s'apprivoiser (rose)

Elle regarde la valise d’un air tremblant, sans oser refermer la porte de cette chambre qui ne l’était pas depuis si longtemps. Le changement avait été plus douloureux en mai dernier, quand il avait fallu quitter son nid pour une chambre réservée aux buveurs de sang, qu’elle avait dû dire adieu à toutes ses habitudes, tous ses souvenirs pour une chambre qui en était complètement dépourvue et lui rappelait sans cesse sa nouvelle condition. Ce devrait être plus facile, alors, de la quitter pour une autre, plus vivante, partagée avec quelqu’un qui vivait la même chose — c’est ce qu’elle avait demandé, c’est ce qu’elle souhaitait. Pourquoi tremble-t-elle autant, alors ? Quitter le quartier des mizus lui brisait le cœur, peut-être était-ce pour ça, parce qu’elle n’avait pas eu le choix, avait dû se plier, s’ajouter à la seule autre rokurokubi de son âge qui n’avait pas de colocataire, ne pouvait pas lui imposer de déménager. Peut-être était-ce parce qu’elle ne voulait pas changer de chambre du tout mais plutôt repartir chez sa mère, ne pas être forcée à s’en aller. Se remémorer à chaque instant que Calista l’avait chassée, bannie parce que sa fille ne l’était plus vraiment et lui avait menti.
Elle n’ose pas toquer, attend un moment avant de le faire, un peu angoissée à l’idée de rencontrer quelqu’un comme elle mais surtout de son âge, persuadée qu’elle aura affaire à un monstre ; après tout, c’est ce qu’elles sont, n’est-ce pas ? Mais la porte s’ouvre sur une jeune fille aux traits inconnus qui a tellement l’air normale que Gaia se demande si elle est bien au bon endroit, un peu hésitante, même si elle sait mieux que quiconque que les monstres savent se cacher sous les lits en plein jour. Essaie de garder son calme et de ne rien montrer de son stress, prend ses airs de préfète rassurante. “Hi, hum, are you Rose? I’m Gaia, I, hum, I guess they told you I was coming?”

les coussins déposés sur le lit pour terminer l'agencement d'une chambre qu'elle se voit désormais devoir partager - après un an et demi à se réveiller seule, un an et demi après avoir abandonné somi, rose se demande si elle est prête et si elle veut vraiment associer cet endroit à quelqu'un d'autre mais elle n'a pas le choix, la gamine, on lui a mis entre les mains la responsabilité d'intégrer la jeune rokurokubi sans lui demander son avis et cette sensation est étrange. si un jour elle a souffert de la solitude, de ces moments de doute où personne n'avait assez de poids pour la rassurer (pas même nari qu'elle a vu grandir embrassée par le monstre qui la ronge elle aussi), elle a appris à apprécier ces instants où on la laissait tranquille.

mais elle reste une gamine du bruit, rose, d'une famille au cœur assourdissant, là où il n'y a pas assez de silence pour réfléchir et, quelque part, ça lui manque cette présence permanent qui l'aiderait à arrêter de penser. alors, elle fait les choses bien, a nettoyé les poussières, rangé ses affaires, fait les lits - a préparé celui de la nouvelle arrivante avec des draps propres qui sentent les fleurs - et a même débarrassé les placards pour lui laisser la place dont elle aurait besoin. elle se sait peu consciencieuse, reprendra probablement toute la place d'ici quelques semaines (optimiste) mais tente juste de faire bonne figure histoire de ne pas la faire fuir dès son arrivée.

quand le bois craque sous les légers coups, il y a une petite montée de stress qui la prend dans la poitrine et elle souffle une seconde avant de s'avancer et lui ouvrir - "hi! yes i'm takano rose, it's so nice to meet you!" qu'elle lui répond automatiquement d'un grand sourire en découvrant la jeune femme qui lui fait face, frêle, petite, toute comme elle mais probablement plus intimidée. alors, elle se recule un peu pour la laisser entrer à l'intérieur du mini appartement avant d'attraper la valise qu'elle se traîne pour l'en débarrasser. "do you need help?" question qui n'a besoin d'aucune réponse car elle a déjà les affaires de gaia dans la main.

les deux poupées s'engouffrent enfin dans le petit salon quand gaia a pris ses aises en laissant ses chaussures dans l'entrée. "so here it is, your new... home. j'ai essayé de te laisser de la place, tu peux t'installer comme tu veux. j'ai trois frères et sœurs tu sais alors j'ai l'habitude qu'on se marche un peu dessus et que les affaires des uns débordent sur les autres donc n'aie pas peur de mettre les tiennes où tu veux, ok?" elle comble le silence pour ne pas laisser s'installer la gêne qui pourrait les éteindre rapidement. "you want something to drink? i can show you your room and... the bathroom and... c'est à peu près tout ce qu'il y a ici, de toute façon." qu'elle plaisante doucement afin de mettre sa nouvelle colocataire le plus à l'aise possible.

