reborn from ashes (gaia)

Ça faisait mal. Ça brûlait de l’intérieur, mais c’était étrange. Ce n’était pas de la colère, de la rage ou de la frustration. Ça ne brûlait pas comme ça, la colère. Il y avait une boule étrangère dans sa gorge, boule aussi lourde que si elle était faite en acier ; s’enfonçant dans sa trachée, oppressant ses poumons, alourdissant son estomac. Tout son corps se faisait las, fatigué, lourd. Comme s’il y avait un poids sur ses épaules : mais quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que c’était ? Était-ce la solitude qui l’oppressait, comme ça ? Pourtant, il y était habitué, à être seul. Il avait toujours été seul, depuis qu’il était arrivé à Mahoutokorou. Les rares amis qu’il s’était fait pendant son enfance ici ? Bae, Lazar ? Il les avait abandonnés, était parti ailleurs. Les rencontres à l’étranger ? Minato, Morgane, Baby, Neji ? Le premier l’avait abandonné en premier, alors il avait décidé de fuir tous les autres ((parce qu’ils le trahiraient tous)). Et puis, les nouvelles à Mahoutokorou ? Ambrose, Gaia ?
Il avait tout gâché.
Il ne savait pas ce qui l’oppressait autant, parce que, tout gâcher, Tianyi y était habitué. Sa naissance seule avait gâché sept ans dans la vie de sa mère, avait aussi gâché la vie de son père, celle de Haruka aussi, peut-être (qui n’aurait jamais eu de demi-frère, pas de quoi le faire détester son père à ce point). Alors si ce n’était pas la solitude ni la culpabilité qui le rendait comme ça, c’était quoi ? C’était quoi, qui l’obligeait à penser autant à Gaia, à sentir son cœur se froisser quand il imaginait son visage ? C’était bizarre, il n’avait jamais rien senti aussi d’intense. Il était allé se noyer dans les bras d’inconnus dans l’espoir que ce soit sa rupture avec Bae, finalement, qui en était responsable, mais non : le lendemain de sa rupture avec lui, c’était un vide qui l’avait accueilli. Là, après sa rupture avec Gaia, c’était une douleur au cœur dont il n’arrivait pas à se débarrasser, et il ne savait pas ce que c’était.
Ce n’était ni vide, ni plein.
C’était trop, ça dégoulinait de partout, de partout sauf de ses yeux, finalement : aucune larme ne venait et ça aussi, il ne savait pas pourquoi. Si ce n’était pas de la tristesse qu’il ressentait, qu’est-ce que c’était ?

Il ne savait pas, mais ça avait été assez pour qu’il ne reste pas bloqué dans le bar où il était et se dirige vers chez Gaia. Il ne l’avait pas prévenue. Peut-être qu’elle n’était pas chez elle. Peut-être qu’il allait tomber sur sa colocataire, même. Tant pis. Tianyi n’était pas du type à prendre des décisions impulsives, comme ça, mais il venait de le faire. S’il ne trouvait pas Gaia, il verrait après, ce qu’il ferait. En fait, cette pensée ne le traversa même pas. À ce moment-là, tout ce qu’il y avait dans sa tête, c’était Gaia, et il était persuadé que derrière cette porte, il allait la trouver, Gaia.
Alors il toqua à la porte, et attendit. Ça lui rappela juin dernier, lorsqu’il avait fini par défoncer sa porte parce qu’elle ne répondait pas. Serait-il capable de refaire la même chose, aujourd’hui ? Ou son corps serait trop lourd pour pouvoir se lever en l’air ?
Pas le temps de réfléchir à ça, car la porte s’ouvrit. Tianyi releva le regard, et tomba sur ses yeux. Là, ce fut son monde entier qui se figea. Gaia était en face de lui, en bonne santé, le regard moins lumineux que d’habitude ; pas de sourire qui accompagnait ses lèvres. Tianyi resta quelques secondes à l’observer, quand même, pour être sûr que ce n’était pas un rêve, pas un cauchemar. Et il comprit. Il comprit ce que c’était, le poids qui l’avait accompagné et grossi pendant cette semaine passée sans elle.
Ce n’était pas la solitude ni la culpabilité.
C’était l’absence de Gaia et sa douleur.
« Gaia, » murmura-t-il.
Et alors tout explosa.
Il s’écroula, les genoux percutant le sol, les mains venant cacher ses paupières, le dos se courbant. Les larmes jaillirent de ses yeux, les sanglots suivant immédiatement ; le feu de sa poitrine brûlant, la boule prenant encore plus de place dans sa gorge (ah, voilà pourquoi il détestait pleurer ! Parce que ça faisait si mal, de pleurer). « I’m sorry… » marmonna-t-il entre deux hoquets. Il avait peut-être l’air ridicule, de demander pardon à ses pieds, car Tianyi ne faisait jamais ça d’habitude ; la fierté plus importante que les sentiments, le grand homme ne s’excusant jamais. Mais là, c’était différent.
C’était Gaia.

