je pars me rendre à l'évidence (akira)

Est-ce qu’on sait que c’est la fin, quand ça l’est ? Est-ce qu’on sait que le cœur va s’arrêter mais sera incapable de repartir ? Que la ligne tressautera une dernière fois et qu’après il n’y en aura plus, ni de battements ni de ligne. Pandore ne sait pas, d’ailleurs Pandore se confond et se perd dans son propre don, entre réalité et imagination, dans le déni d’une chute dont elle est (presque) la seule responsable. Les yeux qui se ferment par la force d’un corps qui ne répond plus, elle n’a plus l’énergie de parler, entre le sommeil et la mort, allongée dans les bras d’une Gin désespérée qui attend une ambulance sorcière toujours trop lente. Et les organes se démènent, repoussent la conquête de drogues accumulées avec les semaines, provoquent des convulsions à défaut d’en arriver à bout. Les drapeaux sont enfoncés dans la terre-Pandore avec violence, sans se préoccuper des giclées de sang et des conséquences, sans se dire qu’un peu plus et la ligne tressautera une dernière fois. Ailleurs, Pandore se dit pourtant que ce n’est pas normal, que ça ira, minimise ce qu’elle ne veut pas comprendre. Refuse de voir la réalité et préfère croire au reste, à se dire que ce n’est pas de sa faute, que ce qui se passe n’a rien à voir avec les flacons vides qui se multiplient au bord de son lit.
Elle est à moitié inconsciente quand les urgentistes poussent d’un sort informulé les portes d’un hôpital qu’elle connaît malheureusement trop bien, hurlent des mots que, consciente, elle n’aurait sans doute pas compris, le corps secoué de tremblements, en sueur, comme s’il cherchait à tout prix à se battre contre un virus invisible, en proie au désespoir d’une guerre qu’il ne sait pas déjà perdue. À la place, il se croit Napoléon, cherche des causes naturelles à une overdose chimique, un surplus d’alcool, de drogues et de pilules, un affreux mélange qu’elle ne pensait pas fatal à ce point. Elle n’avait pas le choix, après tout, il fallait bien qu’elle calme les migraines, et depuis son retour elles étaient plus fréquentes, plus violentes. Qu’est-ce qu’elle aurait pu faire d’autre ? Il n’y avait eu que la culpabilité et la douleur, le traumatisme de l’absence, des mensonges, depuis des semaines, des mois. Elle avait trouvé un réconfort dans ce qui désinhibait et faisait disparaître le reste, c’était tout. Pas de quoi en faire un drame. « We’ve got an overdose here! Sawano, need some help! » Et pendant qu’elle continue à convulser, on pourrait lui demander, à lui, qui ne se doute pas des traits que vont croiser ses yeux dans un instant : est-ce qu’on sait que c’est la fin, quand ça l’est ?

Je pars me rendre à l'évidence ;

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C’est un univers en perpétuelle explosion. Les uns viennent, les autres partent. Akira au cœur de la collision. Dans cet éternel chambardement, les âmes valsent autour de lui. C’est la course à la vie. Au sang. Au souffle. Aux espoirs vains qu’il faut sauver.

Dans l’aile des urgences, le temps presse. Chacun vient repeindre de sa douleur les murs blancs, de ces visages inquiets qui font planer l’agonie, apporte leur blessure comme boulet à leurs pieds. Certains attendent, d’autres demandent, réclament. Les odeurs de potions et médicaments embaument l’air, saturent l’oxygène de leurs arômes amers. Parfois, un gémissement de douleur s’échappe, des pleurs débordent. Les larmes se mélangent au sang qui s’épand, car dans la nuit toujours il abonde. Et le service se voile d’une petite odeur de mort. Ici, chacun sait que sur l’île des sorciers, le Crépuscule fait des ravages.

I’ve always been more comfortable in chaos.

Mais au milieu du carnage, Akira s’avance sans craindre ni le sang ni la mort qui lui coule sur les mains. De cet empire qui s’effondre à chaque instant, il n’a jamais eu peur. Si loin de l’urgence qui essouffle l’esprit et la maîtrise de soi. Au contraire il se presse dans les couloirs, d’un pas rapide et assuré, qui ne laisse pas le temps au désastre de s’abattre. Tout juste quand le dernier rempart s’effondre, Akira retient l’espoir entre ses doigts. De ses gestes prestes qui réparent, quand il se mêle au chaos qu’il a toujours vu sévir.

