architect of his own destruction (ash)

Elle voit trouble, pas de larmes ni de rage mais plutôt d’incompréhension, incapable d’y croire, de penser que c’est possible si elle ne le voit pas d’elle-même, si elle ne s’y confronte pas, si la réalité ne s’impose pas à ses yeux. C’est impossible, c’est ce qu’elle a dit au début, a cru à une très mauvaise blague, s’il n’est pas venu à leur rendez-vous c’est qu’il avait une bonne raison, qu’il a été retenu, que- mais les sourires s’étaient éteints sur les lèvres et Pandore se retrouvait seule à rire dans une pièce pleine de visages amicaux désolés, qui l’avaient rejointe pour le soutien. Et à la fin il ne restait plus qu’elle et une amie, celle qui avait tout vu, celle qui par loyauté avait quitté la soirée pour rejoindre Pandore, lui annoncer que sa tragédie était éditée, bientôt prête à être imprimée et étalée dans les rayons. Ça ne fait que deux mois, heureusement, la plaie n’est pas béante, seulement insidieuse et venue de nulle part.
Elle a passé la fin de soirée avec son amie, à se demander ce qu’elle n’avait pas vu, à regretter de lui avoir fait confiance, de s’être laissée aller à imaginer un futur avec ce fuckboy à la con. Il ressemblait bien à ses potes, finalement — et là elle se dit qu’elle aurait dû s’en douter, aurait dû faire plus attention, qu’on devrait choisir les gentils au lieu des mauvais garçons. Remet en doute toutes leurs interactions, toute l’attraction, sans se l’expliquer. C’est truqué, évidemment, elle ne pourra jamais comprendre parce qu’Ash ne lui a pas dit toute la vérité. À ce stade il lui manque bien plus que quelques pièces, elle n’a même pas le bon modèle de puzzle. Elle ne sait pas qu’il est ancré dans sa peau et dans son cœur, que le destin a décidé de les réunir dans chacune des vies bafouées par sa propre anomalie. Toujours aussi ignorante et impuissante, à désirer et apprécier un homme qui lui a préféré une autre, ou des autres, ça non plus elle n’en sait rien. Ne sait que ce qu’on lui a dit, qu’il lui a mis un lapin parce qu’il était bourré, défoncé, en train d’embrasser ou de coucher avec quelqu’un qui n’était pas elle. Enfoncée dans le canapé, elle fixe le plafond par dépit, vide. Que faire, alors ? Elle voudrait le voir mais la soirée s’est déplacée et lui sans doute aussi, le téléphone éteint et l’esprit ailleurs, littéralement, sûrement submergé par les substances. Tentée de déplacer des montagnes pour le retrouver et le gifler, le frapper, hurler, faire quelque chose ; tout pour ne pas rester là comme une conne. Convaincue on ne sait comment d’attendre le lendemain matin, elle s’endort difficilement, la nuit alimentant l’incompréhension et la frustration, le capharnaüm de sentiments.
Préparée sans vraiment le faire, à peine apprêtée, juste déçue, elle tente de l’appeler deux fois sans succès, lâche un soupir. C’est étrange, parce qu’elle ne voit pas rouge, n’a pas envie de tout briser, peut-être encore sous le choc qu’il ait osé. Il est onze heures quand elle toque à sa porte, doucement (c’est peut-être pire), une expression visible de déception sur le visage quand il finit par ouvrir la porte, après plusieurs minutes de silence. Elle ne dit rien, attend de voir (ne sait pas quoi dire, en réalité, peut-être nourrie par le maigre espoir que tout ne soit qu’une très mauvaise blague).

