(OS) Le temps des adieux (atlani)

24/05/2021
tw : mort, meurtre, deuil, cadavre, blessures.

C’était un jour de mai.
Dans le sous-sol aux airs aseptisés, le néon grésillait, et Atlas était en retard. Veste jamais froissée portée sur les épaules frêles, la blancheur en écho aux pas mal assurés sur le carrelage froid -il n’oubliait pas l’altercation qui avait failli lui coûter la vie, à lui, dans la dernière chambre des morts. Le teint cireux et affaibli par le manque de sommeil se voyait à peine, cachette du travail acharné. Il faisait de son mieux. Il faisait toujours de son mieux.
Il ne se doutait pas que la porte qui s’ouvrait habituellement allait se transformer en quelque chose relevant du pire. Hedwig était bourru, une vie sous les phalanges calleuses de celui qui transporte les corps avec discrétion. Le silence qui incombait aux gens comme eux, qui fréquentaient ceux qui s’étaient tus à tout jamais.
« A new one. Poor thing, I hate when they’re that young. » Le sourire qu’ils échangèrent était triste, mais banal à mourir. Usuelle déception lorsqu’une vie s’éteint, dans un souffle ou un fracas, on s’habitue à tout, même à l’au-delà -il n’avait plus peur de la mort, Atlas. Plus depuis qu’elle faisait partie de lui. C’est pourquoi il ne s’attendit pas à ce que son coeur tombe bas, trop bas dans sa poitrine en relevant le drap, à présent seul.
« Han-Hanini ? » (il lui semblait que dans les moments d'abandon, il appelait toujours son nom.)
Une mauvaise blague. Une hallucination. Son esprit malingre lui jouait souvent des tours, souvenirs de leurs derniers mots amers échangés dans une consternation presque banale, là où ils s’étaient laissés. Sur une dispute lasse où les non-dits étaient plus forts que les regards. Hanini dans les pensées toujours tournées vers les cieux, et pourtant ils n’avaient rien des anges qu’ils se prétendaient être.
« No. No. »
Peur-panique de la vérité qui s’offrait à des yeux qui n’étaient pourtant plus innocents depuis longtemps. Atlas dans les tréfonds de sa naïveté, espérait encore le miracle. La blague de mauvais goût. Un sosie. Un mirage. Tout, sauf la fin trop brutale. « No no no no no. » La peau était tuméfiée par endroits, mais le tout restait propre, des traces d’une bagarre, nombreuses comme il avait déjà pu le voir sur lui. Déjà pu les soigner. Il avait toujours réussi à le soigner. « No. What the fuck. What the fuck. » Gestes désespérés, massage cardiaque imité dans le brusque excès de ceux qui s’accrochent à une étincelle. Mais il savait que lorsque les gens arrivaient jusque dans la pièce froide tout en bas, il était déjà trop tard. Pourtant c’était avec l’acharnement du dernier souffle qu’il s’accrochait, forcené dans une cause perdue, le grondement dans la poitrine qui prenait la place du coeur dératé et la créature sombre venant ramper sous les suppliques. Les sanglots furent vains,  les pressions des poings aussi. D’autres étaient passés avant les siens, dans le but de détruire. Succès brutal, le ploiement d’un corps au dessus d’un corps. Tous les deux froids. Dans ses tentatives de le ramener à la vie, il rameuta la mort, don en tournis de fumée maussade et les mains sous les gants de plastique en suie mortifère. Atlas s’arrêta à temps pour réaliser que la fumée qu’il ne connaissait que trop bien commençait à s’approcher du corps qu’il tentait de sauver. Tu le tueras une seconde fois.
Alors il le regarda, statue de cire figée par sa propre malédiction.
Dans l’effroi de celui qui avait trop perdu.
« Don’t leave me... »
Une note pour trop tard, pour la tétanie de celui qui n’avait pas su le sauver.
Il ne sut pas combien de temps il avait passé, penché au dessus de lui. Dans les auspices d’un précipice qui ne demandait qu’à l’avaler, larmes en pluie diluvienne et gorge tranchée. Dans une vision d’éternelle horreur troublée par le flot de ses yeux, il détailla le visage qu’il avait appris par cœur et qu’il avait eu peur d’effacer. Tout était encore là, la bosse légère de son nez, les trois grains de beauté dispersés sur son visage, l’éternelle courbure de ses lèvres formant un semi-sourire, c’était lui, et il n’était plus. Rien d’autre qu’un tas de chair froide disparu dans les limbes.
Et Atlas ne pouvait pas rester.
En tremblant comme la feuille dispersée un soir d’automne, il se pencha, et déposa un ultime baiser sur son front. « I... » love you, mais il ne savait pas ce qu’être amoureux voulait dire. Liked you, mais la confession sonnait triviale aux airs d’éphémère adolescence. Les mots étaient plus justes, plus évidents. « I cared about you a lot. » C’était ce dont il était question, depuis le début. Une inexplicable tendresse, qui ne s’en irait probablement jamais, malgré la fin. L’impression d’un fil invisible qui venait de se briser, et qui prenait toute la place. Sous ses paupières, il faisait noir. Il n’avait pas envie de s’en aller. L’abandonner, encore une fois. Il regarda ses mains agitées d’un bourdonnement permanent, qu’il avait pris soin d’éloigner le plus possible du corps inerte allongé sur la table. Il ne pouvait pas faire davantage de dégâts . Il devait partir. Pensées et coeur dispersés au vent, c’est avec la brise qu’il s’en vint, le presque-fantôme.
L’impression d’un pacte silencieux brisé, et des regrets en sanglots au fond de la gorge.
Il ne pouvait pas se dire que c’était mieux comme ça, poings fermés liés et sentiments défaits.
Peut être que maintenant, c’était à l’autre de veiller sur lui.
Ou de le hanter.
Son fantôme s’ancra à sa peau, et le jour de sa perte, c’était un jour de mai.