(18+) walls could talk ((pandore/atlas))

« Everything’s fine. » C’est ce qu’il se répète à voix basse avant d’entamer le pas décidé, litanie rassurante qui berce comme une comptine d’enfants, tout ira bien, car il n’a qu’enduré sans jamais faillir, sans jamais tomber, et que l’angoisse est passagère. Atlas déteste être le centre des regards, attention qu’il fuit comme une phobie permanente -pourtant ce soir, sous prétexte d’une naissance hypocrite, il lui a fallu être l’étoile du matin dans un ciel de jais. Mais tout ira bien. Parce que Pandore est là, qu’elle lui tient la main sans conviction réelle mais avec assez de chaleur pour rassurer un être tout entier, comme s’il était tombé du nid trop tôt et qu’elle l’avait saisi au vol de ses mains nacrées -alors tout ira bien. Il y croit. Se pare de faux sourires comme on se pare de diamants, inspire, longtemps, et tourne la tête vers elle -elle fronce un sourcil, car elle commence à le connaître par coeur. « I don’t like this kind of things, you know it. But it’s gonna be fine » , il y croit, se persuade, et finit par être convaincu -ça marche, à chaque fois. Esprit malléable. Alors on les guide, dans l’immense demeure décorée pour l’occasion, où déjà des gens anonymes s’affairent aux préparatifs. On les fait pantins, comme d’habitude. Atours sur-mesure et bijoux dorés pour faire briller l’esprit que l’on a que trop noir -puisqu’il faut privilégier l’apparence. Lorsqu’Atlas pousse la porte, il s’est habillé d’un sourire poli, l’habitude des gens qui le traitent comme une poupée à force d’interview ou de photographies depuis l’enfance -mais lorsqu’au delà de la fumée de cendres, il reconnaît le visage d’un conteur de malheur, c’est le salut tout entier qui se bloque dans la gorge. Yeux écarquillés comme on observe un incendie. La surprise muée en stupeur qu’il faut pourtant dissimuler -car personne ne sait rien, pas même Pandore, et que personne ne doit savoir. Alors Atlas fait ce qu’il fait le mieux : semblant. Se courbe un instant pour saluer comme la coutume le veut, puis dissimule sa surprise en politesse. « Pleased to meet you, sir. I’m afraid you’re not allowed to smoke in here, this wood’s ancient. » Ton de voix sobre, presque sévère, alors qu’au fond des prunelles, il le fixe en demandant silencieusement what the fuck are you doing here ? Et sa main n’a pas lâché celle de Pandore -au contraire, il lui écrase les doigts, sans s’en rendre compte.

