dad ((gaia))

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dad. 01.11.2021

Tianyi était sur le palier de sa maison. Une maison familière, devenue floue dans ses souvenirs mais qui lui paraissait si claire maintenant qu’il était à l’intérieur : le meuble à chaussures à droite, le canapé dans le fond de la pièce qu’on ne voyait pas en entier à cause du mur de l’entrée, la télé devant, et puis à gauche, la cuisine, la table à manger, tout ça dans la même pièce. Au fond, on tombait sur la salle de bain et à droite, il y avait la petite chambre où dormaient sa mère et lui. La maison lui avait parue plus grande quand il était petit mais maintenant qu’il avait grandi, l’endroit lui semblait plus petit, plus étroit. Mais bon, c’était là qu’il avait grandi, alors pourquoi est-ce qu’il ressentait un tel décalage ? Il laissa ce sentiment de côté et se déchaussa à l’entrée, posa son sac au pied du canapé. « I’m home ! » s’exclama-t-il, s’asseyant sur le canapé. « Tiantian ! How was your day ? » Il tourna la tête pour voir la silhouette de sa mère. Les cheveux noirs attachés en chignon, un tablier sur le corps parce qu’elle cuisinait, elle avait plus de rides que dans ses souvenirs. Ses yeux étaient une copie des siens, deux yeux en amande ; mais ceux de sa mère étaient plus bridés, plus fatigués. Quand il était petit, sa mère aimait lui dire qu’il y avait des étoiles qui brillaient dans ses yeux, et à chaque fois qu’il se regardait dans la glace, il aimait se dire qu’il y avait une galaxie dans ses iris. Maintenant, il avait passé l’âge, mais étrangement, tous les souvenirs de son enfance lui revenaient en pleine gueule (pourquoi ?). « Come sit here, dinner’s ready ! » Tianyi ne se fit pas prier, et rejoignit la table. Sa mère avait déjà installé les bols de riz et il lui sourit, elle venant s’asseoir juste après avoir déposé le dernier plat. Tout était normal, mais étrangement, il y avait un troisième bol. « Wait, you made my favorite dish ? » s’exclama Tianyi en attrapant ses baguettes, voyant les xiaolongbao. Elle rit doucement, hochant sa tête. « Are you happy ? » Un grand sourire éclaira le visage de Tianyi. « Of course I am ! » Elle sourit, ses yeux disparaissant en deux fines lignes. « Well, I’m sure seeing your dad will make you even more happier ! » « Yeah- what ? »

Son père.
Sa mère lui sourit, comme si de rien n’était. « He’s coming home today. It’s been a few days since he had to be away for business, but now he’s coming back ! »
Et d’un coup, tout prit sens.
Il y avait des chaussures d’homme à l’entrée qui n’étaient pas les siennes. Il y avait un troisième bol sur la table à manger. Il y avait une troisième chaise.
Dans ses souvenirs, il n’y avait jamais eu que deux chaises.
Il releva son regard sur sa mère, toute souriante.
Ce n’était pas le visage de sa mère.
Il ne l’avait jamais connue ridée, comme ça.
Elle avait toujours été jeune, dans ses souvenirs.

La réalisation s’enfonça doucement en lui. Son cœur s’alourdit, ses épaules s’affaissèrent. Alors c'était ça. Il hocha doucement sa tête d'un air absent, et reposa ses baguettes sur la table. « What’s wrong, Tiantian ? » Tiantian. Cette foutue manière de l’appeler. Plus personne ne l’appelait comme ça, maintenant, et elle ne le fera plus jamais, puisqu’elle n’était même plus censée se rappeler de lui.
Il était dans un rêve.
Alors comme ça, il rêvait de retrouver sa vie de moldu alors que ça faisait des années qu’il l’avait perdue ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi le torturer encore avec des souvenirs qu’il n’aura jamais avec sa mère ? Et puis, pourquoi son père devait intervenir, aussi ? Pourquoi lui rappeler qu’il n’y avait jamais eu de père dans sa famille ? Non, Tianyi et sa mère ne l’attendaient pas, il n’y avait pas de troisième bol parce que son père les avait trahi ! Il avait abandonné sa mère enceinte de lui parce qu’il avait fait un stupide coup d’un soir !
Mais alors pourquoi est-ce que c’était lui, cet « oncle » qui lui envoyait de l’argent depuis qu’il était arrivé sur l’île ?
Pourquoi est-ce qu’il continuait à lui donner de l’argent comme s’il se souciait de lui, alors que si ça avait vraiment été le cas, il ne l’aurait pas abandonné, serait resté avec eux, ne serait pas allé rejoindre sa famille d’origine, n’aurait pas fondé une autre famille, n’aurait pas abandonné sa mère ?