Elle ne sait pas ce qu’elle attend. C’est peut-être ça, le pire, parce qu’elle est sûre d’être déçue par ce qu’il dira, parce qu’en y réfléchissant il y avait des signes, qu’Ash n’avait rien du parfait gentleman. Ça n’empêchait pas d’espérer, de se dire qu’ils s’étaient promis d’essayer ; qu’il y avait trop d’amour et d’attirance pour vouloir les partager avec d’autres. Il n’était pas d’accord, visiblement, et plusieurs fois Pandore hésite à faire demi-tour, repartir avant qu’il n’ouvre la porte et ne pas lui donner l’occasion de s’expliquer, persuadée que ça ne servira à rien d’autre qu’à la blesser un peu plus. Se perd volontiers dans le silence comblant l’espace, sans savoir si elle devrait parler, s’énerver, l’embrasser, tout annuler, lui pardonner- non, évidemment pas ça. La rancune est trop tenace chez elle, Pandore préfère rester amère et convaincue que les gens ne changent pas, peut-être pour se protéger ou peut-être par déception, fierté, l’égo blessé de l’avoir été. Elle reste derrière la porte, mais elle sait que la conversation ne changera rien et qu’elle ne lui pardonnera pas, que leur histoire sera terminée après avoir à peine commencé.
Ça ne devrait pas faire trop mal, après tout elle ne l’aimait pas tant que ça, n’est-ce pas ? Elle n’avait pas eu le temps, l’avait seulement découvert peu à peu, avait craqué pour lui comme on s’endort, lentement mais fermement, quand finalement les substances avaient quitté leurs étreintes et qu’ils s’étaient mis à nu, sobres et un peu rêveurs. Ça s’était fait naturellement et la rupture allait se faire de la même manière- quoique peut-être un peu plus brutale, selon ce qu’il disait (reconnaissait).
Il finit par ouvrir la porte, d’un air encore endormi, tragiquement beau dans un t-shirt un peu grand qu’elle devine avoir été récupéré à la volée, qu’en temps normal elle aurait peut-être gardé pour elle. Mais la pensée ne parvient même pas à son esprit, trop en colère, déçue, attristée (le cœur craquelé). “Hey babe, early bird this morning you are… What’s up?” Elle ne répond rien mais le regarde bien, l’analyse, trace en mémoire des traits qu’elle ne verra plus pour un moment. “Wanna come in?” Toujours dans le silence-tension, elle l’évite et rentre dans l’appartement. Jette un regard rapide aux environs, vides et silencieux. Tant mieux. Croise les bras au milieu du salon, hésite un instant sur la formulation, voudrait demander ce qui s’est passé, faire une allusion à sa super soirée, ou exiger des explications, des raisons, mais finalement, “How could you do this?” Et ça ne dure qu’une seconde mais elle voit son visage, ses sourcils froncés, ses yeux à moitié ouverts, et comprend que lui non, que lui est à l’autre bout du monde et s’il n’a pas oublié, s’est forcé à le faire, d’une manière ou d’une autre. “You don’t even know what I’m talking about, do you?” L’évidence s’impose, brutale et douloureuse.

Elle l’envie presque, cet imbécile heureux, envie en tous cas son ignorance, son incompréhension. Ce regard perdu et confus, à peine réveillé, qui ne sait pas que l’orage s’apprête à tomber ; qui ne peut distinguer que les nuages et sentir la brise se lever, l’air s’alourdir. Elle aurait aimé, avoir cette ignorance - cette insouciance. Mais non, elle est condamnée à rester seule avec la vérité, parce qu’Ash ne comprend toujours pas ce qui se passe, tente de trouver des raisons à la con qui n’ont aucun sens, qui résonnent dans la pièce comme les excuses d’un mec un peu bourré qui tente d’expliquer qu’il n’a pas attendu le petit bonhomme vert pour traverser, dix ans plus tôt. Ouvre la boîte de Pandore de ses crimes et de ses châtiments, sans jamais tomber sur le bon. “Fuck…” Ça y est, retour à la réalité, Pandore arrête de l’envier puisque d’une seconde à l’autre il saura. Les bras croisés, elle continue de le regarder en silence, attend (presque trop patiemment) qu’il fasse les liens. Souffle du nez quand elle le voit compter sur ses doigts, est-ce qu’il se fout de sa gueule ? “Fuck. Shit… That was yesterday right? Merlin’s sack, fucking shit…” Et il ne comprend qu’une partie, peut-être parce qu’il ne sait pas qu’elle connaît le reste du chapitre, qu’il a été dénoncé par une spectatrice un peu choquée du spectacle.
Son pied va pour se reculer lorsqu’il s’approche, mais heureusement Ash repart de l’autre côté, s’arrête au bord du canapé. Pandore serre les dents et le cœur. Refuse de se laisser aller aux sentiments, à la tristesse, parce qu’elle mérite mieux. Cultive sa rancune comme on plante des graines en terre, parce que c’est ce qu’elle est habituée à faire. “I’m so sorry babe, I forgot… Well no, I was on my way to get you but, huh, they gave me something to sniff, just one shot it was…” Un sourcil se lève, lentement, entre l’incompréhension et la répulsion. Are you fucking serious. Parce qu’il ose, le con, se dit peut-être que sur un malentendu ça passera, qu’il n’y a aucune raison qu’elle se doute de quoi que ce soit. C’est comme ça qu’on fait, non ? S’il n’y a pas de doute, on fait semblant et on attend que l’autre avale la pilule, s’énerve un peu, pardonne - et on prend les mêmes et on recommence, la prochaine soirée, le prochain lendemain, combien en auront-ils ? “I’m so sorry babe, I forgot… Well no, I was on my way to get you but, huh, they gave me something to sniff, just one shot it was…” Et là, elle ne peut empêcher un rire. Lâche les bras qui tombent le long de son corps, une main qui glisse sur son menton. L’air devient sérieux, cache une ironie délicieuse (insupportable). “Has it worked? In the past?” Elle ne parle pas d’elle-même (elle pourrait, si elle le savait, mais ne se doute pas que son passé, c’est elle). “When you fed them this little story, starring those bad people who gave you, what was it? ‘Something to sniff, just one shot’? I guess you can be convincing. Yeah, no, I wasn’t talking about your little party, about the fact that you stood me up.” Elle fait quelques pas, en rond, comme si elle réfléchissait. Porte le coup de grâce sans aucune once de plaisir, d’un coup sec, l’entrecoupant d’un rire. “Yeah, no, that I can forgive. I was more interesting in hearing about all the lips and bodies you've enjoyed, last night. Was it fun? I wonder how your girlfriend reacted when she heard the news. She must have be thrilled.” Elle semble s’adoucir, les épaules haussées avec un brin d’indifférence. “But I mean, we’ve only been together for a month, so, that must just mean you didn’t really want to try this, after all. And it’s okay, I can manage having unrequited feelings. Would have preferred to know, though, I didn’t really like being taken for a fool.”