Finalement, si, il avait déjà vécu ce type de douleur, une fois. Il l’avait oubliée, car ça faisait si longtemps. Ça revenait à lorsqu’il n’avait encore que sept ans et avait dû suivre des messieurs qu’il ne connaissait pas. Il avait jeté un dernier coup d’œil derrière lui, et avait vu sa mère qui l’avait regardé d’un air indifférent, car elle ne le reconnaissait plus. Elle l’avait oublié.
La perte de Gaia était aussi douloureuse que celle de sa mère.

Jour un, elle était persuadée qu’il reviendrait. Tâchait d’ignorer la boule au creux de sa gorge, de son estomac, le trou au beau milieu de son cœur. Son départ avait eu des allures d’adieux, mais Gaia ne pouvait pas s’y résoudre - il reviendrait, comme les fois d’avant. Elle était restée allongée un moment, incapable de dormir, la main parfois à peine soulevée pour faire léviter une poche de sang, qu’elle buvait machinalement. S’était forcée à reprendre sa journée comme si de rien n’était, à sourire comme s’il ne s’était rien passé - il avait juste pris quelques jours pour lui et sa boule au ventre, ce n’était que la faim ou l’angoisse des élections de préfets, remportées haut la main une année encore.
Jour deux, elle y croyait toujours, vivait ; ses yeux avaient perdu de leur éclat, mais elle répondait qu’elle était fatiguée, que ça passerait. Avait écrit des messages sans les envoyer et refusait de pleurer parce que ça ne servirait à rien. Il était déjà parti et il revenait toujours, elle n’avait pas à s’inquiéter. Il reviendrait, comme les fois d’avant.
Jour trois, la tristesse toujours absente avait laissé place à la colère, se cachait derrière l’énervement d’une Gaia qui ne pouvait que faire semblant de lui en vouloir. Serrait le poing mais n’envoyait toujours rien, parce qu’il allait revenir - cette fois l’espoir vacille, le cœur sur le point d’imploser menace de découvrir la plaie. Refuse de repenser à sa silhouette qui avait quitté l’appartement d’un coup, à ses mots déchirants (se les passait en boucle à chaque instant). We see each other way too much. Honestly, we don’t need to meet up that often. I’m sick of seeing you, Gaia. Aucun des messages ne quittait le téléphone, peut-être parce qu’il trouverait ça ridicule, parce que ce n’était pas la première fois qu’il partait et qu’il allait revenir, elle aurait été bête d’en douter, trop attachée, trop sensible. Pourtant au creux de la gorge, de l’estomac, du cœur, la boule grandit, l’empêche de respirer. C’est la première fois que c’est aussi douloureux.
Jour quatre, c’est le silence. Gaia découvre sa tristesse et se sent stupide d’avoir envie de fondre en larmes, d’avoir aussi mal, serre le poing pour s’empêcher de pleurer. L’espoir s’atténue, se dissiperait presque si elle ne se forçait pas à croire qu’il ne pourrait pas l’abandonner, qu’il l’aime, même s’il ne le dit pas souvent, ou à sa manière. Continue d’espérer qu’il reviendra, même si le temps est de plus en plus long.
Jour cinq, elle craque - plonge dans l’abîme, passe la nuit en larmes, l’espoir anéanti. Le supplie de (lui) revenir mais ne peut se résoudre à presser “envoyer”, parce qu’elle se dit que s’il n’est pas revenu, c’est qu’il ne voulait pas, c’est qu’il ne l’aime plus, qu’il la déteste. Qu’il est malade de la voir, malade de sa présence, de son existence. Que son amour à elle ne suffira pas à le faire revenir, lui. Allongée, les genoux repliés contre elle, elle a l’impression d’avoir perdu l’une de ses raisons de vivre, parce que depuis le jour frabieux il est l’un de ceux qui la pousse à continuer de respirer - sans lui, c’est comme si ses poumons préféraient abandonner. À quoi bon ?

