Light as a butterfly — Noé #1

@isaac rosewood & @noé Águilar
october 25th, 2021

Elle oscille, la barrière entre l’intime et le distant. Se brouille au détour des mots d’une conversation qui se confond parfois dans les vagues de celles qu’ils avaient, des années en arrière. Quand il n’était encore qu’un môme paumé entre des draps trop blancs. Elle s’y confond mais se teinte de quelque chose de différent qui dérange autant que ça peut charmer. Donner chaud, aux joues, un peu dans la poitrine sous les paroles du professeur. L’ancien idol que l’on a adoré en silence, en secret. Des amours éphémères d’une jeunesse martyre et prêtre à être sacrifiée. Et s’il se sent charmer par ce qu’il entend, Noé ne peut s’empêcher de plisser le nez, froncer les sourcils et battre l’air de sa tête en négation. « - I think I’ll never be able to like it, my scar… It’s a reminder of my cancer and if I had the choice, I wish I could forget it all. » Cette trace bête et moche sur ses côtes, l’arc de cercle du combat de sa vie, des tentatives pour le sauver, espérer le faire. S’il est prêt à faire ce qu’il faut pour s’aimer au mieux, caresser du bout des doigts une confiance en lui qui pour l’instant se balade quelque part sans qu’il ne sache où, il est sûr qu’il ne pourra jamais apprécier cette marque sur sa peau. On aurait pu la lui enlever, la magie sait faire mais personne n’a jugé bon de se donner cette peine. Il fallait qu’elle reste, que quelque chose soit visible pour rappeler à tous, que le petit Noé a failli se casser le nez du haut de son arche pour se noyer dans l’eau salée de ses pleurs. Et de ceux de sa famille.

Air sérieux sur le visage durant toute l’écoute de la musique que les doigts ont tentés de retenir, s’imprimer du rythme. Et la réaction d’Isaac face à son juron le fait rire. D’un spontané qu’il n’attendait pas mais qui monte d’un seul coup, une bulle de savon qui explose dans sa gorge, sur sa langue et s’expulse dans un éclat de rire.
« - Oh, yeah, sorry… I’m like everyone else, you know, I swear, sometimes. And more often when I’m stressed, or angry, well the usual… Guess I’m not such a cute puppy. » Il hausse les épaules, presque désolé de décevoir. De ne pas rentrer dans les cases qu’on lui attribue si facilement au premier regard. A raison bien souvent, s’il aime à se prétendre loup parfois, il reste un louveteau. Un chiot aux pattes trop petites pour grimper où il voudrait. Il n’y a que les crocs qui ne sont plus en guimauve chez lui. Jouent simplement à aller et venir sans qu’il ne le veuille vraiment. Coup de chance, ce soir, ils se tiennent tranquilles.
Le cœur monte en battements lorsque le temps de sauter se rapproche. Isaac qui n’est plus professeur, ami, support ou peu importe ce qu’il est réellement pour le kaze, il devient l’idol. Le beau et l’inatteignable. Le talent que l’on crève d’avoir un jour mais qui semble tout simplement venir d’un autre monde, d’un ailleurs si loin que même l’éternité ne parviendra pas à nous atteindre. Alors il ne reste plus qu’à regarder. Laisser les yeux suivre, analyser, grignoter et graver sur l’écran vierge de la mémoire. Les mouvements, la chorégraphie, le rythme que l’on ressent dans les vibrations du plancher sous les pieds. La beauté du corps que l’on contrôle et maîtrise mais qui semble pourtant évoluer de son propre chef, sans contrainte. Dans une fluidité à vous en arracher des larmes de jalousie et des applaudissements d’admiration. Doit-il, applaudir ? Non, sûrement pas. Il reste juste là, les mains jointes dans son dos, le plus droit possible quand il aurait presque envie d’aller se planquer quelque part, dans son sac, dans la pièce à côté.

« - No it’s okay, you’re too kind to ask really, but I’m good to go. I'm already taking your time, you surely don't want to be sleeping here so, time to jump. » Le sourire sur les lèvres cache l’inconfort, la confiance qui se casse la figure brique par brique. Il n’a plus six ans, n’a personne derrière qui se cacher et n’a plus l’audace qu’il avait à l’époque de se mettre tout devant pour casser les miroirs un peu fatigués de ses sourires si fiers. Il n’y a que lui et son reflet. Lui au milieu de la salle sous le regard d’un unique spectateur, le plus important.
Et son cœur dans sa poitrine a envie de se barrer, sortir pour détaler jusqu’au bout du monde. Inspire.
Expire.
Lâche ses bouclettes pour les attacher de nouveau, les contenir au mieux.
La musique s’élève doucement dans la pièce. Empli le silence, le cœur. S’y glisse. Il n’a plus envie d’être un chiot, mais s’imagine alors alpha flamboyant quand le premier mouvement percute son corps. Balance sa trouille dans un à-coup brusque, écrase du pied ses doutes et mâchouille dans ses mâchoires qui se serrent le parasite. Concentré sur les pas, sur sa respiration pour ne pas manquer d’air, quand il se retrouve pourtant si proche du sol, faussement lascif dans le mouvement imprimé à ses reins, Noé oublie. De respirer, de se concentrer. Lâche prise, les yeux fermés. Se laisse guider, par les vibrations, la musique. S’abandonne aux bras d’une passion qui lui manquait tant.
Existe.
Juste le temps d’un morceau, d’une allégresse un peu folle que l’on ne cherche pas à retenir puisqu’elle ne peut pas être maîtrisée, trop sauvage pour ça. La petite pointe dans la poitrine arrive, doucement, sûrement mais il s’en fout. S’en fout parce qu’il est vivant, qu’il se donne en se moquant des erreurs, d’une boucle qui se tire du chignon pour lui tomber devant les yeux. S’en fout d’avoir l’air ridicule, de s’éloigner, même un peu de la chorégraphie de base, il y insuffle ce qu’il pense, ce qu’il ressent. Ce qu’il vit le temps de quelques notes. Joue avec le feu de ce qu’il pourrait être, pourrait faire.

Et quand tout s’arrête, qu’il reste là essoufflé, tournant le dos à Isaac quelque chose d’étrange traîne dans sa poitrine. Un soulagement ? Non. C’est plus fort, comme de la fierté. Un sentiment de victoire irradiant l’intérieur. Une paume vient machinalement se presser contre le torse battant fort et dans une inspiration un peu saccadée, Noé se retourne.