Soirée où les paons sont rois, on a encore une fois demandé à Atlas et Pandore de jouer les balades nuptiales en public, d’exhiber un amour sans imperfections. Pour le moment il n’y a qu’eux, dans le silence d’un « Everything’s fine » lancé par un Atlas encore hésitant, à voix basse, dans un instant d’accalmie loin d’être désagréable, pour l’un comme pour l’autre. Il ne durera pas bien sûr, ils sont attendus. Ils ne durent jamais bien longtemps, représentent quelques secondes (minutes, s’ils sont chanceux), glanées au détour d’un couloir ou bien derrière une porte fermée. Il y a toujours quelqu’un pour ouvrir cette foutue porte. Et si d’habitude Pandore se sent à l’aise sous les projecteurs, ce soir elle aurait aimé la barricader et se réfugier ailleurs, fatiguée, de corps et d’esprit. Aurait voulu fêter son anniversaire rien qu’à deux, en avait même oublié le gala.
Mais leurs mains sont aussi liées que sont censés l’être leurs cœurs, alors on fait un effort et on masque le moindre doute, la moindre trace de fatigue derrière une queue de paon flamboyante. Et quand ils se regardent, l’un comme l’autre savent se lire et se traduire : elle, son sourcil froncé et sa main prête à presser la sienne au moindre désagrément. Lui, la fragilité dissimulée derrière ses prunelles embuées, l’assurance craquelée d’un sourire qui s’agrandit par défaut, pour le plaisir de spectateurs divers et variés. « I don’t like this kind of things, you know it. But it’s gonna be fine. » Elle porte sa main à ses lèvres, dépose un baiser sur le gant. « I’ll try to find a way to make you enjoy it. After all, it is your birthday. »
Porte ouverte, rideau. Ils se glissent dans une foule réduite, qui s’écarte comme on laisserait passer un couple royal, évitent des silhouettes grandement affairées qui manquent de les bousculer, se pressent en laissant échapper des onomatopées paniquées. Tout doit être parfait pour le diamant du gouvernement, puisque le reste de sa vie l’est continuellement. Finissent par arriver devant leur styliste pour la soirée, Pandore réagit en retard, les yeux qui descendent sur ses doigts écrasés par une panique incompréhensible d’Atlas. Ne voit pas tout de suite que les traits offerts à ses yeux sont connus, rappellent des confrontations douloureuses. Faites qu’il ne fasse pas les liens. « Pleased to meet you, sir. I’m afraid you’re not allowed to smoke in here, this wood’s ancient. » Atlas se ferme et Pandore resserre la pression de ses doigts contre les siens, caresse sa peau à travers le textile du pouce pour lui faire comprendre qu’elle est là et qu’elle ne le lâchera pas. Que quelque soit la raison de sa panique soudaine, ils la traverseront ensemble. Tourne la tête pour croiser son regard, demander silencieusement What is happening?. Elle en ignore presque la présence de Charon un moment mais finit par l’affubler d’un sourire sincère et d’un salut coutumier similaire à celui d’Atlas. « It didn’t occur to me that you could be our stylist. I’m sure our outfits will be a success, in your hands. » Il est évident qu’ils se connaissent, et encore une fois Pandore manie les informations données par Swann avec une certaine délicatesse, mais une part d’indiscrétion, au courant de son métier et surtout de son talent. Elle tourne le regard vers Atlas, tente de le rassurer, de lui faire comprendre que, malgré tout le passif qu’il ignore complètement, Charon est une personne de confiance — sans savoir qu’entre les trois se joue un drame bien plus complexe. « Amor, this is Charon. He’s very talented. » Elle ne l’a pas vu en vrai, ce talent, mais Swann en parlait suffisamment pour qu’elle le dise d’un air convaincu. « Should we stand there? » Observe l’estrade, prend les choses en main. Ses doigts lâchent une seconde ceux d’Atlas, se glissent autour de sa taille, son autre main qui prend la sienne, la serre, fort. Le rassure par sa présence, son contact, et l’invite à la suivre pour s’installer sur l’estrade au milieu de la pièce. « Come on, my love. » Et étrangement, malgré tout ce qui s’est passé entre eux, Pandore ressent un certain soulagement de se retrouver entre des mains connues, destinées à les préparer pour une soirée où ils seront surveillés jusqu’à la nuit noire par des inconnus au regard désagréablement scrutateur.

Dans les veines liées de suie, le temps semble s’arrêter -se décompose devant ses yeux, quand pourtant tout se déroule, témoin silencieux. Atlas salue, reste poli, ne dit rien qu’il ne faudrait pas, l’habitude de dissimuler la moindre pensée, émotion, trahison : ne pas montrer qu’il est humain, pas même à Pandore qui commence doucement à le connaître trop bien. Elle ne peut pas savoir, pas dans ces conditions, mais la panique est toujours là, elle ronge le cœur jusque dans les os. Le pire arrive pourtant après les présentations, lorsque dans une salve glaciale, il se rend compte qu’ils se connaissent. Les yeux s’écarquillent un instant à peine, le visage fermé acquiesce, mais sa tête tourne -et il la sent monter, l’angoisse latente, celle qu’il a appris à apprivoiser mais qu’il ne sait pas contrôler jusqu’au bout. Il se fait guider, comme un robot, se berce des surnoms et des mots doux qu’elle lui donne pour le rassurer -mais il sait que chaque attention creuse un peu plus le fossé entre Charon et lui. Voit le sombre dans les yeux du couturier. Devine le silence dans la cage thoracique -car la sienne est creuse, écho du néant. Les excuses ne suffiront pas, et il ne sait pas quoi expliquer. Alors, il prend la housse en silence, et il se contente d’un remerciement dans un souffle. Honteux.

Lorsque le rideau se ferme, il se retient d’expirer un soupir de soulagement -la trêve n’est pas seulement de courte durée, elle n’existe pas. Il sait que dans quelques instants, il devra de nouveau mentir. Sentir le poids d’un regard déçu, des promesses qu’il a brisé avant même de les lier, et des non-dits. Alors qu’il découvre l’étoffe noire bleutée, il ne peut qu’avoir une pensée admirative -revoit le mannequin dans l’appartement minuscule, la ceinture oubliée sur le parquet, et les promesses d’une muse qu’il n’a même pas eu le temps d’être. La poussière prend la forme de la soie, qu’il enfile à la va-vite le dos tourné à Pandore -timidité extrême et pudeur exacerbée qu’il garde, même avec elle. Alors qu’il referme la veste -qu’il trouve d’ailleurs un peu trop décolletée à son goût-, il ne peut s’empêcher de laisser échapper un souffle, inaudible pour le costumier à l’extérieur du rideau. « Do you know him ? How well ? » Sa voix pourrait trembler, s’il ne maîtrisait pas si bien ses masques. De peur ou de dégoût pour son mensonge éhonté. Et Pandore, d’ordinaire salvatrice, se change en vent contraire -mais il ne peut pas lui en vouloir, il ne lui a rien dit à elle non plus, a gardé tout le monde dans le noir et son coeur se retrouve au creux du sac de nœuds.

