(one-shot) ❀ one × time (ft. kohei)

Fête qui bat son plein. Étudiants aux visages flous rassemblés dans un lieu qu’elle n’arrive pas à discerner, mais qui lui est terriblement familier. Elle sait exactement où elle est, et ce qu’elle y fait, ne remettant aucunement en question sa présence dans cette pièce aux murs invisibles. La musique est indescriptible, mais elle ne se pose pas de question, comme fait communément accepté, élément de décor intégré dans son inconscient, là sans avoir besoin de vraiment l’écouter. You playing? La voix de Sawako l’interrompt un instant, ses traits bienveillants mais impatients à l’idée de remporter la partie. Toutes deux assises sur le tapis autour d’une table basse au milieu de la pièce, cartes en main. À sa gauche, Clémence, lui jetant un sourire comme si elle attendait simplement que Himari pose ses cartes.

Exploding Snap. I haven’t played that in a while. If you play this, we’re sure to win, déclare Clémence avec cette étincelle de détermination dans les yeux que Himari croise de plus en plus souvent. Présence sage, calme, apaisante, qu’elle sait dissimuler un passé et une force de caractère que peu ici ne peuvent soupçonner. Ses yeux glissent sur son jeu. Les cartes vibrent entre ses mains. Oi, Yokoi, you sleeping or what? Ton cassant qui provient de l’autre côté de la table, elle lève les yeux pour détailler l’équipe adverse. Deux visages restent flous, inconnus, anonymes. Et Akira, trônant au centre, directement en face d’elle.

La partie disparaît dans une ellipse indescriptible. Temps passé sur avance rapide alors que Himari se retrouve en extérieur, devant une bâtisse aux contours tout aussi cryptiques, mais dont son subconscient seul connaît la localisation et l’existence. Seule, avant de se rendre compte qu’elle se tient pieds nus. What? Where are my shoes? La peau qui frôle le gazon humide et frais d’une nuit au ciel invisible, scène peinte à la manière d’une aquarelle jamais terminée. Une panique indescriptible, du fond de son cœur. I have to find my shoes. Mom will be mad. Personne pour l’aider, alors que Himari retourne la pièce en intérieur, cherchant sans vraiment savoir quoi regarder. Comme si sa vie entière ne tenait qu’à cette paire de chaussures disparue, primordiale. Refusant de quitter les lieux sans les avoir retrouvées. Has anyone seen my shoes? lance Himari d’une voix qui ne résonne pas. Personne ne l’entend. Les visages flous ne réagissent pas, dans le brouhaha ambiant et incompréhensible d’un Jacques Tati sur avance rapide. They’re blue. My shoes. Please. I have to find them, or my mom- Panique qui grimpe de manière irrationnelle. Une partie de son inconscient lui hurle que c’est stupide, que ce ne sont que des chaussures, mais elle ne peut pas s’en empêcher.

La respiration rapide, alors que sa route en croise une autre. Akira apparaît de nulle part. What the fuck are you on, il lance, acerbe, de son ton habituel. My mom- s’entend commencer Himari, avant que ses mots ne se meurent. Impossible d’entendre ce qu’elle dit elle-même, alors que la conversation semble logique sans être discernée. Elle ne s’interroge pas plus que ça sur le silence sourd qui enveloppe ses tympans malgré elle, l’angoisse de la perte de ses sandales comme nouveau personnage principal de cette tragi-comédie. Et avant même qu’elle n’ait le dernier mot, des bras viennent la soulever du sol. L’un dans son dos, l’autre au creux de ses genoux, comme une princesse blessée qui ne peut plus avancer. Pour transplaner dans un souffle, laissant les contours flous de la fête derrière eux.

That’s my apartment…

Elle reconnaît le kotatsu au milieu de la pièce, son lit près de la fenêtre sous le toit. Ses pots de fleurs et de plantes rescapées jonchant les limites hésitantes de ce nouveau décor, son piano à l’abandon, recouvert de vêtements au pied du lit. Le moment où ses pieds ont pu toucher de nouveau le sol disparaît, dans un bond dans le temps que personne ne questionne non plus.