Agression de rokurokubi. Surcharge magique. Accident de Quidditch. Attaque d’ayakashi. Intoxication par potions. Désartibulation. Incident de voitures volantes. Affront entre gangs. Malédictions destructrices. Sortilèges mortels.

« We’ve got an overdose here ! Sawano, need some help ! »

Overdose.

«了解。 Entendu.»  Et les portes de l’hôpital laissent entrer la tempête ; tout à coup le vacarme déferle dans les couloirs aseptisés. Les médicomages dépêchés pour ramener la victime foncent en ligne droite. Akira est sur le passage, fait front au brancard volant, déterminé à retourner des tripes.

Le brancard qui fond droit sur lui.
D’un corps torturé par l’excès.
Le visage crispé sous la fièvre.
Ce visage d’agonie qui le supplie.

Pandore.

Manque un battement. Ou est-ce le brancard qui se cogne dans ses côtes, qui lui coupe le souffle. Ses yeux rivés sur les traits tordus par la douleur, les sons se fanent tout autour de lui. Please, no. Mais le monde s’est arrêté de tourner. Soudain le chaos l’a avalé. Soudain il ne veut plus ni le sang ni la mort, il ne sait plus quoi en faire. Soudain, Akira a peur.

« Sawano, come on, what are you waiting ?! »

Pandore. Pandore. Le sol s’ouvre sous ses pieds et tout lui semble étrangement loin. Si loin. Ses mains sont la seule chose qui le raccroche à la réalité, cramponnées au brancard, tandis que son esprit vacille. Do something. Sa respiration s’emballe, quand il voit celle de Pandore qui défaille, altérée par les convulsions. Do something ! Mais ses muscles ne répondent plus, devant ce spectacle d’horreur, et de l’autre côté du brancard, il voit presque l’ombre des ténèbres avaler peu à peu Pandore. Don’t fucking let her go !!

Sans entendre sa voix, sans voir ses yeux. Sans toucher sa peau, sans pouvoir la serrer dans ses bras. Sans pouvoir lui dire. Juste la voir partir.

« He knows the victim ! »
« Shit ! »
« Get him off the way ! Sawano, leave ! »

Save her.
SAVE HER.

« Sawano- !! »
« Don’t fucking touch me !! » L’expression a changé, soudain il s’éveille sous l’avalanche. Akira repousse brusquement ses collègues venus le tirer à l’écart. Mais dans la tempête, dans l’urgence, ils l’entravent et l’écartent, s’y mettent à deux, à trois. I don’t have much time. Déchaîné, l’apprenti urgentiste les refoule, sans perdre le brancard de vue. « Don’t- !! » Et le chien de garde aboie et se débat, collé au sol, en voyant s’éloigner celle qu’il a fait le serment de protéger. Pandore. Please don’t go. Dans sa tête tout est désordre. Son monde s’ébranle. Les pensées ne se mettent pas droit et les mots tournent à l’envers. Émotions en pagaille qu’il essaie de rassembler, balaye de la main celles qui lui brouille le chemin. « Let me go !! » Finalement, c’est toujours elle, enragée et glorieuse colère, qui parvient à le ramener sur terre.

« I KNOW WHAT SHE TOOK. »

* * *

Avachi sur le lit de Pandore, Akira s’est endormi. Ses bras croisés soutiennent une tête pleine de mauvais rêves. La chaleur qu’il diffuse dans les jambes de la jeune fille se répand jusqu’à ses pieds. Comme une couverture supplémentaire, un barrage pour la tenir à labri. Fidèle chien de garde qui veille au chevet, couché tout près d’elle. Ne laisse passer dans la chambre que les infirmières et médicomages, grogne un peu quand il discute des résultats avec son tuteur, donne son avis alors que cette fois, ce n’est pas lui le médecin. Juste un proche de la victime.

« Do you know where she found the pills ? » Ça le transperce comme une vérité amère. « I don’t. » Menteur.

