elle soupire s’ennuyer ferme seule dans sa loge, alors que ses amis sont probablement tous à quelques centaines de mètres dans la fosse. « Do you know when… » Sa phrase reste en suspens, interrompue par quelqu’un frappant à la porte de la caravane.

Somi se lève pour répondre à son visiteur, et Himari s’efforce de ne pas paraître intrusive. It’s not polite to eavesdrop on people. Des mots accrochés au passage. Répétitions. Réglages de son. Scène. Préparation. Facile de faire le lien, mais elle ne dit rien, ses yeux papillonnant dans la loge, pour se poser sur les partitions. Les partitions. Elle a à peine le temps de demander la permission pour la forme, mais c’est plus fort qu’elle. Ce qu’elle a lu plus tôt la hante, lui revient en pleine face, et elle ne peut pas s’empêcher d’empoigner une plume pour annoter les feuilles une par une, faisant ses commentaires à voix haute. Les notes et les harmonies qui résonnent dans sa tête, Himari fredonnant une mesure de temps à autre. Nul besoin de diapason, s’en étant affranchie depuis bien longtemps grâce à un don inné aussi inutile qu’anecdotique. Elle sent la présence de Somi à côté d’elle, qui s’approche, pour se pencher sur les partitions avec elle, ses cheveux blonds tombant entre leurs épaules, acquiesçant au fur et à mesure, pour enfin approuver d’une voix de plus en plus affirmée, dans un crescendo d’enthousiasme.

Et comme un rappel à l’ordre, la réalisation qu’elle est probablement en train de piétiner les limites. Se confond en excuses, que Somi a vite fait de calmer avec un sourire amical. Gifted by music. I’m not so sure about that. Music gives but it can also take everything back. « Err… thank you… » souffle Himari d’une petite voix en reposant la plume, le rose aux joues de celle qui a été prise la main dans le sac de manières trop cavalières. You should teach music to juniors in the music club, you know? Should I? Instant de silence surpris, alors que Himari dévisage Somi un quart de seconde, sans trop savoir que faire de cette suggestion. Elle, mentor, professeur ? Ça ne lui était pas vraiment venu à l’esprit, compte tenu des circonstances. Pas sûre non plus de quoi en penser. « Really…? » elle expire, avant de se reprendre. C’est idiot. « I mean… it’s impossible. I ca- I don’t play. Anymore. » Quel pathétique tableau, de se prendre pour un mentor sans pouvoir produire le moindre son. À quoi bon enseigner une quelconque théorie si jamais elle ne peut la mettre en pratique sous peine de finir en proie à ses angoisses. « But it sounds nice. It’s nice of you to say that, too, » elle ajoute avec un petit sourire un peu triste. Ce serait mentir que d’affirmer que l’idée est en tous points repoussante, mais c’est tout simplement impossible.

Somi finit par reprendre les partitions, lui demandant même la permission d’utiliser ses notes, surprenant une nouvelle fois Himari. Jamais elle n’aurait pensé pouvoir s’approprier ce travail, après tout, ce sont les chansons de Somi, pas les siennes. Elle ne fait que repasser derrière avec des suggestions, rien de plus. « Of course, » elle répond en hochant la tête, un peu décontenancée tellement la réponse lui semble évidente. I’ll play your way. My way…? « It’s not really… I mean, it’s just details, » ajoute Himari en secouant la tête. « They’re your songs. And you have your voice… I really only work on the piano score, it might not even work that well, you know? » Elle s’empêtre dans ses propres mots. My way. Is it? Not really. « I’m sure you’ll do great however you decide to play, » elle conclut avec un sourire, d’une voix feutrée.