Dans une autre vie, elles auraient pu être sœurs, les deux faces d’une pièce, mais peut-être qu’elles sont trop aux antipodes l’une de l’autre, si Rose a toute la confiance et l’assurance que Gaia n’a pas et surtout si Rose a la fierté d’être un monstre là où Gaia en est encore à éviter les miroirs. Elle savait, déjà en arrivant, qu’elle devrait se forcer, que si elle voulait que tout se passe bien elle devrait éviter les remarques déplacées ou les piques acérées. Mais lorsque Rose finit par ouvrir la porte et l’accueille avec un grand sourire et une voix enjouée, elle ne parvient qu’à penser she’s pretty cute, for a monster. “Do you need help?” La bouche a à peine le temps de s’ouvrir que Rose a déjà pris ses affaires et les a déposées dans le salon, que Gaia finit par rejoindre, les yeux qui font rapidement le tour de la pièce pour découvrir son nouveau chez elle. Rose entame une présentation, ou un monologue, on ne sait pas vraiment, mais réussit à mettre Gaia un peu plus à l’aise. Elle hoche la tête plusieurs fois, comme si elle prenait au sérieux les consignes de sa nouvelle colocataire, même si elle imagine mal ses affaires être sans dessus dessous, sa chambre ayant toujours été très bien rangée. “Okay.” Elle voudrait commenter mais n’ose pas trop, la laisse terminer par politesse. “You want something to drink? I can show you your room and... the bathroom and... c'est à peu près tout ce qu'il y a ici, de toute façon.” Elle jette un regard rapide à la cuisine, au frigo où doit être entreposé le liquide frabieux (en sachant déjà qu’elle sera bien incapable de parler de ça en toute normalité et simplicité), aux portes menant à leurs chambres et à la salle de bain. “Je veux bien un verre d’eau s’il te plaît, merci. C’est petit mais j’aime bien, la décoration est jolie. Tu as toujours vécu toute seule ici ?” Elle s’assoit sur le canapé, se dit que c’est le moment où jamais de creuser, apprendre à se connaître plus en détails, si elles sont vouées à partager un appartement. “Trois frères et sœurs, c’est beaucoup, vous avez beaucoup de différence ? J’aurais bien aimé avoir une grande sœur, but I’m an only child.” Après l’avoir remerciée, elle boit une gorgée du verre d’eau rapporté par Rose, la questionne gentiment. “What are you studying? Aussi, je dois te prévenir, je fais du violon, mais si ça te gêne je peux lancer un sort pour que tu n’entendes pas.”

si rose a toujours eu l'habitude d'habiter à cinq, que ce soit dans un appartement trop petit ou sur la péniche, elle a surtout toujours été seule ici, en a créé son point de repère, son abris à elle quand elle en avait besoin ; ramenait souvent ses amis, en réalité, pour combler le vide qui y traînait un peu trop souvent mais se faisait refuge quand la gamine avait besoin d'un peu de paix et de silence (pas souvent, seulement quand le manque la terrorisait assez pour ne pas vouloir se mêler aux autres). alors, c'est un peu étrange d'accueillir quelqu'un ici pour vivre avec, d'autant plus cette jeune fille qu'elle ne connaît pas vraiment, qu'elle va devoir apprendre à découvrir - elle a pensé à l'éventualité que ça ne se passerait pas bien entre elles, plusieurs fois, mais toujours, son optimisme a pris le dessus pour lui prouver qu'il n'y a aucune raison pour qu'elles ne s'entendent pas.

