HEARTBREAK ANNIVERSARY / (gin·pando)

Pour une fois, elle dort ; c’est brouillon, parsemé de cauchemars, la force au réveil toutes les deux heures, mais elle dort. Alors quand, en pleine nuit, c’est le téléphone qui oblige les paupières à se presser puis s’ouvrir, elle répond d’une voix rauque et grognon, ne cherche même pas à regarder le nom qui s’affiche. « Pandore? — hmpf? Hi, sorry sweetie, am I troublin' you? Were you sleeping? » Elle reconnaît la voix de Gin et cligne des yeux pour se sortir du sommeil, la voix encore enrouée malgré ses efforts. « Gin? I was but don’t worry, what is it? — Can you come? I'm not feeling well... Please? » Les sourcils se froncent mais elle ne prend pas trop de temps pour réfléchir, « Of course, be there in 10. » Le téléphone se coupe et elle se frotte les yeux avant de s’extirper du lit, quitte l’appartement sans prendre la peine de vraiment s’habiller, son téléphone et ses clés à la main, entre la marche et la course, de plus en plus réveillée par l’angoisse qu’il soit arrivé quelque chose de grave.
Une dizaine de minutes plus tard, elle toque à la porte d’un appartement qu’elle n’a pas vu depuis quatre mois, la main hésitante, et quand Gin finit par ouvrir la porte elle la dévisage une seconde avant de la prendre dans ses bras instinctivement, s’avance et ferme la porte de la main, sans la lâcher. « What happened? » Elle a les traits fatigués, comme si elle n’avait pas dormi, mais surtout déformés par la tristesse, et en attendant sa réponse, son cœur palpite, le rythme cardiaque accéléré par l’angoisse.

Elle a l’air triste, voire plus fatiguée qu’elle — si c’est possible. Et quand, après une étreinte qui aurait pu durer plusieurs minutes, Pandore s’extirpe et se recule, elle se retrouve impuissante face à une Gin aux yeux perlés, rougie, de tristesse ? de colère ? Elle ne sait pas vraiment. « That idiot! How could he do that to me! » De colère, donc. Elle fronce les sourcils, demande « who? » mais ne fait que le murmurer en se disant que Gin finira par le lui dire. « I can’t believe it… » Les secondes passent et elle attend que vienne l’apogée, l’explosion, en se doutant que ce ne sera pas des feux d’artifice mais plus un lâcher de bombes. « He’s no—not dead. All this time I th—thought he was gone...! He’s not! Akihito’s alive! What an idiot! I hate him! » Elle reste interdite, figée, pendant au moins une vingtaine de secondes à la mention d’un nom oublié qui vient de sortir du tas de poussière qui traînait sur l’étagère. « Wait, what? That’s not… what? » Encore prostrée, elle n’en revient pas, doit se répéter l’information mentalement pendant que Gin s’écarte pour reprendre de la contenance. Akihito. Vivant. « You should sit, it’s a very long story. » Elle lui prend la main et s’avance jusqu’au canapé, ne la lâche pas — y fait glisser ses doigts, présence qui se veut rassurante. « Tell me. »

À mesure que Gin parle, Pandore se remplit l’esprit de souvenirs, même involontairement. Elle voit des visages rajeunis par les années envolées, des traits disparus d’un Akihito qui n’avait pas encore pris la poussière. Ils se superposent aux mots de son amie blessée et Pandore se retrouve à revivre des scènes presque oubliées, comme si elle voulait combler les vides laissés par Gin. Elle ne saura pas tout, oui, mais elle tente de le faire par elle-même pourtant, sans le vouloir, cherche des indices là où elle n’en trouvera aucun. Mais si elle ne ressent que de la surprise, au départ, à la fin elle se mêle à une colère indicible, d’un homme qui a dû tellement changer que même sous sa véritable apparence elle ne le reconnaîtrait pas. Le vrai Akihito n’aurait pas menti à Gin, n’aurait pas disparu pendant des années pour revenir sans le dire, puis pour quoi, re-disparaître ? Elle s’y refuse. Ça n’a aucun sens. « At the school? What the fuck do you mean? How could he be… polynectar? Why would he change his whole appearance? What the fuck, I don’t- » Elle s’arrête, les sourcils froncés, les mains qui agrippent ses épaules, qui la forcent à sortir de sa torpeur. « Hey, hey, look at me, Gin. I don’t know why he did this, but I can tell you that if you are something, it’s clearly not pathetic. He’s the pathetic one. » Elle a envie d’en savoir plus, de demander des détails, mais ne saisit pas les limites de ses questions, finit par se lancer sans savoir ce qu’elle obtiendra comme réponses. « How did you know it was him? And where is he now? » Ce n’est pas qu’elle a l’impression que Gin serait capable de meurtre, mais ses yeux rouges entre la tristesse et la rage ne tendent pas à la rassurer.

Gin a ouvert sa propre boîte de pandore et toutes deux regardent, impuissantes, se déverser des maux incurables faits de colère et d’adieux interrompus, dérobés. Akihito a disparu, encore, sans prévenir, sans avoir laissé se jouer retrouvailles et adieux, dans un geste cruel et profondément égoïste. Pandore comprend et ne dit rien, laisse Gin répandre une colère qui ne lui est pas destinée, elle le sait. Il lui faudra du temps pour s’apaiser, pour calmer le courroux d’une histoire qui lui a été dérobée, d’un amour qu’elle a retrouvé sans avoir pu en profiter. « I bet my father told him to do that! To teach me a lesson. » Elle fronce les sourcils, ne cherche pas à interroger Gin sur la signification de ses mots, se dit qu’ils resteront un mystère, un de ces secrets auxquels elle n’a pas le droit d’avoir accès. « I would have preferred he died. » Cette fois, elle secoue la tête, assure d’une voix douce, « No, you don’t. » C’est tellement évident qu’elle doit le savoir, elle aussi, mais Pandore préfère le verbaliser, quitte à ce que Gin ne l’accepte que plus tard. Pour le moment, la tempête reprend, s’écrase contre Pandore. « I don’t know where he is, he’s gone! Fucking kami-sama, Pandore, are you not listening to me? Are you too stupid to comprehend this?! » Elle ne réagit pas, ni au milieu de l’ouragan ni lorsque Gin s’arrête soudainement, consciente d’être allée trop loin. La pièce reste silencieuse quelques secondes, jusqu’à ce que Pandore brise le silence. « It’s alright, I know you’re not mad against me. » Elle bute, hésite ; finit par se lancer, pas sûre du bien que lui fera sa solution. « Would you like to see him? I mean, you know. I can make you see him. » Ce n’est pas réel, mais peut-être que ça suffira, au moins pour quelques instants.