Elle est tellement à côté de la plaque. Se noie dans la rancœur grandissante d’une nuit de tromperie, de mensonges, mais encore une fois Pandore n’a aucune idée de ce qui se joue pour lui, cambriolée d’années entières de souvenirs impossibles à récupérer. Ignore ce qu’une simple phrase peut évoquer, quel espoir elle peut réveiller. Elle n’a que ses propres émotions, cette boule dans la gorge, mélange de tristesse et de colère, persuadée qu’il n’y a rien d’autre. Après un mois de couple, il ne peut rien y avoir d’autre. Et si elle entend ses sentiments, il n’y en a qu’une infime partie, parce qu’elle ne se doute pas de ce qu’il ressent pour elle ; mais aussi parce qu’il ne peut rien ressentir d’intense, s’il est prêt à gâcher leur histoire en moins d’un mois. Convaincue qu’il l’a voulue, cette fin tragique, si ce n’était pas le cas il n’aurait pas fait cette connerie, s’il avait vraiment voulu essayer il se serait donné. Elle la première, incapable d’être seule, se donne pour son couple, se contente de la totale exclusivité quand les sentiments sont présents - et là, ils l’étaient, elle avait fini par craquer pour lui, se sentait bien. C’est peut-être parce qu’en réalité, leur histoire a des années. Mais encore une fois, ça, elle ne le sait pas.

Alors tout ce qu’il peut dire sonnera creux, parce que Pandore a déjà écrit la réponse, est déjà convaincue qu’il ne peut pas avoir d’excuse valable. Et surtout, qu’elle ne pourra pas lui pardonner. “No, because it never happened. I wasn’t planning on doing this to you, all went wild so fast I couldn’t think straight… I’ve never fail you, never, even in our… I just can’t.” Pourtant elle écoute mais elle n’en démord pas, ne bouge pas, la même expression fermée sur les traits. Ne se laisse pas convaincre, refuse d’y croire parce qu’il lui a prouvé le contraire la veille. Le regarde s’enfoncer dans le siège en se disant que ce ne doit pas être agréable d’être mis face à la vérité, quand elle ignore que c’est elle qui a tout faux. “Don’t talk about stuff you don’t know Pandore… I wanted this, us, try it because it is worth it and it can work. We can work together. I love you, this is the only certainty I’ve got in my messed up life.” Elle n’entend pas le reste, arrêtée en plein vol, la bouche qui s’ouvre de surprise. I love you. L’aveu la prend de court, à tel point qu’elle ne sait plus comment réagir, interdite, bloquée dans ses gestes lorsqu’il se lève et la rejoint. Elle ne le regarde même plus, cherche à savoir si elle aurait mal entendu ou si c’est bien ce qu’il a dit. Et elle ne sait pas pourquoi ça fait si mal, dans sa cage thoracique, pourquoi elle se retrouve à avoir envie de pleurer alors que l’instant d’avant elle le détestait. “Slap me, spit at my face, punch in the nuts I don’t care, I deserve it. But, no, you can’t say I didn’t wanted to try. I’ve got my wrongs, here, you saw them or at least heard of them. I have a problem with all this, drugs are the worst for sure.” C’est comme si elle ne l’entendait plus qu’à moitié, parce qu’elle se remet toujours de la déclaration impromptue. “Just so you know, it wasn’t fun. It was sad and pityful.” Finit par cligner des yeux et lever son regard pour croiser le sien, à quelques centimètres désormais. Et au lieu d’être sûre de sa colère et de sa tristesse, elle se retrouve perdue au milieu du désert, sans boussole ni carte.
Pourquoi ça fait si mal ?
Elle serre le poing, la voix qui n’a jamais autant vacillé, les yeux qui ne quittent pas les siens mais s’embuent de larmes, par fierté peut-être. Elle tient à maintenir son regard, même si elle est incapable de masquer la faiblesse qu’elle éprouve en même temps. “Well if you love me, you have a terrible way of showing it. And I can't forgive you.” Elle pourrait le frapper, lui cracher au visage, comme il l’a proposé - mais l’indifférence et la rupture sonnent comme la plus douloureuse des réponses, et surtout Pandore a peur que si elle reste plus encore, la douleur dans son cœur prenne trop de place et qu’elle aille contre tout ce qui fait d’elle ce qu’elle est en lui pardonnant. Parce que si elle reste, elle n'aura envie de faire que ça, lui pardonner. Revenir en arrière et tout ignorer. L'aimer en retour, comme elle le fait depuis des années, même sans le savoir. Alors elle tourne le dos et quitte la pièce, l’appartement. Son cœur.
Mais pourquoi ça fait si mal ?