DESTROYER (charon/atlas)

Lorsque les yeux s’ouvrent (en réalité clos), la pièce est d’un blanc immaculé. Il ne la reconnaît pas,
alors pourquoi a-t-elle l’air si familière ? pourquoi est-ce que la lumière, aveuglante, perce et semble rayonner d’un autre temps ? Pourquoi est-ce que la table de métal a cet éclat particulier qui le fait frissonner ?
Et il comprend.
En voyant le corps inerte, apporté par les hommes en blanc, en lisant dans le regard de son père qui s’avance devant lui l’éclat fier et luisant, en reconnaissant les traits de la personne allongée sur la table de fer. « No. No. » il respire encore (ce qu’il n’a pas pu faire dans la réalité). A encore ce souffle de vie qui lui manquait lorsqu’il l’a trouvé. Il est encore vivant,
Hanini.
Mais il ne bouge pas.
Son père a la voix plus grave que d’habitude. « There’s nothing left to do but ease his pain, Atlas. You have to do it for his own good. » Secoue la tête frénétiquement, dans un déni qui blesse plus que des pieux au fond du coeur. Le corps est là, comme s’il était déjà mort. Et ses mains, qui ne sont pas gantées, tremblent. « I don’t want it… Please... »
Lorsque l’éclair le touche de plein fouet, douleur aigue pour laisser sortir le Kasha, le brouillard au bord des lèvres, il tombe au sol. Ses mains se posent devant sa bouche, maudite des ombres toxiques qui pourraient s’en échapper -Hanini doit vivre, et non pas mourir de ses mains. Il ne peut pas être la faucheuse, cette fois, de celui qu’il a déjà vu passer dans l’au-delà. « Don’t make me do it... » et il est plus terrorisé encore que dans le plus profond de ses cauchemars, attendant un salvateur, un signe, quelque chose qui le ferait sortir de la pièce aux airs de tombeau.

C’esr la sensation qu’on tire sur ses organes pour les voir tous, un à un, arrachés et gisant sur le sol blanc de marbre. Atlas comme un pantin dont les ficelles ploient, marionnettes qui ne veut pas suivre les ordres mais qui est obligé de le faire, pourtant à genoux dans son désespoir. La poitrine d’Hanini se soulève encore régulièrement i can’t do this i can’t i can’t et les larmes perlent le long de joues trop pâles, elles ont la couleur de la mort et de la suie -tout est noir. Ses mains son souffle ses lèvres le brouillard devant lui lorsqu’il expie et trouve sa propre faucheuse, perdue quelque part entre le Kasha et lui. You only bring pain, and death. Use it. sa voix intérieure ressemble à celle de son père.
Atlas ne voit pas Charon poser un pied dans son cauchemar, silhouette dissimulée par l’angle d’un mur, et par sa propre vision floue. Les bras de celui qui aurait pu le rassurer, cesser de le faire sentir comme un monstre (il ne les reverra plus jamais, c’est de sa faute), oublier tout à l’ombre d’un coeur qui, lui, bat encore. Ne voit plus rien.
Il a du rester trop de temps, prostré sur le sol à refuser d’obéir, entend derrière son oreille un souffle agacé. Alors le charme se pose sur les épaules de celui qui d’ordinaire porte le monde : et ce sont des gestes machinaux qui le font se lever, épaules et dos droits comme celui d’un soldat (impero murmuré sur celui qui n’est encore qu’un enfant), à l’intérieur du cerveau brouillé tout se mélange, i don’t want it alors pourquoi est-ce qu’il le fait ? Lève la baguette d’un air impérieux en direction du presque-cadavre ?
Et pour trahir une expression impassible et le visage de celui que l’on contrôle totalement, les larmes qui n’ont jamais cessé de couler.

Dans les batailles qu’il ne peut pas gagner se trouve celle de l’esprit. Marionnette dirigée tout droit à sa perte, alors que la baguette se lève pour ôter la vie. Mais il arrive, sans qu’il ne l’ait vu, le conteur de malheur aux airs de sauveur, poignet tenu et larmes effacées. Atlas a le coeur serré alors qu’il connaît pourtant une nouvelle chaleur, mais le sort n’est pas levé. Les muscles sont toujours bloqués, un à un pliés à la volonté du patriarche, et il entend dans sa tête les mots alors qu’ils ne sont pas prononcés. « He’s in the way. You’ll have to take care of him too. » « NO ! » glitch au sein du sort pourtant puissant, les aléas du coeur qui semblent aller au-delà, contrer la volonté. « Not him... » Il le regarde pourtant, avec les yeux de celui qui doit déjà se faire pardonner, car Atlas sait que sa volonté n’est pas propre, n’est pas assez forte pour résister -et bien vite le brouillard se fait à nouveau sur l’esprit, et il s’éloigne d’un pas. Perd son contact et sa chaleur, les sanglots qui agitent son corps lorsqu’il lève la baguette. I’m so sorry Charon I’m so sorry I’m sorry Mais il ne l’entendra pas, aucun son ne passe la barrière de ses lèvres, si ce n’est le sort qu’on lui demande de lancer. « Endoloris. » et il voit l’éclair jaillir, rêverait de le prendre à sa place, sait qu’il se fait bourreau (comme cette fois alors, dans leur empire de cendres), et voudrait pouvoir tout effacer. Se croit les pieds ancrés dans la réalité.

Il pourrait voir, dans l’éclair ténu de la douleur, une vengeance. Se souvenir de la folie, des messages de Pandore sur l’écran rétroéclairé, du coeur qui tangue et des incompréhensions, inquiétudes tenaces, vents contraires. Tout a changé, depuis ce jour là, où il pensait pouvoir encore lui pardonner. La colère a pris le dessus pourtant les regrets l’agitent encore, pourtant, malgré tout, il continue à aimer dans le vide. Atlas au coeur béant, blessure mortelle dont le poison a imprégné les veines. Le sort part quand même et le corps aimé-détesté se cambre de douleur -il souffre avec, mais ne montre rien sous le visage de marbre abîmé par le sortilège de la marionnette. Il voudrait pouvoir abandonner cette chambre, prendre Charon par la main et Hanini par l’autre, défier son père puis gagner, et s’enfuir. Pouvoir respirer. Il ne respire pas. Et sait que les mots résonnent, que ce n’est pas lui, mais il est destiné à ça. Et il n’a pas le choix. Ne sait pas se lever, quand bien même il voudrait, de toutes ses forces. Quand bien même il tenterait de se faire oiseau noir. Sous les impulsions du sort, il parvient tout juste à contourner pour tourner le poignet et braquer sa propre baguette sur sa gorge. Et dans un je t’aime silencieux, puisque de sa bouche ce sont les mots de la mort qu’il invoque, provoque l’éclair vert. Tombe comme la poupée de chiffon qu’il a toujours été,
et se redresse, dans une pièce claire, le souffle battant.
Tout est fini, il le pense. Son père dort sûrement à poings fermés. Charon n’est pas là. Hanini non plus. Et pourtant, le cauchemar n'est pas terminé. Atlas n'est pas dans son lit, n'est pas dans la réalité, se retrouve coincé dans une pièce aux parois blanches, au loin, une porte de verre. Il s'y avance. Se redresse, projeté dans un autre rêve -cette fois, il n'est pas dans le sien. Et le silence est glaçant.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]