Les tourments reviennent hanter son esprit. Les regrets. Une nausée navigue dans son estomac, l’angoisse plane sur son cœur. Et dans tout ce chaos, pour la première fois, Akira s’y noie. Comme si tout son corps était très lourd. Incapable de bouger. Incapable de la sauver. Pétrifié. Un faible sursaut secoue son corps, et la réalité le rappelle et le ramène à cette chambre d’hôpital. Akira lève la tête et vient immédiatement chercher le visage de Pandore. Comme pour s’assurer qu’elle est encore là.

« You’re awake… » il dit, l’air étrangement hébété. Dans ses rêves, elle était aussi pâle que la lune et ses yeux dormaient à jamais. Il lui faut quelques instants pour véritablement prendre conscience qu’elle se tient devant lui. Affaiblie. Mais en vie. Sans y réfléchir, lentement, doucement, il s’approche davantage et vient l’enserrer comme il le peut ; ses bras qui se font rempart protecteur, comme s’il voulait la retenir de partir. Akira vient poser sa tête tout contre son cœur. Il bat. Il bat et chacun de ses battements sonne comme la berceuse de son enfance.

Ce sentiment si chaud. Ce contact si rassurant. De trouver en elle une famille. Qu’il a eu tellement peur de voir disparaître.

Une fois de plus.

Incapable de bouger, les secondes s’écoulent dans cette étreinte réconfortante. Il pourrait s’endormir comme ça à nouveau, laver de toute inquiétude de la voir respirer. Pourtant à l’arrière de son crâne les démons grattent encore. Ceux de Pandore. Ceux qui menacent. Ceux qu’il n’a pas réussi à chasser. « I was so scared I’d loose you. »

Ses mots se murmurent comme un aveu délicat. Comme si en les disant, cela risquait de se produire. Et il se serre un peu plus fort contre elle, pour profiter de toute la vie qui lui réchauffe la joue. Cette vie qu’il a mis en péril.

2 Juin 2021 — [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Une crispation. On la sent à peine, parce que Pandore continue à convulser, les yeux fermés, aux prises avec une crise qui n’a pas l’air de vouloir passer. S’enlise dans des sables immobiles, à se noyer continuellement dans un océan sans vagues. Elle ne sait pas que l’autre côté, Akira est en proie à sa propre tempête, l’esprit en éruption qui s’imagine peut-être déjà apporter un bouquet de fleurs sur sa tombe — abîmées, il les aurait jetées sur le sol de rage et de tristesse, sur la route menant au cimetière. Impossible de garder le bouquet en parfait état, comme Pandore. Une crispation insensée, indéchiffrable, de doigts étirés dans un spasme, sans Darcy à l’horizon. Comme si elle cherchait une présence (la sienne), une main à laquelle s’accrocher (la sienne). Alors ça ne se voit pas mais les doigts se crispent, au milieu du capharnaüm, discrètement, instinctivement.
Il ne prendra pas sa main.
Acculé, plaqué au sol, Akira doit regarder le corps s’éloigner, impuissant. Elle ne le voit pas exploser, se libérer, la retrouver. Elle est déjà ailleurs, endormie par les médicomages, le corps relâché, apaisé d’une mort qui est passée trop près.
Elle dort sans compter les heures, vidée de toute énergie, la main qui n’a plus besoin de se crisper, le cœur reposé d’être à ses côtés. Dort comme elle n’a pas dormi depuis des semaines, des mois, sans se laisser tomber, complètement bourrée et défoncée, entre des draps qui ne la verront que pour quelques heures, avant de se relever et de se traîner en cours, de l’anti-cernes pour masquer la nuit passée à danser (à boire, à se droguer). On récolte ce que l’on sème, mais Pandore est dans le déni de l’agriculture, persuadée que tout va bien, que ce n’est rien. Dans le déni d’une overdose qu’elle ne prononcera peut-être même pas. Son corps pris de convulsions, trouvé par une Gin paniquée ? Une erreur de passage, un faux-pas d’une soirée trop arrosée. Sauf qu’il n’est pas question d’un parterre de fleurs, c’est carrément l’océan tout entier qui s’est retrouvé trempé.
Dans son sommeil, elle s’accroche à Akira, parfois prise de fièvre, la tête secouée de cauchemars et de fantômes, les membres qui leur donnent vie. Mais tout finit par se calmer, éventuellement, et le silence retrouver la chambre blafarde qu’elle détestera voir au réveil. C’est le cas, bien sûr. Les yeux plissés, il lui faut quelques minutes pour comprendre qu’elle n’est pas dans son dortoir, pour reconnaître les traits significatifs d’un hôpital qu’elle abhorre. Préfère contempler le kasaï endormi, le visage pris d’un apaisement illusoire. Il finit par se réveiller lui aussi, d’un coup sec, ne prend pas le temps et quand leurs regards se croisent, on ne sait plus qui de l’un ou de l’autre vient de voir son corps éprouvé par la plus grosse des tempêtes. « You’re awake… » Elle sourit, répond à ses gestes par plus de tendresse, sans parvenir à le serrer plus fort ; elle glisse une main dans ses cheveux, la laisse dévaler sa joue, obligée de relever l’autre pour la poser contre son propre front. La douleur ne lui a laissé aucune accalmie et la migraine frappe déjà, insupportable et inépuisable. « Slept well? » La question semble futile, vu l’endroit, vu la gravité qu’elle lit dans son corps pressé contre le sien. « I was so scared I’d loose you. » Et malgré le déni, Pandore est gagnée par les frissons, obligée de le rassurer spontanément, presque trop vite. Elle est sincère, mais elle est aussi loin du compte. « That is nonsense, I promised I’d never leave you again. » Une manière de couper court, de lui montrer que ce qu’il imagine n’aurait jamais pu se passer — qu’un bouquet de fleurs, ça ne peut pas s’abîmer. Après un instant de silence, elle laisse échapper un râle, les doigts pressés contre ses tempes. « Fucking migraine. Do you see my pills somewhere? »

