i told you so (yuki)

Le corps tangue, mais elle ne sait plus si c’est la musique ou bien l’alcool, le sourire d’une innocence illusoire, d’une joie factice, alimentée par des verres qu’elle ne compte plus. Cette fois, elle n’est pas guidée par la culpabilité ou des souvenirs qu’elle voudrait chasser ; cette fois, son cœur est léger, peut-être pour la première fois depuis longtemps, parce qu’elle a laissé le fardeau à l’entrée de l’observatoire et s’est interdit d’y penser. Alors, les yeux fermés, elle danse en rythme à en perdre la notion du temps, entourée de sa famille et heureuse, même pour quelques heures avant un retour forcé à la réalité. Elle ne sait pas bien quelle heure il est quand elle quitte l’observatoire, les pas hésitants, la démarche chancelante mais l’envie de vomir qui se fait la malle — heureusement. Le sourire toujours aux lèvres (l’alcool, cette fois, aucun doute), elle marche et dépasse l’intersection menant à son dortoir, manque de tomber, plusieurs fois, dans des rues complètement vides, jusqu’à enfin parvenir au dortoir des kaze, trop bourrée pour se souvenir de la bonne porte, en tous cas l’esprit trop embrumé pour distinguer le bon numéro. La première personne à lui ouvrir n’étant pas la bonne, et étant visiblement énervée d’avoir été réveillée, elle bafouille quelques excuses avant de continuer sa route, jusqu’à enfin trouver ce qu’elle pense être le bon appartement. Sa main s’écrase contre la porte avec une violence qui la surprend elle-même, même si son esprit ne semble pas s’en préoccuper. Il ouvre la porte au moment même où Pandore perd l’équilibre, parvient à le retrouver avant de tomber, sans s’humilier — un exploit, vu son état. « I forbid you to say I told you so. » L’un comme l’autre le sait, pourtant, ne peut nier l’évidence d’une Pandore trop bourrée mais encore consciente de son état.

— les feuilles gravitent autour de lui. l’attention qui se perd au fil des minutes qui s’effacent dans le temps. à finalement scruter l’horloge plus que de raison – il est pas impatient, qu’il se dit. espère simplement qu'elle viendra vraiment (jamais à l’abri d’un lapin). le silence est omniprésent, si ce n’est le bruit de son stylo qui gratte sur ses feuilles.
jusqu’à ce qu’un brouhaha se laisse entendre au milieu de la nuit. sourire qui s’installe au rebord de ses lèvres. l’instinct se doute (espère). devine sa présence dans les dortoirs des kaze avant même que sa poigne ne s’arrêtent violemment contre sa porte. il la laisse patienter un peu (juste assez) – pour ne pas lui donner l’impression d’être attendu – sourire qui s’installe un peu plus sur ses lèvres quand la silhouette s’offre à lui. légère odeur d’alcool qui caresse ses narines (sans surprise).
i told you so. la voir dans un état plus sobre l’aurait étonné. il commence à les connaître, elle et ce goût prononcé pour les liqueurs – besoin de noyer un tas de sentiment, les attaquer avec des substances illicites pour tenter d’aller mieux. amazed by the fact that you still managed to come here. et son royaume s’ouvre à elle, silhouette qui s’éclipse pour laisser le temps à l’autre d’intégrer la chambre quand les prunelles analysent en un coup d’oeil sa carcasse. you look okay after all. so i let you in. bien loin de ces soirs où il l’a vu ravagé plus que jamais, à à peine pouvoir se souvenir de son prénom.

« I told you so. —Ugh. », yeux levés au ciel, elle feint l’exaspération. Évidemment, qu’il doit avoir ce sourire satisfait sur les lèvres, ce sourire qui dit j’ai raison et lui qui le dit aussi, qui l’extériorise, le verbalise, par pur plaisir. À sa place, elle aurait fait la même chose. Elle aurait voulu arriver en meilleur état, boire moins, ne pas mélanger l’aspirine habituelle aux verres pleins, mais il faut croire qu’il commence à la connaître peut-être mieux qu’elle-même. Foutu chevalier servant. Il jubile, de l’autre côté de la porte, et elle voudrait continuer à faire l’insensible et l’irritée, mais répond à son sourire par un autre, désinhibée, enjouée et apparemment ravie de l’être. « Amazed by the fact that you still managed to come here. » Elle lève un sourcil, en bomberait presque la poitrine de fierté, mais il s’écarte pour la laisser entrer et elle obéit sans un regard en arrière. « Come on, I’m not that drunk. » La démarche est titubante, pourtant, mais elle parvient sans mal jusqu’à sa chambre, s’assoit sur le lit en regardant les murs sans vraiment le faire, comme si elle la découvrait pour la première fois (comme si elle voulait la découvrir). Sauf que, comme il y a un mois, son esprit est trop ailleurs pour retenir ce qu’il voit, et finit par abdiquer son observation en croisant le regard inquisiteur de Yuki. « You look okay after all. So I let you in. » Sa remarque lui extirpe un rire. « Yeah, sure, if I had been worse you would have let me go home all alone. That’s a likely story. » Ironie exagérée, elle hausse un sourcil provocateur, avant de se relever subitement et de s’approcher de son bureau, les doigts qui glissent sur les feuilles qu’elle tente de déchiffrer malgré la vision trouble. « Did you work well? »

