in pieces (pandore/atlas)

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

☽. alone made of ice  

— 15.02.2021 —

Valse des regrets au goût trop amer dans la poitrine, Atlas ne cille pas. Démarche habituellement trop droite et pourtant cinglante de douleur lorsque chaque pas est une épreuve -granit détruit à la pioche. L’enfant du marbre et du papier mâché. Poussière, lorsqu’il se penche, et encaisse un énième haut-le-coeur, mais rien ne vient entre les lèvres : ni bile, ni brume.
Rien.
Plus rien.
Cerveau et désir parti en fumée avec le prénom d’un autre.
Sur la peau glacée, entre les cuisses, contre les lèvres, dans le coeur, il porte les marques de Charon. Malédiction à laquelle il s’est donné tout entier, première fois au goût de sel, il l’avait tellement désiré. Voulu jusqu’à la presque folie. Regretté aux sanglots qui ne viennent pas. Atlas est vide de tout, et pourtant ses mains tremblent. La tête tourne lorsqu’il appelle à l’aide sans le dire, écran rétroéclairé et le nom de Pandore acide au goût d’inquiétude. I’m so sorry. il aurait du rester avec elle, au lieu d’écouter un esprit trop flou pour son propre bien. Tu n’as jamais su ce qui était bon pour toi, Atlas. Chemin opposé dans lequel il a trébuché, les écorchures ont traversé la peau.
Il s’écroule sur le banc en fer froid de l’arrêt de bus, son reflet le nargue aux airs de naufrage. Rouge presque entièrement effacé teinte les lèvres et le menton, sous l’épais col de son manteau se dissimulent des marques de dents. Ses cheveux sont en bataille, et lorsqu’il les attache à la va-vite, des mèches s’échappent. Coeur lourd lorsqu’il repense à ses doigts à lui. Ceux qui pensaient sûrement, dans les mirages de ses yeux clos, toucher un autre. Tout ce qu’il n’est pas. Ferme les paupières, fort, pour éviter de croiser son propre visage, ou celui d’un autre. Il ne veut plus être le porteur du monde. Ni le cygne.
Plus être personne.
Appartenir au vent.
Et sans rien espérer, il attend.

Elle court si vite qu’elle en oublie de respirer, galvanisée par l’espoir autant que par la colère ; elle a envie de le gifler, de le secouer, au moins de le récupérer. Elle est partie sans réfléchir, sans dire un mot, a quitté les bras d’un Marlon endormi. A quand même pris la peine de laisser un mot griffonné à la va-vite avant de s’éclipser, sa couronne à la main et le froid qui mord sa peau dans une douleur qu’elle ignore. Dans la pénombre des lampadaires, elle devient lionne enragée, les doigts à pianoter frénétiquement, qui hurlent des mots sur un Atlas perdu, et l’angoisse qui revient. Il ne sait pas où il est et elle ne sait pas ce qui s’est passé, l’imagine déjà esseulé, blessé, en sang ; le pire, en rejetant toute explication rationnelle, sans chercher à comprendre ses messages, le sous-entendu ignoré, passé à la trappe. Tout ce qui lui importe, c’est de le retrouver, dans le labyrinthe de rues heureusement vides. Ses talons s’éclatent contre le bitume, cassent le silence d’une nuit bien trop riche, montagnes russes alors que ni lui ni elle n’ont pris de ticket. Ils ont commencé la soirée avec le vertige et les voilà en haut du grand huit, sur le point de s’élancer dans une chute dont on ne voit même pas la fin. « Fuck, Atlas, where are you », grincé entre les dents, parce qu’à force de faire les rues elle aurait dû le trouver, mais ne fait face qu’à son reflet dans des vitrines parfois encore illuminées.
Elle passe à côté de l’arrêt de bus presque sans le voir tellement sa silhouette se fond dans le décor, bossu, acculée par la vie, les yeux fermés, et en le reconnaissant elle s’élance plus vite, laisse ses émotions la submerger. Sauf que sa colère se noie dans un verre d’eau, et quand enfin elle parvient à sa hauteur, elle s’effondre et le prend dans ses bras, envoie valser les peurs de contact et les angoisses de proximité, les bras qui se pressent contre sa nuque et sa tête dans son cou, à en presque l’étouffer, de colère, d’angoisse, d’amour. Elle s’énerve en silence, par ses gestes, ne le lâche que quelques minutes plus tard, les mains qui entourent son visage — et elle s’aperçoit de l’étendue des dégâts, les traits qui s’adoucissent aussitôt, le pouce qui caresse sa peau blessée, voire brisée. « It’s gonna be fine. Everything’s gonna be fine. Come on. » Elle l’aide à se relever, jette un œil à ses mains dénudées, aux taches de suie dont elle n’a jamais douté de la beauté. Elle enlace leurs doigts sans lui demander son avis, comble les dizaines de questions et l’impuissance par du contact qu’il n’a pas le droit de refuser, parce qu’elle aussi en a besoin, parce qu’elle a eu l’impression de le perdre, ce soir. « We’re going home. » Et elle s’exécute aussitôt, les fait transplaner jusque devant son dortoir, lâche une de ses mains pour ouvrir la porte, l’accompagner jusqu’à sa chambre. « Sit down. » Et malgré tout, elle ignore son cœur qui tambourine, les émotions sur le point de l’avaler, le hensoku qui tend les bras à une angoisse encore trop pressante.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

