─ Are you real? [Gaia]

02.04.22 ; @Gaia Belacqua

✷ En quasi overdose d’un sang humain qu’elle ne se reprochait même plus d’avoir goûté, Olympe errait dans les rues de Hinaï comme une âme en peine. Et pourtant, ses sens n’avaient jamais été aussi alertes et ses émotions aussi vives. À l’instar du sang synthétique qui la plongeait dans un brouillard de sensations, le carmin naturel le dispersait avec une rapidité déconcertante. Ce n’était donc pas encore l’heure des regrets, bien au contraire. Pourtant elle sentait une rage bouillonner dans ses veines, et plus elle marchait Olympe, plus elle se rapprochait de l’appartement de sa mère (si proche de son lieu de résidence).
Nausée. Envie de vomir. Rien que de penser à sa mère, la vraie, celle qui l’avait porté, lui donnait envie de mordre à nouveau, ne serait-ce que pour oublier l’abandon. Elle ne lui avait rien révélé quand elles s’étaient revues en janvier, ne lui avait rien dit non plus quand elle était passée déposer le tableau à la fin du mois (lâche comme elle était, elle avait préféré le laisser au gardien). Mais elle avait l’adresse. L’avait mémorisé, l’avait gravé au fer rouge dans les entrailles de son crâne. Et aujourd’hui, elle avait bu du sang humain, sentait une énergie décuplée la parcourir et elle brûlait d’une envie de confrontation. Ses pas la portaient sans qu’elle n’y réfléchisse vraiment désormais. Elle voulait crier, frapper, inonder de paroles assassines. Elle voulait comprendre aussi. Savoir. Pourquoi elle avait été abandonnée, laissée comme une pestiférée à l’autre bout du monde, loin de chez elle. Loin de sa sœur.
Elle s’était retrouvée devant la porte. Ne se souvenait même plus du chemin parcouru jusqu’ici. Sentit seulement son poing fermé se lever et s’abattre sur le battant. Il était temps. Temps de comprendre.

Code : skate vibe, mk.
Icon : Fune

L’appartement est calme, laisse à Gaia le temps de profiter du silence, de ces sensations qu’elle redécouvre depuis son retour. Surtout celle du bonheur de pouvoir se dire à nouveau chez elle, se sentir à la maison, plus ou moins acceptée ; mère et fille ont encore du mal à s’habituer à la nouvelle réalité, Gaia vacille toujours devant les miroirs, boit le sang de synthèse à contrecœur, jette parfois un œil aux couteaux de la cuisine. Mais Calista ne l’a plus chassée, la garde à ses côtés. L’amour est vacillant, mais bien présent. Gaia n’en demande pas plus, chérit les moments passés à la maison, peut-être plus procrastrinatrice que d’habitude, à contempler sa chambre ou le salon avec un peu de mélancolie, comme si tout pouvait s’arrêter d’un instant à l’autre. Aujourd'hui le cœur est un peu plus lourd, pourtant, tente d'ignorer la boule au ventre depuis sa dispute avec Tianyi. Se force à vivre et ne pas y penser, en se disant qu'il reviendrait, comme les fois d'avant. “I’m coming!” Fait-elle en entendant la porte, jette un coup d’œil rapide à son pyjama ; tant pis. Ouvre la porte et tombe sur une inconnue, jeune et blonde (à défaut de tomber sur son meilleur ami). Et elle voudrait, avoir des frissons, ressentir quelque chose, avoir le cœur qui bat un peu plus fort - mais les souvenirs ne sont plus là, ont été complètement supprimés, si bien que Gaia regarde celle qui fut sa sœur avec le sourire poli qu’elle offre aux étrangers. “Hi? Can I help you?”

