Retrouvailles d'un autre temps [Tsukasa]

Retrouvailles d'un autre temps
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november 21

Il sait qu’elle travaille toujours ici, qu’elle n’a pas bougé alors que lui a eu le temps de quitter le continent asiatique et de revenir. Amoureuse de son travail ne suffit même pas pour décrire la dévotion qu’elle y met, et qu’elle y a mis alors qu’ils construisaient une histoire. Histoire infime, histoire risible si on la regardait de plus près : lui qui fuyait un père, une famille, un passé trop lourd, elle qui travaillait d’arrache-pied pour l’obtention de son Hakuchi. Elle est devenue avocate, il l’a su au détour des conversations qu’il a surpris à l’hôtel, ou en se baladant dans les couloirs de l’école quand il est venu s’inscrire pour le tournoi.
La fierté mise de côté quand il se décide enfin à passer la voir, la retrouver ne serait-ce que quelques minutes, histoire de se remémorer ce qu’il a perdu et ce qu’ils auraient pu être : s’ils y avaient mis du leur. Alistair a eu le temps de s’arrêter dans un stand de rue, d’y acheter des Takayoki, d’en inspirer le parfum et d’en imaginer le goût. Il se rappelle encore l’une de ces seules soirées où il a réussi à la traîner à l’extérieur, où elle lui a fait découvrir les saveurs japonaises et ses plats préférés. Il avait ri ce soir-là, il avait été heureux.
Aujourd’hui, il n’est pas heureux, il n’est pas comblé. Il a un travail qui lui plaît mais une passion pour l’alcool qui le bouffe. Il n’a pas d’amis, du moins pas d’amis à qui se confier. Sa sœur est occupée, elle a rencontré quelqu’un paraît-il, elle ne l’appelle plus. Alors il espère se perdre ailleurs, avec une autre, avec un passé commun qu’il a décidé de faire revenir. Quand il s’engouffre dans le tribunal, il sait déjà qu’elle a un bureau à son nom, et qu’elle sera penchée sur ses dernières affaires, le regard affuté, la mine concentrée. Il adorait s’adosser au chambranle de la porte lorsqu’elle travaillait ainsi, elle lui donnait des envies de se poser à côté d’elle, et de rêvasser. Pourtant, Alistair a toujours eu le goût de l’envol, de la fuite, du secret. Il toque deux fois contre la porte entrouverte, elle est assise à son bureau, telle qu’il l’avait imaginé. Elle est belle, ses longs cheveux mettent son visage en valeur : un visage qu’on n’oublie pas, qui s’est gravé derrière ses rétines et dans les moindres recoins de ses cellules. Tu as un cas à boucler ou tu penses avoir le temps de retrouver un vieil ami ? Il a lancé la question sur un ton enjoué, dans un japonais qu’il a appris à parler. Il discerne sur le visage de la femme la surprise et le questionnement, il se sait miroir dans ses propres expressions. Je ne sais pas si tu en as entendu parler, mais je suis de retour par ici. It’s been time.. Tsukasa.. L’anglais a remplacé le japonais et sur sa langue c’est l’âpreté du manque et du regret qui s’est installé. Il est parti comme un voleur, mais ne sait même pas si elle s’en est rendu compte. Je t’ai ramené de quoi grignoter. Tu n’as pas changé, toujours la dernière à partir.. Et un sourire effleure ses lèvres, comme un souvenir qui s’accroche encore, pas décidé à disparaître.

Sa surprise est telle qu'il l'avait imaginée, parce qu'il est tout aussi surpris qu'elle. Surpris de se retrouver au Japon, de se retrouver sur cette île, et encore plus surpris de se retrouver dans son bureau. Surpris aussi de ressentir les mêmes émotions que quand il la côtoyait il y a encore quelques années : elle, si sérieuse dans ses études, lui, si léger à ses côtés. Du regard, il voit les diverses pensées qui bousculent ses traits, la font hésiter dans ses pas, dans ses choix alors qu'elle finit par s'asseoir derrière son bureau. Sage décision pense t-il, on vient à peine de se retrouver. Quelques années ont passé, et bien que les sensations soient toujours là, que le plaisir de la revoir soit bien présent, il chancèle lui aussi, ne sait pas comment réellement se comporter face à celle qu'il appelait sa petite-amie fut un temps. Vu l'entrain, j'imagine que tu n'as même pas pris le temps de grignoter quelque chose aujourd'hui ! Et dans sa voix perce la nostalgie alors qu'Alistair s'approche enfin et dépose la barquette sur le bureau, évitant ça-et-là les papiers, plumes et autres encriers : Mange !
Sa voix porte, se veut exigeante alors qu'il n'en a pas les droits, et ne les a jamais réellement eu. Comment vont les affaires ? Le sous-entendu est clair alors qu'il pique une brochette dans la barquette, et s'assoit avant de la porter à ses lèvres. Étrange situation que de se retrouver de l'autre côté du bureau, comme s'il était un client. Étrange de penser que je le serai peut-être un jour.
En attendant la réponse, il continue de lui jeter des regards appuyés, de détailler ses traits ainsi que son bureau. Il ne veut pas savoir sur quoi elle travaille, du moins il préférerait que ce soit elle qui lui en parle, si elle le souhaite, mais il ne peut s'empêcher de tenter de déchiffrer les papiers sur son bureau. Tentative vaine que de reconnaître des noms, des lieux : il est parti trop longtemps et il a raté trop de choses pour espérer en tirer une info.