☽. alone made of ice  

— 15.02.2021 —

Les poings se serrent, comètes prêtes à abattre une terre déjà brûlée. Sans force. Sans rage. Vide.
Vide.
Vide.
Jusqu’à la voix, inquiète aux chaleurs d’un printemps qui le ramène au juste ciel. Pandore est là, rayon de soleil, reine brisée et aux airs épuisés -il sait qu’elle a sûrement vécu d’autres choses, peut être pires que lui, piètreries de caprices adolescents, mais il n’a pas la force de lui demander. L’étreinte est salvatrice pour le corps mais meurtrit le corps, lorsque les sanglots montent dans sa gorge comme une amère marée. Il les retient de justesse, mais ils sont là. Tapis dans l’ombre d’une silhouette qui n’est que brouillard, comme le hensoku. Des volutes de fumée noire qui se changent en nuages orage. Le ciel n’est pas dégagé, il est sombre et effrayant. Tout est effrayant dans une nuit sans lumière, mais les mains dans les siennes le rassurent -un peu. Elle tente des mots qui soignent, mais ne sait rien. Et parle d’un foyer qu’il ne connaît pas. Home. Terme inconnu pour l’astre qui ne brille pas et n’a jamais trouvé sa place nulle part. Se sent plus en sécurité sur un banc froid d’hôpital que dans la maison familiale, plus au chaud dans une malle entrouverte que dans une chambre aux airs inconnus. Dévasté par l’absence, statue de cire ne bronche pas, accumule la nausée et les larmes lorsqu’il disparaît du quartier maudit. Et il fait ce qu’il a toujours fait de mieux : il obéit.
Le lit craque sous son poids,
la cage thoracique se libère. Démon aux airs de bruine, la pluie sur les joues. Atlas enfouit sa tête entre ses mains. « I’m so sorry Pandore... » répète de vive voix les mots tapés en désespoir de cause, brisés -comme lui. Les sanglots ne s’arrêtent pas, lui pourtant habitué au masque de l’indifférence. Ne pas se montrer faible, ne rien montrer du tout ; lèvres pincées mâchoire serrée pourtant le marbre se fissure pour se briser entièrement, Atlas secoué, comme une feuille ballottée par le vent.
Même l’air dans les poumons lui semble violent.