— les sourires s’installent naturellement, un peu taquin, surtout sincère. à s’amuser d’une réalité qu’il savait certaine quand elle tente tout de même de masquer l’alcool qui coule dans son sang, tente de tenir droite sur ses deux jambes mais manque de trébucher à chaque instant.
ça l’fait presque rire. et peut-être que dans un sourire son rire s’échappe légèrement alors qu’il la regarde redécouvrir l’endroit, ou peut-être découvrir pour la première fois ce qu’elle n’a pas eu le temps d’admirer dans un moment de chute.
et l’électron libre se déplace, l’attire à sa guise. son corps qui vient se faufiler entre elle et le bureau – les paroles secrètes mises au goût du jour sur le papier – à pourtant vouloir les garder secrète encore un peu.
probably. le regard qui s’attarde sur les traits du visage soudainement trop proche du sien. les prunelles qui tracent finalement les contours. la main referme le bouquin, cache les écrits dont il n’est même pas certain d’être compréhensible à ses yeux en cet instant. l’alcool. but i don’t think you can read it. le regard est maintenu quelques secondes, juste assez pour tenter de dissuader. maybe you should go to sleep ? la lumière de chevet est éteinte quand les distances s’imposent à nouveau. i’m done with work tho.
et le corps s’échappe, file s’installer sur le lit, se débarrasse du t-shirt au passage. en un regard, s’assure de sa position. you coming ? légèreté qui flotte dans l’air, à presque ignorer le mois qui vient de s’écouler et l’ignorance certaine venant des deux. comme s’il n’y avait eu une pause, aucun gêne.

C’est comme si en une soirée ils voulaient rattraper le mois perdu, le mois d’absence, profitent de l’enivrement pour passer outre le malaise de l’après-baiser, de lèvres qui s’étaient écrasées dans l’intimité d’une nuit où pour la première fois elle avait accepté son aide sans résister, l’avait même quémandée, les yeux encore rouges d’heures passées à pleurer. Alors peut-être est-ce l’alcool qui efface toute gêne, mais il y a une certaine familiarité entre eux qu’elle n’est pas en état de refuser, une aisance taquine d’un jeu dont ils inventent les règles peu à peu. Quand son corps lui refuse l’accès au bureau, elle se sent enfant punie, fronce les sourcils. « But I don’t think you can read it. » Mais elle n’insiste pas, abdique ce qui n’était déjà pas vraiment une tentative, à détourner le regard sans répondre, manière suffisante de lui accorder d’avoir raison une nouvelle fois. « Maybe you should go to sleep? » Elle pourrait finir sa nuit dans une autre boîte de nuit, danser jusqu’au matin sans aucun problème ; mais alors qu’est-ce qu’elle fait là ? « I’m done with work tho. » Bureau éteint, elle s’y adosse, le regarde s’installer dans le lit, se déshabiller. L’alcool lui rosit les joues mais la lumière est trop tamisée, ça ne se voit pas. Elle ne cache pas pourtant ce coup d’œil indiscret, presque provocateur, qui se demande où sont passées les années, comme rappelée à l’ordre par leur différence d’âge, par l’amitié entre son frère et lui. « You coming? » Il envoie valser le mois de malaise, fait le garçon confiant, prend les devants. Elle s’approche, s’appuie sur le lit, se penche au-dessus de lui, la main tendue pour récupérer le t-shirt tombé au sol. « Can I borrow that? » Mais elle n’attend pas la réponse, ordonne « Don’t look. » et prend appui sur lui pour s’extirper du lit, avant de se déshabiller pour passer son t-shirt plus confortable pour la nuit que sa tenue de soirée. Concentrée pour ne pas tomber, elle ne se retourne qu’une fois habillée de ce pyjama improvisé, un sourire malicieux aux lèvres quand elle se glisse dans le lit dont la froideur lui fait frémir les jambes. Pas de merci pour le t-shirt, juste ses yeux qui ne quittent pas les siens quand elle s’allonge en face de lui, le visage posé sur sa propre main.