Back from the dead (atlas)

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— graveyard —

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— 22.11.2020 —

Il ne restait que de la poussière. La peau en lambeaux et l’hémoglobine en marécages, dans le creux du crâne maudit résonnaient encore les voix. Sous les paupières closes, la brume ne se dissipait qu’à moitié. Contre les membres fourbus, restaient des traces d’un incendie funeste.
Il ne s’en remettrait pas.
Les joues avaient passé, pourtant, et Atlas allait mieux –c'est ce qu’il disait aux autres, et on le croyait, pantomime habitué à dissimuler les souffrances, les médicomages étaient d’accord. En apparence, il se remettait, petit à petit, même si son corps était marqué, et que sa condition unique faisait de lui, plus que jamais, un cas d’étude. Il se souvenait du regard du médecin qui l’avait examiné un jour –un ami de la famille, le seul autorisé à le traiter hormis sa propre mère. Par Merlin. Et il n’en sut pas plus, vivait dans le silence des diagnostics propre à sa santé bancale, entre les cauchemars lors des rares nuits de sommeil, et les toux malhabiles jonchées de goudron. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Les souvenirs étaient flous, revenaient parfois dans les songes, la brume brûlante, les voix, la course, un enfant. Le désespoir. La terreur. La salvation, au dernier moment, alors que son corps se battait avec lui-même, qu’il était à deux doigts de perdre. Il ne savait pas qui l’avait amené à l’hôpital, on lui avait dit qu’il n’était pas venu seul, mais que la personne avait disparu aussitôt, et il se posait des questions, qui resteront sans réponse -il avait l’habitude, maintenant. Déjà presque un mois qu’il avait troqué sa chambre trop étroite mais aimée à fore d’habitude pour le lit et les draps blancs aseptisés. Il ne détestait pas l’hôpital, mais il n’y avait jamais séjourné aussi longtemps, parents habitués à le cacher, ses convalescences fréquentes s’effectuant dans le calme froid de la demeure familiale. Mais ici, on le gardait. Comme si on le surveillait, presque.
Il avait les yeux mi-clos d’épuisement quand la porte s’ouvrit, comme chaque jour, sommeil qui arrivait sans prévenir, dans les galops d’un épuisement vorace. Encore incapable de marcher trop longtemps, ou de se concentrer. On lui apportait ses cours. Il se sentait plus incapable encore qu’avant. Silence jamais troublé lorsqu’il reconnût, au son des pas-velours, le couturier. Il ne cilla pas, feinte du sommeil qui se tétanisait, glaçait les muscles quelques part entre la peau exposée et le tissu trop fin du drap. Son annulaire était nu, joyau perdu dans la bataille, qu’il s’était promis de rendre sans délai, avant de l’égarer dans la brume. Il venait se venger. Mais Charon n’avait, avec lui, jamais été guerrier sadique, simplement yeux constellations malsaines, serpent aux faux airs tendres. La vile méfiance était toujours là, mais il était doux, avec lui, et il était l’un des seuls. Il finit par ouvrir ses paupières, prêt à se confondre en excuses, rempli de questionnements, aussi.
“Qu'est ce que tu fais là ?”
Hormis ses doigts nus, il réalisa que ses épaules aussi l’étaient, son dos, moins visible certes mais effleurant l’air tiède et conditionné, et surtout son cou, son visage, qui portaient encore les marques tuméfiées en formes de veines noirâtres. Il avait encore plus l’air d’un monstre qu’avant, lorsqu’il pouvait se dissimuler derrière des gants de cuir et des étoffes trop grandes. Ses mains remontèrent le drap, pudeur effarée mais douce, proie dans la tanière du loup.
"Je ne veux pas que tu me voies comme ça.”
Et au fond, il se doutait qu’il était venu uniquement parce qu’il lui avait volé quelque chose d’important, avant de disparaître. Sans un bruit, Atlas avala sa salive. Charon était toujours aussi solaire, mais à la manière d’un trou noir dont les yeux ne se détachent jamais.
Comme un coup de poing sur une ecchymose.