La porte la réveille d’une nuit courte et entrecoupée de pleurs, comme si son corps avait mis une semaine à lâcher, ouvrir les vannes et accepter le flot d’émotions. Encore repliée sur elle-même, Gaia s’extirpe difficilement hors de son lit, ne prend pas la peine de s’étirer. Qui que ce soit, ça ne durera pas longtemps, elle retournera se coucher l’instant d’après. Voudrait cultiver l’espoir de le voir, lui, mais c’est trop tard - il ne part jamais plus de quelques jours, ça fait déjà une semaine. Il ne reviendra pas.
Alors quand la porte s’ouvre, Gaia ne comprend pas tout de suite, les yeux encore rougis de la nuit. “Gaia,” C’est son prénom qui la ramène à la réalité - son esprit, en tous cas, parce que son corps reste prostré, en suspens.
Tianyi s’écroule.
C’est la première fois qu’elle le voit pleurer, fondre en larmes. “I’m sorry…” C’est aussi la première fois qu’elle l’entend s’excuser aussi distinctement, sans détours, sans excuse. La bouche s’ouvre mais aucun mot n’en sort, comme si elle avait encore besoin d’un instant pour comprendre, intégrer ce qui se passe. Tianyi est revenu, demande pardon le cœur ouvert et les larmes en pleine course.
Elle n’attend pas plus longtemps pour s’écrouler à son tour. Frappe son torse avec toute la force qui lui reste, après une semaine passée à voir l’espoir s’éteindre jour après jour. Ses petits poings s’écrasent vivement mais presque trop doucement contre lui et Gaia se met à pleurer, de rage, de tristesse, de tout. Aucun mot ne sort, bloqués par la boule coincée dans sa gorge, mais son silence suffit à faire comprendre tout ce qu’elle ressent, tout ce qu’elle voudrait lui dire, à quel point elle lui en veut d’être parti et d’avoir laissé mourir l’espoir de son retour. Gaia finit par perdre haleine, pourtant, se réfugie au creux de son cou, sans cesser de pleurer, les poings toujours pressés contre son torse qui ont arrêté de le frapper. “Don’t you ever leave me again,” chuchote-t-elle entre deux sanglots, “I forbid you to.”

C’était la première fois qu’il aimait autant quelqu’un, et c’était terrifiant. Ça le prenait aux tripes, ça retournait son estomac, ça frappait son cœur, ça figeait son cerveau. C’était une peur si intense qu’il avait l’impression d’être en train de mourir à petit feu et que ce n’était plus qu’une expression, c’était une réalité : comme si, sans Gaia, son corps ne savait plus comment s’approvisionner en oxygène correctement. La peur de laisser tomber sa fierté n’était rien, face à celle de se retrouver seul ; se retrouver sans Gaia. Et cette simple réalisation en elle-même était horrifiante, après tout, comment avait-il pu se laisser tomber si fort pour quelqu’un ? Se laisser devenir aussi attaché à quelqu’un ? Il se l’était juré, assis en boule dans la cour de l’école primaire, qu’il ne s’attacherait jamais à personne pour ne pas finir blessé. Et s’il finissait attaché à quelqu’un, alors il fallait qu’il coupe les liens le plus tôt possible pour ne pas avoir de point faible, d’endroit qui puisse lui faire du mal. Tianyi devait être intouchable, mais Gaia était apparue, l’avait touché. Elle l’avait touché, l’avait attrapé, l’avait serré dans ses bras, et il n’y avait plus de retour en arrière. Tianyi avait cadenassé leur lien et il ne la laisserait plus jamais partir. À partir d’aujourd’hui, il n’y avait pas que le cœur de Tianyi dans sa cage thoracique, mais aussi celui de Gaia. Leurs cœurs battant à l’unisson, Gaia partie intégrante de sa vie, à présent. Son oxygène.