la pensée balayée très vite par la demande de gaia, rose s'exécute en se dirigeant vers la petite cuisine pour lui servir de l'eau. "c'est gentil, j'ai essayé d'en faire quelque chose de... cosy? tu pourras bien sûr y mettre ta déco quand tu te sentiras assez à l'aise, ça me dérange pas !" qu'elle lui dit pour lui assurer qu'elle est bien chez elle ici. "oui, ça fait bientôt deux ans que je vis ici. ça passe vite." son sourire laisse passer un rire quand elle réalise avant de se rapprocher d'elle pour y déposer le verre sur la table basse. "mhh pas tellement, on a tous plus ou moins deux ans de différence, keita deux ans moins que moi et nao deux ans de plus que moi !" la lueur dans ses yeux s'animent quand elle parle de sa famille et il ne faudrait pas qu'elle se lance trop sur le sujet, pourrait maintenir une conversation à elle seule sur ses frères. "ain't it a bit... boring to be the only child?" la maladresse dans la peau, rose met les pieds dans le plat dès qu'elle en voit un. "je suis en psychomagie, en troisième année, et toi? oh really? j'adorerais t'entendre jouer, peut-être juste moins quand j'aurai besoin d'étudier mais... j'étudie pas souvent donc t'en fais pas." son rire transperce une grimace presque gênée à cette déclaration. "j'ai essayé d'apprendre le piano pendant un temps mais je suis pas très douée pour apprendre les choses sur le long terme du coup, je sais jouer quelques notes." les épaules se haussent aux regrets qui se font entendre dans sa voix alors qu'elle finit souvent par abandonner ce qu'elle commence.

Chétive et gênée, Gaia n’ose pas trop encore posséder l’espace, ne se sent pas tout à fait chez elle. Elle a quitté deux maisons, à chaque fois contre son gré, le cœur complètement brisé de ne plus savoir ce qu’on appelle chez soi, puisque ce n’est plus l’appartement familial duquel sa mère l’a chassée, ni le dortoir qui l’a vue grandir depuis sa première rentrée. Et ce n’est pas encore celui-ci, pleinement habité par Rose, décoré d’affiches et de souvenirs de celles et ceux venus la voir. Alors Gaia prend ses airs de préfète pour se mettre en confiance, pousser l’assurance, mais on sent bien sa timidité, un certain malaise, que la bienveillance de Rose parviendra sans doute à dissiper. “c'est gentil, j'ai essayé d'en faire quelque chose de... cosy? tu pourras bien sûr y mettre ta déco quand tu te sentiras assez à l'aise, ça me dérange pas !” Elle sourit, hoche la tête doucement en regardant les murs, admirant la décoration, en se disant qu’une fois plus à l’aise, elle mettrait peut-être une affiche de ballet. “Merci c’est gentil ! C’est très réussi, très accueillant” répond-elle d’une voix distraite, le doigt qui glisse sur l’une des affiches. L’écoute raconter sa vie de famille avec attention, essaie d’imaginer ce que ça doit être, de vivre avec autant de frères et sœurs, quand elle n’a jamais connu que les dîners en tête-à-tête avec sa mère. Ce n’était pas pour la déranger, pourtant, bien au contraire. “Ain't it a bit... boring to be the only child?” Elle tourne la tête, quitte le mur pour ses traits, les épaules qui se haussent doucement, pas par désinvolture ou désintérêt, mais avec une certaine sincérité, un peu amusée. “Not really, I’m really close with my mom and I never felt boredom, but I suppose our home wasn’t as animated as yours.” Elle s’avance un peu, boit quelques gorgées du verre d’eau offert. “je suis psychomagie actuellement, en troisième année, et toi? - troisième année aussi, en double-cursus technomagie et danse classique, et je suis préfète des mizus” qu’elle répond avec une certaine fierté, même si prononcer le mot lui fait un pincement au cœur, d’avoir quitté le quartier de l’eau pour celui du feu. “oh really? j'adorerais t'entendre jouer, peut-être juste moins quand j'aurai besoin d'étudier mais... j'étudie pas souvent donc t'en fais pas.” Elle sourit, prend conscience de leur différence - Rose est peut-être celle qu’elle aurait pu être si elle avait été plus populaire, un peu moins travailleuse, mais sa mère a toujours fait primer l’excellence sur les soirées. “j'ai essayé d'apprendre le piano pendant un temps mais je suis pas très douée pour apprendre les choses sur le long terme du coup, je sais jouer quelques notes. - c’est toujours le plus dur, de s’y tenir, je comprends, et c’est pas grave tu sais, au moins tu peux tester plein de choses et savoir des choses dans plein de domaines !” Elle tente de la rassurer un peu, même si jouer quelques notes représente déjà beaucoup pour certains. Se revoit mentalement apprendre le violon très tôt, poussée par sa mère ; sauf qu’à cette pensée le cœur se serre et son visage s’assombrit, parce qu’elle ne sait plus si elle en a une, désormais, de mère. Garde le silence un instant, perdue dans ses pensées et sa tristesse, retrouve la réalité et ne sait plus trop où se mettre. “I’m sorry, I zoned out, it’s been a.. complicated time, for me, my- my mom kicked me out, because,” elle hésite, choisit finalement le politiquement correct, “because of my condition”, même si elle accentue tellement le mot qu’on entend monster en arrière-plan.