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À l'entente du mot crimes il réprime un frisson, qu'il éclipse derrière un sourire aimable. Il se concentre sur autre chose, sur la bouchée qu'il est en train d'avaler, sur les papiers qu'il tente toujours de déchiffrer sur le bureau, sur la magie qui crépite à vive allure dans ce bureau si sérieux. Ils sont tellement différents tous les deux ; le bureau d'Alistair est un comptoir, ses affaires tournent autour de l'alcool, ses clients sont des étudiants en mal d'amour. Vraiment différents. Elle sait pourtant le percer à jour si facilement. Il sait maintenant, pourquoi il a mis tant de temps à la retrouver, à retourner la voir. Je ne peux pas tout simplement avoir envie de revoir une vieille amie ? tente t-il d'abord. Je ne voulais pas reprendre l'affaire de mon père.. Ça, tu le sais. Vérité qu'il avait disséminé quand ils étaient ensemble et qu'ils partageait plus que de simples conversations. Vérités qu'il avait pourtant offertes avec parcimonie. Mais c'est pas si simple quand on est un Ogden.. So.. Me voilà ! À gérer un pub, histoire d'y vendre du Firewhisky et de garantir l'image de la famille partout dans le monde. Les épaules sont haussées. Difficile de tenir la tête haute face à elle, elle finirait de toute manière par comprendre que tout cela ne lui plaît pas. Et commence sévèrement à lui taper sur le système, de plus en plus. Obéir à son père reste une obligation, ou du moins l'était encore jusqu'à peu. Parce qu'il lui a coupé les vivres. Parce qu'Alistair a encore fait le con, à participer à ce tournoi. Tu sais tout. Ou presque, pense t-il. La vérité, l'entière vérité, est au bord de ses lèvres. Mais jamais ne sera crachée, trop de risques, trop de pertes. Empire familial qui pourrait devenir miettes en un claquement de doigt. Tu bois ? Flasque qu'il sort pour détendre l'atmosphère, et se détendre lui surtout. Gorgée salvatrice avalée, avant qu'il ne tende l'alcool vers l'ancienne élue de son coeur. Allez, sois moins sérieuse ce soir.

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Il laisse un rire lui échapper en écoutant son inquisitoire. Lui le premier a été étonné quand son père lui a proposé ce poste de gestionnaire au Howligan's. Mais le paternel ne l'avait jamais vu aussi alcoolisé, du moins pas autant que ce dont Tsukasa avait été témointe plus d'une fois. Tu sais que je ne passe pas mes journées entières à boire Tsuka ? Et le surnom qu'il lui accordait à l'époque ressort naturellement. Plume qu'il attrape sur le bord du bureau, la faisant tourner pensivement entre ses doigts avant de continuer : Le père Ogden me pense assez sérieux pour gérer les affaires au bout du monde, et c'est ce que j'essaie de faire malgré tout. Il se renfrogne pourtant à l'entente de sa propre voix et encore plus lorsque son ancienne petite-amie continue de poser des questions, à appuyer sur des sujets qui font plus de mal que de bien. Le voilà, lui, l'espèce d'homme accro à la boisson qu'il est devenu, face à celle qui a su grandir et gravir les échelons, bien mieux qu'il ne l'aurait imaginé.
La flasque tendue quelques secondes est refermée par Tsukasa, marquant presque le point final de ses retrouvailles qui viennent pourtant à peine de commencer. Il laisse échapper un soupir. Il n'a pas trop bu aujourd'hui, sait focaliser son regard sur le visage de la belle, sait encore réfléchir et analyser. Insulté, remis à sa place, voilà comment il se sent. Avec d'autres, il se serait emporté, n'aurait pas laissé passer. Avec Tsukasa c'est différent. Parce qu'il sait qu'elle a malheureusement raison. Bouteille remisée au fond de sa poche, il reprend après avoir repris une certaine contenance : Et quelle réputation as-tu aujourd'hui Tsuka ? Il la fixe. Ne détourne pas le regard, plonge ses yeux dans ceux plus sombres de celle qu'il appelait "mon amour" fut un temps. Lui s'était laissé aller avec elle, avait même réussi à en oublier son nom et ses démons en sa compagnie. Quelle crédibilité as-tu à travailler pour eux ?

Vieille rancoeur qui remonte. Parce qu'ils en revenaient toujours au même point tous les deux. Lui, l'addict au feu du whisky et à la destruction. Elle, la défenseuse d'un parti qu'il ne cautionnait pas. Et ne cautionne toujours pas. Quel mérite à ça..