Assise en tailleur sous son kotatsu, sa robe se transforme en [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] dans un flou gaussien dont personne ne s’inquiète. You’re not leaving…? Akira est assis juste à côté aussi, à la place même à laquelle il avait fini par s’endormir par le passé. À la même place qu’il avait déclarée comme étant la plus confortable la fois suivante. You don’t really have to stay anymore, s’entend déclarer Himari d’une voix blanche. But I thought he didn’t know about that. Son mensonge effacé auprès de sa famille, son absence de raison de continuer à vampiriser son temps pour des cours et des leçons dont elle n’a plus aucune utilité. I haven’t told him that yet. Pensées conflictuelles d’un conscient endormi, clashant avec ce qu’elle entend prononcer son alter-ego onirique. La main d’Akira sort un pendentif à la forme indescriptible de nulle part. You found it. Les “chaussures” perdues vite transformées en un bijou qu’elle n’avait jamais vu auparavant, mais lui paraît si familier à la fois. Thank god. I would have gotten in such trouble... Sandales oubliées au profit du pendentif, apaisant sa panique pourtant irrationnelle de bout en bout, dans un silence irréel.

Objets aux natures changeantes, décors à l’aquarelle, bonds temporels et spatiaux, conversations sans queue ni tête dont personne ne semble se soucier. Trop profondément endormie, perdue dans son subconscient. Part dans des divagations incontrôlées dans un mélange coloré de choses qui ne sont pas sensées se recouper - pas comme ça.

Espace vide entre deux qui se resserre d’un mouvement presque évident. Rassemblant ses cheveux sur une de ses épaules d’un geste, alors que le pendentif vient se poser sur sa peau. Le bout des doigts de son invité frôlant sa nuque, lui arrachant un léger frisson. Regards qui se croisent à nouveau, plus près. Effet magnétique dans un silence religieux, simplement ponctué par leurs respirations respectives, assis au milieu de son minuscule sanctuaire. L’index de Himari venant dessiner les contours du front d’Akira, sous quelques mèches de cheveux, d’un air pensif. Sans trop penser que dans la logique du réel, elle aurait probablement déjà été repoussée. Proximité qui n’existe pas. Does it hurt? elle s’entend chuchoter. Sincèrement inquiétée par ces secrets qui la taraudent depuis des semaines. Comme si c’était la seule et unique question qui la hantait aussi, pourtant détail futile et anecdotique. What does? When they come out. Incapable de prononcer les termes, ceux qui invoquent la réalité et la vérité des choses qu’on ne lui a encore laissées entrevoir qu’à demi-mot. The horns. Frontières brouillées entre rêve et réalité quand même elle n’est plus sûre de ce qu’elle avance. Sa question trouvée sans réponse pendant un moment suspendu, les iris du garçon glissant de ses lèvres à ses prunelles à elle, sa main en suspens, traçant deux traits de chaque côté de son front. Les explications sont-elles elles aussi victimes des ellipses oniriques, ou était-ce simplement une question au contexte tacite ? No. Un seul mot suffisant à alléger le poids dans sa poitrine, nourri par ces peurs nouvelles et ces facettes autrefois inconnues qu’elle n’a que trop récemment découvertes.

Good.

Une fraction de seconde ponctue son dernier mot, avant que les doigts ne viennent délicatement retracer le contour de ses propres lèvres. Accrochée à ses yeux, impossible de s’en défaire. Le cœur qui bat à tout rompre, loin de la panique irrationnelle du chapitre précédent, oublié, effacé, n’a jamais existé. Le contact dessine des arabesques sur ses joues, lentement, pourtant inconnu, mais déjà addictif. Une mèche de cheveux replacée derrière son oreille d’une main étrangère mais bienvenue, nouveau frisson qui parcourt son échine. Épiderme hypersensible et émotions inédites au bord des lèvres.

Écart qui se comble de lui-même, mains encadrant son visage, lèvres soudain sur sa joue. D’un côté. Le feu au visage d’un échange qu’elle n’a jamais osé initier, auquel elle n’a jamais même osé penser, jamais. De l’autre côté ensuite, dans un geste d’une douceur presque étrange. Ses yeux se ferment d’eux-mêmes lorsque le troisième geste vient se poser sur son front, alors que ses mains se referment sur les poignets comme pour ne jamais les laisser partir. Minuscules pouces caressant sa peau, comme naturellement. Tracé des lèvres qui viennent se poser sur les siennes, enfin.

Libération de sentiments inconnus qu’elle ne contrôle pas. Mais son alter-ego onirique semble savoir exactement quoi en faire, muée de gestes et de réflexes auxquels elle ne pense pas une seule seconde.