Gaia la frappa au torse, de petits coups qui ne faisaient même pas mal et pourtant, Tianyi avait si mal. Chaque endroit que Gaia touchait le brûlait, mais il se sentait plus vivant que jamais. Plus que jamais, il se sentait heureux d’être en vie. Heureux d’être là, devant la porte de Gaia, à avoir rassemblé tout son courage pour revenir la voir. Et elle ne le rejetait pas. Elle pleurait, comme lui. Ils avaient l’air de deux idiots, à pleurer comme ça, à terre, mais Tianyi s’en fichait. Il s’en fichait, de ce qu’on pouvait penser de lui.
Il l’aimait, Gaia.
Il l’aimait, comme il n’avait jamais aimé personne.
Peut-être que c’était justement parce que c’était purement platonique, que leur relation allait si bien, finalement. Parce que Tianyi ne possédait pas le désir de la posséder ; il voulait simplement qu’elle reste dans sa vie, et qu’elle soit heureuse.
Gaia se réfugia contre lui et il la serra contre lui, les bras entourant ses épaules, les larmes coulant encore sur ses joues. Ça ne lui ressemblait pas de pleurer et probablement que plus tard, il s’en sentirait un peu gêné. Mais sur le coup, il n’y pensa pas : pensa uniquement à Gaia, à Gaia qu’il venait de retrouver. Pour une fois, il avait bien fait les choses. Pour une fois, il n’avait pas perdu quelqu’un à vie. « I won’t, » souffla-t-il contre son oreille. « I won’t. » Et si toutes les autres fois étaient des mensonges, cette fois, c’était la vérité.
Il n’abandonnerait plus jamais Gaia.
Plus jamais.

Elle ne sait pas trop si elle y croit vraiment, parce que Tianyi a beau être là, il fait face à une Gaia en perdition, qui a fini par abandonner l’espoir de le voir revenir - tout en continuant à y croire, parce qu’elle y aurait cru jusqu’au dernier jour, même si des années s’étaient écoulées sans que Tianyi ne montre signe de vie. Elle aurait continué à y croire malgré les vents et les tourments, peut-être parce qu’elle préférait passer une vie à espérer qu’une vie à le pleurer. Et elle s’était dit qu’il reviendrait, elle s’était forcée à le penser, parce qu’il ne pouvait pas en être autrement ; c’est juste qu’au fur et à mesure les jours étaient devenus longs, l’attente de plus en plus insupportable.
Et en le retrouvant, finalement, elle ne peut que frapper de ses petits poings faiblards pour lui montrer la colère accumulée, la tristesse, le désespoir dans lequel il l’a placée de force. Pour quelques jours, elle n’était même pas parvenue à le détester, parce qu’elle l’aimait trop, même s’il l’abîmait parfois, même s’il disparaissait, même s’il ne donnait pas vraiment d’explications et qu’il revenait normalement. Elle l’aimait, et surtout elle ne pouvait pas s’arrêter. Alors, la tête enfouie dans son cou, le visage baigné de larmes, elle n’ose pas trop y croire parce que peut-être qu’elle hallucine, qu’elle rêve, peut-être qu’il n’est pas vraiment là. Lui interdit de la quitter à nouveau, même si elle n’est pas certaine de vraiment lui faire face ; elle a besoin d’être rassurée, d’être sûre que ça ne se reproduira pas, parce qu’elle ne sait pas si elle le supportera. “I won’t,” Il brise ses hypothèses, rassure ses angoisses. Promet de ne pas partir, répète, “I won’t.” Et Gaia le croit, s’enfonce plus fort contre lui, les larmes qui se mettent à couler de plus belle, mais elle s’en fiche. “I hope you’re real,” chuchote-t-elle, et elle sait que c’est le cas, mais elle veut s’en assurer - on ne sait jamais.
Au bout de quelques minutes à s’enlacer en silence, les cœurs ouverts par terre et les larmes qui coulent sur des joues rosies, sans se préoccuper du fait qu’ils sont encore dehors, Gaia renifle, recule un peu, une main qui se frotte le nez, un bras qui se glisse autour de son cou et les yeux qui se plongent dans les siens. Du pouce, elle essuie ses larmes, un petit sourire tendre naissant sur les lèvres. Elle ne dit rien mais elle le regarde, peut-être plus qu’elle ne l’a jamais fait, elle le regarde comme si elle n’en avait jamais profité, comme si c’était la première fois. Et puis, toujours dans le silence, elle s’approche et dépose un baiser sur chacun de ses yeux, pour éteindre l’incendie de ses larmes, les mains qui se rejoignent dans sa nuque, glissent dans ses cheveux. Et à cet instant, dans le silence résonne des je t’aime par milliers. Mais ce n’est pas ça, qu’elle dit. Lorsque son visage se recule un peu et qu’elle le regarde à nouveau, elle a les joues rosies, mais elle ne dit pas je t’aime. Elle dit, “I think I had the red thread at the valentine’s gala because of you. I think you are my soulmate.”