Je pars me rendre à l'évidence ;

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La fatigue lui pèse sur les yeux, car le sommeil fut craquelé de cauchemars, rongé par l’angoisse et l’inquiétude en éveil, de soubresauts qui surveille le souffle ; est-elle bien en vie, bien avec lui dans ce lit qu’il déteste voir l’accueillir, symbole de sa décadence. Mieux qu’un cercueil, mais tout aussi détestable. Dans l’élan de la retrouver, de se fondre dans sa voix qu’il entend résonner tout contre son oreille, Akira ignore la question du sommeil, se précipite sur cet état de conscience qu’il veut préserver, sauver des ruines, des dangers de l’esprit. Les mots précieux en barrière, pour retenir l’avalanche de la réalité. She was almost gone. Et comme par un instinct de se rassurer de toute la vie qui l’emplit, Akira se serre plus fort contre elle – tant qu’il sent presque les frissons la parcourir. That is nonsense, I promised I’d never leave you again. A son tour c’est son corps que les frissons parcourent. Les mots sont aussi absurdes que déraisonnés. Ils vacillent dans son esprit, mais il est incapable d’y trouver du bon sens et finalement se recule, pour prendre le temps de comprendre. But you almost did. Le ton est grave et le regard qu’il pose sur les traits creusés de Pandore est aussi sombre que la peur qui le ronge. Ses iris cherchent dans celles de sa meilleure amie l’épiphanie, la réalisation de sa situation. Akira est frappé par le décalage qui les opposent, cette distance qui navigue entre elle et lui et les empêche de se comprendre, même dans leurs regards. Elle ne le voit pas comme il la voit. Elle lui semble revenir d’un affreux voyage, et lui il lui apparaît sans doute comme n’importe quel autre jour. Dans cette extase de leurs deux réalités qui se confondent, Akira sourcille, profite de s’être reculé pour imposer à Pandore une considération presque sévère, dans ses airs graves. Mais la réplique lui est dérobée par un râle de douleur, et soudain la main de Pandore se porte à son crâne douloureux, encore secoué d’un voyage dans l’entre deux. Fucking migraine. Do you see my pills somewhere ? Akira la scrute et trébuche sur les mots qu’elle ose prononcer, d’une audace sans pareille qui lui colle la nausée. Abruti par la demande. Her pills. Sans être capable de distinguer la colère au milieu de sa stupeur, il secoue la tête, négatif, davantage car il n’ose croire à ses propos. Are you fucking serious ? Le ton ne monte pas haut, encore emprunt de cet état second où tout est éthéré, distant, fragile. Have you any idea of what just happened, Pandore ? Un soupir de désarroi se perd dans sa gorge, et Akira se prend la tête dans une main. Fuck your pills. You – Sue me for trusting you on this. Why did you take all these bullshit ? It was too much. Way too much. Le débit est secoué par les émotions, la nervosité qui grimpe et enflamme ses veines. It’s an overdose, Pandore Aguilar, do you fucking hear me ? You want to die or what ? Silence de mort. Fuck. Il se sent partir, emporté par des vents contraires – des sentiments en pagaille – et préfère se lever du lit, avant que la voix ne monte davantage. Mains croisées derrière la nuque, avant de les passer dans ses cheveux pour chasser l’agitation qui s’empare de lui. Ce n’est pas le moment.