Elle voudrait ne plus jamais le lâcher, si elle avait la conviction que ça permettrait de le protéger, si elle était certaine de pouvoir le faire — elle ne l’est pas, encore moins maintenant, comment peut-elle le protéger si elle n’a pas été capable de se protéger elle-même ? Et plus le temps passe plus elle distingue en lui des traits de Noé, d’un enfant que la vie force à grandir mais qui se rebelle, au risque de s’en brûler les ailes parce qu’il s’est approché trop vite du soleil. Sauf qu’Atlas est une éclipse, ce soir, et qu’elle ne peut que contempler sa chute, impuissante, arrivée trop tard, seulement capable de récupérer les morceaux restants d’une charogne tuée par celui dont on ne doit pas prononcer le nom, Charon, à des kilomètres de se douter que c’est de sa faute. Elle se précipite, sans hésitation ni regards en arrière, guidée seulement par ses émotions. Ce n’est pas idéal, parce que c’est bancal, fébrile, c’est faire le funambule au risque de tomber de la falaise dans un monde imaginaire, mais quand Atlas s’assoit sur le lit et que l’orage gronde en-dessous de ses yeux, elle se dit que c’est la première fois qu’elle le voit pleurer et en même temps qu’elle l’aime, maladroitement, sans savoir comment. « I’m so sorry Pandore... » Elle s’agenouille à ses côtés, la main qui relève son menton. Elle voudrait éteindre ses larmes comme on éteint la lumière, facilement et sans réfléchir, mais dans sa propre cage thoracique son cœur se déchire en deux de le voir ainsi blessé, vulnérable, ouvert en deux devant elle, pour la première fois. « It’s fine cariño, don’t worry, you’re safe now. » Elle le prend dans ses bras, à nouveau, une main qui lui caresse distraitement les cheveux et l’autre qui fébrilement en glissant sur sa nuque découvre des traces de morsures dans son cou, les sourcils qui se froncent et la colère qui redémarre, l’envie de savoir et l’envie de se venger, la bouche qui dépose des baisers sur des tempes abîmées, dans le déni de ce tsunami qui monte. Elle finit par se reculer, feint le calme pour le rassurer, ignore la tempête, et d’un doigt qui écarte une mèche rebelle elle lui adresse un sourire tendre. « I’m gonna go get something to wash you up, kay? » Elle le lâche seulement un moment, revient rapidement avec un gant démaquillant chaud. S’assoit à ses côtés, à essuyer le déluge avec un radeau apaisant, à se concentrer pour calmer son propre orage. « Do you wanna talk about it? Who did this to you? » Sans savoir qu'elle s'apprête peut-être à ouvrir une boîte de Pandore.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

☽. alone made of ice  

— 15.02.2021 —

Marée échouée contre un rivage déjà en cendres, les soubresauts du coeur ne semblent pas se tarir, loin de là. Atlas n’a sûrement jamais pleuré comme ça, prostré dans ses positions statuesques, statique pantin de bois à qui on a toujours appris les sentiments contraires -à tout refouler. Ce soir, c’est en pièces détachées que les bras de Pandore l’entourent, et même si elle rapproche les morceaux les uns des autres, elle ne recolle rien. Il la regarde silencieusement, et aimerait lui dire que rien n’est de sa faute, que l’inquiétude sur son visage doit être effacée, qu’il ira bien. Puisqu’il ira bien. Il le sait, au fond, haine de lui-même trop tenace et épaisse comme un manteau dont il doit simplement se rhabiller. Atlas se redresse un peu, et hoche la tête, maladroitement. Honte qui commence à monter devant la faiblesse -il ne craque jamais devant les autres. A même du mal à se montrer vulnérable devant le miroir. Ras-de-marée qui n’a pas su être arrêté plus tôt.
La sensation tiède du gant contre les joues brûlantes apaise, et petit à petit, les sanglots se calment un peu. Hoquets qui le prennent de temps en temps et reniflements de gamin -il déteste ce tableau qu’il dépeint de lui-même, alors il ferme les yeux. Absent, presque. Puis nouvelle décharge lorsqu’elle lui pose la question inattendue. Et il réalise son rouge à lèvres déteint, sa ceinture oubliée, les possibles marques au creux de son cou laissées par les crocs à l’abandon. Retient sa respiration. Comme aux aguets. C’est Pandore. Captive à ses côtés. Il peut lui faire confiance, non ? Au moins sur ça.
Le poids est trop lourd à porter.
« You don’t know h-him. » aveu en demi-teinte d’un être du même genre, comme honteux. Baisse la tête et dévie un instant sa main, son regard, elle. Le regret comme un poids du monde sur ses épaules. « It was my first time and he thought about someone else. »