La main frappe de nouveau à la porte de la caravane, comme un énième rappel. Himari raccroche alors les wagons avec la visite quelques minutes plus tôt, ouvrant grands les yeux. « Oh! I don’t mean to hold you back if you need to practice or do your sound checks… » glisse Himari. Elle n’a aucune fichtre idée de comment tout ça fonctionne, Himari, ayant échappé aux récitals et concerto en vivant la majeure partie de l’année sur Iwojima, avec pour seul public Wada-san et ses clients réguliers. Or Yori, Neomä and Naeun. Mais il lui semble logique que la danse logistique d’un festival soit organisée à la minute près. « I hope my notes will not be a hassle for the other musicians though, I know even the smallest differences can be confusing, especially without a conductor… » Capable de semer la zizanie dans une harmonie millimétrée. Mais qu’est-ce qu’elle en sait après tout, elle qui ne chante ni ne joue. Oreille qui entend mais dont les doigts se retrouvent en sourdine.

Un sourire, toujours le même. Sincère, lumineux - un peu trop parfois, pour briser la glace ou remplacer quelques mots. Pas besoin de grand chose à l'idole pour initier le premier contact et forger des amitiés - sans forcément se rendre compte que la réciprocité n'avait pas toujours lieu. Himari avait été dans le paysage assez longtemps pour devenir un visage familier, un visage rassurant. Pas de quoi former une amitié fusionnelle mais assez pour s'apprécier - Oh, mais c'est qu'elle ne lui avait jamais demandé Somi à Himari si elle l'aimait bien. Mais pas besoin. Elle en avait eu la preuve aujourd'hui quand l'aînée était venue lui rapporter ses partitions. Et le temps passé à ses côtés avait chassé l'ennui dévorant de son attente interminable. Il ne restait plus beaucoup de temps maintenant - comme était venu lui dire lui dire un technicien. Méchant rappel des obligations qui allaient rythmer le reste de sa journée - heureusement que Lior était là pour passer de temps en temps. " Tatata ! proteste Somi, juniors would be glad to have advice from seniors like you. " Les plus jeunes débordaient d'une énergie et d'une soif d'apprendre qu'elle-même avait du mal à satisfaire. " ... so if you ever want to play again, just know that… there is place in the club, 'kay ? " Pas plus d'insistance, Somi voyait bien que son invitée était gênée - plus que d'habitude, en tout cas. L'invitation avait été lancée, il ne restait à Himari qu'à s'en saisir le jour où elle serait prête.

Vient petit à petit le temps des aurevoirs. L'agitation dehors donnait l'impression à Somi qu'elle aussi devait commencer à se préparer et à rejoindre le cortège des gens occupés. La blonde se met alors à rassembler les précieuses partitions affinées par Himari - malgré tout ce qu'elle pouvait dire. " Thank you, glisse la star devant la confiance que la brune avait en elle, I'll do my best to make the stage mine. " L'idole lève ses deux doigts en signe de V. " Don't worry about the change, la rassure-t-elle, my musicians are the best ! " Ou plutôt qu'ils étaient habitués à travailler avec elle et à suivre ses changements d'humeur en échange d'une confiance totale sur scène. " Wait, let me walk you back. " propose (sans laisser le choix) Somi à Himari en lui tenant la porte pour la laisser sortir. Sur le chemin jusqu'à la barrière de sécurité de nombreuses personnes croisent leur chemin, toutes préoccupées par un planning où le retard n'était pas toléré. Aux grilles, le gardien s'avance doucement vers elles. " Okay, se dépêche Somi avant qu'elles ne soient à nouveau embêtées, thank you again for your help and… - elle lève les yeux au ciel pour réfléchir à un mot approprié - for your healing company. " Car la présence de Himari avait finalement dissipé bien des pensées négatives. Peut-être aurait-elle donc quelques heures de répit avant que les chagrins d'un amour envolé et le stress ne reviennent. " Have fun with your friends at the fest ! lance la blonde en agitant la main une fois que son amie s'éloigna, and don't forget to watch my show ! " La sorcière resta quelques secondes devant la limite de la partie VIP et publique même après le départ de Himari,  le sourire déjà plus fané que durant leurs échanges. Ah, songea-t-elle alors tristement, peut-être que le chagrin n'était finalement jamais vraiment parti.