2 Juin 2021 — [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Au début, ils sont dans le même lit, mais c’est comme si des dizaines de kilomètres les séparaient. Tremblement de terre, les deux continents se sont séparés et Akira ne peut que tendre le bras vers une Pandore qui regarde le ciel en se demandant ce qui vient de se passer — non, pire, en se disant que le ciel est particulièrement sombre, ce soir. Alors évidemment qu’il est choqué, à peine réveillé d’une nuit à cauchemarder, d’à quel point Pandore lui semble éloignée de la réalité, comme si les dernières heures ne s’étaient simplement pas passées. « But you almost did. » C’est étrange, parce qu’elle réalise la gravité d’une overdose et à la fois elle semble ne pas le faire, se dire que ce n’était qu’un rhume ou qu’une crise passagère. Qu’elle n’a pas réduit son cops à néant depuis des mois jusqu’à le faire craquer et que jamais sa vie n’était en danger, après tout si c’était si grave elle ne serait plus là. Se sent grondée par le regard fermé et inquiet d’Akira, les joues rosies et l’une de ses mains qui cherche la sienne pour le rassurer, lui montrer qu’elle est bien là et que septembre ne se reproduira pas. Septembre et juin, s’il fallait être précis. Alors elle ne trouve rien à lui répondre, la bouche ouverte mais les mots qui ne sortent pas, parce qu’elle sait que ça ne sert à rien. Quoi qu’elle lui dise, Akira a vécu l’une des pires nuits de sa vie, s’est imaginé l’enfermer dans un cercueil sans un adieu, revivre son départ en septembre dernier, sauf que cette fois le billet aurait été un aller simple et le voyage n’aurait pas eu de retour prévu. Elle serre juste ses doigts parce qu’elle ne peut faire que ça, d’une promesse silencieuse qu’elle ne partira pas, qu’il n’a pas à s’inquiéter, tout en sachant qu’il continuera à le faire.
Jusqu’à ce que. Le tremblement de terre a beau avoir séparé les continents, intervient une nouvelle collision et Akira se tend soudainement, face à cette Pandore qui rêve éveillée. Il doit se dire qu’elle n’a pas pu faire d’overdose, elle est complètement stone. Pas d’autre explication pour un tel déni, pour une attitude si éloignée de la réalité. Et ça explose, mais la grenade est douce et lui donne seulement des frissons. « Are you fucking serious ? Have you any idea of what just happened, Pandore ? Fuck your pills. You – Sue me for trusting you on this. Why did you take all these bullshit? It was too much. Way too much. » En retour, rien. Silence radio, Pandore a toujours la bouche ouverte et le laisse débiter le flot empli d’angoisses, de colère, sans qu’il ne réalise que c’en est. Elle lâche sa tempe et le bras retombe contre son corps allongé. Dans son esprit, c’est la troisième guerre mondiale. Pandore revoit les soirées qui s’enchaînent depuis janvier, les verres, les drogues, mais secoue doucement la tête, non, c’était une erreur, oui, elle a un peu bu, a pris des drogues, mais c’était seulement une mauvaise réaction, son corps n’était pas habitué aux nouvelles pilules données par Akira, c’est tout. Circulez, il n’y a rien à voir. « I, no, it’s not… » Elle ne termine pas parce qu’il reprend de plus belle et elle n’ose plus lâcher sa main, se dit que peut-être que sa présence le calmera, à défaut de la voir reconnaître la gravité de ce qui s’est passé. « It’s an overdose, Pandore Aguilar, do you fucking hear me? You want to die or what? » Silence douleur, elle bredouille des onomatopées insensées, évidemment que non, elle ne veut pas mourir (quoique, est-ce qu’elle ne le mériterait pas, au fond?), ce n’était qu’une erreur. « Fuck. » Il se dérobe à elle et Pandore le sent partir dans tous les sens du terme, reconnaît ses gestes et ce qu’ils annoncent. « Hey, hey, hey », qu’elle murmure en se levant difficilement, se rapprochant pour le prendre dans ses bras — s’appuie plus sur lui qu’autre chose, pour être sûre de ne pas tomber, incertaine de ce que son corps peut supporter. « I’m sorry, I’m sorry. » Elle le serre dans ses bras et le berce en répétant encore et encore à quel point elle est désolée, et elle y croit, elle y croit sincèrement, ce n’est pas la question. Sait qu’au fond elle a tout, sauf envie de se prendre la tête avec lui, alors au milieu du silence qui s’installe quelques secondes entre eux, en continuant de le bercer, la tête enfouie près de son oreille, Pandore jette les armes d’un déni dont elle n’arrive pas complètement à se détacher. « I see him everywhere. Him, and his family. » Famille inexistante, elle ne les a pas cherchés, n’a pas osé. Elle a préféré l’inventer et au milieu de la piste de danse, quand elle était sur le point de craquer et de prendre une nouvelle pilule, elle imaginait ses enfants courir et rigoler. C’était ça, qui la décidait.