La porte s’ouvrit.
Tianyi leva le regard.
Sa mère se leva, toute souriante. « See ? Your dad is home ! »
Ton père est de retour.
Sa mère alla accueillir son mari avec un grand sourire alors que celui-ci semblait tout aussi perturbé que Tianyi. Et puis, leurs regards se croisèrent.
Son père.
Yanagi Nakama.
Il avait exactement le même visage que sur les photos que Tianyi avait parcourues sur le web, à chercher plus d’informations sur son père. C’était normal, puisque ce visage était tiré de son cerveau ; tout n’était qu’un rêve.
« Come sit ! It’s been a while you didn’t see your son, right ? »
Tianyi ne le lâcha pas du regard. Il ne savait même pas comment réagir : pleurer, crier, tout détruire, lui gueuler dessus ? Serrant les poings, il regarda son père se tenir immobile au seuil du palier tandis que sa mère regagnait déjà sa place. Et là, bien sûr, son père s’enfuira parce que c’était tout ce qu’il savait faire, son père : s’enfuir.
La pensée l'enragea.
Tianyi se leva et alla lui faire face. « Why the fuck are you here ? Why are you here ? » cria-t-il. « You abandoned me and Mom, so how can you just show up like that as if you’ve always been in our family ? Your family is another one, I know, it’s the Yanagis ! Right, you’re so rich. You’re so rich, so here, see by yourself how poor we were. » Il fit des mouvements larges pour montrer la pauvre pièce dans laquelle ils vivaient. « Mom had such a hard time raising me by herself, exactly because you literally vanished ! And then, I couldn't even stay with her because you put this stupid magic in my blood, you made me a sorcerer when I didn't want to be one ! Because of that, Mom had to forget about me and now I can't even know if she's doing well or not, if she's still alive or not. Do you realize ? Do you realize what you've done to me and Mom ? And when I think about how much she wished you were here with her... Did you know ? She muttered your name in her sleep with how much she was missing you, and that’s how I learned your name. Yanagi Nakama, right ? That’s how I knew you were my father. But the shittiest thing of all is the money you’ve been sending me since I arrived on the island ! Who do you take yourself for ? Why did you do this ? Why are you doing this to me ? Why the fuck did you help me ? Out of pity ? Because you thought you wouldn’t be able to live comfortably with the idea of the son you abandoned living all alone here ? Well, I didn’t need that ! I didn’t need your pity, I didn’t need your stupid money ! Money wasn’t what I needed the most, Dad : it was you. I just wished you could’ve been there for me, but you never were. » À bout de souffle après avoir tout lâché sur son père, les poings serrés, la gorge sèche, la mâchoire serrée, il lui asséna un regard noir. « I’m so fucking mad at myself for dreaming about you when you should just disappear from my memories, like I did from Mom’s. But don’t worry, I’ll make sure your life is going to be a living hell, now that I know who you are. You destroyed my family, so I’ll make sure to destroy yours. How about I start with your son ? Yeah, you directly thought about Haruki, not me, right ? » Il éclata de rire. « Well, it wasn’t a question, because I already did start. So you better be prepared, because I’m an adult now. I don’t need your money anymore, and I have nothing left to lose : you stole everything from me. Get the fuck away now. »
Et son père disparut.

