dying phoenix (gaia)

cw:

Il est étrange, ce soir, pas comme d’habitude, les traits plus fermés qu’à l’accoutumée, à tel point qu’elle n’ose pas trop parler, ne sait pas dans quel sens le prendre pour ne pas l’énerver. Elle le sent à fleur de peau, depuis quelques jours, et elle pourrait lui poser la question simplement, si ce n’était pas lui et qu’il n’était pas habitué à ne parler de rien, surtout pas de ses sentiments et de sa situation amoureuse — parce que c’était ça, c’était sûr, mais Gaia ne voulait pas s’en mêler et de toutes façons il ne lui en avait jamais parlé. Il n’avait jamais proposé qu’elle rencontre son amoureux, n’avait même jamais prononcé son nom. Elle les avait vus tous les deux ensemble une seule fois, alors qu’elle se baladait vers les dortoirs des mizus, mais c’était tout. Ça n’aurait pas pu en être autrement, parce que Tianyi avait toujours été très secret, presque trop ; mais c’était comme ça, Gaia n’avait pas cherché à le changer, c’était ça de l’aimer comme il était, sans tricherie.
Elle avait prévenu Rose un peu en retard, lui avait gentiment demandé si elle serait là ce soir et heureusement la kasai n’était pas là, avait autre chose de prévu. Le dortoir vide n’attendait plus que son meilleur ami, un bol de ramen chacun, le sien teinté de sang, et une soirée pour passer un bon moment, à le convaincre de regarder un film et s’imposer dans ses bras d’un air amusé. Mais il est étrange, ce soir, et Gaia se demande si elle doit poser la question ou s’il vaut mieux ignorer, lui changer les idées sans dire quoi que ce soit. Finalement elle ose, demande doucement, assise en tailleur sur le canapé à ses côtés, d’un air un peu enjoué — non pas qu’elle était contente qu’il passe la soirée avec elle plutôt qu’avec son petit ami, mais peut-être pour masquer l’interrogation subtile. “So, you’re not seeing your boyfriend?” Il se tourne vers elle et Gaia fronce un peu les sourcils, parce que Tianyi a le regard fermé, presque- une émotion qu’elle ne reconnaît pas tout de suite, ou se refuse à voir. “Wasn’t that obvious? If I came, it’s obviously because I’m not seeing him.” Les joues s’empourprent et elle s’empresse de répondre, un peu gênée, “yes, sorry.” Échec de la mission, visiblement ce n’est pas le bon soir pour poser des questions, mais alors qu’elle va pour changer de sujet et lui proposer de manger les ramens posés sur la table, il prend une inspiration, lui annonce la nouvelle. “We broke up.” Oh. Elle voudrait lui dire I’m sorry to hear that, elle voudrait en parler, mais il ne lui en laisse pas le temps non plus, décide de changer de sujet lui-même, et Gaia identifie enfin l’émotion sur ses traits, le cœur qui tambourine un peu dans sa poitrine, un mauvais pressentiment accélérant sa respiration. “Why did you want to see me anyway? We see each other way too much. Honestly, we don’t need to meet up that often.” Mais elle a beau s’y préparer sans le vouloir, les mots sont un véritable choc, un tsunami ou une tornade de niveau sept. Éberluée, elle ne peut que lâcher un “.. what” confus, les sourcils qui se froncent et les traits qui se ferment, d’incompréhension ou de tristesse. “Why would you say that? Have I done something wrong?” Elle cherche des explications, des raisons, complètement perdue. “I’m sorry I brought it up, I didn’t know, you’ve never talked about him, so-but we can talk about something else, or” Mais elle ne parvient pas à terminer sa phrase, parce que dans sa tête résonnent les mots-couperets de Tianyi, en boucle, comme des gifles à répétition qu’elle ne pensait pas recevoir. We see each other way too much. Honestly, we don’t need to meet up that often.