Je pars me rendre à l'évidence ;

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You want to die or what. Ce n’est peut-être pas tant le souffle de la colère en stupéfaction qui le fait souffrir. Ses propres mots mettent en contraste une réalité qu’il n’avait jamais osé imaginer. What if she wanted to. Was it just an accident. Le verbe tranchant comme la lame d’un couteau qu’il enfonce dans la plaie. Une chute invisible au milieu du néant. La mort à la porte, qu’ils n’ont fait que retarder. Que saluer. De l’autre côté elle les scrute. Elle appelle Pandore. What if. Cela fait bientôt un an que Pandore a disparu dans un au-delà où Akira ne pouvait la voir – ni l’atteindre. Quasi-morte. Il l’avait cru partie à jamais. Quatre mois d’absence qui ressemblaient à l’éternité. Refusait de se l’avouer, continuait toujours à la chercher dans l’invisible. Mais Akira n’est pas un naïf. Bien sûr que la mort l’a effleuré. Bien sûr qu’il a pensé ne jamais la revoir – finalement. Bientôt un an. Et seulement six mois qu’elle est de retour. Et une fois encore, elle manque de s’envoler. Le laisser là, et partir à jamais. Comment lui en vouloir… De ne pas vouloir continuer. Une vie de mensonges et de douleurs, traînés en boulet. A jamais pendus à ses pieds. Souffrance en fond de pensées, de crimes qui la hante sans jamais se faire pardonner. Comment lui en vouloir…

Fuck. Et Akira ne supporte pas cette idée. Incapable de la sauver d’elle-même, en réalité. Ses bras ne la tiendront jamais assez fort contre lui pour l’empêcher de partir. Ses mots ne seront jamais assez convainquant pour lui faire comprendre qu’ils y arriveront. Qu’ils surmonteront cette vie ensemble. A deux sinon rien, putain. Se sent si impuissant – privé de toute capacité de l’aider. Comment faire pour la sauver. Pour être son ancre et sa bouée. Veiller sur elle comme il lui a promis. Fuck. Fuck. FUCK. L’échec lui enserre la gorge, et la fièvre lui monte, qu’il tente de chasser en passant ses mains dans ses cheveux. Dérape dans cette presque-ivresse de colère, qu’il retient en barrière. Elle est à des kilomètres de la vérité. Et lui est à des kilomètres de pouvoir la sauver, en réalité. Il n’a sauvé que lui, de cette vie. Fuck. Se crispe en lui-même, proie de ses pensées corrosives. Fuck.