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— 22.11.2020 —

Pleine conscience de son corps mutilé comme la lumière trop vive d’un après-midi de juillet. Plus encore qu’être haï, Atlas a toujours détesté être vu. Et Charon n’avait de cesse de le regarder. Là où il aurait aimé se faire ombre, effacé au milieu des nuages noir velours, il lui semblait, dans ses yeux, prendre l’apparence de l’art qu’on dévisage sans comprendre. Fascination à peine dissimulée qu’il éludait sans comprendre, et appréciait sans savoir. Il n’était pas habitué aux intérêts, quels qu’ils soient, autres que les morbides expériences aussitôt oubliées par une magie sinistre. Atlas était une malédiction dotée de membres et d’un coeur monté à l’envers, on l’appréciait seulement lorsqu’il dissimulait ses côtés monstrueux. Mais Charon en savait trop, déjà. Il ignorait à quel point ses méninges pouvaient connecter les points qu’il s’efforçait lui-même à éloigner, même perdu seul dans des élucubrations qu’il enfouissait sous le déni.
Le drap remonte,
contre-courant.
Charon s’approche, coeur-marée. Il n’est que l’écume devant la pleine lune.
Animal méfiant, mais docile, il ne lui somme pas de partir lorsqu’il s’assoit sur le lit. Proie qui s’ignore, qui n’aurait de toute façon nulle part où s’enfuir : ils sont seuls, dans une chambre blanche, et il voudrait le voir rester un peu ne serait-ce que pour alléger le poids de ses questions. Lorsque Charon pose une main tiède sur sa cheville, le corps, automatiquement, se crispe : malhabile au contact des autres, les paumes le brûlent comme une décharge électrique. Muscles figés, mais pas tendus, une simple peur-panique habituelle, sommée par les traumatismes qu’il ignore pour la plupart. Mais il ne dit rien. Inspire en silence, et la chaleur est plaisante lorsqu’il réussit un instant à glisser son regard sur la peau diaphane. « Oui. » Confession à demi-mot, murmure barbare qui s’avoue vaincu. Ils n’ont jamais mené une bataille -pas du côté d’Atlas en tout cas, qui n’est que protection et ignorance. I’m cursed. Il a envie de lui dire, tiraillé par la faiblesse d’un corps à l’abandon et d’un esprit à l’agonie, mais, pas encore. Faune trop sauvage pour être apprivoisée, et les confessions avortées en fumée qui s’échappe entre les doigts. Les siens sont encore sur sa peau. Il n’arrive pas à en détacher ses yeux.
Ses paupières se ferment une seconde, soupir expié des lèvres fendues. Atlas a l’habitude des visites, sa famille toujours poisseuse sur le dos, mais jamais aussi éreintantes -ils n’ont pourtant échangé que quelques mots. Il pense, en boucle, à ses doigts nus, cachés sous le drap. A l’inquiétude de Charon, qui ne semble pourtant pas feinte. Et ça lui sonnera toujours étrange, que quelqu’un s’en soucie.
Et puis, une phrase à la tournure suspecte -ou peut être est il, comme toujours, trop méfiant. Il hausse un sourcil, se redressant avec une grimace de douleur dans les draps parfumés à la javel. « Comment le sais-tu ? » Farandole de questions en bourrasques était-il déjà venu lui rendre visite, alors qu’il était plongé dans le sommeil ? Non. Il faisait partie du corps enseignant. La rumeur de son état devait s’ébruiter dans les couloirs de l’école, simplement.