Tianyi ferma les yeux, les bras autour de Gaia, ses sanglots si près de son oreille. Tout semblait irréaliste, il avait l’impression de baigner en plein rêve et que bientôt, il allait se réveiller, entendre son réveil pour devoir aller en cours, continuer un quotidien où il avait dit adieu à Gaia ; décidé de couper le fil qui les liait. Mais c’était peut-être parce que leur lien était trop fort que même après que Tianyi l’ait coupé, il était toujours présent. S’était reformé ou peut-être, ne s’était jamais cassé : Tianyi avait pensé l’avoir brisé, mais ça n’avait jamais été le cas. Gaia tirait à l’autre bout du fil, le suppliait de revenir et Tianyi n’avait résisté que l’espace d’une semaine. Définitivement attaché à quelqu’un, ah, ça faisait si peur, si peur, mais Tianyi accepterait. Il se noierait dans cet amour, penserait qu’il le méritait et qu’il méritait aussi d’aimer quelqu’un. Que les gens qu’il aimait n’étaient pas voués à disparaître ou être blessés par ses actions. Non, il avait droit de tenir à quelqu’un et de vouloir le protéger à tout prix. Tianyi pouvait s’autoriser à aimer. « It is, » murmura-t-il. It is real, Gaia.

Finalement, après quelques minutes à s’étreindre, les larmes roulant sur les joues, le cœur de Tianyi se calma, le rêve s’ancrant dans la réalité. Pas besoin de se pincer pour comprendre qu’il ne rêvait pas, était dans le vrai monde, qu’il serrait vraiment Gaia dans ses bras, qu’il l’avait retrouvée, pleuré devant elle. Les visages l’un en face de l’autre, Tianyi releva le regard sur Gaia. Ce n’était pas la première fois qu’il voyait Gaia pleurer, après tout, Gaia avait toujours pleuré bien plus que Tianyi. C’était Tianyi qui la réceptionnait dans ses bras, se chargeait de la calmer, lui offrait tout le réconfort dont elle avait besoin. Mais cette fois, c’était Tianyi qui avait pleuré le premier, lui dont les larmes coulaient librement sur les joues ; peut-être plus authentique que jamais. Peut-être que Gaia avait l’impression de voir Tianyi pour la première fois car justement, c’était la première fois qu’il lui montrait le vrai lui. Le petit garçon perdu que Tianyi avait repoussé au plus profond de lui-même, le gamin faible qu’il ne voulait plus jamais être ; mais voilà, c’était lui finalement, ce garçon. Tianyi, c’était ce garçon qui pleurait à chaudes larmes et qui, trop honteux de ses larmes, agissait comme s’il ne ressentait rien, préférait faire pleurer les autres à sa place (ça réconfortait le petit garçon en lui qui pleurait, se disait que finalement, il n’était pas si anormal que ça).