Hey, hey, hey, il se retourne pour la voir tenter de se lever, et aussitôt Pandore éclate la bulle de ses réflexions parasites. Le ramène à la réalité, à l’instant présent. Lorsqu’il la voit difficilement prendre appui et s’essayer d’un pas fragile sur le sol froid de la chambre. Wait – Don’t, et plus que de l’empêcher, il vient la récupérer, dans cette étreinte qu’elle venait lui apporter pour l’empêcher de s’emporter. Lui tombe dans les bras plus qu’elle ne l’enlace, mais l’effort vaut mille de ces gestes de tendresse. Aussitôt, Akira noue ses bras dans le dos de Pandore. La retient de faire un pas de plus. De tomber. De partir. De le laisser. L’enserre, davantage qu’il ne la retient de chuter. I’m sorry, i’m sorry. – It’s alright. Les paroles ont un air de caresses lorsqu’elles se murmures si près de sa peau. Retrouve son souffle dans le parfum de ses cheveux bouclés, tandis que ses pensées mortifères s’évanouissent dans les balancements de Pandore. Machinalement, Akira imite le geste, pour elle et non pas pour lui, sans rien dire. Et lorsqu’il sent le bercement s’essouffler, il initie doucement le rapprochement près du lit, et l’incite à s’y asseoir, sans jamais, jamais la lâcher.

Cramponnée à lui comme un rempart à ses émotions. Comme ils l’ont toujours fait, des années en arrière. Pour ne rien rompre à l’étreinte dans laquelle chacun puise sa salvation, Akira ramène les jambes de Pandore sur ses genoux, la tenant toujours au plus près – ne se lasse pas de sentir son cœur battre contre son torse. Bien en vie. Ni son souffle s’expirer en douces chaleurs contre son oreille. Le silence les protège des débris des aveux. Des vérités qui coupent. Des mensonges dangereux. Mais ils savent que c’est de courte durée. Qu’ils ne peuvent pas continuer de l’ignorer. I see him everywhere. Him, and his family. Et la bulle éclate. Mais Akira raffermit l’étreinte, dans l’absence de ses mots à lui.

Ils ne seront jamais bons, ses mots. Il voudrait lui balancer que cet enfoiré participait aux projets du Gouvernement. Que d’une manière ou d’une autre, elle a épargné à d’autres de subir ce qu’il lui a fait subir au travers des expériences. Que ce n’est que justice. Une justice sale, qu’elle n’a pas pu choisir. Mais une justice quand même. Jamais il ne pourra lui dire ça. Car Pandore, elle est trop douce pour cette réalité. Trop fragile pour supporter le poids de ce combat – la violence, assumée et vouée. Elle veut faire le bien, et donner le plaisir de son don – partager son Paradis intérieur. Protéger et aider, comme elle l’a toujours fait avec lui, et d’autres. Elle ne pourra jamais entendre que tuer était mérité. Que Akira n’éprouve aucun remord à cette vie qu’elle a éclaté. Pire, il aurait préféré le faire à sa place. Au moins, il lui aurait épargné tous ces regrets. Silence, quand il vient glisser ses doigts dans les boucles de Pandore. Préfère se taire que de lui mentir.

Un crime involontaire qui lui pèse et l’emprisonne. Aux yeux du gouvernement, et vis-à-vis d’elle-même, qui se hait intérieurement de l’avoir fait – malgré elle. I see him. Culpabilité. Everywhere. Permanente. Him and his family. Torture interne. You didn’t mean to. A peine audible, juste assez pour qu’au creux de son cou, elle puisse l’entendre. They pushed you to. Essaie une légère caresse dans son dos pour appuyer ses mots et leur donner le réconfort qui manque à son ton. You’re a good person, babe. They used you and – … Pause. Sa main s’arrête aussi. It went wrong. This time it was – him. Other times it’s – one of us, il voudrait dire. Mais il ravale ses mots, se sentant déjà sur un terrain bien trop glissant, oscillant dans un discours plus qu’ombrageux. Soupir. Sa main reprend la caresse, machinalement. It’s all fucked up. You didn’t ask for any of this bullshit. But you’re good Pandore. You’re good, I swear.