Elle n’a aucune idée de ce qui se joue, sous leurs yeux. Aucune idée de la raison qui fait s’emballer le cœur d’Atlas, des liens existants entre ces trois pions d’un jeu sans règles. Des déceptions échangées en silence, à coups de regards, entre Atlas et Charon. Il leur faut convaincre, depuis le départ, alors Pandore convainc, continue à jouer le rôle de leur vie. N’a plus besoin de mentir autant, sincèrement attachée à Atlas, mais est loin d’imaginer que ses mots prennent la forme de dagues enfoncées dans le cœur de Charon, de complications pour celui d’Atlas. Et dans une valse d’ignorance, elle n’arrange pas les choses, au contraire. Une fois sur l’estrade, elle ne lâche sa main que pour se saisir de la housse tendue par le styliste. « If you don't mind, Pandore this one is for you. » Elle le remercie d’un murmure, profite qu’il donne la sienne à Atlas pour jeter un œil à son visage, complètement fermé, masqué. Atlas fête le carnaval en avance, et ce n’est pas un bon signe. « Please, don't take too long. »
Rideau.
Elle se déshabille dans le silence d’une intimité particulière qu’elle ne partage quasiment jamais avec Atlas, de dos, pour ne pas le forcer à se montrer ni la regarder, elle. Voudrait lui demander ce qui se passe, pourquoi ça ne va pas, mais elle n’ose pas se retourner tant qu’ils n’ont pas terminé. À la place, elle regarde la robe confectionnée par Charon avec un sourire, convaincue que Swann n’avait pas menti sur son talent. S’y glisse et finit par se retourner, enfin, espérant qu’il a terminé. Le sourire s’agrandit en voyant sa tenue et elle s’approche sans oser le toucher, sa propre robe encore défaite. « You look wonderful. » Commente suffisamment fort pour que Charon entende, ses yeux qui posent mille questions à Atlas. What is happening? Do you need to go somewhere else? S’attendrait à une réponse avant qu’elle ait besoin de verbaliser ses inquiétudes. « Do you know him? How well? » Mais Atlas s’inquiète d’autre chose, dans un murmure. Pandore fronce les sourcils, surprise par la question. Répond en deux temps, ne permet au styliste de n’entendre que la première partie. « Could you? », dit-elle en se retournant pour l’inviter à fermer sa robe, même si elle aura sans doute besoin de retouches. « We had a… friend in common. » Swann n’était pas vraiment un ami, mais Atlas n’a pas besoin de savoir tous les détails, qui font aussi partie de l’intimité de Charon et qu’elle ne se permettrait pas de divulguer. Elle finit par se retourner à nouveau, prendre doucement son visage entre ses mains. Chuchote toujours dans l’intimité et le secret du rideau, qui risquent de s’éteindre à tout moment. « We’re not that close, it’s, complicated. Why? Do you need to go get some air? » Difficile d'éviter une tempête quand on ne sait même pas sur quel océan on navigue.

La valse des masques entame son troisième temps, et les soupirs restent coincés dans sa gorge, Atlas en monstre de fumée qui évite les regards, en apnée. Les yeux se détournent en pudeur exacerbée qui ne lui a jamais fait défaut, haine du corps tenace, le sien, celui des autres, s’est abandonné deux fois à la passion, la première regrettée, l’autre en suspens derrière un écran -l’imagination portée sur Charon, rappel d’un visage froid de l’autre côté du rideau et le ventre qui se tord. Il incline la tête dans un merci silencieux, et aide à fermer la robe de Pandore, dont il ne voit même pas les retouches à faire. « You look like a night sky. » Costume un peu large, carrure-silhouette, il n’attache pas son collier, s’inspecte du mieux qu’il peut, avant de poser la question qui lui brûle les lèvres -lui tord le coeur. Pandore n’y peut rien. Ne sait rien. Et il ne la blâmera jamais, son soleil lorsque tout est brouillard. La fermeture glisse, sans un bruit. « Ok... » et il ne sait quoi en penser, les questions qui se bousculent toutes dans sa tête. Hoche les épaules, avec un sourire qui se veut rassurant. Il ne veut pas partir, il voudrait juste les clés pour décoder la situation -mais ne peut rien dire. « No, it’s ok. He just doesn’t seem to be the type of guy you hang out with. » avant que Pandore n’aie pu répondre, et qu’ils en parlent plus longuement, il s’extirpe avec douceur et part au-delà du rideau. Retrouve l’asphyxie de la salle, le regard de Charon -et même s’il essaye de faire passer un message au travers de ses yeux, rien ne vient. Il se contente donc de fixer le sol. « I think there are slight things that need reajustment. »