Elle sent le raz-de-marée arriver, mais le contient depuis qu’elle l’a retrouvé, en pièces, sur le banc d’un arrêt de bus aussi délabré que lui l’était. Ce n’est pas le moment de flancher ni le moment de lui en rajouter, parce qu’Atlas a besoin d’elle dans la réalité, pas dans un rêve éveillé, un autre artifice, une illusion qui ne pourra le protéger que quelques instants. Elle n’a aucune idée de ce qui lui serait montré, et cette incertitude suffit à la persuader de se contenir, d’apaiser des émois guidés par l’irrationalité d’une angoisse amoureuse. Ce n’est pas le moment, mais on choisit rarement le moment, et ça n’arrive pas toujours quand on le veut ; elle aurait dû le savoir.
Là, en face d’elle, Atlas semble son propre antonyme, incapable de porter le monde, porté par les sanglots qui finissent pourtant par se calmer. Cette vulnérabilité le rajeunit, lui donne des airs enfantins, d’un visage brouillon aux mèches rebelles par dizaines, cheveux attachés avec l’empressement du traumatisme, ça se sent. Il a l’air d’un tableau qu’on aurait volontairement gribouillé, à la main, les doigts recouverts de peinture comme les siens le sont de suie. Et ça la met en rage, à l’idée qu’on ait pu le briser, parce qu’il ne mérite pas ça. Il a déjà suffisamment souffert, peut-être plus qu’elle, même, à porter une épée de Damoclès depuis l’enfance, responsable d’une anomalie qu’il n’a demandée à personne. « You don’t know h-him. » Elle se fiche de savoir qui c’est, en réalité, parce qu’elle sait qu’elle risque de faire quelque chose puis de le regretter, alors elle n’en demande pas plus, ne cherche pas à obtenir un prénom. Aurait brûlé les ailes de Charon si elle avait su, à ce moment. « It was my first time and he thought about someone else. »
Alors ça fait ce bruit, un cœur qui se brise par empathie.
« He doesn’t deserve you. I’m so angry. He should be ashamed, he- »
Impossible de contenir le tsunami. Atlas a quitté le gala pour retrouver quelqu’un qui ne le méritait pas, qui ne voulait pas de lui. Qui imaginait une autre silhouette à ses côtés. Elle se perd dans les affres de ses propres émotions, persécutée par ce qu’elle ressent. Elle se sent partir, en colère de son départ de la soirée, de son silence, angoissée de ne pas avoir su où il était ; en rage de l’avoir retrouvé brisé. « Fuck, fuck, fuck. » d’un ton empressé, paniqué, pas le temps de lui expliquer que déjà ils ont quitté la chambre, remplacée par une pièce noire, éclairée d’une seule ampoule qui tangue, menace de tomber ; Atlas comme son radeau de la méduse, illumination dans un océan de colère et d’angoisse. « I guess it was time you see it. », mais elle voudrait rire jaune de cette illusion qu’elle sait autant le contrôler que lui.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

☽. alone made of ice  

— 15.02.2021 —

Tête qui se balance de gauche à droite, mouvement sec de couperet, -parce qu’elle a tort. Le mérite n’est pas dans la balance. La honte peut être. Atlas qui n’arrive même pas à ressentir de rage, tant le dégoût s’insinue sous les veines. Il se sent sale. Il se sent meurtri. Acculé d’ailes qui ne sont pas les siennes et saignent à vif -la colère viendra plus tard, il ne le sait pas encore. Sent encore sur sa peau les échos des doigts de Charon, ses lèvres, ses souffles -tous destinés à un autre qui n’est plus. Déteste les cinq lettres murmurés dans un soupir d’après extase qui lui ont enfoncé une lame dans le coeur. Mais il n’en dira rien à Pandore, car il ne sait pas ce qu’il ressent, sinon du vide, et l’impression que le monde s’écroule. Le monde n’a jamais été à toi de toute façon. Et lui non plus.
Il aurait du se sentir honteux de lui dire qu’il l’avait « trompée », mais leur relation n’a jamais eu ce but. C’était clair depuis le début, sans même échanger de mots, et il la voyait se débattre avec les yeux sur les autres. Jalousie inconnue, ils n’étaient que de façade. Les sentiments étaient profonds, mais ailleurs. Atlas ne connaît pas l’amour. Il connaît la tendresse, et c’est cette dernière qui l’habite lorsqu’il pense à elle -c’est sûrement mieux comme ça.
Et dans les affres d’un tonnerre silencieux, il ouvre les yeux sur une pièce noire. La chambre chaleureuse n’existe plus, et il sent comme un poids dans la poitrine. Ils n’ont pas transplané -c’est autre chose. Un endroit qui n’existe que dans les songes : un lieu qu’il ne connaît pas. « Pandore, what is this… Where are we ? » Il n’a pas vraiment peur, mais il n’est pas curieux non plus. Inquiétude en demi teinte sans être angoissé -il a épuisé son stock pour la nuit, sûrement.