Le pouce de Gaia vint sur ses joues, essuyer ses larmes, et ce fut à ce moment-là que Tianyi se souvint de quoi il avait l’air. Du petit garçon faible qu’il détestait faire apparaître. Alors il se tendit légèrement, les pupilles traçant le pouce de Gaia qui retirait les sillons de ses larmes, jusqu’à ce qu’il sentit le visage de Gaia se rapprocher, et là.
Gaia embrassa sa paupière.
Il ne sut pas comment expliquer comment il se sentit.
Il aurait probablement écarquillé les yeux de surprise si Gaia n’embrassait pas déjà ses paupières, l’empêchait d’ouvrir les yeux.
Il y eut seulement sa mâchoire qui se desserra, légèrement, à peine, pas de quoi lui faire ouvrir sa bouche. Il y eut ses épaules qui se détendirent, les mains qui étaient restées aux côtés de Gaia glisser jusqu’à sa taille. Et puis, son cœur qui était comme enflammé : flambé, brûlant et malgré tout calme, apaisé. C’était comme se faire enlacer par le feu mais que celui-ci ne faisait pas mal à la peau, se contentait de réchauffer, d’étreindre comme une mère étreignait son enfant.
On ne l’avait jamais embrassé sur les paupières.
Les nombreuses personnes avec qui il avait pu partager une nuit l’embrassaient sur le front, le nez, les joues, le cou, la poitrine, le bras, la main, les cheveux, le ventre, la cuisse ; partout, sauf les yeux. Ce n’était pas un endroit instinctif les yeux puisqu’on les avait généralement ouverts : on était vulnérable, les yeux fermés. Tianyi ne fermait jamais ses yeux trop longtemps, la méfiance toquant à sa porte, les yeux perçants, à la recherche du moindre signe alarmant chez l’autre, toujours sur ses gardes.
Et Gaia avait détruit toutes ses barrières.
Il ne sut toujours pas comment il se sentait.
Il ne saurait pas le décrire.
Mais, il savait qu’il se sentait bien.
Il se sentait aimé.

Lorsque Gaia se recula légèrement, Tianyi rouvrit les yeux, releva son regard sur Gaia, étourdi, comme s’il venait de se réveiller d’un rêve. Gaia avait les joues rosies, et il trouvait ça adorable. Il avait envie de lui sourire, mais se fit vite arrêter par les mots que Gaia lui dit.
« I think you are my soulmate. »
Le temps se figea.
Tianyi dévisagea Gaia.
La regarda comme s’il la regardait pour la première fois.
Elle avait les joues rosies, les yeux brillants, et Tianyi se sentit si submergé. Submergé par tout l’amour qu’il ressentait, le cœur plus calme que jamais alors que son corps entier tremblait, ne savait pas comment réagir face à cette nouvelle.
I think you are my soulmate.
Son âme-sœur.
Tianyi était l’âme-sœur de Gaia.
Gaia était l’âme-sœur de Tianyi.
Quand il avait vu le fil rouge à son doigt au Gala, il avait pensé que c’était sûrement un homme qui partageait ce fil. Parce que Tianyi ne pensait qu’à l’amour romantique, pensait que rien d’autre ne pouvait surpasser ça. Essayait de trouver sa maison dans un lieu depuis le début ou alors, dans les bras de l’être aimé.
Oh, il avait tellement eu tort.
Personne ne l’aimerait autant que Gaia ne l’aimait, comme Tianyi n’aimerait jamais personne comme il aimait Gaia.
« Really ? » dit-il, finalement, d’une voix qui ne lui ressemblait presque pas. Un peu trop fluette, sans barrières, sans aucune méfiance. Le petit garçon en Tianyi qui ressortait. Celui-ci souriait, courait vers Gaia, venait la serrer dans ses bras, se laissait porter par Gaia qu’il ne rencontrerait qu’à l’âge adulte ; mais s’il l’avait rencontrée juste après avoir perdu sa mère, peut-être que Tianyi ne serait pas devenu ce qu’il était aujourd’hui.
Parce qu’il aurait trouvé sa nouvelle maison juste après avoir perdu l’ancienne.
Tianyi plaça ses mains sur les joues de Gaia puis s’approcha d’elle, déposa un baiser sur sa joue. « I think so too, » lui avoua-t-il, un sourire tendre sur le visage.
Gaia, you’re the one.
You’re my home.
Il ne le dit pas.
Il l’embrassa sur le front. Sur le nez, sur les joues, sur la mâchoire, sur le cou ; chaque surface de sa peau, délicatement, comme si Gaia était un trésor dont il devait prendre soin. Et finalement, il la serra dans ses bras, les yeux se fermant. « Thank you for holding onto me. I will never let go, now. » I love you, Gaia.

