❛ spit me out like hot wasabi (jp)

Sous les néons tamisées de la boite, un océan de silhouettes fluctuait au grés de la musique. Les corps s’entrechoquaient avec ferveur, et les mots se perdaient dans le fracas des basses, un méli mélo de voix et de notes assourdissantes. Mais les mots étaient inutiles dans ce lieu où s’échouaient les âmes errantes. Il suffisait d’un regard, d’un effleurement, pour faire comprendre ses intentions. Personne ne venait ici pour s’engager dans une conversation intellectuel. Il s’agissait de choses plus dépravées, de cette amnésie passagère que nous procure l’alcool, de cette chaleur éphémère qui nous enserre le temps d’une nuit. Il s’agissait, tout simplement, d’effacer la réalité.

Sunny, comme tout le monde, oscillait dans cette foule enfiévré. Une pellicule de sueur donnait à sa peau un éclat nacré, et ses mèches blondes s’éparpillait avec négligence sur son front. Elle n’était pas ivre, mais pas sobre non plus, logée dans ce juste milieu confortable, les mouvements un peu maladroits mais l’esprit toujours lucide. Ses bras jetés avec négligence autour d’une nuque, ses prunelles mordorées se promenaient de tête en tête avant d’atterrir sur celle de son compagnon. Elle le regardait sans vraiment le voir, détaillait le trait rigide de sa mâchoire et le grain basané de sa peau, le considérant avec un détachement presque froid. Ils s’étaient aperçu un peu plus tôt dans la soirée et Sunny ne pouvait pas résister au frisson de la chasse, régie par un instinct purement primitif. Mais maintenant que sa proie se tenait docilement au creux de ses bras, prête à être dévorée, elle éprouvait un désintérêt profond. Tout cela était trop facile, et Sunny aimait le challenge, les imprévus, le chaos que provoquait la rencontre entre deux êtres instables. Elle ne se contentait jamais du gibier facile, celui qui pouvait être attrapé par n'importe qui. Sunny ne se réservait que les pièces d’exception, et ne les partageait avec personne.

Alors avec la fluidité d’un serpent, sa silhouette se déroula de la sienne. Elle ne lui octroya même pas le privilège d’une excuse, tournant sur ses talons d’un pas décidé, se débarrassant de lui comme l’on jetterait un jouet usé. Sunny agissait de la même manière avec tout le monde, chaque personne dans son entourage avait une date de péremption, une utilité bien précise. Celle de ce garçon était de la divertir, mais il ne lui inspirait rien de plus qu’un ennui profond, alors Sunny le délaissa sur la piste de danse, ne se retournant pas une seule fois. Et comme toujours, elle serait vide de regrets.

Elle cherchait maintenant autre chose, un divertissement plus intense, plus fiévreux. Et Sunny crut un instant que Dieu existait bel et bien, lorsque dans la foule alcoolisée se découpa un visage familier. Elle le reconnaitrait entre milles, bien sur, et dés lors qu’il apparaissait dans son univers Sunny convergeait toute son attention sur lui. Elle ne pouvait que se sentir aimantée à sa présence, subjuguée par une force toute particulière, à mi chemin entre l'ivresse et la haine.

À chaque fois que JP apparaissait devant elle, tout ses sens étaient en alerte. Une tension indéniable s’emparait de son corps, et l’air autour d’eux semblait s’appesantir. C’était une réaction chimique, incontrôlable, le mélange explosif de leur présence. Il y avait comme un silence, où le brouhaha des autres n’existait plus, seule sa respiration un peu saccadé, et le pouls instable de son coeur. Une émotion infernale enfiévra ses artères, et finalement Sunny fonda sur lui, avalant l’espace entre eux.

Elle n’avait qu’une envie, c’était de se glisser sous sa peau, s’insinuer dans les couloirs de son esprit. Quitte à ne pas recevoir son amour, Sunny obtiendrait sa haine. Après tout, c’était deux faces d’une même pièce.

Elle distingua la fille à ses côtés un peu plus tard. Sunny fronça les sourcils, le regard luisant de dédain, mais bien vite une idée lui apparut. Son cocktail toujours entre ses mains, elle la bouscula et renversa tout le contenu de son daiquiri sur sa robe en soie.

Feignant l’embarras, Sunny s’exclama. Oh my god! I’m SO sorry! Are you okay? Gosh, I’m such a klutz… It must be the gemini in me, ahah. Elle détestait l’astrologie, mais rien de mieux pour jouer la blonde écervelée. I’m sorry, boo… Maybe you should go clean up in the bathroom? I feel so bad…

La fille rouspéta un instant mais déguerpit bien vite, trop préoccupée par l’état de sa robe couteuse. Finalement, Sunny reporta son attention sur JP, se fardant d’une expression surprise.

You’re here too? Great. Elle roula des yeux. Just when I thought my night couldn’t get any worse.