Une main frôle son flanc, sur sa hanche, sous son vêtement, avant de se poser en bas de son dos. Douce chaleur du contact, sa peau, son corps entier frissonnant à chaque nouveau centimètre carré effleuré. Ses propres bras lâchent ces poignets, trop proches pour que l’emprise ne soit plus si efficace, pour entourer son torse, comblant les dernières bulles d’air entre eux avec un soupir presque rassuré, comme si le vide était trop douloureux. Lèvres qui quittent les siennes pour le creux d’une oreille, dévoilent sa nuque en repoussant ses cheveux, son cou colonisé à son tour. Mélange de sens qui créent de nouvelles couleurs, impulsion électrique à chaque contact, frisson à chaque souffle qui caresse sa peau. Plus besoin de voir, les yeux clos, connaissant chaque trait par cœur à travers ses propres paupières. Les yeux fermés, elle s’affranchit de l’extérieur, oublié, décor accessoire à un échange qui n’est que le leur.

La chaleur de son épiderme, déjà remarquée des semaines plus tôt à panser ses plaies malgré elle, désormais enivrante. Voulant en noter le goût, aussi, mais incapable de discerner l’information, dans le flou ambiant d’un décor qui s’estompe peu à peu, au fur et à mesure que les phases du sommeil avancent.

Un vêtement posé négligemment sur le piano qui chute sur le sol sans que personne n’y touche, détail perturbateur impossible à ignorer, qui sonne le glas de sa narcose.

Wait a second.

I’m really dreaming again, am I…

Soudain si consciente de son propre subconscient, le temps compté dans cette capsule incontrôlée. Ses yeux s’ouvrent à nouveau pour voir le décor s’effriter peu à peu, profondeur de champ qui se resserre sur elle - hôte du rêve, origine seule de la vision, artiste-peintre d’un tableau fantastique monté de toutes pièces.

Yori. Mom. I was the one who had to leave. For their sakes. But it was all on me. I did this to myself.

My fault.

Ce n’est qu’une affaire de secondes avant de laisser le théâtre de l’absurde de ses émotions réprimées et retrouver le monde réel, réveil brutal. No knives, elle s’entend murmurer, visages infimement séparés, ses mots s’échouant sur les lèvres de cet Akira tissé de toutes pièces dans un souffle léger.

I don’t want anyone else to give up on me because of my mistakes.

Cristallisation de non-dits, muée par son rêve, tentant de donner à ses derniers mots et derniers gestes un sens réaliste, comme un pont bâti entre songe et terre ferme.

Not even him.

Mains fermement attachées de chaque côté de son visage. Don’t leave. Don’t go. Aucun mot ne sort, cris muets qui viennent du cœur, instincts primaires d’une peur enfouie dont elle n’avait pourtant aucune idée de l’existence. I’m scared. Pourtant consciente du côté éphémère de la situation. Secondes qui s’écoulent alors que tout s’écroule, s’estompe. I don’t know what to do. Elle arrache un dernier baiser, initié par ses propres entrailles dans la hâte de courir après l’échéance, geste inédit encore indécent, avant d-


-ouvrir les yeux.

Allongée dans le lit gentiment prêté par Sawako, dans sa requête désespérée de ne pas se retrouver seule à son retour de Matsue.

Réalité qui la frappe.

Rien n’a existé, et pourtant elle en porte encore les dernières traces sur sa peau, le feu aux joues qu’elle essaie d’apaiser du plat de la main, la respiration courte et le cœur battant à tout rompre. Honteuse aussi d’avoir succombé à cette partie de son inconscient, vision inédite d’émotions et d’instincts encore jamais vraiment explorés jusque-là.

Nouvelle pensée qui traverse son esprit comme un éclair fulgurant alors que son index retrace les contours de ses lèvres d’un air absent, Himari se redresse d’un bond, le cœur électrisé. Wait- was it that kind of dream again?! Le sang qui bat dans ses tempes, elle n’ose pas regarder son téléphone pendant quelques secondes, scrutant l’appareil écran contre le matelas à côté de l’oreiller. It’s too quiet. Si les évènements étranges du mois dernier s’étaient bien répétés, elle aurait probablement déjà croulé sous les notifications. Or at least I hope I would. Saisit le téléphone d’un geste hésitant, presque effrayée de regarder l’écran, et puis… rien. Pas le moindre message ou appel manqué. Thank god.

Assise sur le lit, alors que l’heure et le soleil à travers les rideaux semblent indiquer un matin bien installé, Himari prend une inspiration. Mains qui passent sur ses joues se calmant peu à peu, passant du rouge au rose. Les pensées qui chamboulent sa tête, devant attendre le réveil de ses hôtes, les saluer avant leur départ en vacances, puis fuir pour retrouver son sanctuaire et son toit, pour une conversation inévitable avec ses étoiles.

I must be going crazy.