Avec le temps, les minutes qui passent, s’apaisent la douleur, la colère, la tristesse et le manque - son absence. Parce que le retour de Tianyi a mis un pansement-espoir sur tout ce qui n’allait pas, sur les regards jetés dans les allées, remplis de peut-être lancés en silence, sur le placard de leur colocation, remplis de mets réservés aux invités non-rokurokubis (à Tianyi), sur les messages qu’elle n’avait pas osé envoyer, remplis de tout ce qu’elle ressentait mais ne se résignait pas à lui dire, de peur qu’il s’éloigne plus encore, voire ne revienne jamais. Et au moment où elle le trouve sur le pas de sa porte, Gaia se dit que vient de s’écouler la semaine la plus longue de sa vie, à tel point qu’elle a du mal à y croire, doute encore de sa présence - “It is,” il stoppe tout, calme les pensées qui défilent à toute vitesse, en font un simple hologramme ou une vision d’hallucination, un fantôme ou un yokaï inconnu au bataillon. Mais non, Tianyi l’a dit. It is real.
Gaia prend une grande inspiration et lui ouvre son cœur, à nouveau, ou plutôt, complètement, pour la première fois. Lui avoue ce qu’elle ressent en tremblant, ce qu’elle a compris en hésitant. Elle en est sûre, qu’il est son âme-sœur, mais ça ne veut pas dire qu’elle est la sienne, peut-être qu’il y a quelqu’un d’autre, quelqu’un qu’il ne connaît pas encore (ce n’est pas son copain, en tous cas, elle se gardera bien de reposer la question). Pour le moment, Tianyi ne dit rien. Il la regarde comme elle, vraiment, entièrement et complètement, les traits détendus, plus qu’elle ne les avait jamais vus. Il lui dévoilait une facette inconnue, presque étrangère, comme s’il avait ouvert sa propre pensine et en avait extirpé l’enfant terrorisé qui s’y était caché, l’enfant qui n’avait jamais pu grandir, l’enfant qu’il ne montrait à personne - sauf à elle. “Really?” Même la voix ne lui ressemble pas, et Gaia se met à sourire, a presque envie de rire. Hoche la tête entre deux courses de larmes, gagnée par l’émotion, l’aveu, l’amour, et répète, “yes, really”, parce qu’elle sent dans sa voix que ce n’est pas une question rhétorique, qu’il demande vraiment et que ce n’est pas pour lui dire que non, que lui ne pense pas. Et elle se dit que peut-être qu’il n’y a personne d’autre et qu’il ressent la même chose. A le cœur qui s’emballe quand il dépose doucement ses mains sur son visage, le temps en suspens - et finalement, “I think so too,” Le cœur s’emballe plus encore, la petite poitrine qui se soulève à tort et à travers, elle a même l’impression que le myocarde va traverser la peau pour aller chercher son autre moitié, et les yeux se ferment pour apprécier chacun de ses baisers, ne laissent passer que des larmes qui ne savent plus comment faire pour s’arrêter. Elle ne les rouvre pas, même quand elle sent Tianyi la serrer dans ses bras, la tête qui retrouve son cou et renifle un peu, à s’apprêter à ne plus jamais le lâcher. Et il pense la même chose. “Thank you for holding onto me. I will never let go, now.”
Petit à petit, l’étreinte apaise son cœur, et sans le lâcher, Gaia murmure, dans sa langue natale, “Wǒ ài nǐ.” Et dans sa bouche, ça sonne comme une promesse. Celle de l’aimer pour l’éternité.