Lèvres scellées comme teintées du poison que l’on veut hurler, hurler pour faire éclater les mensonges, s’échapper et laisser le coeur battre hors de la cage -le même qui résonne contre le pouls appuyé contre la main de Charon. Masque d’ordinaire facile à porter mais qui se mue en fardeau déjà trop conséquent sur les épaules frêles. Pandore est encore derrière le rideau, ils ne sont pas seuls, mais ont certainement un unique moment pour faire semblant de l’être. La lumière éteinte, emplie de rancœur, qu’il voit dans les yeux de Charon tire la sirène d’alarme, la peur de tout perdre, ou de se cacher derrière des mensonges -il lui faut au moins en dénouer un. Pandore n’en saura rien. Il l’espère. Alors il saisit la main posée près de son coeur, et y dépose un baiser, à l’arrachée, celui qu’il aurait aimé voir fleurir contre ses lèvres, mais trop risqué -les marques d’un rouge rosé teinté contre sa bouche qui les auraient trahis tous les deux. Lorsqu’il guide la main ancrée d’une marque à Charon jusqu’à sa taille, l’incite à effacer les marques d’une tendresse fauve contre l’étoffe, il pose son front contre le sien, une seconde à peine. Les yeux qui le cherchent, rallumer la flamme d’une espérance qu’il ne veut jamais voir éteinte. Please never let it be extinguished. Et aux travers de mots qu’il mime seulement dans le silence, il murmure « Trust me. » Pour lui montrer qu’il n’oublie pas. Que la trahison n’est pas celle qu’on croit. Trêve de courte durée, lorsqu'il entend le bruissement du rideau et replonge dans une réalité remplie de malaises. Il se racle la gorge, se redonne une contenance, bombe son torse d'oiseau tombé du nid. Adopte le ton presque hautain qu'on lui impose, que Charon n'a que rarement connu. « I would prefer it, yes. »

La peau tressaille à son contact, peu habituée à ce toucher si particulier, ténu et timide, comme si même en fermant sa robe, les doigts contre son dos, Atlas continuait de seulement l’effleurer sans jamais la toucher vraiment. Ils étaient proches pourtant, mais avec lui ce n’était jamais suffisant. Elle ne lui en voulait pas, ne l’aimait que comme ça. Aurait voulu lui éviter tous les touchers du monde pour voir un sourire sur ses lèvres et son cœur heureux. « You look like a night sky. » Elle sourit, les joues rosies, touchée de ce compliment qu’elle sait particulièrement sincère. « Thank you. » Si elle était le ciel, lui était une étoile. Filante, inatteignable. On pouvait garder la main tendue toute une vie dans l’espoir de l’atteindre, ça n’allait jamais fonctionner. « Ok... » Sourcils froncés, elle n’a pas le temps de plus le questionner, n’a que son silence et son « No, it’s ok. He just doesn’t seem to be the type of guy you hang out with. » à digérer. Il n’a pas tort, Charon et Pandore n’ont pas grand-chose en commun, seulement un fantôme et un incendie. C’est déjà beaucoup. Atlas disparaît et pendant un instant, elle contemple seule des souvenirs emplis de Charon et de Swann, le vrai et le faux, le mort et le ressuscité. Continue à s’habiller machinalement, l’esprit totalement ailleurs. « Is it okay for you Pandore? » Jusqu’à revenir dans la réalité, la main qui s’était stoppée et Pandore reprend ce qu’elle avait arrêté, encore un moment derrière le rideau, loin d’une autre intimité. « Yes, I think so, I’ll be there in a second. » Joint le geste à la parole et retourne dans la pièce principale, le regard d’abord perdu sur sa robe, puis sur les traits fermés d’un Atlas visiblement encore paniqué. « I would prefer it, yes. » Elle n’a pas entendu ce qui précédait mais ses sourcils se froncent à ce ton solennel, si changeant de celui au détour d’un chuchotement derrière le rideau. Ça ne dure pas, il faut bien vite remettre le masque et reprendre le sourire laissé de côté. « Everything okay cariño? Do you like it? » Elle lui adresse un sourire tendre, vient se placer à ses côtés, les doigts qui se saisissent doucement des siens, sans savoir qu’elle marque tragiquement un territoire qui ne lui a jamais appartenu et qu’elle aurait de toutes façons déjà perdu.