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— 22.11.2020 —

Douceur suspecte qui n’essaye pas de panser les plaies –il est, même remis, dans un piteux état, impossible à cacher, surtout pas à Charon et à ses yeux perçants. Le cœur tambourine, d’anxiété probablement, dans l’attente –il est sûr d’être entendu même au-delà des murs de l’hôpital, déteste cette sensation d’avoir des sentiments trop bruyants, des peurs qui résonnent, donnerait n’importe quoi pour se fondre avec le silence. Celui-là est pesant, loin d’être confortable, chargé de nostalgie qui se confirme lorsque la voix de Charon se fait mélancolie douce. Le syndrome du sauveur qu’il connaît par cœur, et dont il le soupçonnait déjà d’être atteint –dans une moindre mesure, plus téméraire que lui, plus égoïste, peut-être. Là où Atlas a le cœur trop bon pour son propre bien, aspirations à réparer le vivant et droit chemin à peine dévié, resté aux horizons vagues par peur de mal faire, se tue à la tâche pour des idéaux flous mais par principe, Charon aime –il l’a senti tout de suite, au timbre de sa voix.. Il l’aimait, l’autre que lui, celui qui se parait d’insolence pour mieux se laisser dévorer vivant. Il l’aimait, au passé. Et il sent dans le ventre montrer une boule oisive, sentiment-désastre comme figure de proue sombre. « Oh. » Il n’est pas totalement sûr d’être comme celui qui semble rayonner encore décrit dans les mots tristes. Atlas n’a rien de l’insolence et de la hargne qu’incombe une haine pure de soi-même –au contraire, n’est que fumée et mains levées vers le ciel. Bonté irradiée mais sombre, débordant de violence uniquement dirigée contre lui–jamais contre le monde. L’espoir en tout, sauf en lui. Mais l’envie de se gâcher n’est pas là –il subit, simplement, toile d’araignée géante depuis toujours entrelacée autour des membres, incapable de bouger. Celui que Charon aimait, lui, pouvait au moins se battre. Et l’impression, peut être vaniteuse, que personne ne pouvait être comme lui –pas même le plus ressemblant des Hensoku. Il ne le souhaiterait pas au plus crasse des êtres, de toute façon. De subir son don maudit. « Comment s'appelait-il ? » Voix blanche, et curiosité peut-être mal placée, il n’a pas conscience d’appuyer sur une plaie ouverte. L’aide, si elle a été proposée, a été refusée. Comme il le faisait constamment, lui aussi, depuis des mois. Silencieusement, il approche sa main de la sienne, à défaut d’être capable de balbutier des excuses, ou d’accepter quoi que ce soit de sa part.
Mais la course se stoppe net.
Atlas n’a sur le visage plus d’expression tendre, si elle a même déjà été là. Simplement stupeur, et honte. « Quoi? » Car si son don est de notoriété publique, Hensoku en tête d’affiche souriant et bien élevé, les particularités macabres nichées dans les veines sombres ont toujours été floues, pour tout le monde. Bien sûr, certains savaient que ses mains renfermaient, en fonction du point de vue, de l’or ou du poison, et que son occupation à la morgue rendait le tout plus facile. Mais pas tout. Rien de la fumée mortelle qui sortait lorsque les choses devenaient hors de contrôle. Rien des corps sans vie devenus brouillard. Et rien de la substance noire qui le dévorait de l’intérieur, jusqu’à presque le faire passer de l’autre côté au milieu du trottoir portant le corps en ruine. Même Atlas, en toute âme et conscience, ignorait presque tout, pour son propre bien. Mais les souvenirs, en forme