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Que peut-il répondre à tout ça ? Énervé il y a quelques secondes à peine, il sent déjà la tension retomber sous son épiderme. Coup de chaud qu'il a eu, phrases qu'il a sorties sans réfléchir. Mais l'air dans la pièce est irrespirable, parce qu'il l'a blessé (ou pas d'ailleurs) et qu'elle a eu raison de le remettre à sa place. Je n'ai pas eu le choix.. pour mon départ. Il tend la main, comme si elle pouvait l'attraper, comme s'il pouvait lui, tout rattraper. Mais ce n'est pas si simple, rien n'est simple dans leurs vies, si éloignées désormais. Silence qui se fait pesant alors que sur ses lèvres glissent des mots qu'il ne dira pas. La main retombe, désespérément vide. Alistair préfère se taire, ne se relève pas pour autant, le corps bien vissé à son siège. Les retrouvailles, il les avait imaginé autrement. Le scénario n'était pas encore fini dans son esprit quand il avait acheté les takoyaki plus tôt dans la soirée mais il ne s'attendait certainement pas à une telle chute. J'aime encore ma famille, ou du moins ce qu'elle représente. Je ne travaille pas ici par choix, mais ce n'est pas par dépit non plus. On ne choisit pas toujours Tsuka. Tourner autour du pot, c'est ce qu'il savait faire de mieux.
Il déglutit. Remet ses cheveux en place, ou du moins les ébouriffe t-il un peu plus qu'ils ne l'étaient déjà. Avant sûr de lui, le voilà maintenant décontenancé face à la femme qu'il a aimée un jour. L'alcool lui joue vraiment de sacrés tours. Si je te dis que tu me manquais, me croirais-tu ? L'appel à l'aide est au bord des lèvres mais il le ravale. Pas maintenant, pas ici. Il haît ce qu'elle fait, et pourtant il aime ce qu'elle est. Dur combat qui se joue dans son crâne, contre lequel tape un mal lié aux beuveries inarrêtables. Tu aimes ce que tu fais ? Question détournée. Qui soutiendrait-elle dans l'entreprise qu'il aimerait mener ?

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La tension est quelque peu retombée et ne restent dans la pièce que des non-dits et une sensation de souvenirs incomplets. Il en pose des questions Alistair, mais n'est pas habitué à être celui qui y répond. D'habitude il élude, préfère sourire et faire dévier la conversation, mais elle a ce quelque chose Tsukasa, ce quelque chose qui lui donne presque envie de tout confesser, de se laisser aller dans les vérités, dans celles qui blessent. Réponse qui plâne sur sa langue, il hésite pourtant et ne délivre qu'une parcelle : Je suis rentré parce que mon père n'en pouvait plus de me voir faire autre chose que ce à quoi je suis destiné, gérer cette foutue boîte. Alors il m'a gardé près de lui, pour me surveiller. Il s'humecte les lèvres, laisse passer quelques secondes.. La suite est au bord des lèvres mais il ne dit rien. Il préfère reprendre avec ses questions, celles auxquelles Tsukasa semble répondre avec la même prudence que lui, comme une proie et son chasseur se tournant autour sans jamais vouloir s'attaquer. Oui, j’aime ce que je fais. C’est pas facile tous les jours... Il ne s'étonne pas de cette confession, lui aussi aime ce qu'il fait, si l'on oublie tout le passif.
La proposition tombe à point nommé, peut-être qu'ailleurs, et pas enfermés dans ce bureau qui représente aujourd'hui la majorité de la vie de son ex, il se sentira plus en confiance, à-même de parler et de lui révéler les vraies raisons de sa venue.

***

Ils sont attablés dans un bar qu'il a trouvé dans une rue adjacente au palais de justice, il ne paie pas de mine mais Alistair n'avait pas la tête à chercher autre chose. La commande a été rapidement passée, il n'a pas sourcillé quand Tsukasa a demandé sa boisson, ne voulant pas revenir sur ce sujet qui lui fait autant de mal que de bien. Se contentant de serrer sa pinte de bièraubeurre (c'est terrible ce manque du pays), les secondes s'écoulent et Alistair finit par reprendre la conversation où ils l'ont laissé tous les deux : sur un pont suspendu au-dessus de kilomètres de vide. Il préfèrerait encore tomber que de parler. Mais il le faut, car il n'y a qu'elle, qu'elle qui le connaît assez pour l'aider. J'ai vu certaines choses que je n'aurais pas dû voir. C'est pour ça qu'il m'a fait revenir près de lui.. Les souvenirs s'enchaînent et tapent les uns après les autres son crâne. Boire est la seule manière de les faire taire, de les oublier quelques secondes de plus, jour après jour. Je te laisse faire ce que tu veux de cette information. Et son éternel sourire qui ferait pâlir un acteur de comédie nait sur ses lèvres, comme pour signifier que le sujet est clos, alors que le spectacle ne fait que commencer.

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