Et dans le silence, l’angoisse de leurs corps valdingués par le voyage astral, envoyés valser sans crier gare, Pandore se dit qu’elle n’a pas réussi à le protéger du monde. Elle a failli à une tâche qui ne lui avait été donnée par personne sinon elle-même, à se persuader dès la chambre d’hôpital qu’il allait falloir tenir ses épaules pour qu’il ne tombe pas à la renverse, remué par le vent bien plus violent que lui. Comme tenait-il debout, avec un corps et un cœur aussi frêles ? Épouvantail humain, Atlas avait constamment des vêtements trop grands pour lui, presque aussi grands que son fardeau, que ses traumatismes écrits à l’encre invisible sur ses mains tremblantes et ses prunelles-panique. Elle n’a que ça à l’esprit, si bien que les bourrasques viennent de plein fouet frapper l’unique lampe, à la faire tanguer dangereusement, la menacer de s’écrouler — comme eux. Il lui faut fermer les yeux un moment pour calmer la tempête, mais elle a la colère et l’angoisse accrochées à la peau, pas prêtes à se détacher. L’imaginaire alterne entre bourrasques-inquiétude et chaleur extrême, symbole d’une colère qu’elle dirige vers un fantôme dont elle pense ne savoir rien. « Pandore, what is this… Where are we ? » Elle rouvre les yeux, poing serré pour feindre une contenance qu’elle a perdue depuis le début du voyage. « We’re in my head… -sort of. » Gagnée par ses émotions, elle fait apparaître une ombre, sans visage, ignorante des traits du responsable des maux d’Atlas, l’esprit concentré pour ne pas multiplier les apparitions mais le cœur qui pense autrement. « I need to calm down, or I don’t know where we’re gonna end up. » Elle se parle autant qu’à lui, tente des exercices de respiration mais ne parvient qu’à voir rouge, qu’un canevas où tout se mélange, angoisse, colère envers lui et envers l’autre, déception, culpabilité de ne pas avoir pu le protéger. C’est le tsunami — au sens littéral du terme ; la pièce disparaît et ils se retrouvent perdus en pleine mer, à se battre contre des vagues déchaînées symboles de ses tourments intérieurs, appelés par les fonds, à menacer de se noyer à chaque instant. À moitié immergée, elle crie dans le vide, hurle un « Atlas! » dont elle n’a aucune idée de s’il l’a entendu. Elle parvient difficilement à le rejoindre, pourtant, hurle un « Are you okay? » entre deux gorgées d’eau avalées, un « I’m sorry, I’m gonna try to calm down, try not to drown in the meantime okay », sans lui dire qu’elle n’est absolument pas convaincue de sa capacité à se calmer dans un état pareil.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