de flashs orange-incendie et noir-fumée, remontaient. Les voix. Les Inferis. L’enfant, et une curiosité sombre, la course, la chute, la douleur, sa poitrine qui semblait vouloir s’ouvrir en deux, le liquide noir et épais au bord des lèvres. Puis plus rien. Des bras inconnus le soulevant de terre, alors qu’il était à demi-conscient, un sommeil trop lourd pour être sain, et une chambre d’hôpital, quelques jours après. Il n’a pas imaginé de sauveur, a même pensé qu’il avait réussi à se rendre seul à son salut, tout, mais pas Charon. Le voile soigneusement tissé qu’il s’était brodé devant la peau blême venait d’être arraché d’un coup –comme une trahison, de sa faute uniquement. Brusquement, Atlas se redressa. « Pardon, il faut que je... » Ses membres le portèrent tant bien que mal, en boitant, dans la minuscule salle de bains aux néons trop blancs pour la rétine. Torse agité de soubresauts, et la haine qui déborde –pourtant incapable de sortir quoi que ce soit, gorge figée par l’horreur, celle d’être mise à nu, redevable, sauvé, ou faible. L’impression que Charon avait maintenant pu observer jusqu’à l’intérieur des veines trop sombres pour en sortir de l’indulgence le rendait malade, comme si à l’intérieur, le Kasha se battait pour ne pas être perçu, ou pour rester détestable. Comment pouvait-il lui dire ça avec une telle douceur ? Et pourquoi n’était-il pas déjà en train de le fuir ? Était-il devenu une bête curieuse à ses yeux, une sorte de monstre de foire, attisant la curiosité malsaine, ou un cas désespéré à sauver ? Rien ne lui convenait. Ca n’était pas censé se passer comme ça, il n’était pas censé voir, et comprendre encore moins. Atlas pris une grande inspiration, les phalanges blanches crispées contre le lavabo, sans se regarder dans les yeux, la haine intense du reflet plus épaisse encore maintenant que le sombre s’était changé en lumière. Il ne pouvait pas rester là plus de quelques minutes, dans une cachette qui n’en était de toute façon pas une –Charon l’attendrait. Il le connaissait assez, maintenant, pour le savoir.
Lorsqu’il sortit de la pièce, visage blême et regard fuyant, il se dirigea sur son lit, pour s’y asseoir, dos à lui.
« Je voudrais savoir… J’ai beaucoup de questions. » On le gardait muré dans le silence, il pouvait au moins demander. Genoux repliés contre le torse, position impossible à tenir sans grimace de douleur, mais qu’il conserva. Tant qu’il ressentait la douleur, il était au moins en vie, et non pas dans un cauchemar sordide où Charon apparaissait les crocs luisants –il en avait déjà faits, des songes macabres comme ceux-ci. Jamais aussi réels. « Dans… Quel état tu m’as trouvé ? Et qu’est-ce que tu en as compris ? Pourquoi… Pourquoi tu es revenu, après avoir vu ça, au lieu de m’éviter ? » Il essayait de s’éviter lui-même depuis des années, pourtant. Charon ne mesurait pas la chance qu’il avait, d’avoir le choix. Tête baissée, et murmure doux. Une excuse implorée dans le presque-silence. « J'ai perdu ta bague, ce jour-là. Je suis désolé. » Et il l’était, puisqu’il avait compris, sans le vivre, le torse vide que laisse l’absence, les souvenirs gravés dans les bijoux anciens. Le regard la première fois qu’il avait volé l’anneau, et la main tendue. Il avait compris, sans le vivre, le deuil d’un amour qui hante et qui marque, pourtant il ne pouvait rien rattraper, simplement se fondre en excuses vaines. Le coeur et le pardon, à l'agonie, entre ses mains.