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dad. 01.11.2021

Son père avait disparu derrière la porte. Il ne lui avait rien dit, il n’avait rien fait. Il était juste parti, comme ça.
Comme lorsqu’il avait abandonné Maman, avant même qu’il ne soit né.
Ses poings se serrèrent de frustration, sa mâchoire tendue, sa gorge nouée. Il avait tout dit à son père, fait éclater toute la colère qu’il retenait en lui depuis tellement d’années et pourtant, ce n’était pas comme s’il se sentait mieux. Parce que ce n’était qu’un rêve, que rien de tout ça n’était vrai et qu’au final, il ne venait que de crier sur lui-même ; crier sur le père fabriqué de ses rêves. Et puis surtout, parce que Tianyi ne déversait jamais ses émotions sur les autres. Lui, il préférait faire comme s’il n’en avait pas, parce que c’était plus simple de prétendre ne pas avoir d’émotions et de ne jamais être blessé, plutôt que de pleurer à chaque pauvre petite remarque blessante. S’il avait eu un cœur d’artichaut, Tianyi, alors il n’aurait jamais survécu à sa vie. Pour réussir à passer chaque jour sans pleurer dans son lit, il avait alors supprimé les larmes de son système nerveux. Il ne savait plus ce que c’était, pleurer. Pleurer, rire, crier, il avait effacé tout ça, agi comme s’il en était dénué, de tout ça.
Mais là, à cet instant-là, c’était comme si le coffre-fort de toutes ses émotions venait de s’ouvrir.
Il se sentait rempli d’un sentiment profond, si profond qu’il allait jusqu’à son estomac ; il le sentait se retourner, se serrer, se compresser ; il sentait son cœur flétrir, faner, mourir ; il sentait son sang pleurer dans ses veines, ses cellules fondre, sa peau s’assécher ; il sentait quelqu’un étrangler sa gorge, comprimer sa trachée, brûler son œsophage ; il sentait son menton trembler, ses dents claquer, ses lèvres se pincer ; il sentit son nez s’humidifier ; il sentit ses yeux ; il sentit ses yeux piquer ; se mouiller, se remplir, se gorger d’eau.

Il sentit des larmes.

C’était ça, être triste ? Ça faisait longtemps, qu’il ne s’était pas senti comme ça. D’habitude, c’était un vide, qu’il sentait. Un trou noir à la place de son cœur, un trou noir qui aspirait toutes ses émotions et le ressentait incapable de ressentir quoi que ce soit ; satisfait alors en aspirant les émotions des autres, se délectant du malheur des autres. Mais là, c’était comme une explosion, un trop qui se déversait en lui. La colère, tout d’abord, qui l’avait fait crier, tout détruire sur son passage, et puis maintenant, la tristesse, qui avait éteint la colère d’une large vague d’eau salée.
Il avait souvent entendu les autres décrire leur tristesse comme s’ils se sentaient vides, en manque de quelque chose. Tianyi, c’était l’inverse. Son quotidien était de se sentir vide ; alors pour lui, la tristesse était de trop ressentir. D’avoir un trop à un vide auquel il s’était habitué.
((d’avoir son père à une absence à laquelle il s’était habitué))

Et puis, le vide de la maison se fit remplir de la présence de quelqu’un d’autre. Pas sa mère, qui avait elle aussi disparu de son songe, comme si elle avait disparu au moment même où il avait compris qu’elle n’existait pas (c’était comme ça aussi, qu’il avait disparu de ses souvenirs ?).
Mais Gaia.
Ses yeux humides se déposèrent sur elle.
Est-ce que son cerveau créait l’image d’elle ? Parce qu’il savait qu’il en avait besoin ?
Étrangement, il eut presque envie de rire. Un surplus de rire aussi, un surplus à ce vide habituel.
Un surplus d’amour.
Gaia lui prit la main et enlaça leurs doigts ensemble (ni Maman ni Papa ne l’avaient fait). Les lèvres de Gaia se déposèrent délicatement sur sa joue, et Tianyi fut violemment propulsé des années en arrière, quand sa mère prenait encore l’habitude d’embrasser sa joue, et lui qui rigolait, tout content, tout heureux, abreuvé de l’amour de sa mère. Aujourd’hui, c’était d’un différent amour dont il était abreuvé.
Et c’était trop.
Il cligna des yeux, et la seconde d’après, les larmes avaient coulé sur ses joues. Il enfouit alors sa tête dans l’épaule de Gaia, laissa cette dernière caresser ses cheveux, serra sa main dans la sienne. Ses épaules se soulevèrent dans un rythme régulier, et, rapidement, ses sanglots remplirent cette maison vide ; il pensa à sa mère, pensa à son père, mais décida de noyer ses larmes dans l’amour de Gaia. Il décida de déverser toute sa peine dans cette pauvre maison, près de Gaia ((peut-être que c’était ça, la maison que Tianyi cherchait tant depuis des années ; une maison, avec Gaia près de lui)).

Au réveil, Tianyi ne fut pas surpris de constater qu’il avait pleuré. Il essuya rapidement les larmes qui avaient coulé dans son sommeil, un vide reprenant dans son cœur, les habitudes reparties de plus belle (après tout, ce n’était qu’un rêve, Papa n’était pas venu le voir).
Et puis, les mots allaient vite, les gens faisaient tous part de leurs rêves étranges, où ils avaient pu visiter les rêves des autres.
Tianyi comprit.
Ce n’était pas qu’un rêve.
Papa était venu le voir.

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