☽. alone made of ice  

— 15.02.2021 —

Béquilles en piédestal fragile qui s’effritent sous le poids des pensées lourdes. Ses yeux se ferment, se rouvrent, mais toujours sur le lieu inconnu d’une scène d’ombres blafardes -une silhouette sans visage, dont il reconnaît pourtant le démarche. Paupières closes à nouveau -ils sont dans sa tête. La boite aux trésors et aux colères contenues. Il ne sait presque rien d’elle malgré les tendresses feintes et les moments partagés, mais Atlas devine les ouragans sous les boucles et les constellations gravées. Les mêmes qu’il tente de taire par tous les moyens. Elle a toujours été plus à vif que lui, lui dans ses faiblesses, et elle dans sa grandeur. Pandore faite de tempêtes lorsqu’il se change en brise. Et la peur monte, panique lorsqu’il tente de prendre sa main mais qu’une vague les submerge -conte imaginaire mais aux airs si réels lorsque ses poumons s’emplissent d’eau salée, qu’il resurgit à la surface en tentant de rester à flot. « Pandore ! » lorsqu’il l’entend nager jusqu’à lui, coeur si blasé d’être blessé qu’il semble presque plus serein qu’elle. Les connexions se font vite, manifestation de son Hensoku qui lui était inconnue jusque là. Pouvoir entrer dans sa tête. Il en serait presque triste pour elle, émotions qui débordent et eux deux qui boivent la tasse. Oublie presque la détresse qui suinte pourtant de ses pores, recouverte par l’écume. Attrape ses mains tant bien que mal par delà la tempête. « It’s gonna be ok. Look at me. I’m ok. » Pas vraiment, mais les larmes ont temporairement été remplacées par les embruns. Pieds en contre-balance pour éviter la noyade, sourire qu’il n’arrive pas à esquisser, une exclamation qui se perd lorsqu’elle détourne ses yeux des siens, qu’une vague leur fonce droit dessus. « Hold your breath ! »
Entraînés dans les rouleaux, sous une mer presque opaque aux airs noirâtres, ils ne se sont pourtant pas lâchés. Et les yeux ouverts dans le flou, Atlas nage jusqu’à elle, toujours vain aux tentatives de calme. You need to do something. Anything. Le signe fragile du pouce et de l’index reliés pour lui dire que tout va bien, et dans un élan de bien faire, il se souvient. Des quelques heures auparavant qui semblaient il y a une éternité, eux dans la cabine, et lui en pantin de tremblements, panique notoire au moment de se dévoiler aux yeux des autres. La voix de Pandore qui rassure et ses gestes qui calment. À sa manière un peu maladroite d’être là pour lui sans vraiment le connaître. Alors, cachés sous les flots tonitruants, Atlas tente de réparer les maux qu’ils partagent, et de rassurer. Une erreur douce lorsqu’il pose ses lèvres sur les siennes en y laissant quelques secondes de précieux souffle. Ce n’est pas un baiser d’amoureux, c’est un baiser de compassion, de tendresse et de lumière ténue. Une bouée pour sortir des abysses. Et ne plus se noyer.

Vulnérabilités échangées, les dés ont été jetés mais la table renversée. Ils n’ont plus rien de ces deux inconnus lancés dans les bras l’un de l’autre, d’une porte ouverte en tremblant, pour découvrir une silhouette frêle allongée dans un lit, pour apprendre à se connaître en partant de rien. Ils s’étaient apprivoisés, plutôt, parce qu’Atlas avait des airs de proie, de brebis égarée. Sauf que cette fois c’est Pandore qui a les membres tremblants, le cœur qui s’étouffe autant que la gorge, submergée par les vagues de son inconscient. Tout se mélange, tout devient confus, si bien qu’il n’y a même plus de certitude sur l’émotion la plus dévastatrice. L’écume est à la fois amour, angoisse, colère, s’immisce dans leurs bouches qui peinent à s’extirper hors des remous violents, à éviter les vagues comme des nouvelles attaques, irrégulières et imprévisibles. Elle n’arrive plus à penser au reste, au lendemain, comme si elle avait perdu la clé seulement après s’être enfermée dans une boîte enterrée six pieds sous terre. « Pandore ! » Les mains se cherchent mais ne parviennent pas à se trouver, doigts écharpés par les vagues-lames. Elle se laisse emporter comme si elle avait abandonné, les jambes secouées pour se maintenir à peine au-dessus de l’eau mais la gorge irritée par tout ce sel. « It’s gonna be ok. Look at me. I’m ok. » Elle le regarde mais tout ce qu’elle voit embrase le reste, parce qu’Atlas porte sa soirée sur le visage, brisé, blessé, privé de la douceur méritée. Elle ne le lâche pas pourtant, s’accroche à ses mains à défaut de ses yeux, loin du calme, à le chercher sans vraiment le faire, comme si elle se complaisait d’une certaine manière dans cette colère, cette inquiétude. Laisser ses émotions prendre le dessus semble toujours plus simple, de laisser le rouge s’emparer de ses prunelles et d’arrêter de réfléchir, de se laisser aller — de laisser les poings se serrer et les traits s’embraser. Elle finit par se forcer à regarder Atlas, pourtant, les pensées toujours saturées de houle. « Hold your breath ! » Elle obéit, machinalement. Rôles inversés, il avait fait la même chose. N’avait pas arrêté ses gestes quand elle l’avait emmené dans une cabine pour faire persister le mensonge.
Ils plongent dans le vide et dans le néant, mais elle ne le quitte pas des yeux — s’efforce en tous cas de le faire. La vague leur passe au-dessus, emporte leurs silhouettes qui, si elles dansent, se déchirent sur un tango vif et mordant. Atlas se rapproche et elle ferme les yeux, le cœur qui bat la chamade, à tel point que ça s’entend, ça devient le fond sonore d’une mer soudain devenue silencieuse. Boum, boum, boum. Elle n’est pas calme, on sent le courant les pousser dans un sens et dans l’autre.
Mais elle le devient quand leurs lèvres se rejoignent dans la timidité d’un baiser inattendu, quand Atlas ne trouve d’autre solution pour tenter de la calmer, de les sortir hors de l’eau, hors du vide ; pour rallumer la lumière. Il n’y a aucun spectateur, cette fois, seulement eux et le néant, un monde artificiel, les boum récurrents d’un cœur qui se calme. Des larmes dévalent ses joues, même si ça ne se voit pas dans l’eau. Elle ferme les yeux, sans bouger, à peine balancée par les vagues qui n’en sont plus vraiment. Elle sait qu’il a menti, qu’il ne va pas bien, que c’est tout le contraire mais elle ferme les yeux et quitte ses lèvres pour enfouir sa tête dans son cou. Les transporte ailleurs, se force à arrêter de penser à la mer pour la remplacer par ce qui vient, une ville dénudée de ses habitants, une rue, un arrêt de bus. Non, pas un arrêt de bus, c’est là qu’elle l’a trouvé, ça ne va pas — elle change, pour le haut d’une falaise, où le vent vient remplacer les vagues, les frappe de plein fouet, couvre les battements de cœur. Au loin derrière lui, une silhouette, de dos, la même que depuis plus de dix ans, qui se retourne mais finit par disparaître avant de se montrer totalement. « You’re not. You’re not okay. » Elle recule sa tête pour plonger son regard dans le sien, poser ses mains sur son visage de poupée chiffonnée. « But you’re not alone. We’re in this together, remember? » Et comme toujours, elle se parle sans doute autant qu’à lui, à tel point qu’on entendrait presque le vent se calmer un instant, comme si elle était parvenue à se convaincre, et à se calmer.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