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— 22.11.2020 —

Swann.
Il y a les brouillards ponctués de non-dits autour d’eux, et l’impression de s’attaquer à une bataille perdue d’avance. Cœur trop grand aux espérances vaines n’ose pas s’ouvrir, encore moins être trop curieux –Atlas sait qu’on ne peut soigner d’un coup un homme terrassé par la perte. Il ne sait même pas s’il en a envie, puisque si le syndrome du sauveur est puissant, ce qui le lie à Charon est bien plus complexe et insidieux qu’une simple frasque digne d’être entendue. Ne tentera pas de remplacer les fantômes, s’il en est déjà un lui-même. La main tendue ne suffira pas, dans un sens comme dans l’autre, et se réparer voudrait dire s’enliser dans une toile dangereuse –il se sent proie, parfois, avec lui. Et pourtant, il ne peut s’empêcher de s’approcher des crocs. L’envie de se raccrocher à l’idée que quelqu’un puisse le voir, et rester quand même. Le dégoût prend le dessus, finalement. Tension trop forte au creux des os de rejeter ce qu’il est, puisqu’on lui a toujours intimé de se cacher. Lorsque les veines sont noires, on se maquille en blanc d’innocence, et l’émail de la salle de bain reflète sa peau diaphane. Il voudrait le faire fuir, et il voudrait qu’il reste. Renouer avec le déni, confortable absence, et savoir. Alors Atlas en ambivalences crasses qui bataillent à l’intérieur du crâne parvient tout de même à revenir d’entre les morts, à et lui imposer sa présence. Charon est toujours libre de partir après tout, de le détruire, même. Il n’a rien à perdre d’autre que se retrouver avec soi-même, compagnie adoptée, monstre enlacé au creux des reins.
Le torse se soulève abruptement en revoyant la scène sous les paupières qu’il ferme. Il se souvient, vaguement, de la course, du noir au creux des lèvres et de l’irradiante douleur dans chacun de ses pores. Il connaît, pourtant, la peine du corps à l’abandon, bataille menée depuis petit –la santé fragile, et les épuisements après avoir utilisé son don. Souffrances dont il ne connaît qu’une infime partie, la plus probante donnée aux sorts-oubliettes. Ses jambes lâchent et pendent maintenant dans le vide, la tête en arrière comme pour baisser les armes, presque posée sur l’épaule de Charon. Il ne comprend pas, et ça le rassure. Lui ne se comprend pas non plus. Et même si les compliments donnent l’impression de chaleur dans le cœur, elle est violente, brûlure létale. Il est bel et bien un monstre, le croira pour longtemps, mais s’est montré assez habile pour le cacher. « Je n’en suis pas si sûr. Et je parviens à contrôler tout ça, tu sais. J’ai été entraîné pour. Si tel n’était pas le cas, tu serais mort à l’heure qu’il est. Et moi aussi. » Repense à la presque perte de contrôle dans une salle de classe vide, et à son ego qui d’habitude s’écrase, brille un peu plus auprès de lui. Comme s’il était le briquet qui mettait le feu à l’essence. Pourtant, Atlas à la fierté endormie reste passif, comme toujours. « Merci, cependant. » Et la phrase sonne comme une obligation - peut être que tout serait plus simple s’il m’avait laissé là-bas.
La confession prend une forme d’excuse, et il le pense vraiment, livre fermé mais paumes ouvertes. Il n’implore pas, puisque trop en tort pour estimer se faire pardonner pour de vrai, mais reste silencieux. Mouvement de balancier quand il se lève, et yeux baissés –jusqu’à ce que Charon l’oblige à les lever vers lui. Habitué des tempêtes avortées, marée douce qu’il lui impose à chaque fois sous couvert de sirupeux présages. Ils se sont déjà targués de menaces, mais il y avait des sourires dans les voix.
Plus maintenant.
Et les yeux de Charon en orageux présages qui réussissent à trouver les siens.
Pourtant, il ne cille pas. Sa sincérité est là, nue, devant lui. Il ne peut rien faire de plus, il le sait, et à l’intérieur du torse bat une force insoupçonnée –c’est sans doute lui qui lui a enseigné, sans le savoir, de ne pas choir tout de suite ou du moins de s’accrocher avant. Les doigts autour de la gorge ne serrent pas assez pour étouffer sa voix, habituellement basse, mais ferme. « Je le sais. » Car il a deviné, sans indices, à qui appartenait la bague. On ne porte pas un tel bijou par hasard et surtout, on ne réagit pas comme ça à une perte sans intérêt. La bague était sûrement au cygne du passé. Ou à quelqu’un qui, en tout cas, a compté. Lentement, Atlas avale sa salive, sent la pomme d’Adam cogner contre les phalanges agrippées à lui. Mais il ne flanche pas. Au lieu de ça, il se lève, la main toujours autour de son cou, regard brûlant pour masquer la panique. Il n’a pas peur de lui, plus maintenant. N’arrive même plus à savoir si tel était le cas, adrénaline vissée dans le crâne d’un autre. Charon en feu de forêt. « Que veux-tu qu'il se passe ? » et même si sa voix n’était toujours qu’un murmure, il donnait l’impression d’un soldat loin de flancher. Après tout, c’était lui, qui lui avait dit de s’élever. Si provocation il doit être, il sera. C’est après tout lui qui lui a dit qu’il ressemblait à la rage de l’insolence. Il ne dit rien de plus, ses yeux parlent à sa place, et il se sent brûler, à l'intérieur comme le kasha qui gronde d'une ardeur noire qu'il ne se connaît pas -et peut être qu'il contrôle un peu moins les choses maintenant, peut être que le don-malédiction perd de sa grandeur, mais il refuse de baisser la tête. Tu ne feras rien. En tout cas pas maintenant, même si tu aimerais. Essayer.
Abîme-moi si tu peux.