La tension retomba à peine alors que le battant s'ouvrit et révéla l'inconnue du bal, celle avec qui Inwoo avait dansé. Les mots enragés d'Olympe, qu'elle avait commencé à ordonner dans l'ascenseur, buttèrent contre ses lèvres fermées et elle se surprit à avaler difficilement sa salive. S'était-elle trompée d'appartement ? Un éclair de panique dut traverser son visage alors qu'elle plissa les yeux pour vérifier le chiffre inscrit sur la porte. Non, elle était certaine que Calista Belacqua vivait ici. Et si sa mère vivait ici, il n'y avait qu'une seule explication à la présence d'une plus jeune femme chez elle. Gaia.
De nouveaux mots s'étranglèrent dans sa gorge subitement serrée par une nouvelle émotion. It can't be. Affirmation plutôt que question. Elle lutta pour ne pas s'effondrer. S'effondrer de douleur à l'idée de savoir que Calista avait gardé sa plus jeune fille auprès d'elle. De soulagement parce qu'enfin, enfin elle se sentait complète. Et de bonheur. Elle aurait pu serrer sa petite soeur dans ses bras, aurait pu chanter ses louanges, aurait même pu oublier l'abandon maternel.
Pourtant quelque chose ne collait pas, et elle se retint de parler à nouveau, ne voulant pas briser le nuage sur lequel elle était en train de monter. Parce que le nuage, elle le savait déjà, était gonflé d'un orage à peine caché. Gaia ne la reconnaissait pas. Cela se peignait sur ses traits qui ne cachaient aucune émotion. Gaia? Do you recognize me aurait-elle pu demander ensuite. Mais elle connaissait déjà la réponse, et dans sa bouche se répandait l'âpreté du silence.

En face d’elle, l’inconnue se suspend, surprise - non, tétanisée. Gaia ne comprend pas, plutôt ne peut pas comprendre, se contente d’attendre sa réponse, poliment, gentiment, comme elle a été éduquée pour le faire. “It can't be.” Elle fronce les sourcils, se dit simplement que la jeune femme s’est trompée d’appartement, ou d’étage, et s’apprête à le lui demander mais quelque chose la retient, un air étrange sur ses traits. C’était comme si Gaia savait que ce n’était pas le cas, qu’elle ne s’était pas trompée, comme si elle était censée déchiffrer ces trois mots sans avoir de dictionnaire ou de traducteur. “Gaia?” Nouvelle incompréhension, elle en vient à se demander si elle ne perd pas la tête, mais non, son visage ne lui dit rien, ou alors peut-être l’a-t-elle déjà croisée dans des couloirs de l’école, peut-être est-elle une étudiante perdue que Gaia la préfète a aidé un jour. “I’m sorry, do I know you?” Elle le demande avec toute la gentillesse du monde, sans se rendre compte de la violence que ses mots vont provoquer. “Are you a friend of my mother?” C’est la seule explication, sinon, que l’inconnue a deviné qui elle était parce que Calista lui en a parlé ; ce ne serait pas la première fois, que sa mère vante ses mérites à tout Kantô, particulièrement fière de sa fille, malgré sa condition nouvelle. Mais elle n’a aucune certitude, et elle n’est pas en état de faire la conversation à une inconnue, préférerait presque retourner pleurer l’absence de Tianyi dans son lit.

Elle se claquemura dans un silence qui s'étendait seconde après seconde. Elle attendait la bonne réponse Olympe, celle qui lui ferait gagner le jeu des origines, qui lui rappellerait la petite fille qu'elle était alors. C'est alors que le visage de sa petite soeur s'éclaira à l'entente de son prénom, qu'elle se surprit à espérer de nouveau. Avant que la vérité ne claque. Aria Belacqua resterait retranchée dans des souvenirs inexistants. Do i know you? Question qui faisait mal. Are you a friend of my mother? Encore plus mal. Coup de massue sur une Olympe déjà à l'article de la mort. Elle s'efforça d'articuler une réponse, esquissa un sourire compatissant, mais aucun mot ne sortit, laissant un calme des plus gênants s'installer sur le pas de la porte. Peut-être sa petite soeur était-elle trop jeune quand Calista l'avait abandonné en Angleterre, peut-être qu'elle avait tant changé physiquement que Gaia avait oublié ses traits. I.. You're Calista's daughter right? Hésitation. Inspiration. Puis reprise : does Aria say anything to you? Prénom épineux dans sa bouche qu'elle avait l'impression d'en saigner. Elle ne se trompait pas. Était certaines de ses sens en alerte, et se rappellerait jusqu'à sa mort de ce parfum de gardénia qui s'engouffrait à présent dans ses narines. C'était si difficile. Elle avait l'impression de plonger tête la première dans un cauchemar. On l'avait oublié. Rayé de la carte. Elle n'était plus personne. Ne l'avait jamais été, pas quand Gaia prenait cet air si perdu face à elle.