Retrouve le silence, comme une couverture qui se dépose sur eux, sans jamais se lâcher. Quelques instants, c’est tout ce qui les bercent ; ce vide et l’écho de la voix d’Akira dans cette chambre d’hôpital. I don’t want to know what it feels like. To lose her for real. Don’t want to fill my head with pills ‘cause I couldn't help her right. Mais ces pensées passent seulement dans sa tête, pour ne jamais être prononcée. Conserver un peu de cette tranquillité dans laquelle ils sont bercés. Au moins ce soir.

2 Juin 2021 — [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

En tête-à-tête avec le déni, elle refuse encore, ne parvient toujours pas à saisir la gravité de ses maux, de la tornade passée hier. Persiste à comparer une overdose à un rhume, ne se rend compte de rien, ne voit que le traumatisme, le fantôme et les substances qui se sont enchaînées pendant des mois sans penser aux conséquences. Il faut dire qu’elle n’avait pas la place, ses pensées étaient déjà trop comprimées, poussées dans un tiroir pour laisser la place à celles qui nourrissaient sa culpabilité, son deuil pour un homme qu’elle ne connaissait pas, sa douleur d’expériences qu’elle aurait préféré oublier. Mais ils n’avaient même pas essayé de lui faire oublier, elle n’avait jamais su pourquoi. Peut-être qu’ils pensaient que son hensoku allait les en empêcher, garder sous clé les traumatismes pour mieux les révéler, des mois ou des années après ? Elle aurait voulu ne pas se souvenir de la douleur et d’un autre côté c’était ça qui la faisait tenir, le fait de se dire qu’elle y avait survécu, le fait de panser ses cicatrices — dans l’insouciance on ne guérit de rien.
Alors pourquoi s’en ajouter une autre ?
Ce n’est qu’en voyant l’angoisse déborder de ses traits que Pandore comprend. La pensée s’impose, explose, comble tout, le tiroir et le reste, comble même les pensées envahissantes. Hier soir, elle a failli mourir. S’éteindre dans l’ombre de son appartement, sans personne à ses côtés, sans lui. Dans la douloureuse solitude qui la terrorise depuis toujours et dans le silence de ses convulsions, sans personne pour la rassurer, lui dire que tout va bien se passer, ou bien au contraire la secouer, se battre pour la garder. Pandore comprend et culpabilise, parce qu’elle aurait dû en parler avant, le laisser l’aider, comme ils se l’étaient promis il y a des années. À deux sinon rien, putain. « It’s alright. » Alors forcément elle n’y croit pas, parce qu’elle a failli mourir et qu’il n’était pas là, parce que si elle était morte il ne serait plus jamais là. Parce que rien ne va depuis septembre, que tout tombe en miettes, que le monde s’écroule et que tout fout le camp (qu’elle tue des gens). Parce qu’elle ne lui a rien dit de ce qu’elle vivait, voyait, et qu’il se retrouve à ramasser les morceaux brisés de son esprit à la cuillère. Mais elle ne dit rien, parce qu’à quoi bon ? Ils le savent tous les deux, que ça ne va pas, et que ça n’ira pas mieux dans cinq minutes. Les pages sont trop rugueuses pour être tournées d’un coup. Ils préfèrent se plonger dans l’étreinte bienheureuse qui annihile le reste, se créent une bulle, la même qu’il y a des années, faite d’amour et de promesses. De petits doigts enlacés et de je t’aime murmurés. Elle fait du bien, au moins pour un instant. Panse les blessures à la place des poudres et des verres. Elle l’écoute la rassurer, les yeux fermés, s’épanche de sa présence. Akira a beau être la colère personnifiée, elle il l’a toujours apaisée, a calmé les maux en tous genre comme elle calmait les siens. « It’s all fucked up. You didn’t ask for any of this bullshit. But you’re good Pandore. You’re good, I swear. » Est-ce qu’on peut être une bonne personne, même avec une anomalie ? Elle n’en est plus sûre. Laisse couler ses larmes dans le silence qui suit, accrochée à lui, et voudrait que cette étreinte et ce moment ne s’arrêtent jamais. Espère que la bulle n’éclatera jamais.