☽. alone made of ice  

— 15.02.2021 —

L’urgence d’un désespoir cède au lascif poison de la panique. Le coeur qui bat à ses tempes n’est plus le sien, mais celui de Pandore, les émotions trop fortes qui débordent sont encore secrètes pour lui, mais il connaît la douleur, il connaît le contrôle, le calme qu’on s’impose alors que tout explose. La tendresse de chérir quelqu’un qu’on pense perdu. Les lèvres par delà les siennes tremblent dans l’eau salée. Le baiser timide, salvateur, désespoir, trouve un semblant de calme, la mer est toujours agitée, mais l’étreinte est douce. Il resserre ses bras autour d’elle comme l’amour qu’on a pas su lui donner, réconfort dans la tempête. Et puis, les vagues cessent, les lumières sont celles des réverbères, avant même qu’il n’ait pu goûter à la terre ferme, ses pieds se posent dans l’herbe. Les falaises comme celles des ancêtres qu’il n’a jamais connu -un parfum d’Ecosse, les embruns restent en bas, là où ils ne peuvent pas les atteindre. Au creux de l’étreinte qui ne s’est pas arrêtée même si les corps se sont éloignés, Atlas sourit, d’un sourire triste et fané comme les dernières fleurs avant l’hiver. « No, but I’m going to be. And I’m safe. » Il déposerait presque un baiser sur sa paume, si le geste lui était si peu familier. Atlas n’est pas habitué aux gestes de douceur, ou de tendresse, stoïque comme la statue qu’on lui a toujours dit être, les embrassades de Pandore comme étrangères, bien que chaleureuses. Avec un sourire un peu plus sincère qu’avant, malgré leurs peurs et leurs craintes et le couperet au dessus de leurs têtes de gamins, il tend son petit doigt. « Together. » Promesse d’enfant qu’il faisait avec son frère quand rien ne comptait encore. Sauf que tout est important, maintenant, et tout est grave. Un serment comme une protection éternelle. Le vent désordonne les boucles de Pandore et il sent encore les vagues contre ses tâches de rousseur. Il se demande s’il a l’air des abysses factices qui ont failli les emporter, quelques secondes plus tôt.