La tête qui tourne, non, qui va imploser, non, exploser, non - elle ne sait pas, elle ne sait rien, est trop perturbée par les mots qui résonnent encore, qui se répètent dans son esprit. We see each other way too much. Honestly, we don’t need to meet up that often. C’est comme s’il avait jeté un sort informulé, sans s’intéresser à ce qui allait se passer ; et Gaia était blessée, entaillée, les effets du Sectumsempra impossibles à rater, même si c’était plutôt son cœur qui se déchirait. Ce n’était que le début, mais Gaia ne le savait pas, vivait une vie remplie par Tianyi, sans penser à en imaginer une sans lui. Elle bafouille et s’excuse, propose de changer de sujet, mais un nouveau coup s’abat, plus incisif encore, la douleur qui irradie aussitôt dans le cœur, fait trembler les membres, devenus feuilles à l’automne - mortes et en pleine chute. “Shut up.” Elle s’arrête d’un coup sec, la bouche encore ouverte et les yeux éberlués, incapables de croire ce qu’il vient de prononcer. Interdite, dans tous les sens du terme, elle ne ressent rien si ce n’est de la surprise, un choc particulier. Le silence qui suit est plus lourd qu’il ne l’a jamais été entre eux, lui parce qu’il se rend compte qu’il ne peut pas revenir en arrière, elle parce qu’elle ne sait pas. Parce que ce n’est pas comme les fois d’avant, parce qu’elle sait qu’à la fin de la conversation il l’abandonnera mais que d’habitude ça dure quelques jours et il revient - mais cette fois, la blessure a des airs de toujours. “You’re fucking dumb. If I never talked about him it’s obviously because I don’t want to talk about him, yet you dare to bring him up. Do you ever think before talking?”
Il commence son procès et Gaia n’a toujours pas fermé la bouche, s’est presque arrêtée de respirer, préfère ne rien faire pour être sûre de ne pas faire mal. Il n’y a plus rien de la Gaia qu’ils connaissent tous les deux, la préfète assurée et confiante, l’élève un peu trop studieuse qui a toujours la réponse. Là, elle ne l’a pas - elle n’a rien. “Look at you, you’re stuttering and being hesitant because you’ve realized your mistake. But do you know, Gaia? When mistakes are done, there’s nothing you can do to undo it. Only those who can travel in time can, and neither of us can do it.” Il continue et la douleur devient de plus en tenace, de plus en plus vive, ses yeux de plus en plus humides. “I’m sick of seeing you, Gaia. I’m tired of acting like things are fine when they’re not just to please your selfish desire to spend a good time together. Sorry that this time, I couldn’t do it.” Et là, c’est l’hécatombe, l’apothéose, le coup de grâce, on pourrait lister les synonymes pendant des heures que ça ne montrerait pas sa douleur, le cœur qui se brise et les larmes qui se mettent à dévaler ses joues. Tout ce qu’elle entend se répète à l’infini dans son esprit, pour mieux prendre conscience des mots prononcés, comprendre qu’il les a bien dit, là, à voix haute, qu’il les a pensés. I’m sick of seeing you, Gaia. Rien ne sonne comme ses abandons habituels et Gaia finit enfin par sortir de son mutisme, les dents qui se serrent et les traits qui se ferment, tentent de masquer la douleur sous un amas de colère. Tente de se protéger et de ne pas montrer ce que ça lui fait (la déchiqueter de l’intérieur). “Find yourself a new toy to play with. I’m done.” Il se lève et Gaia se force à ne pas bouger, ne rien montrer, les dents serrées si fort que sa mâchoire est douloureuse. Même les larmes se sont arrêtées de couler, comme si tout le corps s’était tendu, refusait de perdre la face - même si tous les deux savaient pertinemment que c’était le cas.
Et quand la porte se ferme finalement, et qu’elle entend Tianyi transplaner, rien ne s’écroule ; les dents restent serrées, les larmes stoppées. Le visage tout entier s’éteint.
Gaia quitte le salon machinalement, comme un robot sans émotion (le cœur déchiré et le corps qui prend le relai puisqu’elle ne sait plus comment fonctionner).
Un dernier regard vers le bol de ramen.
Le lendemain, quand Rose s'est levée, il était toujours sur la table, il n’avait pas bougé.