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— 22.11.2020 —

Dents serrées sous la vérité crasse –il savait qu’une part de vérité se cachait, sous le déni, dans les paroles de Charon aux faux-semblants inquiets. Oui, il avait été entraîné, dos droits et œillères serrées depuis l’enfance, et les oreilles sourdes qui ne voulaient entendre que l’infime et le réparable –qu’il était un phénomène impossible à comprendre, et presque impossible à soigner, tout juste bon à se contenir. Une vie de regrets et de malédictions sourdes qui parfois pesait comme un fardeau –Atlas au nom ironique. Mais une partie de lui était plus indulgente, parfois, lorsque venait le moment de se rassurer, balancier d’un corps sans espoir dans le nocturne angoisse. Ce n’est pas de ta faute, qu’il croyait à moitié, oublis dont il ignorait l’existence, et Charon qui semblait tenter de comprendre. Il ne l’avait pas remercié uniquement de lui avoir sauvé la vie. Les mots étaient vagues et presque à contrecoeur, mais il les pensait. Sincèrement. Même si la carapace était encore trop dure pour être percée, et le cœur trop inconnu pour battre. Et puis, face au combat perdu d’avance, se dessine un autre, ponctué de remords et de regrets d’une passion perdue, celle qu’il ne connaît pas mais devine à peine. Anneau égaré dans le brouillard et maintenant impossible à rendre, et excuses qui restent vaines. Charon ne lui pardonnera pas –il ne s’attendait pas au contraire. Pourtant, l’audace inconnue pour lui l’habite, le temps à peine de se lever et de lui faire face. La bataille n’en est pas une. Il n’a pas l’intention de lutter. Simplement de lui faire comprendre que le passé ne s’efface pas, se garde, à l’intérieur, pas sur une bague. Mais qui est-il pour donner des leçons silencieuses, lui qui ne s’entoure que de poussière ?
Pourtant, ses yeux ne flanchent pas, et il ne courbe pas l’échine. La provocation reste, dans les pupilles-flamme et dans le silence d’une question. Pas de clignements d’œil pour revenir à la réalité Juste un flou agréable dans l’esprit troublé seulement par les mots de Charon. Il le regarde, il le sait, avec des yeux différents, et l’espace d’un instant il se surprend à apprécier cette allure de fascination et tourmente, comme s’il avait un réel intérêt. Pas à cause de son don, du malheur, du macabre ou de l’étrange. Pour lui. Et ce qu’il était en dehors. Il ne se reconnaissait pourtant plus, à ne pas se figer lorsque les doigts effleurèrent sa cicatrice, à ne pas le repousser alors qu’il avait toujours la main sur son cou, à presque soupirer lorsque la tête se pencha en arrière –qu’il retint de justesse, le silence d’or sous ses doigts. Une main fugace hésita à le toucher, mais avorta le geste, poing serré contre le drap. Il inspira, poils hérissés dans la nuque –peur, anticipation, envie. Impossibles à démêler. Mais n’aimait pas ce sentiment de lui devoir quelque chose, pourtant appréciait l’idée de le chercher.
Avant même qu’il ne puisse répondre, des murmures qui auraient sûrement semblés pathétiques, la porte se ferma, et le silence avec. Il se rendit compte trop tard qu’un poids mort avait repris sa place au creux du torse –non. Pas mort.
Vivant.
De ces exaltations qui le prenaient lorsque la curiosité mordante débordait du cerveau amorphe. Comme l’odeur de l’herbe avant l’orage. Comme la respiration courte avant la traque.
Atlas se laissa retomber sur le lit dans un soupir, pensées entremêlées de gris et de noir qui appartenaient toutes à Charon, entre frayeur et envie de se rendre plus grand qu’il ne l’était. Comment l’avait-il qualifié déjà ? Flamboyant. Il regarda ses mains, noires de suie imaginaire.
Et il avait vraiment la sensation de brûler.
Alors, entre les draps trop blancs et la chambre trop vide, il murmura des minutes trop tard aux pensées tenaces : « Je te trouverai. »
Attends-moi, Charon.
Attends-moi.
J’arrive.