il y a une différence palpable entre les deux gamines, le genre bien visible qu'on ne peut pas ignorer et pourtant, rose a l'espoir de briser la glace rapidement avec elle et partager ce qu'elle ne peut partager avec les autres. c'est à ce moment qu'elle pense au visage d'inwoo, rencontré deux jours plus tôt et rose se met à sourire quand elle se rend compte à quel point c'est étrange de faire la connaissance de deux rokurokubi en si peu de temps. "waw c'est beaucoup !" qu'elle s'exclame à l'entente de toutes les activités de gaia, sincèrement admirative de son parcours. "mon copain, sam, et ma meilleure, anla, sont aussi préfets. des kaze." un monde et des responsabilités qu'elle ne comprend pas et dont elle veut rester loin mais c'est avec fierté qu'elle mentionne toutes les personnes qui partagent sa vie, si (trop) transparente. "oui, t'as sûrement raison" elle apprécie la façon dont gaia a de vouloir la rassurer tout de suite, tente même de se persuader qu'elle ne doit probablement avoir tort - n'en est vraiment pas convaincue, gamine qui ne pense jamais faire, être, assez.

quand elle regarde gaia, elle semble partir plus loin que la pièce dans laquelle elles sont et ça la fait sourire, rose, quand le silence prend place entre elles. ses lèvres grimacent un peu dans tous les sens dans l'attente, peu gênée, elle ne sait juste plus comment rebondir, comment l'intercepter, si elle doit la rattraper. opte finalement pour la laisser tranquille avant qu'elle la regarde à nouveau. "no no, it's okay, don't worry." qu'elle dit en plein milieu de sa phrase, coupant quelques-uns de ses mots avant de se rendre compte du ton de voix qui a changé. "oh-" et finalement, la situation semble bien plus compliquée qu'elle n'y paraissait et rose ne sait plus tellement comment réagir, peu à l'aise avec les conversations trop profondes - elle ne sait jamais vraiment quoi dire, un comble pour une future psychomage. "i'm so sorry to hear that but... i get it, it's hard for some people and yeah, if you wanna come to my house with my family sometimes maybe... i don't know, maybe you could have fun with us." les bras grands ouverts pour l'accueillir comme elle aurait aimé qu'on l'aide, rose a pourtant eu la chance d'avoir une famille protectrice et qui l'a toujours acceptée malgré sa condition.

“Waw c'est beaucoup !” Gaia hoche la tête, consciente qu’elle a une vie bien remplie, toujours en quête d’excellence, le regard de sa mère au-dessus de son épaule, la poussant à en faire toujours plus et à faire toujours mieux. “Mon copain, Sam, et ma meilleure amie, Anla, sont aussi préfets. Des kaze. - Oh, je connais Anla ! J’ai déjà vu Sam aussi, c’est le colocataire d’un de mes meilleurs amis.” Elle ne précise pas plus, surtout sur Anla, ce serait compliqué de se lancer dans des explications plus longues sur sa relation avec elle, et ce n’est pas forcément le moment.
Se lance plutôt dans un moment d’ailleurs, le visage qui s’assombrit et le cœur aussi, face à une Rose qui ne peut que regarder la disparition, spectatrice d’une tragédie dont elle ne comprend pas tous les tenants et les aboutissants. Elle lui offre sa gentillesse, malgré tout, d’un “no no, it's okay, don't worry.” lancé avec bienveillance, et Gaia se retrouve à expliquer rapidement ses tourments, sans entrer dans les détails ; elle ne voudrait pas être méchante, dès leur première rencontre, sans le vouloir vraiment. “I'm so sorry to hear that but... I get it, it's hard for some people and yeah, if you wanna come to my house with my family sometimes maybe... I don't know, maybe you could have fun with us.” La bouche entrouverte, elle reste interdite un instant, surprise de la proposition. Se retient de faire une remarque sur sa propre mère, sur le fait qu’elle comprend pourquoi elle a été rejetée, qu’elle est d’accord, pour seulement sourire d’un air encore un peu triste. “It’s very kind of you to offer, I’ll think about it.” Elle jette un coup d’œil à sa valise, un peu plus prête à s’installer. “I’ll get settled into my room, thank you for everything Rose.” Et elle sent que, même si le chemin sera compliqué, semé de remarques maladroites d’une Gaia qui a encore du mal à se regarder dans le miroir, cette colocation peut lui faire du bien, plus qu’elle ne le pense. Devenir un chez soi particulier.