Si l’ennui était une maladie alors il était en phase terminal. Quand est-ce que JP avait arrêté de s’amuser sous la folie des néons ? Les mêmes sonorités, les mêmes tenues, les mêmes visages, en boucle : comme abandonné dans un film d’horreur, condamné à revivre ce  moment d’éternel lassement. Chaque soir est nouveau et pourtant, rien ne change. Il soupire dans un coin, désintéressé par les conversations et les corps qu’on lui proposait.
C’est par habitude qu’il trouve le bras d’une proie facile (JP gère mal la solitude) et son silence lui suffit pour éveiller un intérêt en lui. Soudainement, il la regarde avec les yeux d’un homme qui a trouvé la pierre précieuse la plus passionnante au monde, du moins il se persuade (ça fait couler la nuit la vite). Trop plongé dans ses paroles, ses regards, il remarque trop tard la présence d’un nuisible à leur côté. Ce n’est que lorsque le cocktail renversé goutte sur son bras que ses sens s’alertent : Satan les a graciés de sa présence. Comme c’est généreux de sa part. Il roule des yeux devant le spectacle de la blondasse, lui qui l’a vu performer le même show un nombre incalculable de fois.

La fille s’échappe, loin de ses griffes acérées, en murmurant des excuses hystériques. “Yeah, alright, see ya soon, I guess.” lâche-t-il sans grande persuasion. Les piques commencent à fuseler des lèvres du serpent et il étend un sourire sardonique. Il s’était promis de ne pas ployer à sa provocation. “Don’t let me ruin your fun then.” Puis il se décolle du mur qui le soutenait pour trouver un endroit où l’air n’était pas si rancie par ses mots putrides. C’est toujours son parfum qui l’empoisonne plus vite que ses paroles et il se sait incapable de maîtriser sa colère, lui d’usuel si impassible. “You’ve always been so great at making friends, I recall. I’m sure you’ll find someone entertaining to spend the night with. April’s joke’s on me, babe.” ajoute-t-il avec son fameux ton sarcastique, le visage complètement neutre – le sous-entendu bien présent.

Son hostilité chargea l’air d’une tension électrique. Des étincelles crépitaient autour d'eux, et subitement il n'existait rien d'autre. Sunny l’observa avec un sourire nonchalant, décortiquant ses expressions de son regard incisif. Elle le connaissait par coeur, maintenant, et le jaugeait avec détachement. Chaque détail lui sautait aux yeux, même les plus infimes. L’éclat mauvais de sa prunelle, les muscles tendus par l’impatience, la raideur de son corps, ces petites choses qui trahissaient son aversion palpable. Mais Sunny ne se laissa pas démontée, ni même intimidée. Elle appréciait l'effet de sa présence sur lui, et considérait sa haine comme un cadeau.

Certaines auraient pu chercher à se trouver des excuses, mais Sunny ne connaissait pas le regret. Son dégoût apparent était comme l'huile sur le feu. Sa réaction l’incitait à le pousser plus loin, à faire monter les enchères de leur petit jeu dangereux. Un jeu où elle l’avait forcé à participer, à l’instant même où elle s’était écrasée dans son atmosphère, verre à la main et masque au visage.

Ses lèvres se délièrent et la blonde ne put s’empêcher de craquer une risette, illuminant son visage d'une clarté mesquine. La lame de ses mots s'abattit sur son échine mais une insulte ne suffisait pas à l'achever, il en fallait bien plus pour enterrer l'égo abominable de Sunny Monroe. Son regard ambré luisait d'une satisfaction certaine. Elle voyait sans le voir, les braises de sa colère s’allumer à nouveau. Mais ce n’était pas assez, la victoire la guettait encore de loin. Sunny voulait plus que des sous entendus injurieux, plus qu’un regard hostile. Elle voulait le voir exploser, et savait exactement sur quel bouton appuyer.

I guess you’re right.

Elle haussa les épaules.

Recently, I’ve had a thing for grief-stricken boys. It’s just so easy, you know?

La courbe de son sourire se fit cruelle.

Yeah, you definitely know what I mean, don’t you? The first little thing goes wrong, and you ran back into my arms.

Elle se souvenait parfaitement, la collision violente de leur deux corps, cette nuit explosive après des mois de silence. Il n’y avait rien de passionnel dans cet affrontement purement charnel, juste assez de désespoir pour oublier tout ce qu’elle lui avait infligé, le temps d’une soirée. Ou peut être justement pas, peut être que toute sa haine lui était monté à la tête, et en la traitant comme un coup d'un soir il lui infligeait l'ultime punition.

Quoi qu'il en soit, Sunny utiliserait ça à ses fins. Dans son besoin impérieux de le rattacher à elle par tous les moyens, il n'existait pas de limites. Et c'était justement pour ça, que Sunny était un poison des plus fatales.